Séance en hémicycle du 18 juin 2014 à 14h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

Source

La séance est ouverte à quatorze heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

M. le président du Sénat a reçu, transmis par M. le Premier ministre, le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. Ce texte a été publié ce jour.

En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

En application de l’article 16, alinéa 2 bis, du règlement, Mme Éliane Assassi, présidente du groupe CRC, a saisi M. le président du Sénat d’une demande de constitution d’une commission spéciale sur ce projet de loi.

Cette demande a été publiée et a été notifiée au Gouvernement et aux présidents des groupes politiques et des commissions permanentes.

Elle sera considérée comme adoptée sauf si, avant la deuxième séance qui suit cette publication, soit avant l’ouverture de la séance du lundi 23 juin, M. le président du Sénat est saisi d’une opposition par le Gouvernement ou le président d’un groupe.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur l’articulation du régime local d’assurance maladie complémentaire obligatoire des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle et la généralisation de la complémentaire santé afin d’étudier l’hypothèse d’une éventuelle évolution du régime local d’assurance maladie et ses conséquences.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des affaires sociales.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Madame la présidente, mon intervention se fonde sur l’article 16, alinéa 2 bis, et sur l’article 36 du règlement du Sénat.

Ce matin, le conseil des ministres a adopté le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

Comme vous l’avez annoncé, madame la présidente, voilà deux heures, dès la transmission de ce texte au bureau du Sénat, j’ai demandé, au nom de mon groupe, la constitution d’une commission spéciale permettant de regrouper les travaux et compétences des diverses commissions concernées par cette importante réforme territoriale.

Qui pourrait croire que la création de grandes régions – tel est l’objet du texte inscrit à l’ordre du jour de la session extraordinaire du Parlement – n’entraînera pas une modification substantielle, voire radicale, des compétences de l’ensemble des échelons territoriaux ?

Comment scinder la réflexion sur ce texte de celle qui portera sur le second projet de loi, adopté aussi ce matin en conseil des ministres, relatif à l’organisation territoriale, dont l’examen est renvoyé à cet automne ?

Cette modification des compétences, implicitement prévue par la création des grandes régions, exige l’instauration d’une commission spéciale pour examiner le texte sous l’angle non seulement juridique et institutionnel, mais aussi économique, social, culturel, financier et du développement durable. Ce sont donc six commissions qui devraient être consultées. La création d’une commission spéciale simplifiera, nous semble-t-il, la tâche du Sénat.

Cette demande est faite par le groupe CRC, mais je crois savoir que d’autres groupes parlementaires feront de même, si ce n’est déjà fait.

Il me paraît contraire à l’esprit et à la lettre de la Constitution que la commission des lois organise dès cet après-midi des auditions, dont celle du ministre de l’intérieur, alors même que le Sénat n’a pas encore décidé de la forme que prendrait l’examen du projet de loi. Aussi, pour le respect du règlement et des groupes qui composent le Sénat, pour le sérieux de nos travaux, je demande que les auditions prévues par la commission des lois soient reportées.

Cette demande ne me semble pas excessive. Elle est de droit. Ce qui est excessif, c’est la précipitation du travail législatif, avec l’organisation d’auditions, sur un texte très important qui engage l’avenir de notre architecture institutionnelle, deux heures après l’adoption de ce dernier par le conseil des ministres. §

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.

Je précise que votre demande a été notifiée au Gouvernement, aux présidents des différents groupes parlementaires et des commissions permanentes.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

L’ordre du jour appelle le débat sur les zones économiques exclusives ultramarines, organisé à la demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de la délégation sénatoriale à l’outre-mer.

Dans le débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, mes chers collègues, au mois de septembre 2013, la frégate de surveillance Nivôse, basée à la Réunion, en mission de souveraineté et de police des pêches, a appréhendé un bâtiment de recherche pétrolière en train de mener des activités illégales d’exploration dans notre zone économique exclusive autour des îles Éparses, territoire français situé dans le canal du Mozambique, dont on sait qu’il recèle des richesses pétrolières et gazières importantes.

Cet exemple illustre bien les évolutions en cours.

D’abord, les évolutions technologiques mettent à portée des ressources économiques jusqu’alors inaccessibles, et ce à un coût moindre.

Ensuite, les évolutions économiques poussent à la diversification et à l’intensification de l’exploitation des ressources de la mer, afin de répondre aux besoins croissants de la population mondiale, qu’il s’agisse des besoins alimentaires – pêche, aquaculture –, des besoins en énergie – gisements offshore, énergies renouvelables – ou en métaux rares.

Enfin, les évolutions du cadre juridique, depuis l’entrée en vigueur de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, ont élargi l’emprise des États côtiers.

À la mer territoriale pouvant s’étendre jusqu’à 12 milles au-delà de la côte, où s’exerce l’entière souveraineté, s’est ajoutée, jusqu’à 200 milles, soit 370 kilomètres, une zone économique exclusive, une ZEE, cette zone pouvant aller, lorsque les États ont obtenu l’extension maximale de leur plateau continental, jusqu’à 350 milles, c'est-à-dire 650 kilomètres. Cette délimitation des espaces maritimes constitue un bouleversement considérable.

De ces mutations procède la maritimisation des enjeux économiques, dont Jeanny Lorgeoux et André Trillard, qui interviendront ultérieurement, ont montré l’importance dans un rapport que nous avons publié dans la perspective des travaux de la commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

Ce phénomène modifie l’équilibre géopolitique des océans. Il exacerbe la concurrence entre les États et fait naître ou renaître des risques et des menaces allant du terrorisme à la piraterie, des flux criminels aux atteintes à l’environnement et, bien sûr, à la biodiversité.

La France est une grande bénéficiaire de cette révolution. Grâce à l’outre-mer, elle bénéficie d’un positionnement stratégique singulier et dispose d’une ZEE de 11 millions de kilomètres carrés, la plus vaste du monde après celle des États-Unis. Cette zone – ces zones, devrions-nous dire – est répartie dans tous les océans de la planète, à 97 % outre-mer et souvent autour de territoires de taille réduite, parfois même dépourvus de population. De ce fait, notre pays dispose d’un potentiel considérable de richesses minérales et halieutiques qui lui sera indispensable pour survivre durablement dans la compétition internationale.

L’exploitation de ces ressources, mais aussi le développement des technologies nécessaires à celle-ci constituent des enjeux économiques importants, notamment pour nos collectivités d’outre-mer, dont l’économie – certains collègues le diront mieux que moi ! – reste fragile et dont nous devons impérativement réévaluer l’importance au sein de notre communauté nationale.

Les orateurs suivants qui interviendront au nom de la délégation à l’outre-mer et des différents groupes parlementaires auront l’occasion de parler davantage de ce potentiel et des moyens de le développer.

En tant que président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, je souhaite mettre l’accent plus particulièrement, mais brièvement, rassurez-vous, mes chers collègues, sur les enjeux de sécurité ; Jeanny Lorgeoux et André Trillard complèteront mon propos.

Ces enjeux vont s’accentuer. Les sources de richesses suscitent les convoitises. La territorialisation des fonds marins et de leur sous-sol est, pour l’avenir, une raison de tensions dont l’essentiel pourra, sans doute, être géré par une médiation juridique, mais ces tensions pourraient aussi être une cause potentielle de conflits armés dans le monde. On le constate nettement au travers des événements actuels en mer de Chine, par exemple.

Cette territorialisation souligne également la nécessité pour les États qui, comme la France, souhaitent exploiter les espaces maritimes sous leur juridiction de disposer des moyens adaptés à la maîtrise de ces zones et à leur sécurisation.

À cet égard, permettez-moi d’ouvrir une parenthèse. Voilà une semaine, lors d’un déjeuner, j’ai demandé à brûle-pourpoint à l’amiral, chef d’état-major de la marine, quels moyens seraient nécessaires pour avoir de véritables potentialités en matière de surveillance en mer de ces ZEE. Six bâtiments adaptés, m’a-t-il répondu. Faites les comptes, mes chers collègues ! Voyez ce que cela représente en termes de moyens financiers et d’exigences !

La protection de nos ZEE contre des exploitations illicites va devenir un enjeu tangible avec la croissance des menaces, qui profitent également des avancées techniques.

Je veux parler de la capacité des navires de pêche à opérer de plus en plus loin de leurs ports d’attache et à surexploiter certaines zones traditionnelles, allant jusqu’à porter atteinte à la diversité biologique.

Je veux parler de la capacité de mobiliser des moyens d’exploration – et, peut-être demain, d’exploitation – de ressources minérales ou pétrolières sans autorisation.

Je veux parler encore de la capacité des acteurs de la piraterie ou du terrorisme à opérer, demain, contre des installations offshore ou contre des navires approvisionnant celles-ci, à partir de certains États côtiers déstabilisés au point d’être incapables d’assurer la sécurité dans leur propre ZEE. Mes chers collègues, n’en doutons pas : l’aggravation de cette menace nous contraindra à déployer des moyens de protection, comme nous l’avons fait pour lutter contre la piraterie maritime, afin d’assurer la protection de nos approvisionnements et de nos intérêts, mais aussi celle de nos entreprises et de nos ressortissants.

En outre, à mesure que les richesses de ces zones seront découvertes, les contestations juridiques émanant des États riverains se renforceront ; la multiplication des contentieux pourra retarder le lancement de projets d’exploitation, faute d’une sécurité suffisante en considération du montant des investissements – j’ai déjà abordé ce danger voilà quelques instants.

Notre capacité à garantir la protection des activités dans les ZEE est un enjeu dont l’importance ira croissant au cours des décennies à venir. Cette protection, madame la ministre, passe par la diplomatie et par le droit, mais elle suppose également une capacité à faire respecter nos droits, par la force si besoin.

Jeanny Lorgeoux et André Trillard nous rappelleront que plusieurs territoires sous souveraineté française restent contestés, et que certaines de nos ZEE ne font toujours pas l’objet d’une délimitation avec les pays voisins.

Par ailleurs, nos dossiers de demande d’extension de notre ZEE sur le plateau continental doivent être soutenus, et la cartographie des fonds ainsi que leur exploration réalisées avec une plus grande célérité.

Reste que le perfectionnement du droit international ne suffira pas : il nous faut également maintenir des capacités de surveillance, de contrôle et d’action, pour réprimer les contrevenants.

Or l’action de l’État en mer nécessite des moyens, compte tenu de l’étendue des zones à couvrir. Si nous avons réussi, dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, à donner une plus grande importance aux enjeux maritimes, le contexte budgétaire dans lequel la loi de programmation militaire a été élaborée n’a pas permis un effort suffisant pour doter notre marine nationale des moyens absolument indispensables.

Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir soutenir la commission que j’ai l’honneur de présider, qui continue de réclamer le maintien des moyens nécessaires pour relever ces nouveaux défis, et leur accroissement dès que le contexte économique se sera amélioré !

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jeanny Lorgeoux

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, mes chers collègues, le président de la commission, M. Carrère, vient de mettre en lumière l’importance et la profondeur stratégiques de l’enjeu que représente pour la France la possibilité d’exploiter, au fur et à mesure que les technologies le permettront et à un coût raisonnable, les richesses de ses zones économiques exclusives ultramarines.

Seulement, cette perspective n’a de sens que si nous réussissons à faire respecter nos intérêts sur la scène internationale, en utilisant toutes les opportunités qu’offrent le droit et la diplomatie. Or les limites de nos ZEE ne sont ni clairement ni complètement établies, tout particulièrement dans l’océan Indien.

En effet, si des accords bilatéraux ont pu être conclus avec l’île Maurice, en 1982, et avec Madagascar, en 2005, respectivement pour l’est et l’ouest de la Réunion, les limites ne sont pas fixées officiellement autour de l’île Tromelin, faute d’accord.

Autour de Mayotte, aucune des limites de la ZEE n’est stabilisée. Les Comores ont même autorisé la délivrance de permis d’exploration pétrolière sur une surface de 6 000 kilomètres carrés empiétant sur le périmètre théorique de notre zone économique exclusive. Que se passera-t-il si un gisement est découvert et mis en exploitation ? Indépendamment même de la perte de recettes que subiraient la France et, particulièrement, le département de Mayotte, les explorations, du seul fait qu’elles existent, renforcent les prétentions comoriennes sur notre espace maritime.

Au demeurant, les questions soulevées par cette situation se posent au sujet d’une grande partie de notre ZEE.

Dans la zone Antilles-Guyane, le travail est certes plus avancé, mais non achevé. En particulier, si la délimitation avec la ZEE du Brésil est effective depuis 1981, la délimitation n’a pas abouti avec le Surinam.

À Saint-Pierre-et-Miquelon, la délimitation est effective à la suite d’un arbitrage, rendu en 1992, qui est très défavorable à la France. En Nouvelle-Calédonie, la délimitation est réalisée avec les îles Salomon, les Fidji et, partiellement, avec l’Australie. Pour Wallis-et-Futuna, le travail est pour partie achevé.

Les incertitudes qui demeurent sont accentuées par le caractère relatif du principe de l’équidistance adopté pour le tracé, et par les interprétations divergentes qui lui sont données. Sans compter qu’il manque encore des décrets portant délimitation des lignes de base pour nombre de territoires, décrets dont la publication est pourtant nécessaire pour conforter les notifications de limites à l’ONU. Il s’agit aujourd’hui pour les services compétents du ministère des affaires étrangères de mettre les bouchées doubles et d’affecter les moyens nécessaires à ce travail, qui touche à l’intérêt supérieur à long terme de la France.

Enfin, cette fragilité juridique se double de fortes incertitudes sur l’extension du plateau continental. À cet égard, l’absence de limitations claires de nos ZEE n’est pas de nature à conforter les demandes françaises d’extension.

Mes chers collègues, imaginez-vous que, sur quatorze demandes soumises à l’étude, quatre seulement à ce jour ont donné lieu à une recommandation de la Commission des limites du plateau continental, la CLPC ; aucune n’ayant été traduite dans le droit par les autorités nationales, le processus d’ensemble pourrait ne pas aboutir avant une dizaine d’années au moins.

En outre, la CLPC ne dispose pas de moyens suffisants pour accomplir sa mission dans des délais raisonnables ; la France devrait insister auprès des Nations unies pour qu’elle en soit dotée.

En l’absence de délimitation établie, l’étendue de notre domaine maritime n’est pas opposable aux États tiers, ce qui fragilise les actions de protection et d’exploitation. Cette situation est propice au développement de véritables zones de non-droit dans des espaces théoriquement, et jusqu’à preuve du contraire, sous juridiction française. La crédibilité de l’action de l’État en mer en est inévitablement affaiblie, de même que la capacité de celui-ci à exercer ses responsabilités.

Au demeurant, l’affirmation de la souveraineté française ne dépend pas seulement de la sécurisation juridique du statut des ZEE ultramarines ; elle appelle aussi une présence effective et visible de l’État, laquelle n’est pas aisée à assurer compte tenu de l’éloignement de ces territoires de la métropole et même, pour les plus isolés, par rapport à nos principaux points d’appui outre-mer. La difficulté est d’autant plus grande que l’État consacre à cette mission des moyens insuffisants – notre collègue André Trillard abordera cette question de manière plus approfondie dans quelques instants.

Madame la ministre, tout ce qui peut être fait par le droit et la diplomatie préviendra des conflits futurs et évitera d’avoir à engager des moyens militaires, dont on sait qu’ils sont comptés, sur des fondements incertains et contestables.

La faiblesse des moyens mis en œuvre pour étayer nos dossiers et le peu d’empressement mis à délivrer des titres miniers aux compagnies françaises nous conduisent à nous interroger sur la volonté de certaines administrations d’affirmer notre souveraineté et d’exploiter les zones en cause.

Pourtant, la souveraineté de la France sur sa ZEE est d’ores et déjà contestée – je le dis sans ambages. De fait, sur les désaccords touchant à la délimitation se greffe parfois une contestation de la souveraineté même de la France sur le territoire concerné. C’est le cas, naturellement, pour Mayotte, où notre souveraineté n’a jamais été reconnue par l’État comorien, mais aussi pour certains îlots de dimension réduite, difficilement habitables.

Or ce sont des zones économiques immenses, et convoitées, qui dépendent de notre souveraineté sur ces territoires.

Je pense par exemple à l’île Tromelin, revendiquée par la République de Maurice ; un accord de cogestion sectoriel, portant sur les ressources halieutiques, a été signé en 2010, mais il est difficilement acceptable sous certains aspects, dès lors que Maurice continue de délivrer des licences de pêche pour une zone qui empiète sur la nôtre.

Je pense aussi aux îles Éparses, dans le canal du Mozambique, revendiquées par Madagascar de façon plus ou moins forte – plus souvent forte à mesure que les résultats des explorations laissent entrevoir des gisements d’hydrocarbures prometteurs. En vérité, l’enjeu est de taille : dans cette zone, la ZEE de la France correspond potentiellement à un espace de 425 000 kilomètres carrés, ce qui représente les deux tiers du canal du Mozambique.

Je pense encore à l’île de Clipperton, dont la zone est particulièrement poissonneuse et constitue un réservoir potentiel d’énergies renouvelables. Elle fait l’objet d’une revendication récente, mais constante, du Mexique, qui conteste son caractère habitable dans la durée, alors même que nous bénéficions d’un arbitrage international favorable rendu en 1931.

En 2008, nous avons introduit ce territoire à l’article 72-3 de la Constitution, mais, à la même époque, nous avons signé avec le Mexique un accord de pêche particulièrement complaisant, sans contrepartie véritable, dont on peut légitimement se demander s’il n’affaiblit pas notre position.

Pour mémoire, je veux citer également les îles Matthew et Hunter, contestées par le Vanuatu.

Enfin, la France devrait s’intéresser davantage à la gouvernance mondiale des océans.

La convention de Montego Bay n’a pas seulement reconnu des droits aux États côtiers : elle a également défini le statut des eaux et du sous-sol marin situés dans la zone internationale, et confié à l’Autorité internationale des fonds marins, l’AIFM, l’organisation et le contrôle des activités d’exploration et d’exploitation des ressources du sol et du sous-sol.

Cette autorité, qui, aux termes de la convention, agit pour le compte de l’humanité tout entière, est appelée à jouer un rôle central dans la gouvernance des océans, par l’édiction de normes et la délivrance de permis aux États signataires et aux entreprises qu’ils patronnent. Il est donc impératif de s’en préoccuper.

À ce jour, elle a établi des réglementations sur les nodules et sur les sulfures polymétalliques ; elle a aussi délivré une quinzaine de permis, dont certains portent sur la zone de fracture Clipperton-Clarion, à proximité de notre ZEE. La présence, parmi les titulaires de permis, de puissances comme la Russie, la Chine et la Grande-Bretagne met en exergue l’intérêt porté par les grandes nations industrielles à l’exploitation des fonds marins.

En l’absence des États-Unis, non signataires de la convention, au sein de l’AIFM, la France, parce qu’elle est, comme l’a souligné M. le président de la commission, l’État qui dispose de la ZEE la plus étendue, située de surcroît sur trois océans, et compte tenu de son expertise technique et géographique, et des talents qu’elle possède dans ce domaine, doit peser de tout son poids dans la définition d’un cadre raisonné et protecteur de l’environnement pour l’exploitation des fonds marins. L’enjeu est essentiel, car ce cadre servira de référence pour les activités dans les ZEE nationales.

La France doit également être active dans le domaine de l’exploration des grands fonds, en déposant des demandes de permis et en développant son expertise. Or elle y consacre trop peu de moyens : de fait, deux campagnes seulement ont été entreprises dans la zone Clipperton-Clarion, alors que le permis de quinze ans s’achèvera en 2016 ! Le même constat vaut pour le permis portant sur la dorsale atlantique, une zone dans laquelle les Russes et les Chinois mènent cinq campagnes par an !

Debut de section - PermalienPhoto de Jeanny Lorgeoux

J’ajoute que notre position s’érodera davantage encore avec les pertes d’expertise liées aux départs en retraite de nos grands spécialistes, sans que nous ayons formé les chercheurs capables de leur succéder. Imprévoyance peut-être coupable ! Résultat : aucun inventaire systématique n’a été entrepris, à l’exception de celui qui porte sur Wallis-et-Futuna.

La France, qui enregistrait en la matière une certaine avance, et même d’une avance certaine, prend du retard, alors que les enjeux à moyen et long terme prennent une autre dimension. Elle dispose de richesses, mais ne sait pas les faire fructifier.

(Sourires.) Il est temps que nous réagissions !

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jeanny Lorgeoux

Madame la ministre, mes chers collègues, je vous invite à relire la parabole des talents. La France ressemble quelque peu au troisième serviteur : ayons garde qu’elle n’en subisse le sort et ne se laisse déposséder de ses richesses par manque d’investissement et d’opiniâtreté. §

Debut de section - PermalienPhoto de André Trillard

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, pour l’élu de Loire-Atlantique que je suis, il est évident que les océans, de façon générale, et l’espace maritime français en particulier constituent un « empire bleu », qu’il convient de protéger autant que de développer. Mais cela ne sera possible qu’à condition que nous nous appuyions sur une vision à long terme nous permettant de gérer nos richesses. Une telle gestion et une telle préservation ne peuvent se concevoir sans une politique globale de sécurisation, dont l’échelle est infinie.

Aujourd'hui, l’espace maritime français représente 11, 5 millions de kilomètres carrés et peut s’étendre jusqu’à 13, 5 millions de kilomètres carrés. La France, au deuxième rang mondial de par son domaine maritime, suivant les États-Unis, mais précédant l’Australie, doit être en mesure et en capacité de gérer un espace géographique qui va de Saint-Pierre-et-Miquelon jusqu’à la Nouvelle-Calédonie, en passant par la Réunion. Les mers françaises s’étendent sur tous les océans, aussi peut-on affirmer que, sur la mer et le littoral français, le soleil ne se couche jamais !

C’est dire à quel point il est important de réviser l’approche de nos territoires ultramarins, en particulier pour ce qui concerne la sécurité.

La sécurité des zones économiques exclusives nous impose une gestion à deux niveaux : en surface et sous la mer. En effet, les fonds marins des ZEE constituent certes des réserves halieutiques, mais représentent aussi un potentiel de ressources en hydrocarbures et minières, dans un contexte de compétition énergétique acharnée. Toutefois, dans la mesure où cet empire bleu héberge un écosystème vital pour la planète, nous ne pouvons pas tout nous permettre.

Ces ressources posent une quadruple équation relative à leur accès, leur exploitation, leur préservation et leur sécurisation, laquelle concerne tant les ressources stratégiques elles-mêmes que les routes qui y conduisent.

Quelles sont ces ressources ? Il s’agit, M. Jeanny Lorgeoux l’a rappelé, de pétrole au large des côtes guyanaises et de Saint-Pierre-et-Miquelon, de métaux rares au large de Nouméa et de Wallis-et-Futuna, de nodules polymétalliques autour de Clipperton...

À cet égard, il faut souligner que l’IFREMER, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, accomplit un travail remarquable, qui va de la protection de récifs coralliens – il faut les conserver à tout prix – à l’exploration scientifique de mines sous-marines à Wallis-et-Futuna.

Comme je l’ai dit, il y a les fonds, et il y a la surface maritime. Rappelons que 90 % du transport mondial de marchandises s’effectue par voie maritime. L’enjeu économique est à l’échelle des océans, qui occupent 70 % de la surface du globe. Plus que jamais, il est temps d’appréhender les océans comme un nouveau théâtre effectif de la mondialisation. Il faut noter que cette approche globale est d’autant plus essentielle dans le domaine maritime que les solutions terriennes du partage de l’espace ne fonctionnent pas toujours.

Pourtant, l’espace maritime mobilise des activités diplomatiques et militaires. J’en veux pour preuve l’opération européenne Atalante menée contre la piraterie en Méditerranée ou encore l’opération Narcops dans les Caraïbes. Mais il s’agit là plus d’opérations que de politique. Nous le savons, il est plus que temps de penser ou repenser notre relation à l’espace maritime.

Je suis navré de vous le dire, mes chers collègues, je doute que la création d’un secrétariat d’État chargé, entre autres, de la mer soit une solution. Non, il faut aller bien au-delà : les défis sont tellement immenses et transversaux qu’ils méritent l’édification d’une stratégie nationale, sur plusieurs dizaines années. Bref, la réflexion doit être proportionnelle au statut de puissance maritime auquel nous prétendons.

Il ne faut pas l’oublier, notre pays est en compétition avec d’autres puissances, qui ont bien pris conscience du fait que les ressources stratégiques représentaient l’un des défis du XXIe siècle. La revendication des îles Senkaku par la Chine et le Japon en est un exemple criant. L’embargo décidé par Pékin sur les exportations de terres rares a provoqué une panique chez les grands industriels.

Avons-nous pris la mesure des impacts économiques de ce type de différends ? L’un des véritables problèmes tient surtout à la combinaison de deux facteurs : une difficile substitution de ces terres rares et une concentration de leur exploitation.

Après Jean-Louis Carrère et Jeanny Lorgeoux, je déplore à mon tour l’insuffisance de nos efforts pour inventorier les ressources de nos zones économiques exclusives, surtout si l’on songe à notre promptitude à délimiter dans ces espaces des zones de protection naturelle. Il s’avérera peut-être que celles-ci sont justement les plus riches ou les plus faciles à exploiter.

Je me demande si, parfois, nous ne mettons pas la charrue avant les bœufs, et si nos moyens ciblent de bons objectifs !

Tous les membres de la commission des affaires étrangères sont très préoccupés par notre difficulté à maintenir des capacités de surveillance, de contrôle et d’action pour réprimer les contrevenants. Que vaut le droit si nous n’avons pas les moyens de le faire respecter ? J’en conviens, cela implique des moyens considérables, compte tenu de l’étendue des zones à couvrir. Mais c’est cette étendue qui confère à la France son statut de puissance maritime.

Concrètement, nous devons disposer de satellites d’observation, de moyens aéromaritimes adaptés, performants et polyvalents. Il importe surtout d’améliorer la coordination et les synergies entre les services chargés de l’action de l’État en mer, dont les missions comprennent la surveillance et la police des pêches, mais aussi la défense maritime des territoires, la lutte contre les trafics illicites et la pollution, ainsi que le sauvetage.

Nous nous réjouissons de la mise en place d’une organisation spécifique de la fonction de garde-côte, associant la marine nationale à de nombreuses administrations et constituant un modèle de coordination assez exceptionnel. Si nombre de nations nous envient ce schéma, on ne peut que déplorer l’insuffisance des moyens en équipements qui y sont consacrés.

Pour protéger les 11 millions de kilomètres carrés de notre ZEE, nous ne disposons actuellement outre-mer que de six frégates de surveillance – il en faudrait le double –, de deux bâtiments de transport léger, BATRAL, – deux ont été désarmés en 2011 et 2013 –, de sept patrouilleurs hauturiers, dont quatre P400 que nous faisons durer, d’un patrouilleur austral et de deux navires reconvertis, ou déguisés, je ne sais comment dire, en patrouilleurs, soit un ancien palangrier saisi et un ancien bâtiment hydrographique.

Malheureusement, les renforcements attendus au cours de la présente loi de programmation militaire ne sont pas à la hauteur des enjeux. Tout d’abord, ce texte est moribond, et il n’était prévu de commander que trois bâtiments multi-missions, ou B2M, et, éventuellement, un quatrième bâtiment à vocation interministérielle et à financement correspondant.

En outre, ces navires, de nature essentiellement civile et faiblement armés, qui assurent le remplacement des BATRAL, ne disposent pas d’une capacité amphibie de débarquement. Deux patrouilleurs légers à faible tirant d’eau, spécialement commandés pour être utilisés en Guyane, seront livrés en 2016.

Le programme de bâtiments de surveillance et d’intervention maritime – BATSIMAR –, dont la marine a défini les caractéristiques en 2007 et dont la loi de programmation militaire pour les années 2009-2014 prévoyait la livraison en seize unités à partir de 2017 à raison de deux par an, a vu sa cible réduite à douze et son calendrier retardé, puisque la première livraison ne devrait pas intervenir avant 2024.

Ce report de sept années, même s’il s’accompagne d’une ultime prolongation des moyens existants, fragilise encore notre dispositif de sauvegarde outre-mer, et aggravera la réduction des capacités entre 2019 et 2025.

Compte tenu de ces moyens et du fort niveau d’engagement opérationnel, notamment sur des théâtres d’opérations extérieures, la marine nationale ne peut mener que des opérations ponctuelles.

De ce fait, la notion de protection relève presque du virtuel. Au regard non seulement des enjeux que représente l’exploitation des ressources de la mer et des fonds marins et de la montée prévisible des tensions qui y sont liées, mais aussi de l’accroissement du niveau de violence de ceux qui se livrent à des activités illicites, il est indispensable que nous engagions rapidement un travail de réajustement des moyens consacrés à l’action de l’État en mer dans les zones ultramarines et de réflexion sur leur financement.

Outre l’avancement des commandes et des livraisons, nous devons réfléchir sérieusement à l’apport des nouvelles technologies en matière de surveillance. Je pense, par exemple, aux systèmes d’identification obligatoire des navires autorisés à travailler dans certaines zones et à la capacité de détecter par satellite ceux qui ne le sont pas. Il est temps de lancer des études sur la mise au point de drones de surveillance embarqués, permettant l’extension des zones de surveillance.

Nous devrions également considérer qu’il y aurait une certaine légitimité à réserver une part des redevances d’exploration et d’exploitation des ressources de notre ZEE à la surveillance et à la protection. Ainsi, ces nouvelles ressources financières pourraient être réaffectées au budget d’équipement de la défense, sans peser sur les autres postes budgétaires du ministère.

Enfin, il me semblerait utile de nous rapprocher des États riverains avec lesquels nous avons conclu des accords de délimitation, afin d’organiser une coopération en matière de surveillance et de contrôle, chacun devant être en mesure d’agir pour le compte d’autrui dans cette mission. Cela devrait être possible dans l’océan Pacifique, avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, notamment.

J’ai également noté les contestations dont la France fait l’objet. Madame la ministre, notre pays en est-il conscient ? Vous-même l’êtes sûrement, mais en va-t-il de même pour l’ensemble des membres du Gouvernement ? Quels moyens ont été prévus pour éviter une rupture de nos capacités de protection ? Nous attendons des réponses claires et précises, permettant de garantir le statut de puissance maritime de notre pays.

Sur le plan industriel, nous devons répondre collectivement à une série de questions afin de lancer un projet dont l’importance pour la France est d’un niveau exceptionnel. Quel délai prévoir pour réaliser l’exploration en question ? Si nous fixons une durée de cinquante ans, nous aurons du mal à atteindre notre objectif. Bien sûr, cinquante ans, c’est énorme à l’échelle individuelle. Mais c’est exactement le temps qui s’est écoulé entre le début de l’opération Airbus et la période actuelle.

En réalité, nous nous inscrivons dans une logique de trois cents ans, ce qui nous ramène, d’un point de vue historique, à la royauté ! Or si nous nous contentons d’avancer doucement et lentement, chacune de nos ZEE sera contestée, au motif de notre désintérêt. Ce sera bien mérité !

Merci, madame la ministre, mes chers collègues, de conserver votre intérêt pour ce qui constitue un point essentiel de l’avenir de notre pays. Merci, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, d’avoir voulu l’organisation de ce débat. §

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

La parole est à M. le président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Larcher

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’aimerais que notre débat d’aujourd’hui soit un moment de prise de conscience. J’aimerais qu’il éclaire de nouveaux chemins vers un avenir innovant, source de croissance et d’épanouissement non seulement pour nos collectivités ultramarines et notre pays, mais aussi pour l’Europe.

Aussi, je tiens à cet instant à remercier le président de la commission des affaires étrangères, Jean-Louis Carrère, d’avoir accepté une proposition conjointe visant à débattre ce jour des enjeux des zones économiques exclusives ultramarines. Il faut dire que le rapport rendu au mois de juillet 2012 par nos collègues Jeanny Lorgeoux et André Trillard relatif à la maritimisation avait été particulièrement remarqué.

Dans la morosité ambiante, qui bride les énergies, il faut retrouver des objectifs, redessiner un horizon : le rapport d’information sur les ZEE ultramarines, adopté par la délégation à l’outre-mer à l’unanimité le 8 avril dernier, s’emploie à tracer des perspectives pour le court, le moyen et le long terme.

Les trois rapporteurs – Jean-Étienne Antoinette, Joël Guerriau et Richard Tuheiava –, que je remercie encore une fois chaleureusement de leur investissement dans ce dossier complexe et passionnant, proposent une synthèse inédite. Ce fut un travail de longue haleine, qui a nécessité de nombreuses auditions, et même une visioconférence avec le gouvernement de la Polynésie française.

Ce rapport fera date ; il a le mérite d’embrasser les multiples aspects d’un sujet abordé généralement sous l’angle de thématiques spécifiques, comme les terres rares, les énergies marines ou les questions géostratégiques.

Il met en évidence les potentialités multiples offertes par les ZEE ultramarines qui propulsent notre pays au deuxième rang mondial des puissances maritimes.

Encore faut-il se donner les moyens de valoriser ces potentiels gigantesques. D’autres pays, moins bien dotés – je pense notamment à la Chine –, se sont d’ores et déjà positionnés, alors que la France, dont la souveraineté est de plus en plus souvent contestée, perd chaque jour son avance en matière de recherche.

S’il est encore temps de redresser la barre et de mettre en place une véritable politique maritime, nous nous situons à une période charnière, qui appelle une réponse désormais urgente. Quittons le registre de l’incantation pour investir et innover ! L’audace n’est jamais autant indispensable que dans les situations de crise !

Dans le rapport susvisé sont formulées une dizaine de propositions en ce sens que les rapporteurs Jean-Étienne Antoinette et Joël Guerriau présenteront. Richard Tuheiava est pour sa part retenu sur son territoire, dans le cadre de la campagne en vue d’une élection législative partielle.

Pour ma part, j’insisterai sur un point : l’enjeu crucial que représente pour les collectivités ultramarines la valorisation des espaces maritimes, domaine dans lequel leur rôle a toujours été minoré. La faute en incombe d’ailleurs pour partie aux outre-mer eux-mêmes qui, à l’exception de la Polynésie française, sont historiquement et culturellement tournés vers leurs territoires terrestres. Au-delà du frein budgétaire, la mise en place d’une véritable politique maritime achoppe sur deux écueils.

Le premier est l’absence de vision intégrée, car les questions relatives à la mer sont traitées de façon éparse et cloisonnée, en dépit des efforts du Secrétariat général de la mer et des comités interministériels de la mer. Ces derniers sont d’ailleurs réunis à échéances trop irrégulières et apparaissent davantage comme les vestales d’un discours répétitif que comme un moteur d’action.

Le second écueil est la faible association des outre-mer – j’ai bien entendu les propos du président Jean-Louis Carrère – à la définition d’une stratégie maritime, alors même qu’ils en sont les postes avancés. J’observe ainsi que le rapport intitulé Une ambition maritime pour la France établi en 2006 par le Centre d’analyse stratégique et le Secrétariat général de la mer comptait moins d’une dizaine de pages consacrées aux outre-mer, sur un total de 209 ! Je reconnais cependant à ce document le mérite d’aborder la question d’un développement des outre-mer « autour de l’économie maritime » et d’affirmer la nécessité de « tourner vers ces régions l’effort de connaissance et de recherche. »

La connaissance des potentiels est en effet un élément clé que la distance et la rigueur budgétaire repoussent aujourd’hui à l’arrière-plan, alors qu’elle conditionne l’avenir et notre capacité à faire fructifier des espaces regorgeant de ressources. Des ressources halieutiques et du développement de l’aquaculture à l’exploitation des minéraux des grands fonds, en passant par la diversité d’utilisation des algues, notamment en pharmacopée, ou encore les énergies marines renouvelables, la recherche constitue le premier maillon d’un cercle vertueux pourvoyeur de croissance et d’emploi pour nos outre-mer et notre pays tout entier.

Ces potentialités ne doivent pas être négligées ; notre pays ne peut pas être et ne doit pas rester une grande puissance maritime qui s’ignore.

C’est pourquoi, saisissant le symbole fort de la date du 18 juin, je conclurai mon propos en lançant un appel – oui ! un appel – à ouvrir les yeux et à saisir notre chance de disposer de pareils gisements de ressources et d’innovation.

Dans un contexte mondial où l’avenir de l’humanité se joue sur les océans, nous avons le devoir de les faire fructifier.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette, rapporteur de la délégation sénatoriale à l’outre-mer.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Étienne Antoinette

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis une vingtaine d’années, soit depuis l’entrée en vigueur de la convention de Montego Bay qui a défini la zone économique exclusive et accordé des droits souverains aux États sur les ressources de cette zone, notre planète connaît une révolution silencieuse : celle du partage des océans.

Nous assistons à un changement majeur de la donne géopolitique et économique mondiale, comme en témoignent non seulement le progrès très rapide des techniques d’extraction d’hydrocarbures ou de minerais offshore, mais aussi les tensions internationales de plus en plus vives liées au partage des espaces maritimes et aux permis d’exploration. La course au contrôle des ressources marines et sous-marines est lancée, certains pays tels que la Chine ou le Brésil déployant déjà des moyens considérables.

Or, sur la ligne de départ de cette course, la France, grâce aux outre-mer, bénéficie d’une position extrêmement favorable. Avec 11 millions de kilomètres carrés, notre ZEE est la deuxième mondiale par son étendue après celle des États-Unis. Répartie sur tous les océans du planisphère, elle est la plus diversifiée.

Alors que la planète bleue s’approche des 10 milliards d’habitants et que les ressources terrestres s’amenuisent, la mer focalise les convoitises. Réservoir de ressources à la fois énergétiques, alimentaires et minérales, ou source d’innovations technologiques ou médicales, la mer devrait aider l’humanité à relever nombre de défis du XXIe siècle.

Les ressources des ZEE ultramarines doivent tout d’abord permettre de répondre au défi énergétique.

Les présomptions sont très fortes de voir les ZEE françaises recéler des gisements d’hydrocarbures. Depuis 2012, la prospection la plus avancée en la matière concerne la Guyane. Shell France a cependant recentré sa zone de prospection sur un périmètre plus étroit que celui qui était prévu à l’origine. Par ailleurs, deux demandes de permis de recherche correspondant au projet Udo, de Esso et Total, visant une zone située à 150 kilomètres des côtes, et au projet Shelf, de Total et Hardman Petroleum, relatif à une zone proche du littoral, sont actuellement soumises à consultation publique.

Dans l’océan Indien, la ZEE française des îles Éparses recouvre une large partie du canal du Mozambique, où des gisements de pétrole et de gaz sont hautement probables, et les Comores viennent d’attribuer les premiers lots de prospection. L’enjeu pétrolier alimente également un débat entre la France et le Canada au sujet du plateau continental autour de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Outre les hydrocarbures, les ZEE apparaissent comme des lieux de prédilection pour le développement des énergies marines renouvelables. C’est un sujet stratégique majeur pour les territoires ultramarins dont les difficultés d’approvisionnement énergétique contribuent au renchérissement du coût de la vie.

Une mention particulière doit sans doute être faite de l’énergie thermique des mers qui présente le grand avantage de ne pas être intermittente. Les défis techniques posés par la captation de l’eau froide des profondeurs ou l’acheminement à terre de l’énergie produite au large montrent à quel point la conquête des mers peut stimuler l’innovation et favoriser la création de nouveaux procédés et de nouvelles filières industrielles. Les prototypes actuellement développés en Martinique et en Polynésie française consistent à faire produire de l’hydrogène par la centrale ETM ensuite acheminé à terre par des navires spécialisés.

Les systèmes de climatisation de type SWAC en service à la Réunion ou en Polynésie française, à l’hôpital de Papeete et dans plusieurs hôtels, utilisent également les eaux froides du fond des mers tropicales.

Plusieurs technologies sont enfin arrivées aujourd’hui à un stade préindustriel, en particulier grâce à l’appui des collectivités. C’est le cas des deux prototypes de station houlomotrice installés à la Réunion, même si l’un d’eux a malheureusement été détruit par le cyclone Bejisa.

Outre les ressources énergétiques dont elles disposent, les ZEE ultramarines constituent une réserve halieutique et, plus largement, de biodiversité. Comme dans bien d’autres domaines concernant les outre-mer, l’évaluation du potentiel est cependant encore balbutiante. Les filières pêche doivent encore être structurées ; l’aquaculture doit être développée et ses avantages compétitifs en termes de qualité et de traçabilité des produits doivent être promus. Les algues, en particulier, constituent une ressource extrêmement prometteuse, avec des applications industrielles très diverses allant de la pharmacopée à l’agroalimentaire, en passant par la protection de l’environnement, la fabrication de nouveaux matériaux, ou encore les biocarburants. Concernant cette dernière production, rappelons que les algues ont un rendement à l’hectare dix fois supérieur à celui des oléagineux.

L’inventaire des ressources des ZEE ultramarines doit bien sûr être complété par l’évocation des ressources minérales. Les fameux nodules polymétalliques, qui ont nourri l’imaginaire des années soixante-dix, se révèlent encore difficiles à récolter dans les plaines abyssales sans atteinte à l’environnement, mais des programmes de repérage sont en cours. Des opérations d’extraction visent en revanche d’autres sources minérales profondes telles que les sulfures hydrothermaux : en Papouasie-Nouvelle-Guinée, un projet de 1 700 mètres de fond devrait entrer en phase industrielle l’an prochain. Pour ce qui concerne la France, ce type de formations minérales a été identifié à Wallis-et-Futuna, près des îles Matthew et Hunter en Nouvelle-Calédonie, fait qui n’est sans doute pas étranger à la contestation par le Vanuatu de la souveraineté de notre pays sur ces îlots.

Des amas sulfurés seraient aussi présents autour des îles Saint-Paul, Amsterdam, Crozet, Kerguelen, à Mayotte, ainsi qu’aux Antilles et en Polynésie. Les encroûtements cobaltifères, riches en minerais, auxquels sont fréquemment associées les fameuses terres rares, sont présents dans l’archipel des Tuamotu, aux Kerguelen, à Mayotte et dans les îles Éparses.

Selon une étude réalisée par l’université de Tokyo en 2011, les gisements situés autour des îles Tuamotu constitueraient une part très importante des réserves mondiales de ces terres rares, composants stratégiques pour les technologies de pointe et dont la pénurie est redoutée.

Pour toutes ces ressources à fort potentiel d’innovation, on constate une accélération de la maturation des procédés d’exploitation ; la course est bel et bien lancée. Ainsi, les industriels chinois ont récemment mis au point un véhicule d’exploration des grands fonds, alors que la France a été pionnière en matière de sous-marins de poche. Je pense aussi au projet SISCA de sondage-carottage à grande profondeur du groupe DCNS élaboré en partenariat avec l’IFREMER, COMEX et TEC System, groupe qui, au mois de mars dernier, a été lauréat du concours mondial de l’innovation dans le cadre de la commission Innovation 2030 ! L’une des sept ambitions de cette commission est en effet la valorisation des richesses marines.

Mais cette mobilisation sur certaines performances technologiques ne doit pas faire oublier une double priorité.

La première priorité, sans laquelle il est vain de prétendre avoir une ambition pour la valorisation des ressources des ZEE ultramarines, est celle de leur protection. L’exploitation des richesses de la mer est partout contestée, alors que la présence de la France en la matière recule, en raison de matériels vieillissants, de programmes sans cesse reportés et revus à la baisse. Une véritable stratégie doit être inventée pour assurer la souveraineté de notre pays sur son territoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Étienne Antoinette

L’utilisation combinée de drones à longue endurance et de patrouilleurs hauturiers capables d’intervenir serait un gage de cette présence nécessaire. Comme l’a demandé M. le président de la commission dans sa discussion avec l’amiral, chef d’état-major de la marine, que représentent six bâtiments adaptés pour protéger notre ZEE ?

Hier, les États-Unis ont montré l’importance que la première puissance mondiale attache à la mer en prévoyant l’extension des zones américaines de protection maritime. La voix de la France, dont la ZEE est la deuxième au monde par son étendue, est inaudible sur ces questions, alors que notre pays est partie aux instances internationales de régulation.

La seconde priorité, c’est celle de la connaissance de la ressource : sa localisation, sa consistance et son environnement sont des informations indispensables pour bien mesurer et encadrer les effets de l’exploitation sur les écosystèmes.

Or, sur cette question, tous les voyants sont au rouge. La transmission du capital de connaissances acquises, notamment à l’IFREMER, n’est plus assurée. Ainsi, faute de moyens humains et financiers suffisants, la France ne parvient pas à honorer les engagements souscrits lors de l’obtention de son permis d’exploration dans la zone internationale de Clarion-Clipperton en 2001, alors même que celui-ci arrive à échéance dans deux ans. Quant au travail d’inventaire mené en Polynésie française, il a été interrompu. Notre délégation tire donc le signal d’alarme.

En regard de ces gisements exceptionnels de ressources et d’innovation, et alors même que 97 % de la ZEE française se situe outre-mer, la situation économique des collectivités ultramarines est extrêmement dégradée avec des taux de chômage record, notamment chez les jeunes. La délégation veut dénoncer cette anomalie ; elle estime que les ZEE offrent une réelle occasion aux outre-mer de sortir d’un schéma économique déséquilibré, une occasion de s’engager sur la voie d’un développement durable fondé sur des atouts locaux.

Mais il n’y aura pas de valorisation des ZEE sans un véritable projet pour chacun des territoires. Une implication de ces derniers est nécessaire à l’exploitation et à la protection des ressources. La préoccupation des « retombées locales » doit être au cœur de chaque projet et les acteurs locaux doivent être systématiquement associés, y compris aux négociations avec les pays voisins, car un développement équilibré suppose une meilleure insertion des territoires ultramarins dans leur environnement régional.

De même, notre pays doit dynamiser le soutien de l’Union européenne à la valorisation des espaces maritimes et à la prise en compte des spécificités des outre-mer, en particulier pour ce qui concerne certaines politiques communautaires comme la pêche. Si ce second objectif reste loin d’être acquis, Bruxelles semble en revanche prendre conscience de l’atout des ZEE dans le nouveau contexte géostratégique mondial. En témoigne la communication de la Commission européenne, au mois de septembre 2012, sur la croissance bleue qui donne actuellement lieu à une consultation publique en ligne sur l’exploitation minière sous-marine.

Au terme de mon propos, vous comprendrez, madame la ministre, mes chers collègues, que ces perspectives ambitieuses supposent un changement de regard de notre pays et de l’Europe sur les outre-mer.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

La parole est à M. Joël Guerriau, rapporteur de la délégation sénatoriale à l’outre-mer.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en premier lieu, permettez-moi de vous dire le vif intérêt que j’ai eu à « explorer » les ZEE ultramarines, même si le voyage ne fut malheureusement que virtuel… Je tiens également à remercier le président de la délégation, Serge Larcher, de la confiance qu’il nous a accordée en nous confiant la rédaction ce rapport.

Cette étude, menée par la délégation à l’outre-mer, a prolongé la brillante analyse sur la maritimisation du monde menée au mois de juillet 2012, à la demande du président de la commission des affaires étrangères, Jean-Louis Carrère, par nos collègues Jeanny Lorgeoux et André Trillard, que nous venons d’entendre. Notre récent rapport d’information sur les enjeux des ZEE ultramarines apporte un nouvel éclairage intégrant enjeux de développement pour les collectivités ultramarines et enjeux de rayonnement pour notre pays et l’Europe dans le concert mondial.

Comme l’a rappelé Jean-Étienne Antoinette à l’instant, les gisements de ressources des ZEE ultramarines et les potentialités de retombées technologiques sont énormes. De même, dans une compétition mondiale déjà lancée, les enjeux économiques sont considérables, en particulier pour les territoires ultramarins. Or la situation de notre pays est aujourd’hui paradoxale.

Le premier des paradoxes, relevé par Serge Larcher, est que notre pays est une puissance maritime qui s’ignore. Doté de vastes ZEE enviées de tous, il ne s’est visiblement pas préoccupé de marquer son territoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

En effet, les lignes de base côtières outre-mer sont loin d’être toutes délimitées ou notifiées au niveau international ; elles ne sont donc pas opposables. Pourtant, il convient de savoir en premier lieu où se situe la laisse de basse mer, qui constitue la ligne de base normale à partir de laquelle sont calculées la limite de la mer territoriale et ensuite la ZEE, voire l’extension du plateau intercontinental. Vous aurez compris, mes chers collègues, combien nous sommes loin du compte !

La situation est évidemment encore plus compliquée s’agissant des délimitations des ZEE nécessitant des accords avec les pays voisins. Hormis le cas de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la Polynésie française, aucun territoire ultramarin ne dispose aujourd’hui de frontières maritimes officiellement opposables ! Ce fait explique toutes les contestations qui ont été rappelées précédemment.

Quant aux demandes d’extension du plateau continental – qui a d’ailleurs fait l’objet d’un excellent rapport du Conseil économique, social et environnemental, ou CESE, ce qui montre que d’autres acteurs s’intéressent à la question et contribuent à la prise de conscience sur le sujet –, plateau qui permet l’exploitation des ressources du sous-sol jusqu’à 350 milles, la France a pris un tel retard que les derniers dossiers déposés, ceux de Wallis-et-Futuna et de Saint-Pierre-et-Miquelon, ne seraient examinés par la Commission des limites du plateau continental que d’ici à vingt-cinq ou trente ans !

L’État français a en effet laissé passer la date limite du 24 mai 2009 qui permettait de voir ses demandes traitées dans des délais plus raisonnables. Et la demande concernant le sous-sol maritime au sud de Saint-Pierre-et-Miquelon déposée au mois d’avril dernier a bien sûr suscité une fin de non-recevoir de la part du Canada, qui se prévaut de l’arbitrage rendu en 1992.

Le deuxième paradoxe, qui constitue une contradiction, consiste à prétendre exploiter des ressources sans les protéger, à vouloir valoriser les fruits de son domaine sans en assumer les responsabilités.

Je limiterai mon propos à quelques constats particulièrement topiques qui ont déjà été énoncés par d’autres collègues.

Hormis en Guyane, les forces militaires outre-mer dites « de souveraineté » sont partout en repli. S’agissant des moyens maritimes de patrouille et de surveillance, des ruptures capacitaires sont même attendues, en particulier entre 2016 et 2018, du fait du retrait des P400, comme l’a rappelé André Trillard, maintes fois repoussé, mais inévitable. Et la livraison annoncée de trois bâtiments multi-missions, les fameux B2M – un pour les Antilles, un pour la Polynésie française et un pour la Nouvelle-Calédonie – ne marque pas un progrès par rapport aux BATRAL, qu’ils remplacent, car, s’ils peuvent accueillir des hélicoptères, les B2M ne disposent pas de capacités de débarquement amphibie pourtant bien utiles dans les missions logistiques et d’aide aux populations.

En outre, les moyens militaires maritimes sont, de fait, les seuls à pouvoir être mobilisés en haute mer, a fortiori face à des pirates, des trafiquants ou des pilleurs de ressources disposant, eux, d’équipements sophistiqués. Le développement de services satellitaires de surveillance est un atout, mais il ne fait que renforcer le sentiment d’impuissance lorsque les moyens d’intervention font défaut.

Je précise que la situation n’est guère meilleure s’agissant des moyens aériens ; aux insuffisances en hommes et en équipements s’ajoutent des difficultés d’organisation. Comme vous le savez, mes chers collègues, contrairement aux États-Unis, la France ne dispose pas d’un service de garde-côtes. Sous l’action coordonnatrice du Secrétariat général de la mer, cette mission est répartie entre plusieurs administrations : la marine nationale, les directions des affaires maritimes, la gendarmerie maritime et les douanes. Mais la mutualisation et l’affectation concrète des moyens trouvent vite leurs limites. En effet, chaque administration reste maîtresse de ses budgets et de ses moyens, sans compter les particularités des missions confiées aux uns et aux autres, qui ne sont pas toujours en mesure d’assurer des fonctions de garde-côtes.

Dans le même temps, d’autres pays s’équipent pour protéger leurs richesses maritimes : je pense bien sûr au Brésil, qui vient d’entreprendre, en collaboration avec la France, la construction de cinq sous-marins, dont un à propulsion nucléaire. La mise en mer du premier est prévue en 2017, celle des autres devant suivre tous les dix-huit mois.

Si l’ensemble des moyens militaires français ne suffit évidemment pas à la surveillance de la ZEE française, du fait de l’étendue exceptionnelle de celle-ci, il n’empêche que notre pays ne montre pas suffisamment sa détermination à faire respecter ses droits sur son territoire marin. Dans ce contexte, rien d’étonnant à ce que la souveraineté française soit défiée, contestée, voire bafouée.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Les pillages de ressources halieutiques, hélas devenus habituels au large de la Guyane ou de l’île de Clipperton, se doublent en effet de remises en cause du rattachement à la France de certains îlots et surtout des ZEE qui leur sont associées. Ainsi en est-il de l’île de Clipperton avec le Mexique, ainsi que cela a été rappelé, même si un accord a été signé en 2011, des îles Éparses avec Madagascar, de l’île Tromelin, dont la souveraineté française est contestée par l’île Maurice, ou encore des îles Matthew et Hunter disputées par le Vanuatu.

Les tensions ont aussi été ravivées avec les Comores et Madagascar depuis que la prospection pétrolière se développe dans le canal du Mozambique. Effectivement, les Comores mènent, depuis le mois de janvier 2014, une politique de revendication active en accordant des permis d’exploration dans un secteur ressortissant, pour la France, à la ZEE de Mayotte.

Autre paradoxe, la façon dont la France se comporte dans les instances mises en place par la convention de Montego Bay qui assure la gouvernance internationale des océans.

Du fait de l’importance de sa ZEE, qui s’étend sur tous les océans et dans les deux hémisphères, et de son rôle traditionnel au sein des instances onusiennes, notre pays aurait tout d’un leader naturel. Pourtant, nous devons le reconnaître, il fait plutôt figure de mauvais élève. Notons les retards devant la Commission des limites du plateau continental, mais, plus encore, la façon dont la France reste en marge des travaux de l’Autorité internationale des fonds marins.

Cette institution, installée à Kingston en Jamaïque, est chargée d’assurer la gestion des eaux internationales et de la zone internationale des fonds marins, communément appelée « la Zone », – soit l’ensemble des zones maritimes qui ne relèvent de la souveraineté d’aucun État – et de fixer les règles d’exploration et d’exploitation des ressources. Vous mesurez donc, mes chers collègues, combien il importe d’être influent dans cette organisation. L’AIFM a ainsi en principe vocation à élaborer le cadre d’une gouvernance mondiale des océans aujourd’hui encore balbutiante.

Dépourvue de capacité d’expertise propre, elle fait naturellement appel aux moyens que les États membres peuvent mettre à sa disposition. Cela donne de facto à notre pays un levier d’influence, puisque, reconnaissons-le, il dispose d’un certain nombre de références pour l’édiction des standards juridiques, environnementaux ou techniques et nous avons la chance d’avoir des industriels qui ont une maîtrise parfaite de la mer et des techniques associées à la mer.

Or la réforme de notre code minier, si souvent annoncée comme imminente, se fait encore attendre, et il semble que le projet ne prévoie rien de spécifique pour les activités offshore. L’inertie française est d’autant plus révoltante que, au-delà de ses atouts naturels, notre pays bénéficie de l’expertise d’industriels de pointe, comme Technip et DCNS, et d’une très forte proximité avec le secteur géographique dans lequel l’AIFM a d’ores et déjà délivré douze permis d’exploration de nodules polymétalliques, la zone internationale de Clarion-Clipperton. Il dispose donc de nombreux moyens, mais il n’arrive pas à intervenir et à influencer l’AIFM. En effet, non seulement la France n’a pas été en mesure d’apporter d’expertise particulière sur les ressources de la région, faute d’avoir exploré sa propre ZEE, mais elle a été négligente dans la mise en œuvre de ses permis internationaux.

Pour le premier d’entre eux, obtenu en 2001 et qui expire en 2016, l’IFREMER est loin d’avoir rempli ses obligations : il a pu travailler seulement sur la compréhension des écosystèmes, et non sur l’évaluation de la ressource, ce qui était pourtant l’élément principal du contrat. Pour le second permis concernant la recherche de sulfures polymétalliques dans la dorsale atlantique, seules deux campagnes en quinze ans seraient prévues, alors que les Russes et les Chinois en programment cinq par an, soit soixante-quinze ! Je vous laisse mesurer l’écart !

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Revet

Nous avons beaucoup d’atouts que nous n’exploitons pas !

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Faute de moyens, il sera difficile de jouer un rôle de référent. Ce n’est pas ainsi que la France s’affirmera dans la mise en place de la gouvernance mondiale des océans qui se dessine. Dans quelques années, il sera sans doute trop tard, surtout si les États-Unis ratifient la convention de Montego Bay ou si des pays comme la Chine, la Corée du Sud ou la Russie continuent de manifester leur volontarisme au sein de l’AIFM.

Et l’on constate que l’Union européenne elle-même est en train de s’emparer du sujet, avec l’adoption par le Parlement européen, le 12 mars dernier, de la révision de la directive sur les études d’impact étendant aux activités « de recherche et de prospection » de minéraux marins les procédures applicables. Alors que la France est quasiment la seule concernée par ces réglementations, les choses vont se décider à l’échelon européen sans qu’elle ait pu inspirer les évolutions par le biais une législation nationale spécifique.

Lors du comité interministériel de la mer, ou CIMER, qui s’est tenu au mois de décembre dernier, le Premier ministre a annoncé le lancement du programme national de recherches sur l’accès aux ressources marines et l’acquisition des B2M, déjà évoquée, ainsi qu’une mise en ordre de notre droit pour ce qui concerne la délimitation des espaces maritimes. Faut-il en déduire que nous sommes sur le point de passer du discours incantatoire à la phase opérationnelle ? Nous aimerions le croire, mais, comme vous le savez, mes chers collègues, les preuves matérielles sont préférables aux belles paroles et, malheureusement, nous avons constaté que les conclusions des différents CIMER qui se sont déroulés depuis 2003 se contentaient de répéter les mêmes bonnes résolutions. Mener une politique maritime de manière parcellaire et éclatée nous conduit à l’échec !

En outre, si la création de délégations à la mer et au littoral au sein du ministère chargé de l’écologie doit désormais permettre de mieux coordonner l’action des différentes entités du ministère dans le domaine maritime, il faut, nous semble-t-il, aller plus loin et instaurer une véritable instance d’impulsion, capable d’engager une politique volontariste et d’opérer des arbitrages. Cela ne peut relever que d’une autorité politique. Pour qu’une équipe gagne, il faut bien sûr un entraîneur !

En tout état de cause, saisir les potentialités que font miroiter nos ZEE ultramarines nécessite une prise en compte désormais urgente. Comme l’indique le titre de notre rapport, nous sommes à un moment charnière, le moment de vérité. §

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la délégation à l’outre-mer, mes chers collègues, je salue l’initiative conjointe de la commission des affaires étrangères et de la délégation à l’outre-mer de proposer un débat sur les enjeux multidimensionnels liés aux zones économiques exclusives ultramarines.

Il s’agit là d’une question profondément ancrée dans l’actualité et emblématique de la course effrénée qui se joue actuellement autour des matières premières, des ressources énergétiques et des terres rares.

De par sa situation géographique et la diversité de ses territoires hors espace métropolitain, la France a une responsabilité toute particulière en matière de protection de la biodiversité. J’en veux pour preuve le fait que son espace maritime, le deuxième au monde, couvre plus de 11 millions de kilomètres carrés, dont 90 % se situent dans les départements et les collectivités d’outre-mer.

Dans les territoires ultramarins, la biodiversité est d’un niveau exceptionnel tant par le nombre d’espèces présentes que par l’endémisme. Ainsi, ces territoires hébergent 3 500 espèces végétales et 400 animaux vertébrés uniques au monde.

Plus encore, un quart des poissons d’eau douce de la planète s’y trouvent et 10 % des récifs coralliens mondiaux sont situés dans les eaux placées sous juridiction française. Notre responsabilité est donc grande !

La préservation de l’environnement terrestre et marin est un impératif, au plan non seulement local, mais également international.

C’est pourquoi il est nécessaire que la France mette en place une politique maritime ambitieuse, afin d’assurer la protection des écosystèmes, la pérennité des activités économiques et le maintien de la cohésion sociale. Si les zones économiques exclusives représentent un formidable potentiel en termes de ressources halieutiques, minérales et énergétiques, leur gestion se doit d’être responsable.

À ce sujet, le récent rapport de la délégation à l’outre-mer intitulé Les zones économiques exclusives ultramarines : le moment de vérité aborde les risques de pollution et de dégradation de l’environnement liés à toute activité offshore. Sur ce point, les écologistes restent vigilants.

Les effets des activités offshore sont en effet multiples : études sismiques qui perturbent les stocks de poissons et les mammifères marins, émissions de dioxyde de carbone et de méthane provoquées par le torchage de gaz, ou encore pollution du milieu marin à travers le rejet de diverses substances.

Force est de le constater, de nombreux accidents sont survenus dans des exploitations pétrolières et gazières offshore ces dernières années, causant d’importants dégâts environnementaux : l’explosion dans le golfe du Mexique de la plate-forme Deepwater Horizon en 2010, le déversement de pétrole depuis une plate-forme en mer de Bohai en 2011, l’échouement de la plate-forme Kulluk au large de l’Alaska en 2012, ou encore la pollution chronique des côtes ouest-africaines...

Si, dans le rapport précité, la France est appelée à promouvoir un « cadre raisonné protecteur d’environnements encore vierges et particulièrement fragiles », les écologistes s’interrogent toutefois sur le comportement de notre pays dans sa propre zone économique exclusive.

De ce point de vue, je reviendrai sur le contentieux qui oppose les professionnels de la pêche et le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie au sujet des deux permis exclusifs de recherche d’hydrocarbures liquides ou gazeux conventionnels au large de la Guyane, actuellement soumis, en sourdine, à la consultation publique.

Le premier de ces permis vise le domaine maritime profond avec une profondeur d’eau de quatre kilomètres où les courants marins sont extrêmement forts et imprévisibles. Le second concerne le plateau continental guyanais, une zone particulièrement sensible du fait de la pêche qui y est pratiquée et de la fréquentation importante de mammifères marins, de cétacés et d’espèces de tortures marines protégées.

De fait, les risques de pollution sonore liée à la prospection sismique ainsi que ceux d’une pollution toxique liée au forage d’exploration, emportant des conséquences catastrophiques pour l’environnement aquatique, ne sont pas négligeables.

Sur ce point, je tiens à dire quelques mots sur l’actuelle refonte du code minier qui prévoit que le livre consacré aux outre-mer fasse l’objet d’une ordonnance. Comment pouvons-nous promettre le développement durable des territoires ultramarins si nous privons ceux-ci de consultations et de débats ouverts ?

En outre, dans son rapport relatif à l’extension du plateau continental, le Conseil économique, social et environnemental considère que la France doit contribuer à l’élaboration d’un nouveau modèle de développement durable, en particulier dans les territoires ultramarins. Pour ce faire, le CESE a notamment recommandé la prise en compte dans la loi des dispositions relatives aux objectifs de la convention sur la diversité biologique ratifiée par la France en 1994. C’est à la suite de l’adoption de cette convention qu’une stratégie nationale pour la biodiversité a été édictée, dont l’un des objectifs établit la nécessité de renforcer la diplomatie environnementale et la gouvernance dans le domaine de la biodiversité.

La France doit donc s’emparer pleinement de ce sujet et être pionnière à l’échelon international.

L’exemplarité de notre pays dans ce domaine doit également se traduire par sa capacité à protéger ses propres intérêts. En effet, dans son Livre bleu portant sur la stratégie maritime, la Commission européenne a rappelé que l’effet cumulé de l’ensemble des activités maritimes engendre « des conflits d’utilisation et une détérioration du milieu marin […] Dans un contexte de mondialisation et de changement climatique rapide, il y a urgence. »

À ce titre, la France doit mener une politique s’attachant à protéger et réguler les activités de pêche au large de ses territoires.

Effectivement, dans le cadre d’un développement durable et respectueux de l’activité économique côtière, elle doit agir par la délimitation de ces zones au terme d’accords internationaux, par le déploiement de bâtiments en mer et par la promotion de programmes européens, afin de lutter contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, et contre les activités de piraterie et de braconnage qui déstabilisent les marchés locaux. En ce sens, l’État français doit renforcer la surveillance des trafics inter-îles, pour être en mesure de mieux orienter ses moyens d’intervention, dont la quantité est comptée. La poursuite de l’implantation du système de surveillance SPATIONAV V3 est un premier élément de réponse dans les espaces sous juridiction nationale.

L’activité maritime constitue un enjeu économique vital pour ces territoires. Il est donc primordial que la France se prémunisse contre toute défiance et contestation de sa souveraineté. Nous devons nous donner les moyens de nos ambitions, et dans l’actuel contexte de réduction budgétaire, l’affirmation des zones économiques exclusives ultramarines est l’occasion pour notre pays d’impulser une réelle prise de conscience au sein des institutions européennes et, ainsi, de promouvoir une politique maritime commune respectueuse des enjeux environnementaux, sociaux et économiques ultramarins. §

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Pozzo di Borgo

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’invention du super-conteneur dès le début des années soixante-dix a profondément changé la donne du commerce international. Nous le constatons aujourd’hui, la mondialisation s’accompagne, outre la généralisation des flux financiers, d’un important processus de maritimisation, c’est-à-dire d’une ouverture de plus en plus importante de nos économies sur le grand large.

Dans son discours de Brest, le général de Gaulle estimait : « L’activité des hommes se tournera de plus en plus vers la recherche de l’exploitation de la mer. Et, naturellement, les ambitions des États chercheront à la dominer pour en contrôler les ressources ».

À ce titre, la France semble effectivement plutôt bien dotée par l’histoire et la richesse de ses territoires. C’est tout l’objet de notre débat d’aujourd’hui.

En effet, la zone économique exclusive nationale est généralement classée à la deuxième place mondiale, après celle des États-Unis. D’aucuns considèrent, en particulier l’ancien Premier ministre Michel Rocard, que, avec des critères plus affinés, notamment en prenant en compte la côte Antarctique de la Terre-Adélie, elle accéderait au premier rang.

Notre domaine maritime, fort de ses 11 millions de kilomètres carrés, est ainsi quatre fois plus étendu que la Méditerranée et vingt fois plus que le territoire hexagonal. À titre d’exemple, la superficie de la zone polynésienne – à cet égard, j’ai été très surpris lors de ma première visite sur place – est, à elle seule, plus importante de 300 000 kilomètres carrés que celle de l’Union européenne, évidemment sans la Russie. Toujours est-il que nous disposons d’une spécificité : grâce à nos territoires ultramarins, notre zone économique exclusive est répartie au large des cinq continents et sur tous les océans. Nous avions un empire colonial, nous disposons maintenant d’un empire maritime.

La France est présente aussi bien dans l’océan Pacifique grâce à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française que dans l’océan Atlantique via ses territoires antillais, sans oublier l’océan Indien grâce à l’île de la Réunion, mais aussi à Mayotte, et les terres australes françaises.

Ce rapide tour du monde de la présence française dans les océans donne une idée non seulement des atouts, mais également des défis que représente la possession d’une telle zone économique exclusive.

En effet, cela a déjà été évoqué, la richesse des sous-sols marins, le bénéfice des activités de la pêche et l’exploitation générale de la mer sont des atouts indéniables. Or nous ne disposons pas d’une cartographie assez bien étayée des zones à forts potentiels stratégiques, notamment au regard de la présence d’hydrocarbures dans le sous-sol marin. Il y a là un véritable enjeu pour la recherche océanique qui pourrait utilement servir notre objectif de relance de l’activité économique.

En l’état actuel des connaissances, on espère pouvoir amorcer l’exploitation fossile des fonds marins en Guyane, avec une cible minimale de 100 000 à 200 000 barils par jours. Ce n’est pas rien, même si c’est moins bien que l’Irak ! En dehors de ce cas bien spécifique, on ne mesure pas encore bien l’éventail des possibilités offertes par nos fonds marins. Je pense bien évidemment à la zone exclusive de la Nouvelle-Calédonie qui pourrait être très riche en gisements de fer et de cobalt.

Il conviendrait également d’exploiter les ressources marines renouvelables. Les énergies marines constituent des marchés d’avenir. À cet égard, la France dispose d’acteurs industriels importants et d’un territoire marin propice à l’expérimentation et à l’exploitation. Comme l’a indiqué Joël Guerriau, dans les mers tropicales, la différence de température entre les eaux de surface et les eaux profondes offre des perspectives d’exploitation de l’énergie thermique des mers, secteur très prometteur. L’acheminement à terre de l’énergie produite au large ouvre le champ à de nouvelles innovations. Pourtant, l’énergie thermique est une technologie très ancienne, que Jules Vernes évoquait déjà dans son livre Vingt mille lieues sous les mers, et qui a été mise au point en 1930 par Georges Claude, dont les brevets sont à l’origine de la société Air Liquide.

Je ne suis pas un spécialiste technique de ces questions, mais peut-être ne serait-il pas déraisonnable de fixer l’autosuffisance énergétique des territoires ultramarins comme un objectif prioritaire de nos politiques publiques.

Un tel engagement valoriserait à coup sûr nos territoires ultramarins en dynamisant leur tissu économique et social. Le bénéfice tiré de la mer profiterait aussi bien à la métropole qu’à nos territoires les plus éloignés.

Un tel programme est certes ambitieux, mais il n’est pas à l’abri de tous risques.

Dans le rapport d’information de MM. Jeanny Lorgeoux et André Trillard sur la maritimisation rendu au mois de juillet 2012 a bien été mise en évidence la concurrence de plus en plus grande des États en matière d’exploitation marine. C’est, de surcroit, une préoccupation récurrente de la commission des affaires étrangères. À titre d’exemple, au cours du cycle des auditions budgétaires menées lors de l’examen du dernier projet de loi de finances, l’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine, avait évoqué l’interception dans le canal du Mozambique d’un bâtiment étranger d’exploration sismique.

Cette anecdote illustre particulièrement bien la difficulté de maîtriser un espace océanique aussi étendu. Or la première condition d’une maîtrise efficiente – je pense bien entendu à la seule délimitation géographique des frontières des zones concernées – n’est pas nécessairement bien établie.

C’est dans l’océan Indien que la situation est la plus délicate. La frontière de notre zone avec la zone malgache est encore mal cartographiée. Dans l’océan Pacifique, la zone de l’île de Clipperton est contestée, notamment par le Mexique, qui menace régulièrement de saisir les juridictions internationales sur la base de la convention de Montego Bay, afin de faire la preuve de l’impossibilité de maintenir l’exclusivité économique au large de ces côtes.

La concurrence étatique n’est pas le seul risque lié à l’exploitation de notre ZEE ultramarine, loin s’en faut.

Je pense, tout d’abord, au risque environnemental, comme l’a évoqué Leila Aïchi. L’exploitation des fonds marins est une promesse de croissance rapide et soutenue, mais il nous faudra en mesurer le prix. J’ai cité les gisements de fer et de cobalt de la Nouvelle-Calédonie, mais n’oublions pas non plus que c’est aussi là-bas que se trouve notre plus importante barrière de corail ! Nous devons donc penser à la préservation des écosystèmes et de la biodiversité marine, sans quoi nous finirons par assécher la mer de toute forme de vie. Je vous rappelle, mes chers collègues, que notre pays accueillera au mois de décembre 2015 la prochaine conférence mondiale sur le climat.

Le risque est également géopolitique. La géopolitique des océans reflète celle de la mondialisation. Ainsi, nous observons sur les mers des travers identiques à ceux que nous pouvons constater dans différentes autres sphères de la globalisation : piraterie, trafics de drogues, contrebande, immigration clandestine, ou encore pêche illicite.

La prolifération de ces activités soulève la question de la maîtrise d’un tel espace océanique. Notre outil naval est-il adapté pour intervenir dans des zones aussi vastes, aussi éloignées les unes des autres et différentes sur un plan géographique ?

Toujours selon la dernière audition de l’amiral Rogel, la marine française procède à deux types de contrôles, similaires à ceux qui sont pratiqués, par exemple, sur les axes routiers. Les zones les plus à risques font l’objet de déploiements réguliers à l’image des radars fixes. Les zones moins exposées ou moins connues font en revanche l’objet d’interventions plus ponctuelles en fonction des moyens disponibles. Les drones vont peut-être arranger la situation…

La maîtrise et la sécurité de ces espaces sont donc fonction à la fois de la conjoncture internationale et de nos propres moyens d’intervention. En la matière, la priorité affichée via la loi de programmation militaire est respectée par la précédente loi de finances.

Les crédits d’entretien programmé du matériel de la marine ont été augmentés en 2014, afin de maintenir le taux d’activité dans ce domaine à un niveau comparable à celui de 2013, c’est-à-dire légèrement en deçà de la norme rappelée dans le rapport annexé à la loi de programmation militaire.

Au-delà, la marine est un vaste agencement de filières très spécialisées. Aussi, il faudra accorder une attention toute particulière aux prochains crédits budgétaires qui seront alloués à la mission « Défense ».

En effet, l’investissement en matière de défense est la condition nécessaire à l’exploitation économique des ZEE. Sans cet effort, nos atouts marins, notre potentiel resteront en jachère. De plus, une réduction trop brusque risquerait de remettre en cause la cohérence d’ensemble de notre marine nationale. Le prochain projet de loi de finances rectificative sera donc un rendez-vous incontournable pour la poursuite de ce débat.

Je tiens à remercier le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées d’avoir réagi si vigoureusement aux menaces pesant sur cette loi de programmation militaire, que le Sénat a adoptée.

Par ailleurs, je souhaite connaître les intentions du Gouvernement.

La marine nationale devra-t-elle fournir de nouveaux efforts budgétaires au-delà de la trajectoire fixée via la dernière loi de programmation militaire ?

Notre effort en faveur d’une marine de qualité sera-t-il relayé dans les territoires d’outre-mer par un travail de mise en valeur de nos zones économiques exclusives, au-delà des seules activités de pêche ?

Comment l’exploitation des ressources non renouvelables des fonds marins sera-t-elle conciliée avec l’impératif de préservation de l’environnement ?

Madame la ministre, ce sont là autant de zones d’ombre, autant de points sur lesquels je souhaite que le Gouvernement nous réponde.

La France entretient depuis des siècles une relation particulière avec la mer et les océans. Notre éminent ancien collègue Victor Hugo déclarait déjà que « la mer est un espace de rigueur et de liberté ». La mondialisation et le développement des transports maritimes ont dès à présent transformé notre lien à la mer. Au-delà des paroles du poète, gardons à l’esprit que la valorisation de nos territoires marins dépendra de nos efforts et de notre audace pour les mettre en valeur avec force et imagination, pour préparer l’avenir !

Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste . – M. le président de la commission, MM. les rapporteurs et M. Robert Laufoaulu applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le président de la délégation à l’outre-mer, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je me félicite que l’excellent rapport de MM. Antoinette, Guerriau et Tuheiava nous donne l’occasion de comparer les différents points de vue sur cet enjeu déterminant que constituent nos zones économiques exclusives ultramarines.

C’est sous ce vocable quelque peu technico-juridique que se joue une grande partie de l’avenir de la France, de l’Europe et, j’ose le dire, de l’humanité tout entière.

Le rapport susvisé est presque exhaustif. Il brosse un tableau précis et lucide des potentialités et de la situation. Il a en outre le grand mérite de formuler dix recommandations, que le Gouvernement serait bien avisé de suivre s’il ne veut pas accuser un retard irrémédiable.

Il faut bien mesurer l’ampleur du sujet qui nous occupe cette après-midi.

Ce constat a déjà été dressé, mais il mérite d’être rappelé : notre pays possède plus de mers que de terres, et même dix-huit fois plus.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Notre domaine maritime compte près de 11 millions de kilomètres carrés, répartis sur toute la surface du globe. L’espace maritime français, largement hérité de nos politiques coloniales, est ainsi le deuxième ensemble mondial, juste derrière celui des États-Unis.

De quoi parle-t-on avec ces ZEE ?

Définies par la convention internationale de Montego Bay, que la France a signée en 1982, les zones économiques exclusives octroient aux États 370 kilomètres de souveraineté marine au large de leurs côtes.

Pour ce qui concerne notre pays, les 118 îles de la Polynésie française, dont 76 seulement sont habitées, cumulent par exemple à elles seules plus de 4, 8 millions de kilomètres carrés de ZEE.

M. le président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Citons encore, à 1 300 kilomètres à l’ouest des côtes mexicaines, l’île inhabitable de Clipperton qui, avec ses 7 kilomètres carrés, nous donne la jouissance d’un espace exclusif de plusieurs milliers de kilomètres carrés au milieu de l’océan Pacifique !

Ces zones regorgent de ressources minérales, comme le cobalt et le platine en Polynésie française, ce que l’on appelle les « terres rares » – cadmium, mercure, sélénium –, autour de Wallis-et-Futuna, le nickel le platine et des métaux stratégiques autour de l’île de Clipperton, ou évidemment l’or, le platine et le nickel autour de la Nouvelle-Calédonie.

Ce sont aussi de potentielles sources d’approvisionnement en énergies fossiles

Mme Gisèle Printz acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Dans ce dernier territoire, des études prospectives concernant l’exploitation des ressources d’hydrocarbures évoquent même la possibilité de produire 100 000 barils de pétrole brut par jour, soit cinq fois ce que la France extrait aujourd’hui !

Les ZEE forment enfin un potentiel d’énergies marines renouvelables, comme l’a expliqué M. Perrot, alors président-directeur général de l’IFREMER, lors d’une audition de nos rapporteurs. À ses yeux, ce potentiel, « comme source complémentaire dans une perspective d’autosuffisance énergétique, a toute sa pertinence en outre-mer. »

Ces ZEE, dont 97 % se situent au large de nos territoires ultramarins, confèrent donc à notre pays une influence diplomatique et stratégique considérable.

De surcroît, ces exemples montrent bien l’enjeu économique, géostratégique et politique majeur que représentent nos ZEE.

Ce potentiel pourrait utilement permettre de répondre, en partie, aux besoins existants, notamment en termes d’énergies fossiles et renouvelables. Malheureusement, les gouvernements successifs n’en ont pas pris la mesure.

Comme le souligne le rapport précité, des experts considèrent que, en matière d’exploration des grands fonds océaniques, nous avons pris quinze ans de retard par rapport aux États-Unis, à l’Australie ou au Japon. Ce qui pourrait être considéré comme un extraordinaire terrain d’exploration scientifique et comme une manne de richesses, aussi bien énergétiques qu’halieutiques, reste donc à ce jour largement sous-exploité. Il n’existe actuellement aucune donnée délimitant strictement ces eaux territoriales ni aucun relevé permettant d’en connaître les ressources exactes.

C’est la raison pour laquelle je partage tout à fait les recommandations du rapport, qui préconise « d’ériger en priorité nationale une gouvernance dynamique pour une mise en valeur des ZEE ».

De même, je soutiens les mesures avancées pour créer de nouvelles relations et définir, avec nos outre-mer, un nouveau type de développement pour ces territoires.

Messieurs les rapporteurs, vous avez raison d’affirmer que ces territoires français ont un rôle irremplaçable à jouer dans la valorisation de ces potentiels, et que la défense des intérêts de ces lieux et des populations qui y vivent doit être la priorité. Celles-ci sont en effet les premières concernées par la valorisation de ressources extrêmement diverses.

Il est impératif de répondre aux souhaits de chacune de ces collectivités, quelle que soit sa situation statutaire, de s’engager dans la voie d’un développement durable et plus autonome, fondé sur les atouts locaux et correspondant plus étroitement aux attentes économiques et sociales de nos concitoyens.

Cela étant, j’insisterai surtout sur le rôle moteur que devrait jouer notre pays à l’échelle internationale dans la mise en œuvre d’une véritable gouvernance dans ce domaine.

Je souhaite que la France déploie une diplomatie beaucoup plus active en prenant des initiatives fortes à l’échelle internationale. Elle pourrait, par exemple, faire inscrire ce sujet à l’ordre du jour d’un prochain Conseil européen. L’objectif pourrait être d’obtenir la fixation de règles et de limites strictes pour s’opposer aux puissances qui considèrent les océans comme un espace de prédation, de compétitivité et de productivité au service exclusif de grands intérêts économiques privés.

De tous les États de l’Union européenne, notre pays, grâce à ses outre-mer, compte le plus grand nombre d’ouvertures maritimes. Or, en posant cette question d’une exploration encadrée et régulée et d’un développement des énergies renouvelables de la mer, la France susciterait certainement un effet d’entraînement. Elle renforcerait du même coup sa position au sein du Conseil.

Dans le même ordre d’idées, saisissons l’occasion de la présence, au mois de juillet, du Président de la République à la prochaine réunion de la Commission de l’océan Indien, qui traitera notamment de la gestion des océans et de l’autonomie énergétique, pour promouvoir la spécificité française en matière de développement durable. À ce titre, je souhaite que le chef de l’État puisse s’appuyer sur la proposition de résolution relative à une nouvelle politique énergétique et à un codéveloppement durable et solidaire dans l’océan Indien, que mon ami Paul Vergès soumettra au vote du Sénat.

Tels sont les commentaires et les appréciations des membres du groupe CRC, sur cette très importante question des ZEE, dont je tenais à vous faire part !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste, du groupe écologiste, du RDSE et de l’UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier nos collègues de la commission des affaires étrangères, à commencer par son président, ainsi que les membres de la délégation à l’outre-mer de nous avoir proposé ce débat sur un sujet hautement stratégique, faisant suite à deux rapports de grande qualité.

À l’heure où le Parlement s’apprête peut-être à « exécuter » – le mot est un peu fort – les territoires ruraux, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

… il est bon de s’occuper des zones économiques exclusives ultramarines !

De ces rapports, ressort un constat à la fois essentiel et un peu accablant, quant à la politique menée par les autorités de notre pays depuis de nombreuses années, ou plus exactement quant à l’absence de traduction concrète d’une volonté politique ambitieuse pourtant exprimée à maintes reprises, par exemple dans le cadre du comité interministériel de la mer.

Nul ne l’ignore, l’avenir de notre planète réside en grande partie dans la richesse de nos océans, qui représentent 71 % de la surface du globe.

Les ressources, en particulier minérales, des fonds marins, constituent d’ores et déjà un enjeu économique majeur.

Dans sa communication de 2012 sur la croissance bleue, la Commission européenne considérait que 5 % de la quantité mondiale de minéraux pourrait provenir des fonds marins en 2020, puis 10 % en 2030.

Ces ressources sont essentielles, notamment pour un certain nombre d’industries de pointe, et les ZEE françaises disposent sans aucun doute de richesses inestimables sur ce plan. Nous le savons, et d’autres pays le savent également ! Selon les découvertes effectuées par des chercheurs japonais en 2011, les sédiments marins situés dans la ZEE polynésienne pourraient recéler de telles quantités de terres rares que celle-ci serait propulsée au deuxième rang mondial pour cette ressource.

Nous le savons également, ces enjeux économiques ne sont évidemment pas absents des préoccupations des États ou territoires qui se disputent la souveraineté de certaines zones marines et sous-marines. Notre pays, grâce à ses outre-mer, est aujourd’hui la seconde puissance maritime au monde, avec un domaine de 11 millions de kilomètres carrés. Mais il semble malheureusement peu enclin à mobiliser les moyens nécessaires pour faire valoir sa souveraineté dans le respect de la convention des Nations unies sur le droit de la mer datant de 1982.

Or, comme le souligne très justement le rapport de la délégation à l’outre-mer, « la possession de la deuxième ZEE du monde n’est pas en soi suffisante pour s’assurer un leadership » dans l’exploitation des fonds marins. C’est là une « activité d’avenir » qui intéresse de nombreux pays, comme l’illustrent les demandes d’exploitation formulées par l’Allemagne, la Chine, la Russie, ou encore le Royaume-Uni, loin de leurs zones d’influence traditionnelles.

Madame la ministre, nous nous félicitons que le Gouvernement ait déposé, au mois d’avril, auprès de la Commission des limites du plateau continental, une demande d’extension pour Saint-Pierre-et-Miquelon, laquelle est au demeurant contestée par le Canada.

J’avais moi-même posé une question à Victorin Lurel sur ce sujet le 4 février dernier. Quelques semaines plus tard, notre collègue radicale de gauche, Annick Girardin, avait permis l’adoption par l’Assemblée nationale d’une résolution appelant à la reconnaissance des droits légitimes de la France sur le plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Qu’en est-il, cependant, des zones particulièrement poissonneuses situées au large de l’île de Clipperton, dont la France a constaté par voie satellitaire le pillage massif des ressources halieutiques, sans que cela suscite aucune réaction, qu’il s’agisse de contrôles ou d’arraisonnements, à ce jour ? Les deux rapports sénatoriaux citent de nombreux autres exemples de lieux où la délimitation de la ZEE française n’est pas stabilisée, ou pas respectée. Je pense singulièrement à l’île Tromelin, revendiquée par Maurice, ou aux îles Éparses – Europa, les îles Glorieuses, Juan de Nova, Bassas da India –, revendiquées par Madagascar.

Nous devons faire reconnaître nos droits sur ces zones, et les faire respecter, non seulement pour en exploiter les ressources dans la perspective d’une compétition mondiale, mais aussi pour les protéger. Ce dernier souci est malheureusement loin d’être unanimement partagé.

En menant une vaste exploration et en engageant une exploitation responsable des ressources marines et sous-marines, la France doit réaffirmer son rôle de puissance maritime de premier rang. Il s’agit véritablement d’une priorité nationale dont, souvent, les élus et nos concitoyens ne sont pas suffisamment conscients.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Certes, notre pays dispose d’atouts, relevés dans les rapports, comme en matière de formation et de recherche. Nous dispensons, par exemple, des formations de pointe très recherchées en géosciences et le Nautile, le sous-marin de poche de l’IFREMER, illustre bien nos capacités de recherche.

Les tendances récentes sont cependant inquiétantes. On ne peut que déplorer la réduction des moyens de l’IFREMER qui conduit à ne pas remplacer certains experts très spécialisés. Cinq chercheurs pour mener l’ensemble des recherches sur les ressources minérales des fonds marins, c’est inacceptable, j’oserais dire presque irresponsable ! De toute évidence, les moyens déployés ne sont donc pas à la hauteur des enjeux.

C’est également le cas pour ce qui concerne les forces de souveraineté : la marine française a vu le nombre de bâtiments déployés outre-mer diminuer de 20 % entre 2000 et 2012, le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées le sait mieux que personne.

Comme le souligne le rapport sur les ZEE ultramarines, « ce repli des moyens ne constitue pas un signal positif quant à l’affirmation de la souveraineté française. Ce sentiment est renforcé par [des] doutes sur l’existence d’une réelle volonté politique, en particulier de la part du ministère des affaires étrangères ». Tout est dit !

Il est temps que le Gouvernement prenne un engagement fort et irréversible. Même en période de difficultés financières, il est des priorités à mettre en avant ! C’est cela, le choix politique. Comme le démontrent les deux rapports sénatoriaux, les ZEE constituent aujourd’hui un enjeu stratégique de premier plan.

Depuis tout petit, je suis attaché, je ne sais pourquoi, à nos terres australes, les Kerguelen, Saint-Paul, Crozet, Amsterdam, un immense territoire, certes froid, mais qui offre des ressources considérables. Comment ne pas être malheureux que nos concitoyens n’en connaissent pas l’existence, et, surtout, que nos bateaux n’assurent pas suffisamment la surveillance de ces millions de kilomètres carrés et de leurs ressources halieutiques ? Nous devons réaffirmer notre place de premier rang en la matière.

Par ailleurs, deux autres éléments sont essentiels : un cadre juridique stable et une gouvernance forte et efficace.

Il est évident, comme l’indique le rapport précité, que « l’exploitation des ressources minérales des ZEE ultramarines nécessite un cadre juridique assurant la sécurité et l’attractivité des activités » et ce, au plan national comme à l’échelon international. Je pense en particulier au nouveau code minier, madame la ministre, qui devra nécessairement répondre aux enjeux de ces zones.

Le Gouvernement ne peut pas négliger plus longtemps ces questions. Il sera trop tard ensuite, et les économies que l’on aura cru réaliser en n’investissant pas suffisamment tôt dans cette énorme ressource pour l’avenir se transformeront en pertes économiques et stratégiques aussi gigantesques qu’irréparables.

Nous souhaitons que soit affirmée maintenant la volonté politique de prendre à bras-le-corps les enjeux des ZEE ultramarines, et que cela se traduise par le déploiement de moyens financiers importants autant que par le développement d’un cadre juridique stable et adapté. §

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vergoz

Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je félicite Jean-Étienne Antoinette, Joël Guerriau et Richard Tuheiava du travail de grande qualité qu’ils ont réalisé lors de l’élaboration du rapport d’information sur les ZEE ultramarines, objet de notre débat aujourd’hui.

Je remercie également le président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, Serge Larcher, de nous permettre ainsi de connaître ce moment de vérité.

On ne le rappellera jamais assez, grâce à ses outre-mer, la France possède la deuxième superficie maritime au monde. Les 11 millions de kilomètres carrés de celle-ci représentent quinze fois la totalité des propres espaces terrestres de notre pays, une zone plus vaste que le Brésil, la Chine, ou encore le Canada.

Les prétendus confettis de l’Empire d’hier, nos régions, nos pays et territoires d’outre-mer, dont les rivages sont baignés par les eaux de tous les océans, sont au cœur de réponses fondamentales aux enjeux mondiaux considérables que sont les ressources biologiques, halieutiques et végétales, les ressources énergétiques et les ressources minérales, dont plus de 80 % des réserves mondiales se trouveraient au fond des océans.

Il est définitivement acquis pour tous que la mer, c’est dire les océans et les fonds marins, est « au cœur de la mondialisation » D’autres orateurs exposeront l’urgence, pour les régions et territoires d’outre-mer, de la mise en œuvre d’une réelle politique de développement de nos ZEE. Ils insisteront sur la nécessité d’y être étroitement associés afin que les populations locales y trouvent leur juste compte et ils témoigneront des perspectives innovantes et prometteuses que présentent ces territoires.

J’adhère d’ores et déjà à leurs propos et je soutiens les dix recommandations préconisées dans le rapport sénatorial. Dans le même temps, cependant, je souhaite que l’ordre des choses soit précisé.

Ce n’est pas, en premier lieu, la prise en compte des intérêts des outre-mer qui déclenchera une prise de conscience nationale de l’urgente nécessité d’agir efficacement à l’égard de nos océans. L’élan doit venir de l’échelon supérieur.

La France doit faire preuve, au-delà des affichages ou des incantations, d’une réelle volonté politique, fondée sur l’idée que les outre-mer et les ZEE qui s’y rattachent sont non seulement une chance, ou un atout, comme on l’entend souvent, mais de véritables gisements de richesses qui doivent être préservés et mobilisés, au service d’une croissance nouvelle pour demain.

La France doit également se donner des moyens à la hauteur de ses ambitions légitimes et des enjeux dans nos ZEE.

Volonté politique réelle et moyens à la hauteur d’ambitions partagées : concernant ces deux impératifs, force est de constater que le doute plane depuis plusieurs années. Ainsi, les effectifs de nos forces de souveraineté seront en baisse de 23 % à l’horizon 2020, ou encore le nombre de bâtiments déployés en outre-mer a diminué de 20 % entre 2000 et 2012. À la Réunion, l’unique patrouilleur austral, l’Albatros, qui a montré son efficacité dans la lutte contre la piraterie dans la zone, est retiré sans que son remplacement soit prévu.

Le doute est permis lorsque, dans l’océan Indien encore, de multiples contestations ne sont pas réglées et s’amplifient à mesure que se précisent les perspectives d’exploitation pétrolière. Il en est ainsi autour des îles Éparses, dans le canal du Mozambique, et autour de Mayotte, où Madagascar et les Comores contestent toujours les limites de nos ZEE. À Tromelin, notre ZEE a fait l’objet d’un accord de cogestion de la ressource halieutique avec l’île Maurice, laquelle, tenez-vous bien, a délivré par la suite des licences de pêche à des navires étrangers, japonais et asiatiques entre autres !

Plus largement, le doute est permis lorsque la France, forte de la plus vaste zone maritime des pays membres de l’AIFM, chargée d’instruire et de délivrer les permis d’exploration et d’exploitation des ressources du sol et du sous-sol marins, et forte de la qualité de son expertise technique en la matière comme de sa compétence géologique reconnue internationalement, ne porte pas la légitime ambition de jouer un rôle de premier plan au sein de cette institution.

Les océans offrent une fantastique opportunité de développement de vastes secteurs économiques, constituant autant de relais de croissance nouvelle. C’est fondamental ! Ils recèlent de fabuleux gisements de matières premières, objets de toutes les convoitises. La compétition en mer est déjà lancée ; elle fait rage.

Le moment de vérité est là. Nous devons nous y inscrire !

Pour ce faire, l’ambition et la volonté politique doivent tourner le dos aux seules déclarations de forme et d’intention. Les moyens devant être dégagés doivent s’exonérer du contexte de rigueur et de contrainte budgétaire du moment.

Je le dis très sereinement : cette politique doit être portée au rang de grande cause nationale. Les investissements d’avenir qu’elle sous-tend, réalisés par la dette s’il le faut – il faut du courage pour dire cela ! –, sont un pari qu’il nous faut prendre pour réussir le développement et le rayonnement de la France dans le concert des nations. Peut-être la mer mérite-t-elle également une déclinaison du pacte de responsabilité, élargie à la mise en valeur de ses ressources ? §

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Laufoaulu

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, hier, en passant devant la partie la plus ancienne du Sénat appelée « Petit Luxembourg » et qui a appartenu au cardinal de Richelieu, je me suis souvenu de la phrase que ce dernier avait eue au soir de sa vie, et qu’aime à citer notre ami et collègue Jeanny Lorgeoux : « Les larmes des souverains ont le goût salé de la mer qu’ils ont ignorée ». Cette sentence demeure plus que jamais d’actualité.

Dans cette nouvelle ère mondialisée, avec un ordre géopolitique en plein bouleversement, la mer tient, et tiendra, une place de plus en plus essentielle. Il est donc primordial d’établir une grande stratégie maritime française. Ce que Frédéric Cuvillier a entrepris va, bien évidemment, dans le bon sens.

Pour autant, soyons réalistes. Quelle que soit la volonté à l’œuvre, elle suppose des moyens qui manquent cruellement aujourd’hui. Lutter contre le pillage de nos eaux territoriales ou de nos ZEE, par exemple, implique de mobiliser d’importants moyens de surveillance. Or les carences dans ce domaine ont bien été soulignées par les travaux de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, au moment de l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

Par conséquent, il faudra tenter de combiner une grande ambition maritime et de faibles moyens. Mais l’équation sera compliquée.

Il aurait pourtant fallu se donner les moyens de rester dans la course, même dans un contexte budgétaire difficile, car les choix d’aujourd’hui engagent notre avenir, en termes d’avancées technologiques, de développement de filières de pointe, d’autonomie énergétique et d’approvisionnement en matières stratégiques.

Ce jour, contentons-nous donc de nous réjouir du présent débat ; je remercie d’ailleurs la délégation sénatoriale à l’outre-mer et son président, Serge Larcher, de l’avoir suscité.

Ce débat permet au moins à la représentation nationale de s’exprimer sur un sujet essentiel.

Je voudrais souligner ici l’excellent travail de nos collègues Jean-Étienne Antoinette, Joël Guerriau et Richard Tuheiava, qui sont les auteurs du rapport sur les zones économiques exclusives ultramarines. J’ai retenu les dix recommandations qu’ils ont faites et j’aimerais, comme tous les membres de la délégation, savoir quelle suite a pu leur être donnée.

Je retiens en particulier la neuvième recommandation, qui préconise le soutien de l’Union européenne à la valorisation des ZEE. Je la cite : « L’Union européenne a déjà identifié un certain nombre d’enjeux stratégiques – rapport sur la croissance bleue ; communications récentes sur les métaux stratégiques – liés aux espaces maritimes. La France doit l’inciter à en tirer les conséquences et à ouvrir les yeux sur les atouts que les ZEE ultramarines représentent, même lorsqu’il ne s’agit pas strictement de zones intégrées à l’Union européenne, par exemple la Polynésie française ».

La dernière résolution du Conseil économique, social et environnemental, intitulée « Pour une Europe ultramarine », publiée en mai dernier, va dans le même sens.

Tout cela semble correspondre à une volonté répandue d’associer sérieusement l’Union européenne à la valorisation des ZEE ultramarines, et il faudrait donc qu’un chantier y soit consacré.

ZEE, zones économiques exclusives… derrière ce vocable de droit international public, froid, technique, dénué de toute poésie, se cache une réalité bien plus belle : la biodiversité, la vie marine, la force de la nature, la mer nourricière comme il existe la terre nourricière, un formidable potentiel de développement et d’avenir.

Cela a déjà été dit, la France possède le deuxième domaine maritime au monde grâce à ses outre-mer, surtout du Pacifique.

L’Océanie, par la dimension maritime qui la caractérise, présente des potentiels considérables. Songeons que, sans parler de la zone internationale de la haute mer, les territoires maritimes des États et territoires du Pacifique, c’est-à-dire les zones économiques exclusives sur lesquelles les États exercent des prérogatives de souveraineté, représentent une superficie de près de trente-cinq millions de kilomètres carrés, dont plus de 18 % reviennent à la France grâce à ses collectivités que sont la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna, sans oublier Clipperton. La seule zone économique exclusive polynésienne excède cinq millions de kilomètres carrés.

En comparaison, les domaines terrestres de ces États et territoires ont une superficie très exiguë : elle est de l’ordre de huit millions de kilomètres carrés, soit moins du quart du domaine maritime. L’ensemble des terres émergées représente seulement 3 % de la superficie de l’ensemble des zones économiques exclusives, et cette proportion est encore à diviser par dix pour les collectivités françaises du Pacifique.

Les facteurs de développement économique sont donc à rechercher prioritairement sur le front maritime dont les potentiels sont immenses, qu’il s’agisse des ressources halieutiques, des ressources minérales profondes ou encore du développement et de la diversification des énergies renouvelables. L’exploration et l’évaluation de ces potentiels constituent un enjeu majeur à l’aune des défis du XXIe siècle.

Un certain intérêt pour ces questions s’est manifesté au cours des toutes dernières années : l’attestent les travaux du Grenelle de la mer et du comité interministériel de la mer ainsi que la création du comité pour les métaux stratégiques, mais aussi, surtout, des initiatives comme le projet d’exploration des fonds sous-marins dans la zone économique exclusive de Wallis-et-Futuna lancé par l’IFREMER, qui associe, dans un partenariat public-privé, le BRGM – Bureau de recherches géologiques et minières –, Technip et Eramet.

Malgré tout, les connaissances de l’environnement marin de Wallis et de Futuna demeurent partielles et les possibilités de valorisation durable des ressources marines restent à explorer pour de nombreuses activités comme la pêche, la mise en valeur des ressources biologiques animales et végétales, l’exploitation des fonds ou les énergies renouvelables. Ce manque de connaissances limite fortement les capacités de protection des milieux marins et sous-marins, ainsi que de développement d’une exploitation soutenable de leurs ressources.

L’exploitation future des ressources minérales et biologiques marines dans la ZEE de Wallis-et-Futuna, dans une perspective durable, nécessite impérativement de mesurer les impacts des activités sur les milieux à moyen et long termes. À cet égard, il est indispensable d’associer étroitement le territoire aux projets potentiels de mise en valeur des fonds marins de sa ZEE, dont l’exploitation devra évidemment permettre la création de richesse et d’emplois pour la population locale.

La réforme du code minier national en cours doit tenir compte de la fragilité avérée du milieu marin dans les outre-mer en général. Les techniques d’exploration et d’exploitation à de grandes profondeurs ne sont pas encore éprouvées, et relèvent à ce stade de la recherche et développement.

En vue de la valorisation de nouvelles ressources, il a paru intéressant de mobiliser davantage des expertises scientifiques collectives pour établir l’état des savoirs scientifiques sur les potentiels et les impacts environnementaux de leur exploitation. C’est dans ce cadre que le ministère a confié au CNRS – le Centre national de la recherche scientifique – et à l’IFREMER une expertise scientifique collective sur les impacts de l’exploitation des ressources minérales marines profondes centrée sur les ressources métalliques. J’aimerais savoir si des résultats sont déjà disponibles.

Nous ne refusons pas le progrès, ni les potentiels de développement économique ou technologique. Mais nous ne voulons à aucun prix que cela se fasse au détriment du territoire ou de ses populations et de leur mode de vie.

Le respect de l’environnement en général et de l’océan en particulier est une valeur traditionnelle chez les peuples d’Océanie. Les habitants de Wallis-et-Futuna se sont mobilisés depuis des années en faveur de la protection de la biodiversité marine – notamment pour ce qui concerne les coraux – en étant très impliqués dans l’action de l’IFRECOR – belle initiative française pour les récifs coralliens – créée il y a près de quinze ans. Je rappelle que la France occupe le quatrième rang des pays coralliens.

Une meilleure concertation devra être instaurée entre l’État, les partenaires privés, les chefferies coutumières et les élus du territoire. L’État ne peut prétexter de sa compétence normative dans le domaine maritime – compétence d’ailleurs fort ambiguë aux termes du statut de 1961 – pour s’exonérer de la prise en compte des intérêts de la population du territoire et de sa volonté, exprimée par le biais de ses différentes autorités.

À ce jour, nous avons l’impression désagréable d’être sinon tenus à l’écart, du moins peu informés de ce qui se passe réellement. Or rien ne doit se faire dans l’opacité. Rien ne doit mettre en péril notre environnement ou nos valeurs. Et ce qui se fera doit se faire dans la concertation et avoir des retombées positives pour Wallis-et-Futuna et ses habitants.

Je crois avoir dit l’essentiel. Pour terminer, je souhaiterais, madame la ministre, évoquer deux derniers points. Le premier porte sur les limites de la ZEE de Wallis-et-Futuna. J’aimerais savoir où en sont les conventions avec Samoa et Tuvalu. Pour l’avenir, il est en effet indispensable de fixer de façon définitive la ZEE.

Le second point, lié au début de mon intervention, concerne le manque de moyens de surveillance du domaine maritime. Nous avions, jusqu’aux environs de l’an 2000, des accords de pêche avec le Japon et la Corée du Sud. Aujourd’hui, nous ne sommes plus liés par aucun accord. Pourtant nul ne doute que de la pêche illicite est pratiquée dans notre ZEE. Nous réfléchissons à de nouveaux accords. Nous avons besoin de l’État pour nous aider sur ce point. §

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

En application de l’article 16, alinéa 2 bis, du règlement, M. Jean-Claude Gaudin, président du groupe Union pour un Mouvement Populaire, a saisi M. le président du Sénat d’une demande de constitution d’une commission spéciale sur le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

Cette demande a été publiée et a été notifiée au Gouvernement et aux présidents des groupes politiques et des commissions permanentes.

Elle sera considérée comme adoptée sauf si, avant la deuxième séance qui suit cette publication, soit avant l’ouverture de la séance du lundi 23 juin, M. le président du Sénat est saisi d’une opposition par le Gouvernement ou le président d’un groupe.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Nous reprenons le débat sur les zones économiques exclusives ultramarines. Dans la suite de ce débat, la parole est à Mme Odette Herviaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Odette Herviaux

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à mon tour, je remercie très chaleureusement MM. les présidents Jean-Louis Carrère et Serge Larcher, grâce à qui nous pouvons aujourd'hui débattre de ce sujet très important, et je félicite tout particulièrement MM. les rapporteurs pour l’excellence et l’exhaustivité de leurs rapports.

La mer recèle de formidables leviers et relais de croissance, indispensables au redressement productif que nous appelons de nos vœux, aussi bien en métropole que dans les territoires ultramarins. C’est tout l’enjeu du troisième axe qui est proposé dans le rapport de la délégation pour la mise en valeur des ZEE ultramarines : « Promouvoir aux échelons local, national, européen et mondial un cadre normatif favorable à une économie bleue attractive et durable ».

La plupart de mes collègues sont intervenus d’une manière très exhaustive sur tous les champs ; pour ma part, je me bornerai à aborder le secteur de la pêche. Son développement – absolument nécessaire, mais qui doit rester durable – est appelé à répondre à plusieurs défis dans les zones ultramarines.

Les outre-mer n’échappent évidemment pas à la tension planétaire sur les ressources. Certes, des évaluations sont conduites pour certaines espèces – thons, marlins, vivaneau rouge, crevettes pénéides, acoupa rouge... – et des systèmes d’informations halieutiques ont été mis en place dans chacun des DOM. Mais la ressource halieutique ultramarine demeure très mal connue, avec des situations très disparates pour les stocks étudiés : légère progression pour certains, diminution tangible pour d’autres, voire effondrement, par exemple, pour la crevette sauvage guyanaise.

De plus, l’importance des ressources halieutiques au large des côtes varie selon qu’elles sont bordées par un plateau continental, comme pour les Terres australes et antarctiques françaises, Saint-Pierre-et-Miquelon ou la Guyane, à la différence de La Réunion ou des Antilles.

Une diffusion large du programme ZoNéCo d’évaluation de l’ensemble des ressources marines menée en Nouvelle-Calédonie depuis 1991 pourrait à cet égard être envisagée afin de définir les principes de gestion des stocks et le suivi de leur application.

Il nous faut aussi – beaucoup viennent de le rappeler – lutter tout particulièrement, et avec une plus grande fermeté, contre les prises illégales. Elles sont très mal vécues, à juste titre, par les pêcheurs locaux, et portent gravement atteinte à des écosystèmes très fragiles.

Pas plus tard qu’hier, le président Obama a annoncé sa volonté de réprimer beaucoup plus sévèrement la pêche illégale et de créer des zones de réserve dans la ZEE américaine…

Même si des progrès ont été enregistrés, comme l’illustre la nouvelle convention de coopération des pays de la conférence de l’océan Indien, la mobilisation doit encore s’amplifier et les moyens doivent être renforcés, notamment par l’installation de radars terrestres, ainsi que le démontrent les situations en Guyane et à Clipperton.

Compte tenu de coûts de production plus élevés que ceux de ses voisines, le développement des pêches ultramarines ne se réalisera que dans le mieux-disant qualitatif, en particulier dans le secteur de l’aquaculture, qui présente sans doute le potentiel productif le plus important. Le soutien à la modernisation de la flotte est par ailleurs une nécessité vitale pour la constitution en véritable filière éco-productive d’une pêche ultramarine encore largement artisanale.

Mais l’avenir de la pêche et de l’aquaculture outre-mer passe aussi par une réorientation des politiques européennes qui, aujourd’hui, encouragent trop souvent les distorsions de concurrence et le dumping coopératif au détriment des territoires d’outre-mer. C’est le sens de la résolution du Conseil économique, social et environnemental de mai 2014 intitulée « Pour une Europe ultramarine », qui préconise notamment de « systématiser les analyses d’impact préalables à la négociation d’accords commerciaux […] sur leurs conséquences […] dans les RUP et les PTOM ».

L’application uniforme des règlements de la politique commune de la pêche, la PCP, qui visent à limiter la production, tout comme la politique en matière de partenariat et donc d’aides – à des pays d’Afrique et du Pacifique voisins de nos RUP ou PTOM ne répondant pas aux mêmes standards normatifs et aux coûts de production très inférieurs –, menacent en effet à moyen terme le déploiement d’une flotte écoresponsable, fragilisant du même coup la filière amont et aval, détruisant des emplois et réduisant les moyens en faveur d’une gestion durable des ressources halieutiques. Le dernier scandale des pêcheurs esclaves en Thaïlande nous a ainsi rappelé très récemment que la course effrénée au moins-disant conduit systématiquement à des dérives des plus inhumaines.

Sur cette nécessaire refonte des politiques européennes, nous ne pouvons que partager le sentiment d’indignation exprimé dans le rapport de la délégation : il n’est pas acceptable qu’en dépit de leurs ressources halieutiques, les territoires ultramarins fournissent seulement 1 000 tonnes par an au marché européen quand dans le même temps, grâce aux accords qu’ils ont conclus avec l’Union européenne, Fidji et la Papouasie–Nouvelle-Guinée en exportent près de 400 fois plus !

La recommandation n° 5, qui vise à associer étroitement les collectivités ultramarines aux volets de la coopération régionale relatifs à la gestion des ressources marines, n’en prend que plus de sens. Il serait bienvenu, madame la ministre, que l’État donne réellement l’exemple d’une relation constructive et confiante avec les acteurs de terrain qui traitent de ces sujets cruciaux et de leurs conséquences parfois terribles pour des populations trop souvent éprouvées par des décisions qu’elles ne comprennent plus. §

Debut de section - PermalienPhoto de Abdourahamane Soilihi

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui des zones économiques exclusives ultramarines, un secteur présenté comme un des plus porteurs de notre économie moderne. Je tiens à remercier à mon tour MM. les présidents et MM. les rapporteurs pour les excellents rapports qui nous ont permis de débattre aujourd’hui.

Alors que notre pays occupe un rang mondial très confortable grâce à nos outre-mer, la deuxième zone économique exclusive la plus vaste au monde derrière les États-Unis, avec près de 11 millions de kilomètres carrés, nous avons pris l’habitude de nous enfermer dans des débats dogmatiques et incantatoires, en laissant s’éloigner les potentialités insoupçonnées des ressources sous-marines situées exclusivement dans nos zones.

À l’heure où la compétition entre les États s’exacerbe, où l’Europe commence à prendre des initiatives, où un embryon de gouvernance mondiale s’installe progressivement au sein d’instances onusiennes, notre pays, qui fut longtemps pionnier, semble laisser à l’abandon ce domaine qui lui permettrait, à terme, d’accroître sa souveraineté.

À ce titre, permettez-moi tout d’abord de dire que la zone économique exclusive de Mayotte est peut-être la première à témoigner de ce sentiment d’abandon, sans oublier bien entendu les autres collectivités d’outre-mer.

À Mayotte où pêche et tourisme haut de gamme ont la chance de se partager les meilleures potentialités offertes par le lagon, il revient au Gouvernement en première ligne, suivi des acteurs locaux, tant les professionnels que les élus locaux, de se mobiliser et d’œuvrer à la mise en place des structures nécessaires afin de créer un renouveau d’une dynamique tournée vers des partenariats synergiques au cœur du canal du Mozambique.

Créé en janvier 2010, le parc naturel marin de Mayotte reste le premier du genre en outre-mer et également la plus grande aire marine protégée française en superficie, avec près de 70 000 kilomètres carrés, correspondant à la totalité de la zone économique exclusive de Mayotte.

Son objectif est d’assurer un développement harmonieux des différentes activités maritimes dans le respect des objectifs de conservation du patrimoine naturel marin de Mayotte, même si chacun sait que l’exploitation de l’aquaculture réserve au département un avenir prometteur.

Eu égard à ce constat, une question se pose dès lors : comment faire pour que le parc naturel marin de Mayotte oriente son action vers un développement harmonieux d’une activité de pêche pourvoyeuse d’emploi local, avec l’octroi d’engins de pêche exemplaires, capables de relever le défi ?

Cette question mérite une réponse franche de la part du Gouvernement, surtout que le débat du 20 février de l’année dernière sur Mayotte ici même faisait référence aux enjeux de la mer.

À Mayotte, comme ailleurs, le secteur de la pêche est confronté à de grandes difficultés du fait de son caractère essentiellement artisanal et vivrier. Je note à cet égard, madame la ministre, mes chers collègues, qu’il est tout de même paradoxal de disposer d’un atout que l’on n’exploite pas alors que le besoin se fait ressentir.

La ZEE de Mayotte dans laquelle s’incorpore le fameux lagon mahorais, d’une part donne la possibilité à notre pays d’étendre ses droits souverains sur les ressources du sol et sous-sol de son plateau continental, et d’autre part pourrait être un levier incontournable d’une pêche industrielle à l’import-export, mais surtout devenir un objet de coopération entre le territoire de Mayotte et son environnement régional.

Ainsi, l’interdiction de toute aide à la construction des navires est un non-sens outre-mer, où les ressources halieutiques sont abondantes, mais sous-exploitées. Je propose donc que toutes les voies d’analyse et d’expertise soient étudiées pour amorcer ce tournant crucial cher au département de Mayotte.

J’insiste sur ce point majeur qu’est le besoin de promouvoir l’activité de pêche moyennant des équipements adéquats susceptibles d’offrir au nouveau département des perspectives d’avenir et d’évolution. Mais encore faut-il que des offres de formation soient mises à profit pour mieux asseoir une nouvelle politique dont la jeunesse mahoraise serait l’épicentre.

Nos législations nationales et européennes, que ce soit dans le cadre de l’article 73 de la Constitution ou au titre de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le TFUE, prévoient des solutions d’adaptation ou de dérogation pour écarter les contraintes qui pèsent et qui freinent les perspectives d’évolution.

Afin d’ériger la mise en valeur des ZEE en priorité stratégique, la délégation sénatoriale à l’outre-mer formule dix recommandations, et je vous invite à vous référer à son précieux rapport du mois d’avril 2014, donc d’actualité, intitulé : « Zones économiques exclusives ultramarines : le moment de vérité ».

Pour ma part, j’appelle le Gouvernement à la vigilance afin de corriger une injustice faite aux Mahorais dans les meilleurs délais, madame la ministre, en précisant que plusieurs grands navires immatriculés à Mayotte pratiquent une pêche au large de thonidés tropicaux dans la ZEE mahoraise, mais également en haute mer, allant jusqu’aux ZEE d’États voisins, alors que les bateaux ne sont jamais présents à Mayotte, puisqu’ils débarquent directement aux Seychelles pour la mise en conserve des captures thonières.

En conclusion, nous savons que la pêche ultramarine souffre d’un défaut d’organisation de la filière ainsi que de l’insuffisance des structures de transformation et de commercialisation. À l’heure où la production locale tarde à faire la promotion du territoire, un tel défaut d’organisation constitue une explication suffisante du manque d’accès des produits de la pêche de Mayotte à la restauration collective, écoles ou hôpitaux notamment.

Alors que par ailleurs la vie chère constitue une problématique récurrente dans nos outre-mer, il n’y a pas d’autre choix que de relocaliser la production endogène dans le cadre d’une nouvelle dynamique de l’économie maritime.

Pour finir, en ce qui concerne le lagon, si l’usage de ce lagon hautement réputé est bien garanti, ce beau lieu naturel riche en biodiversité qui devrait stimuler l’attractivité de Mayotte au milieu de l’océan Indien mériterait d’intégrer la convention de l’UNESCO au titre de patrimoine commun de l’humanité. §

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’organisation de ce débat – de qualité – fait suite à l’excellent rapport d’information du 9 avril 2014 de nos collègues Jean-Étienne Antoinette, Joël Guerriau et Richard Tuheiava intitulé : « Zones économiques exclusives ultramarines : le moment de vérité », auquel il convient d’ajouter le non moins excellent rapport d’information de nos collègues Jeanny Lorgeoux et André Trillard.

Le premier de ces rapports a souligné l’importance et la diversité des potentiels de croissance durable portés par les espaces maritimes des territoires d’outre-mer, qui placent la France au rang de deuxième zone économique exclusive la plus vaste au monde derrière les États-Unis, avec 11 millions de kilomètres carrés – je le répète une nouvelle fois pour être sûr que les autorités saisiront cette réalité. §

Avec une zone économique exclusive de 74 000 kilomètres carrés, Mayotte dispose d’un important potentiel dans deux secteurs, l’aquaculture et la pêche.

En ce qui concerne l’aquaculture, l’île produit annuellement 150 tonnes d’ombrine ocellée en moyenne contre 60 tonnes pour la Martinique, 40 tonnes pour La Réunion et moins de 10 tonnes pour la Guadeloupe et Tahiti, ce qui en fait le principal producteur de poisson d’aquaculture de tout l’outre-mer français.

Le secteur de la pêche, quant à lui, tente de faire coexister une pêche industrielle thonière particulièrement dynamique, puisque 20 % de la pêche mondiale de thon provient de l’océan Indien, et une pêche traditionnelle artisanale.

À ce titre, les pêcheurs mahorais se sont longtemps limités à exploiter les eaux lagunaires ou limitrophes. Toutefois, devant la raréfaction des ressources halieutiques, notamment engendrée par la pêche industrielle intensive, ils ont élargi leur activité en mer ouverte.

Le parc naturel marin dont la création remonte à janvier 2010 et dont le périmètre couvre l’ensemble de la ZEE a pour mission de concilier la protection du milieu marin et le développement durable du second secteur d’activité de l’île. On prend la mesure du défi que constitue l’existence de ce parc, d’autant qu’il peut être amené à jouer un rôle d’arbitre entre les pêcheurs et les thoniers senneurs, aux intérêts souvent contradictoires.

Si la zone économique exclusive de Mayotte présente à n’en point douter un potentiel certain, je souhaiterais attirer votre attention, madame la ministre, mes chers collègues, sur la complexité territoriale et juridique qui l’entoure.

En premier lieu, les menaces qui s’exercent dans le nord du canal du Mozambique, non loin de Mayotte, et qui sont caractérisées par l’extension géographique de la piraterie ou encore l’immigration clandestine requièrent une sécurisation particulière de la zone. §

En second lieu, j’insiste sur la nécessité de conférer des limites claires et stabilisées à la ZEE de Mayotte. Aujourd’hui, le flou qui entoure cette question est susceptible d’entraîner des tensions politiques et d’avoir d’importantes répercussions économiques.

En mars dernier, par exemple, le parlement des Comores a autorisé la délivrance de permis d’exploration pétrolière sur une aire de 6 000 kilomètres carrés empiétant sur le périmètre théorique de la ZEE de Mayotte. Une telle décision pourrait constituer une perte nette de richesse pour le 101e département français. Par ailleurs, elle tend à renforcer les prétentions comoriennes sur cette île française ou tout au moins sur son espace maritime. Cette insécurité juridique est également de nature à décourager les investisseurs d’engager des projets dans cette zone.

Enfin, depuis quelques mois, les îles Glorieuses, situées à 250 kilomètres de Mayotte, font l’objet de nombreux signalements d’incursion et d’activité de pêche illicites. Ces îles sont administrées depuis La Réunion, alors que leur parc naturel marin jouxte la ZEE de Mayotte. Il pourrait être envisagé d’en confier l’administration à Mayotte

M. Jean-Louis Carrère opine.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Pour conclure, il est regrettable que Mayotte ne soit pas directement représentée au sein de la Commission de l’océan Indien. Cette organisation œuvre pour bâtir des projets régionaux de développement durable afin de préserver les ressources naturelles dont la population des cinq pays qui la composent dépend fortement.

Il apparaît donc légitime et indispensable pour ce département de pouvoir, comme le fait La Réunion, défendre ses intérêts insulaires dans cette Commission de l’océan Indien.

La visite du Président François Hollande aux Comores le 26 juillet prochain et à Mayotte le 27 sera déterminante pour faire avancer l’ensemble de ces dossiers. Il y va de la souveraineté de la France. §

Debut de section - PermalienPhoto de Karine Claireaux

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la France possède des territoires dans chaque océan, ce qui lui confère une place stratégique dans le contrôle des mers et de leurs ressources.

En effet, chaque territoire, chaque île, chaque kilomètre de littoral se prolonge par une mer territoriale puis par une zone économique exclusive qui appartient à la France.

Je tiens donc à remercier moi aussi la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ainsi que la délégation à l’outre-mer de leur initiative et de l’occasion qu’elles nous donnent, au sein de la Haute Assemblée, de débattre sur un thème aussi important pour la France et ses outre-mer.

Au total, les ZEE représentent 11 millions de kilomètres carrés, dont une majeure partie en outre-mer. La France est ainsi la deuxième puissance maritime mondiale et la première puissance maritime européenne. Ce domaine devrait continuer de s’étendre pour dépasser, à terme, 13 millions de kilomètres carrés.

La ZEE est un espace majeur dans les domaines stratégique et environnemental. La France n’est cependant pas la puissance maritime qu’elle pourrait et devrait être. §Pour y parvenir, la première condition serait une prise de conscience politique de ce potentiel. Cette prise de conscience apparaît dans le discours, mais pas toujours, hélas, de manière concrète dans les faits.

De plus, – élément important – sans ses outre-mer, la France ne serait pas la nation maritime qu’elle est.

Si la mer a toujours été un enjeu primordial pour les grandes nations, jamais les enjeux géopolitiques et économiques de la mer n’ont été aussi importants qu’aujourd’hui. Enjeux d’échanges et de communication d’abord, car la mondialisation des économies repose sur la libre circulation des flux maritimes.

À n’en pas douter, les enjeux de la mer sont primordiaux pour la planète, pour la survie des hommes et pour le développement de nos économies. Notre pays, présent, grâce à ses outre-mer, dans les quatre océans, a rendez-vous avec cet enjeu global.

Parmi ces outre-mer, se trouve Saint-Pierre-et-Miquelon. Tout ou presque ayant été dit par ailleurs, vous me permettrez de m’y attarder quelques instants.

Je ne reviendrai pas sur les événements et circonstances qui ont amené à la décision du tribunal arbitral de New York ayant débouché sur l’octroi à l’archipel d’une zone exclusive économique de 12 400 kilomètres carrés, soit quatre fois plus petite que celle qui est revendiquée par la France au titre de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Cette zone économique exclusive française de dimension particulièrement modeste ne suffit, dans les conditions actuelles, à assurer ni la pérennité économique de Saint-Pierre-et-Miquelon ni le maintien à terme de sa population. Vous en conviendrez, cela est particulièrement dramatique pour un territoire qui ne demande qu’à travailler en bonne intelligence avec ses voisins, à s’inscrire dans une dynamique régionale forte, à cogérer une zone commune avec notre grand voisin, mais aussi et surtout à représenter et défendre les intérêts de la France en Amérique du Nord, avec les enjeux que cela comporte.

La revendication d’un plateau continental étendu est une réelle alternative si l’on veut reconstruire un avenir économique pour nos îles et nos compatriotes. Le Président de la République comme le Gouvernement ont bien saisi cet intérêt et la France a déposé, le 16 avril dernier, un dossier d’extension devant la Commission des limites du plateau continental.

Debut de section - PermalienPhoto de Karine Claireaux

Notre pays devra faire preuve d’une fermeté exemplaire sur ce dossier. Si les éléments en sa faveur sont réels, connus et confirmés par des données bathymétriques, géophysiques et géologiques, ils devront toutefois être portés et défendus avec conviction et efficacité, ce dont je ne doute pas, au plus haut niveau.

Ce dossier prendra du temps... Et de temps, pour éviter de faire de Saint-Pierre-et-Miquelon un archipel moribond, vivant plus que de raison des subsides de l’État, nous en manquons cruellement.

Alors, sans attendre le verdict de la Commission puis, éventuellement, du tribunal arbitral, si aucune entente d’ici là ne devait être possible avec nos voisins canadiens, il nous faut, avec l’accord et l’aide de l’État, explorer toutes les potentialités que peut nous procurer la position géostratégique de mon archipel, en partant de la ZEE qui est sienne aujourd’hui.

S’agissant des hydrocarbures tout d’abord, il faut apporter des réponses aux compagnies qui demandent soit une autorisation préalable de prospection, ou AAP, soit un permis exclusif. Un projet de forage mené à bien dans nos eaux, ce sont environ 50 millions d’euros investis sur cinq ans. Cela mérite, me semble-t-il, que nous soyons certes vigilants sur les conditions, mais aussi, à tout le moins, réactifs.

Pour ce qui est des ports, et plus particulièrement du port de Saint-Pierre, abrité et libre de glace toute l’année, un véritable projet structurant est à mettre en œuvre rapidement et indépendamment du projet dit de « grand port ».

En effet, si les ports de l’archipel sont des ports d’État, les infrastructures sont vieillissantes, pas aux normes et très modestes. Or Saint-Pierre-et-Miquelon est non seulement sur le chemin de plusieurs routes maritimes et dans l’embouchure du Saint-Laurent, mais aussi particulièrement bien placé par rapport à l’ouverture – peut-être regrettable du point de vue environnemental, mais inévitable – de ce que l’on nomme le « passage du Nord-Ouest ».

Il faut, dès maintenant, que l’archipel puisse se positionner comme une escale technique de choix, voire un port d’attache, pour la navigation de commerce, la plaisance, la pêche, mais aussi la marine nationale. Pour cela, il dispose d’atouts non négligeables, comme la proximité du port et de l’aéroport, l’existence d’un centre hospitalier neuf et rapidement accessible et la présence d’une administration de proximité capable de réagir promptement. Nous pourrions ainsi caréner et remiser des navires à la mauvaise saison, offrir de nombreux services aux navires français, européens et étrangers. Tout cela drainerait une activité importante, créatrice d’emplois et de richesse pour le territoire.

Pour ce faire, il faut aussi que l’État, madame la ministre, accepte de moderniser et sécuriser toutes les infrastructures portuaires, qui sont, je le rappelle, de son ressort et qui pourraient être rapidement utilisées par les différentes flottes que je viens de citer.

Il faut que nous puissions, ensemble, travailler à un projet ambitieux à la hauteur de la place que la France se doit de tenir dans cette portion du globe, étant donné son rang de deuxième puissance maritime mondiale. Il nous faut y travailler dès maintenant avec votre ministère, mais aussi le ministère de l’écologie et du développement durable, le ministère de la défense et le secrétariat d’État aux transports, à la mer et à la pêche.

Saint-Pierre-et-Miquelon peut et doit être un poste avancé pour la France et l’Europe en Amérique du Nord, mais aussi pour tous les ports qui auront mis en œuvre une stratégie commerciale arctique. C’est une véritable opportunité qui se présente à nous et que nous devons saisir dans le respect, bien entendu, des enjeux environnementaux extrêmement importants auxquels il faudra prêter une attention toute particulière.

La ZEE autour de Saint-Pierre-et-Miquelon, c’est aussi une opportunité pour étudier un certain nombre de phénomènes climatiques, géologiques, courantologiques. C’est également une opportunité en matière de recherche et d’enseignement supérieur pour de nombreux sujets d’études.

La ZEE, c’est encore une opportunité pour développer des pôles d’excellence et de compétitivité. Pour ce faire, nous devons nous montrer plus performants au niveau fiscal et plus rationnels au niveau de notre organisation sur l’archipel.

La zone économique exclusive de Saint-Pierre-et-Miquelon, avec ce potentiel d’évolution, représente, madame la ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, des intérêts scientifiques, géostratégiques, économiques, environnementaux et sociaux de tout premier ordre.

Il s’agit d’un véritable atout pour notre archipel et ses habitants, mais aussi, je le répète, pour la France. Ne laissons pas passer cette occasion unique pour elle de tenir la place qui est la sienne sur l’échiquier mondial.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC . – Mme Leila Aïchi et M. Joël Guerriau applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Cornano

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avec une superficie de 11 035 000 kilomètres carrés, la France possède avec l’outre-mer la deuxième plus grande zone exclusive du monde.

La part des départements et collectivités locales d’outre-mer dans ce décompte étant particulièrement importante, il convient, dans ces conditions, de considérer la mise en valeur des ZEE comme une priorité stratégique française et d’accélérer les procédures visant à atteindre cet objectif.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Cornano

Vous l’avez compris, à l’heure où nous cherchons toutes les solutions possibles pour sortir les outre-mer, et notamment la Guadeloupe, de la grave situation de crise socioéconomique dans laquelle ils se trouvent, toutes les pistes doivent être exploitées. La mise en valeur des zones maritimes constitue donc un enjeu fondamental pour nos collectivités d’outre-mer.

La pêche est un des axes possibles du développement économique de l’outre-mer. Elle représente un gisement d’emplois, surtout pour les jeunes, pour peu que cette mise en valeur des ZEE soit l’occasion de négocier avec les pays frontaliers de nos départements et collectivités des accords autorisant la pêche dans leurs eaux territoriales.

L’accès à ces eaux est souvent source de conflits.

Je félicite de leur bon travail mes collègues de la délégation sénatoriale à l’outre-mer : le rapport sur les zones économiques exclusives est complet et met notamment en exergue ces problèmes liés à la délimitation des espaces maritimes et à leur surveillance. Il s’agit d’un véritable problème en Guadeloupe, où les frontières de l’espace maritime ne sont pas clairement établies ou respectées et, par conséquent, pas opposables aux pays tiers. La souveraineté française n’y est donc que théorique.

Dès lors, nos ressources naturelles ne sont pas suffisamment protégées et nos pêcheurs se retrouvent exposés à de nombreux dangers et trafics. Des pêcheurs originaires des régions limitrophes viennent illégalement pêcher dans nos mers et nous manquons de moyens pour les en empêcher.

Par ailleurs, la pollution maritime au chlordécone impose aux pêcheurs guadeloupéens, et aux pêcheurs martiniquais, d’aller toujours plus loin en raison des interdictions de pêche dans un certain périmètre des zones françaises, sur des embarcations souvent inadaptées. Ce faisant, ils mettent leur vie en danger et s’exposent à des arrestations, des saisies de leurs bateaux et des amendes par les autorités des pays dans les zones desquelles ils se font arrêter. Tout cela sans compter avec le coût de tels déplacements, eu égard au prix des carburants dans nos départements d’outre-mer. Bref, trop de risques pour une pêche peu rentable.

Cette situation n’est plus tolérable, disent-ils. Des solutions doivent être recherchées à la fois en termes d’effectifs de police, mais aussi d’un point de vue financier, afin d’aider nos pêcheurs à équiper leurs navires et leur permettre de pêcher dans nos eaux en toute sécurité.

En outre, je tiens à souligner, ayant été membre du groupe de travail sur la réforme du code minier présidé par M. Thierry Tuot, que nous avons procédé à de nombreuses auditions portant sur la prise en compte des spécificités ultramarines dans le cadre du projet de rédaction du code. Je précise que les écosystèmes ultramarins sont fragiles. Leur exploration ou exploitation ne doit pas se faire à n’importe quelles conditions, ni dans l’urgence.

Je souhaite le signaler ici, il est important que toute opération menée dans les territoires maritimes soit réalisée dans le plus strict respect des règles du développement durable et notamment des règles environnementales, dont vous connaissez les quatre axes : environnement, économie, social et culture.

Pour conclure, je préciserai que je suis persuadé que les outre-mer doivent recentrer leur développement en se tournant vers la mer, par une exploitation raisonnée et efficiente de leur biodiversité marine. §

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie, tout d’abord, d’excuser Frédéric Cuvillier, qui ne peut pas être présent aujourd’hui pour débattre avec vous de l’important sujet qui nous réunit. Comme vous le savez, se tient actuellement à l’Assemblée nationale un débat tout aussi important pour l’avenir et l’actualité de notre pays, le débat sur la réforme ferroviaire.

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin, ministre

Mon collègue est désolé de ne pouvoir être présent, car ce sujet, qui lui tient à cœur, lui paraît très important.

Pour ma part, je suis ravie d’être parmi vous. Le sujet des zones économiques exclusives françaises, les ZEE, concerne principalement nos outre-mer, puisque 97 % d’entre elles y sont situées. La valorisation de ces richesses potentielles, comme l’ont souligné les différents orateurs, constitue un enjeu important pour ces territoires et, plus largement, pour toute la République française.

Je remercie donc vivement la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ainsi que la délégation sénatoriale à l’outre-mer de s’être intéressées à ces sujets, en y ayant consacré chacune un rapport d’information et en ayant demandé l’organisation de ce débat. J’en profite pour saluer leurs présidents respectifs, Jean-Louis Carrère et Serge Larcher, ainsi que les auteurs de ces deux rapports, qui abordent un sujet finalement mal connu, mais extrêmement important pour le pays.

Dans son intervention, le président Serge Larcher a lancé un appel, en ce jour du 18 juin – ô combien historique ! –, pour que nous ouvrions les yeux et réalisions la chance que nous avons de disposer de pareils potentiels d’innovation. Tout comme lui, tout comme les orateurs qui se sont succédé à la tribune, je tiens à rappeler ce formidable potentiel, cette formidable richesse que constituent nos zones économiques exclusives ultramarines ; j’espère donc que son appel sera entendu.

Au moment de s’exprimer sur la mer, certains introduisent leur propos avec des formules de Charles Baudelaire ou de Victor Hugo. Pour ma part, votre travail, mesdames, messieurs les sénateurs, m’évoque cette phrase d’Antoine de Saint-Exupéry : « Quand tu veux construire un bateau, ne commence pas par rassembler du bois, couper des planches et distribuer du travail, mais réveille au sein des hommes le désir de la mer grande et belle ». C’est ce désir que nous devons susciter pour essayer de promouvoir l’importance des zones économiques exclusives et de la politique maritime intégrée, comme s’efforce de le faire, au Gouvernement, Frédéric Cuvillier.

Les différents orateurs ont rappelé des chiffres importants, qui méritent en effet d’être cités : la France possède la deuxième surface maritime mondiale, répartie sur quatre océans, et le premier linéaire maritime européen, d’une longueur totale de 18 000 kilomètres ; l’économie maritime représente 900 000 emplois directs et indirects ; enfin, le pays compte, avec les outre-mer, 564 ports, pour un trafic de 360 millions de tonnes de marchandises, et 55 000 kilomètres carrés de récifs coralliens et de lagons.

La liste est édifiante ; notre travail en la matière est donc important. Avec la délégation sénatoriale à l’outre-mer, avec le Sénat en général, il nous faut donc apprendre à mieux valoriser cette richesse exceptionnelle.

Je salue, à ce titre, le travail réalisé par les sénateurs Jean-Étienne Antoinette, Joël Guerriau et Richard Tuheiava, qui a donné lieu à de nombreuses auditions. Il a permis de recueillir d’institutionnels, d’industriels, de juristes et de scientifiques les informations concernant les activités maritimes qui s’étendent à nos collectivités ultramarines dans un contexte de maritimisation des enjeux. Leur travail dresse un état des lieux très complet, qui pourra servir de référence sur la situation actuelle, les richesses potentielles, et les actions à mener pour que ces dernières deviennent bien « réelles » pour notre pays.

Ce rapport couvre les différents usages de la mer, dans une démarche de politique maritime intégrée, que je souhaite, avec vous, et au nom du Gouvernement, promouvoir. Les activités économiques traditionnelles, les énergies marines renouvelables, les explorations et exploitations offshore d’hydrocarbures, les ressources minérales et minières profondes, les biotechnologies bleues s’effectuent sur le même territoire maritime. Mme Assassi avait donc raison quand elle indiquait, dans son intervention, que là se jouait l’avenir de l’humanité.

La réalité économique, sociale et environnementale de la politique maritime est bien là, les enjeux liés à la situation maritime exceptionnelle de la France en termes de développement durable, dans des espaces qui doivent être mieux connus, mieux protégés, mieux partagés. Je pense notamment à des coopérations régionales dans chacune des zones concernées, mais aussi à la gouvernance mondiale des océans, dans le contexte de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée en 1982, dite « convention de Montego Bay ».

Le rapport détaille dix recommandations. Mais avant de répondre – autant que faire se peut – aux différentes interventions, je voudrais insister sur un élément important, sur cet enjeu cardinal qu’est la mer pour les outre-mer. En effet, les collectivités ultramarines regroupent près de 2, 7 millions d’habitants, répartis sur treize territoires aux caractères géographiques, statutaires et culturels profondément distincts. C’est grâce à ces territoires que la France peut étendre sa surface maritime sur quatre océans ; c’est grâce à ce qui représente un sixième du territoire terrestre métropolitain que la France dispose de droits souverains et de droits de juridiction sur le deuxième espace maritime du monde ; c’est grâce aux outre-mer que la France peut afficher 11 millions de kilomètres carrés de domaine maritime.

Je me souviens que, le jour où le gouvernement de Manuel Valls a été nommé, un député européen se plaignait de n’y voir apparaître aucun ministre chargé des affaires européennes, alors qu’il comportait un ministre des outre-mer. À mon sens, les chiffres que je viens de citer peuvent expliquer pourquoi les outre-mer revêtent une telle importance pour notre pays et pour le Gouvernement. Si elle n’est peut-être pas perçue ainsi par l’homme de la rue, il nous revient de la faire mieux connaître.

La France a su être leader mondial dans les domaines stratégiques du nucléaire, de l’aéronautique, du spatial et des télécoms ; elle doit l’être aussi autour d’une politique de la mer. Je crois que la France peut devenir leader mondial dans le développement d’une croissance durable, protectrice et émancipatrice : la croissance bleue. En conjuguant sa compétence technologique, de recherche et d’innovation et sa puissance maritime, elle peut offrir à une planète de 8 milliards d’individus en 2025 un nouveau modèle de développement.

Naturellement, il y a un préalable indispensable, sur lequel de nombreux orateurs ont insisté, de Jean-Louis Carrère, Jeanny Lorgeoux et André Trillard pour la commission des affaires étrangères à Joël Guerriau pour la délégation sénatoriale à l’outre-mer, en passant par Michel Vergoz et Yves Pozzo di Borgo : la France doit pouvoir protéger ses ressources et « assumer ses responsabilités », comme le disait Joël Guerriau, avant même de prétendre exploiter ses ressources.

L’affirmation de la souveraineté française sur les vastes zones économiques dans les outre-mer requiert donc des moyens relevant principalement du ministère de la défense.

Le précédent Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, en 2008, avait entériné une diminution des effectifs militaires stationnés dans les outre-mer de 23 % entre 2008 et 2020. Cela était acté lors de l’arrivée aux responsabilités de la nouvelle majorité. Le Livre blanc de juin 2013 a ainsi fait le constat d’un risque important de rupture capacitaire à court et moyen termes dans les outre-mer, tant dans le domaine maritime que dans le domaine aérien, qui pourrait conduire l’État à ne plus pouvoir remplir de façon appropriée l’ensemble des missions qui lui incombent dans ces territoires, y compris la mission de souveraineté.

L’État s’est donc fixé pour objectif de résoudre ces problèmes capacitaires par un dimensionnement adapté du dispositif militaire, une montée en puissance des capacités civiles, et un recours accru à la mutualisation des capacités. Comme l’a rappelé le président Carrère, le Livre blanc de la défense a permis de mettre davantage en exergue les enjeux maritimes actuels.

Des décisions récentes ont ainsi permis de répondre à une partie de ces enjeux. L’acquisition de trois bâtiments multidimensions par le ministère de la défense a été rappelée. D’autres arbitrages doivent encore être rendus, dans le contexte budgétaire contraint que vous connaissez.

Cela a été souligné, la question la plus urgente est celle des capacités militaires dans l’océan Indien, et plus particulièrement dans le canal du Mozambique

M. Jean-Louis Carrère opine.

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin, ministre

La surveillance et la police des pêches dans la zone maritime de l’océan Indien est donc une préoccupation importante du ministère des outre-mer ; je tiens à rassurer Thani Mohamed Soilihi, Abdourahamane Soilihi et Michel Vergoz sur ce point. L’Osiris effectue actuellement des missions de police des pêches dans la zone, et ce dispositif est sécurisé jusqu’à la fin de l’année 2016. Je tiens également à souligner la forte implication des services de l’État en Guyane pour lutter, en lien avec les autorités brésiliennes, contre la pêche illégale. Vous le savez, des actions exemplaires y ont été menées récemment. Néanmoins, comme pour l’orpaillage clandestin, nous sommes confrontés en la matière à des difficultés récurrentes, qu’il nous est difficile de résoudre.

En tout état de cause, vous savez, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement oppose une réponse ferme, dans la mesure de ses moyens, naturellement, aux prétentions d’exploitation sans titre §des ressources pétrolifères. Cette protection de nos ressources passe naturellement, cela a été rappelé, par une délimitation clairement établie de la limite de nos zones économiques exclusives. C’est une préoccupation que je réaffirme, à la suite de mon prédécesseur à ce poste.

Le Secrétariat général de la mer doit animer, avec le ministère des affaires étrangères, cet important travail de délimitation de tous nos espaces maritimes, ce qui n’avait peut-être pas été entrepris de manière assez méthodique auparavant. C’est dans ce cadre que le Gouvernement a pris plusieurs décrets de délimitation de nos lignes de base, travail indispensable pour ensuite fixer par décret les limites de nos autres espaces maritimes comme la mer territoriale, la zone économique exclusive et le plateau continental. En 2013, quatre décrets ont fixé les lignes de base de Wallis-et-Futuna, Amsterdam, Saint-Paul et Mayotte. Pour 2014, la priorité a été donnée à la fixation de toutes les lignes de base des espaces sous juridiction de la France dans la zone maritime sud de l’océan Indien.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous prenons cette question très au sérieux. J’ai bien entendu, d’ailleurs, le rappel par Jeanny Lorgeoux de la parabole biblique, qui nous incite à être vigilants sur ce sujet. §

J’en viens maintenant aux recommandations du rapport de la délégation sénatoriale à l’outre-mer.

Ces recommandations portent en premier lieu, et c’est bien logique, sur la gouvernance nationale de la mer. Pas de politique forte sans gouvernance nationale claire, qui dépasse les clivages sectoriels traditionnels.

L’une des préconisations fortes du rapport est d’instaurer une instance capable de fédérer toutes les questions relatives à la mer, et de donner ainsi une réelle impulsion pour définir et mettre en œuvre une stratégie maritime intégrée.

À l’issue du travail mené sur ce sujet par le Comité interministériel de modernisation de l’action publique, le CIMAP, un comité interministériel de la mer, ou CIMER, s’est tenu le 2 décembre dernier sous la présidence du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, au cours duquel la création d’une délégation à la mer et au littoral a été décidée. L’ambition de cette nouvelle structure est d’être la clef de voûte de la politique maritime intégrée. Une rupture est attendue avec le fonctionnement actuel, tant par les services de l’État que par les usagers.

Cette délégation sera certes ministérielle, mais elle aura pour rôle de coordonner toute la politique maritime intégrée. Compte tenu de la place importante des outre-mer dans cette politique, j’ai plaidé auprès de Frédéric Cuvillier pour qu’un préfet les connaissant bien soit nommé à sa tête. Ce profil me semble le plus à même de prendre le recul nécessaire sur les politiques sectorielles pour mieux appréhender le fait maritime.

La deuxième partie de vos recommandations concerne la valorisation des zones économiques exclusives. Je retiens la possibilité pour chaque collectivité de disposer d’un outil de gouvernance locale permettant de prendre en compte les enjeux de la zone concernée et de coordonner les acteurs, ainsi que la nécessité d’associer étroitement les collectivités aux actions de coopération régionale relatives à la gestion des ressources marines, de stabiliser la réglementation pour permettre aux investisseurs et aux industriels de développer leur activité et, enfin, de promouvoir la structuration des activités marines en filière intégrée.

Comme le président Serge Larcher et d’autres orateurs l’ont souligné, les outre-mer sont, historiquement et culturellement, orientés vers leurs territoires terrestres : dans leur histoire, les grandes villes tournaient le dos à la mer. Nous devons infirmer cela et permettre aux collectivités d’outre-mer ainsi qu’à leurs élus de s’intéresser davantage à un tel potentiel.

Le Conseil national de la mer et des littoraux, le CNML, qui a été installé et s’est réuni pour la première fois le 18 janvier 2013, participera à l’élaboration des orientations de la politique maritime nationale. À l’échelon local, les périmètres de la gouvernance sont les façades maritimes en métropole et les bassins maritimes en outre-mer. Le conseil maritime de façade en métropole et le conseil maritime de bassin outre-mer sont chargés de définir les enjeux et priorités de la zone maritime concernée, ainsi que d’établir la politique maritime intégrée locale dans le document stratégique de façade en métropole et dans le document stratégique de bassin maritime en outre-mer.

Pour les outre-mer, la gouvernance maritime locale est en pleine évolution : le décret du 13 mai 2014 l’organise en instaurant les conseils maritimes ultramarins et les documents stratégiques de bassin maritime.

Je le rappelle, quatre bassins ont été définis en outre-mer : le bassin « Antilles » regroupant la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Martin et Saint-Barthélemy ; le bassin « sud océan Indien » englobant La Réunion, les Terres australes et antarctiques françaises – TAAF –, et Mayotte ; le bassin « Guyane » ; le bassin « Saint-Pierre-et-Miquelon ».

La Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, qui exercent des compétences propres en matière maritime, environnementale, économique et littorale, ne sont pas concernées par le dispositif.

Toutefois, les territoires sont étroitement associés aux actions de coopération régionale en matière de gestion des ressources marines. Par exemple, pour ce qui concerne les organisations régionales de gestion des pêches, la France est partie prenante à une dizaine d’organisations au titre des collectivités ultramarines ayant le statut de pays et territoires d’outre-mer, ou PTOM : elle y siège en tant que délégation France-territoires, indépendamment de l’Union européenne, qui défend les intérêts de la métropole et des régions ultrapériphériques.

D’autres territoires, et je pense évidemment à Saint-Pierre-et-Miquelon, ne nous ont pas attendus pour penser leur développement maritime.

Après avoir reçu le 24 juillet dernier les deux parlementaires de l’archipel, dont Karine Claireaux ici présente, le Président de la République, François Hollande, a annoncé le dépôt d’un dossier devant la Commission des limites du plateau continental des Nations unies, dépôt désormais effectué, comme l’ont rappelé Mme Claireaux et M. Mézard.

C’est un dossier décisif pour l’avenir de Saint-Pierre-et-Miquelon, même si ce n’est évidemment pas le seul sur lequel vous appelez aujourd'hui notre attention.

L’avenir de l’archipel, j’en ai conscience, repose pour une large part sur son ouverture maritime. Le siècle qui s’est ouvert sera celui de la mer. Saint-Pierre-et-Miquelon doit donc pouvoir profiter pleinement des avantages territoriaux qui sont les siens.

La mise en valeur des ressources qu’offre l’océan est indispensable. Nous sommes par conséquent déterminés à poursuivre le soutien à la filière pêche. Je pense en particulier au pôle de Miquelon, vis-à-vis duquel des engagements ont été pris par mon prédécesseur ; j’entends bien les honorer. Je pense évidemment aussi à Saint-Pierre, dont l’activité doit pouvoir être relancée. D’ailleurs, il est difficile de ne pas avoir ce sujet en tête tant les élus, à commencer par Mme Claireaux, nous en rappellent périodiquement l’importance.

Il faut saisir le potentiel de développement que procure la mer, ce qui suppose aussi de se doter des infrastructures adaptées. Le port de Saint-Pierre, port français aux portes de l’Amérique du Nord, dispose d’atouts dont il doit profiter au mieux. Le ministère a contribué à en assurer la promotion l’an passé. Nous devons poursuivre cet effort. Il faut encourager les activités de plaisance, de croisière et de carénage, et par là même la localisation d’activités et d’emplois. Les petites victoires que l’on peut obtenir au quotidien sont évidemment importantes.

Un certain nombre d’orateurs, notamment Mme Aïchi, bien sûr, et M. Laufoaulu, sont intervenus sur le développement durable et la protection de la biodiversité. De nombreux projets transversaux existent outre-mer et associent les collectivités. Je mentionne le sanctuaire AGOA des mammifères marins dans l’espace Caraïbe ou le projet CARET2 de conservation des tortues marines au niveau du plateau des Guyanes.

Pour l’océan Indien, le sénateur Thani Mohamed Soilihi a évoqué la gestion des deux parcs naturels, celui de Mayotte et celui des Glorieuses, dont les périmètres se jouxtent. La fusion des deux parcs ne nous semble pas opportune dans l’immédiat. En revanche, il est indispensable que les synergies se renforcent, afin d’assurer une cohérence technique des plans de gestion et des actions engagées. Il me semble d’ailleurs que c’est déjà largement le cas, puisque le président du Parc naturel marin de Mayotte et les représentants de la pêche artisanale mahoraise siègent au conseil du Parc des Glorieuses.

J’en viens aux collectivités du Pacifique. La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française disposent des compétences de gestion, de protection et de valorisation des ressources marines. À ce titre, elles peuvent prendre part directement aux projets régionaux de coopération dans le domaine de la gestion des ressources marines. Ainsi, le 23 avril dernier, le parc naturel de la mer de Corail a été créé en Nouvelle-Calédonie. Il constitue la plus grande aire marine protégée de France.

Je termine sur la valorisation des ZEE en évoquant le code minier, que certains intervenants, notamment MM. Mézard et Cornano, ont évoqué. Comme le soulignent à juste titre les auteurs du rapport, les partenaires privés ont besoin d’un cadre normatif et financier stable et attractif pour mener des projets d’exploration et d’exploitation, qui comportent par nature d’importants risques financiers.

La réforme du code minier a été annoncée par le Premier ministre dans son discours de politique générale en 2012. Comme vous le savez, M. Thierry Tuot a été désigné à cette fin. Les travaux se poursuivent depuis cette date et avancent avec sérieux. Je souhaite comme vous que nous puissions aboutir rapidement pour adopter une réglementation adaptée aux contextes fiscal, économique et juridique des ZEE et garantissant un juste retour aux territoires.

Bien entendu, la réforme s’effectuera en étroite concertation avec les territoires. À cet égard, les inquiétudes que M. Laufoaulu et Mme Aïchi ont exprimées doivent, je le crois, être respectées.

Le troisième et dernier ensemble de vos recommandations – je suis un peu longue, mais c’est parce que, le rapport étant très complet, je tiens à vous répondre de manière exhaustive – concerne la promotion de l’économie bleue, autour de la nécessité de prendre en compte les impératifs de gestion durable et de valorisation des ressources dans le futur code minier, du soutien de l’Union européenne pour la valorisation de nos ZEE et du rôle moteur de la France pour la mise en place d’une gouvernance mondiale des océans. Dans son intervention, M. Antoinette a parfaitement rappelé l’ensemble des potentialités qu’offrent les ressources des ZEE ultramarines pour répondre, notamment, au défi énergétique.

Le CIMER du 2 décembre 2013 a confié à différents ministères la définition et le pilotage d’un programme national de recherche et d’accès aux ressources minérales des grands fonds marins, associant en particulier l’IFREMER, le CNRS, les universités, les industriels et les autres ministères concernés. Il doit s’inscrire dans le droit fil du rapport d’Anne Lauvergeon pour le soutien à l’innovation majeure.

Par ailleurs, et M. Pozzo di Borgo l’a rappelé, au moment où les ressources terrestres sont effectivement en train de s’épuiser, chacun est conscient de l’importance des ressources minérales profondes.

Nous le savons, dans le domaine maritime, les profondeurs sont prometteuses en cuivre, zinc, plomb, or ou argent et en terres rares. Des permis d’exploration sont attribués par l’Autorité internationale des fonds marins pour quinze ans à l’IFREMER, dont le président signera prochainement un contrat d’exploration des amas sulfurés. Autrement dit, nous avons la réalisation prévue de trois campagnes océanographiques sur les quinze ans à venir, dont une première campagne dès 2016.

Les ressources maritimes de la France sont aussi biologiques. Le développement des filières de pêche et d’aquaculture constitue un enjeu important pour les outre-mer. Je remercie Mme Herviaux d’avoir rappelé cet élément dans son intervention.

Vous avez aussi souligné la nécessité d’un soutien fort de l’Union européenne aux politiques maritimes : MM. les sénateurs Jean-Étienne Antoinette, Jacques Cornano et Abdourahamane Soilihi ont évoqué les difficultés du secteur.

À ce titre, le Gouvernement s’est montré particulièrement actif auprès des instances européennes dans le cadre de la nouvelle programmation des fonds européens pour la période 2014-2020, afin d’obtenir un soutien maximal pour la valorisation de nos ZEE.

Cela se traduit nomment par le concours du Fonds européen pour les affaires maritimes et pour la pêche, le FEAMP, aux actions engagées dans les régions ultrapériphériques tant en matière de soutien aux secteurs de la pêche et de l’aquaculture que pour les actions engagées au titre de la politique maritime intégrée – acquisition de connaissances, innovation…

Les fonds alloués aux outre-mer sont ainsi en très nette augmentation par rapport à la période 2007-2013.

Le projet de règlement FEAMP, qui fixe le cadre réglementaire de la politique commune de la pêche pour la période de programmation 2014-2020, est aussi porteur d’avancées majeures pour les outre-mer.

Je les cite rapidement : l’introduction de l’article 349 du TFUE dans les visas du règlement, la mise en œuvre d’un régime de compensation des surcoûts doté d’enveloppes importantes, soit 12, 35 millions d'euros par an pour les cinq RUP, l’augmentation du taux de cofinancement, passant de 75 % dans le cadre du FEP à 85 % dans le cadre du FEAMP, la possibilité d’adosser des aides d’État en faveur du secteur de la pêche et de l’aquaculture dans les RUP, la mise en place de fonds de mutualisation en cas de phénomènes climatiques ou environnementaux, le financement des dispositifs de concentration de poissons ancrés.

Les moyens pour les outre-mer sont en hausse sensible. Comme je l’ai dit, 86 millions d'euros sur sept ans serviront à compenser les surcoûts de production et de commercialisation. Par ailleurs, une fraction de l’enveloppe attribuée à la France pour le financement de la pêche, soit 588 millions d'euros sur sept ans, permettra de développer une politique ambitieuse au soutien du développement du secteur, du contrôle des pêches, de la politique maritime intégrée

Les PTOM n’ont pas été oubliés puisque le fonds européen de développement, le FED, qui peut contribuer à financer des actions en faveur de la filière pêche, est également en hausse sensible.

Sur le sujet spécifique de la pêche à Wallis-et-Futuna, dont M. Laufoaulu a parlé, les autorités françaises envisagent avec les autorités américaines un accord de pêche. Les négociations sont en cours. L’idée qui sous-tend cette démarche est à la fois de permettre une meilleure connaissance des possibilités offertes par la zone de pêche, à ce jour mal connues, comme vous l’avez rappelé, tout en s’assurant des retombées financières pour le territoire.

Je souhaite conclure mon propos en évoquant, comme l’a également fait Mme Éliane Assassi, le contexte international.

La France est bien entendu partie prenante aux instances internationales dont il est question directement ou indirectement dans le rapport d’information de la délégation sénatoriale à l’outre-mer : le processus des Nations unies sur la négociation de la résolution annuelle sur le droit de la mer, le processus consultatif sur l’évaluation des océans, la réunion des États parties à la Convention de Montego Bay, la préparation d’une décision de la 69e assemblée générale des Nations unies en vue de la négociation d’un accord d’application de la convention de Montego Bay sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité en haute mer, et l’Autorité internationale des fonds marins.

Par sa présence active dans ces instances de concertation et de suivi, la France continuera à porter la voix d’une politique maritime intégrée, source de croissance durable pour les populations, dans le respect de cet environnement maritime exceptionnel et encore trop peu connu à l’heure actuelle.

Je vous remercie de votre attention et d’avoir, par l’organisation de ce débat, mis en valeur cette richesse que constituent pour notre pays les zones économiques exclusives ultramarines. §

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur les zones économiques exclusives ultramarines.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 8 de la loi n° 2010–237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, l’avenant n° 2 à la convention du 27 juillet 2010 entre l’État et l’Agence nationale de la recherche relative au programme d’investissements d’avenir, action « valorisation des instituts Carnot » et une note sur les redéploiements effectués dans le cadre de l’avenant à la convention « instituts Carnot ».

Acte est donné du dépôt de ces documents.

Ils ont été transmis à la commission des finances ainsi qu’à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.

Mes chers collègues, avant de passer au point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à dix-huit heures.

La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-huit heures cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et apparentés, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la procédure applicable devant le conseil de prud’hommes dans le cadre d’une prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié (proposition n° 410, texte de la commission n° 599, rapport n° 598).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat se penche aujourd’hui sur la proposition de loi déposée par Thierry Braillard, alors parlementaire, et relative à la procédure applicable devant le conseil de prud’hommes dans le cadre d’une prise d’acte.

Je tiens à vous présenter les excuses du ministre du travail, retenu par un sommet européen, et qui ne peut être présent cet après-midi pour faire valoir la position du Gouvernement sur cette proposition de loi.

En son nom et au nom du Gouvernement tout entier, je veux d’emblée apporter mon soutien à ce texte du groupe radical, et dire pourquoi.

D’abord, parce que cette proposition de loi comble un manque juridique certain.

La prise d’acte consiste, pour le salarié, à prendre l’initiative de la rupture du contrat de travail, tout en en imputant la responsabilité à l’employeur. Après avoir pris acte de la rupture, le salarié doit saisir le conseil de prud’hommes, qui appréciera le bien-fondé des griefs invoqués à l’encontre de son employeur.

La prise d’acte est une situation heureusement rare, mais puisqu’elle existe, elle ne peut être ignorée.

Je veux cependant redire ici que, majoritairement, la relation de travail se passe dans de bonnes conditions. Nous ne devons jamais avoir une approche trop négative du travail et des relations de travail, même si nous traitons des situations abusives – et c’est bien notre rôle.

Oui, les conflits sont là. Oui, les risques existent. Ils doivent trouver des réponses. Toutefois, il ne remonte pas du monde économique et social que de la violence et des abus ; il en ressort aussi tant de belles histoires, des histoires d’hommes et de femmes, de travail bien fait, reconnu, qui porte des droits et rend fier de soi. Partout, c’est cette approche du travail que nous devons porter !

Mais il est en effet parfois des circonstances qui rendent impossible la poursuite de la relation de travail.

Dans certains cas, cette rupture est bien « balisée ». La cessation de la relation de travail par l’employeur a une forme juridique : le licenciement, forme que l’on ne connaît malheureusement que trop bien. Pour le salarié, l’interruption du contrat peut prendre la forme de la démission. C’est un choix, un choix de vie, le choix d’un autre emploi, d’un autre projet. Là encore, le droit encadre la forme et la procédure applicables.

Mais il est un cas particulier qui ne relève, au moment où il se matérialise, ni de l’un ni de l’autre, ni du licenciement ni de la démission : c’est la prise d’acte de la rupture du contrat de travail. La jurisprudence montre des exemples bien souvent douloureux : salarié laissé sans travail, « mis au placard » comme l’on dit ; conflits ouverts pouvant aller jusqu’aux violences ou aux insultes...

La prise d’acte est ainsi une situation extrême. Une solution doit être trouvée pour que le salarié comme l’employeur connaissent leurs droits et obligations. Tel est l’objet de cette proposition de loi et tel est le sens du recours au juge prud’homal. Je souhaite, au passage, redire l’attachement du Gouvernement à la justice prud’homale.

La proposition de loi que nous examinons pose un principe simple : lorsque le conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de qualification de la rupture du contrat de travail, sur l’initiative du salarié et en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur, l’affaire se trouve directement portée devant le bureau de jugement, qui statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine.

De fait, passer par l’étape de la conciliation, comme c’est le principe général devant les prud’hommes, n’a pas de sens. Les situations de prise d’acte n’appellent pas, ou plutôt n’appellent plus, de conciliation, elles appellent un jugement, la capacité de dire droit, de régler définitivement l’affaire et de permettre à chacun de tourner la page.

Et il faut aller vite. Car derrière la rupture du contrat de travail se pose la question de l’indemnisation du salarié par l’assurance chômage. Cette indemnisation est possible si la rupture du contrat de travail est assimilée à un licenciement ; elle est impossible si le juge requalifie la prise d’acte en démission. C’est pourquoi le délai d’un mois est pertinent ; c’est le même que pour la requalification de CDD en un CDI.

En posant cette règle simple de procédure, cette proposition de loi fait progresser les droits des salariés concernés, tout en donnant des garanties en termes de sécurité juridique aux différents acteurs. Elle offre ainsi à tous de la lisibilité et un cadre clair.

C’est une œuvre utile d’approfondissement de notre état de droit. Et ce n’est pas jouer les salariés contre les employeurs. Tous ont besoin de cette clarté. C’est une position de bon sens, une position qui peut faire consensus. C’est une position réaliste, ancrée dans la réalité, dans des situations concrètes et vécues.

J’y reconnais la sensibilité des parlementaires du groupe radical, leur lien avec le monde économique et social et leur effort reconnu pour dégager des positions équilibrées. Le courant radical a fait beaucoup pour le droit du travail depuis sa création. C’est dans le fil de cette histoire que s’inscrit cette proposition de loi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement donne un avis favorable à ce texte et soutient également l’option que vous avez retenue : voter un texte conforme à celui qui a été adopté par l’Assemblée nationale. Là encore, choisissez la méthode que promeut la proposition de loi : la clarté, la simplicité et la rapidité. §

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Barbier

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, contrairement à ce que son intitulé pourrait laisser penser, la proposition de loi dont nos collègues députés sont à l’origine n’est pas destinée aux praticiens les plus chevronnés du droit du travail.

Déposée à l’Assemblée nationale par le député Thierry Braillard et les membres du groupe RRDP – Radical, républicain, démocrate et progressiste – en juin 2013, cette proposition de loi y a été adoptée le 27 février dernier.

Elle concerne potentiellement tous les salariés et employeurs puisqu’elle vise à accélérer le traitement, par les conseils de prud’hommes, d’un contentieux très spécifique : celui de la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par le salarié.

Ce texte nous incite à faire un bref rappel des différents modes de rupture du contrat de travail. Historiquement, ils étaient de deux ordres : soit à l’initiative du salarié, avec la démission, soit à l’initiative de l’employeur, avec le licenciement. Depuis 2008, cette rupture peut se faire également d’un commun accord des parties, en convenant d’une rupture conventionnelle, qui doit être homologuée par l’autorité administrative.

Par ailleurs, en dehors du cadre fixé par le code du travail, le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun des contrats, qui figurent dans le code civil. Il s’agit d’un contrat synallagmatique, c'est-à-dire qu’il contient des obligations réciproques entre le salarié – la réalisation d’un travail – et son employeur – la rémunération. En application de l’article 1184 de ce code, sa résiliation peut donc également être demandée par le salarié au juge compétent, en l’occurrence le conseil de prud’hommes, chargé de régler les différends qui surviennent lors de l’exécution d’un contrat de travail.

À côté de ces types de rupture du contrat de travail, la Cour de cassation a progressivement bâti les contours d’un mode autonome de rupture supplémentaire sur l’initiative du salarié : la prise d’acte. Par des arrêts fondateurs du 25 juin 2003, elle a établi que, lorsqu’il reproche à son employeur des faits commis par celui-ci, le salarié peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail, c’est-à-dire mettre un terme définitif et immédiat à leur relation contractuelle.

Il appartient alors au juge prud’homal de qualifier les effets de cette rupture. Si les faits invoqués la justifient, elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, c’est-à-dire que l’employeur est redevable de l’indemnité compensatrice de préavis, de l’indemnité de licenciement, de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse – soit au minimum les salaires des six derniers mois – et, le cas échéant, de dommages et intérêts supplémentaires en cas de préjudice distinct. Si tel n’est pas le cas, la prise d’acte équivaut à une démission et l’ancien salarié peut être amené à verser l’indemnité compensatrice du préavis non effectué à son employeur.

La prise d’acte est donc la possibilité reconnue à tout salarié qui se trouve confronté à un employeur dont les actions sont de nature à faire obstacle à la poursuite du contrat de travail d’y mettre un terme. Construction prétorienne, elle s’est éloignée du « droit à l’autolicenciement » dont elle avait été qualifiée à ses origines pour devenir l’ultime recours en cas de manquement suffisamment grave auquel, du fait du lien de subordination qui unit le salarié à son employeur, le salarié ne pourrait pas se soustraire autrement.

C’est pour cette raison qu’aucune rétractation n’est possible ; de même, la réintégration ne peut être envisagée. Seul un salarié peut prendre acte de la rupture du contrat de travail ; l’employeur, lui, doit obligatoirement respecter la procédure de licenciement.

Bien que ce ne soit pas l’objet de la proposition de loi, il me semble important de préciser brièvement dans quelles circonstances la jurisprudence a établi qu’un salarié avait pu, à bon droit, prendre acte de la rupture de son contrat de travail : il en va ainsi d’une modification significative du contrat de travail imposée au salarié, du non-respect des clauses du contrat – non-paiement de la rémunération de base ou des primes – ou encore du manquement à l’obligation de sécurité de résultat à laquelle tout employeur est tenu envers ses salariés.

La prise d’acte de rupture du contrat de travail n’est pas une procédure sans risques pour le salarié. Cessant son activité du jour au lendemain, celui-ci ne peut prétendre à bénéficier de l’assurance chômage que s’il se trouve dans un cas de démission considéré comme légitime par Pôle emploi, c’est-à-dire en cas de non-paiement du salaire ou à la suite d’un acte susceptible d’être qualifié de délictueux, à condition qu’une plainte ait été déposée. Dans le cas contraire, c’est seulement si le juge estime, au terme de la procédure contentieuse, que la prise d’acte était fondée que la personne pourra bénéficier de l’indemnisation de sa période de chômage.

Par ailleurs, la charge de la preuve repose sur le salarié : c’est à lui de démontrer que les agissements de son employeur sont d’une telle gravité que l’exécution du contrat de travail est devenue impossible. En principe, le doute ne lui profite pas. Par trois arrêts rendus le 26 mars dernier, la Cour de cassation a renforcé son contrôle sur les motifs invoqués par le salarié à l’appui de sa prise d’acte, en écartant les motifs anciens n’ayant pas conduit à l’interruption immédiate du contrat de travail. Il ne semble donc plus possible de faire valoir des faits trop éloignés dans le temps, remontant à plusieurs mois, voire à plusieurs années. De même, le bien-fondé de la prise d’acte en cas de manquement à l’obligation de sécurité de résultat a perdu son caractère automatique.

Deux arrêts rendus le 12 juin 2014, soit jeudi dernier, dont je ne pouvais par conséquent avoir connaissance lors de la présentation de mon rapport devant la commission, sont venus accentuer cette évolution de la jurisprudence. Dorénavant, la prise d’acte ne pourra plus être justifiée par la seule modification unilatérale du contrat de travail par l’employeur. Le juge du fond devra donc s’attacher à évaluer les effets de cette modification sur la poursuite du contrat afin de déterminer si la prise d’acte était justifiée, y compris lorsqu’il est question de la rémunération du salarié.

La prise d’acte de rupture du contrat de travail existe donc bien dans notre droit. À cet égard, la présente proposition de loi ne crée pas de nouveau droit. Mais, comme vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État, les salariés contraints de recourir à cette procédure doivent attendre que le conseil de prud’hommes statue sur ses effets, voire que les voies de recours – devant la cour d’appel, puis éventuellement la Cour de cassation – soient épuisées. Or chacun d’entre nous connaît la longueur des procédures prud’homales : si, en moyenne, un jugement est rendu en 13, 7 mois, il est rendu en plus de 25 mois lorsque le départage est nécessaire. Comme 58 % des décisions font l’objet d’un appel, la procédure peut être prolongée d’un an, voire de deux ans devant la cour d’appel de Paris.

Dans ce contexte, la proposition de loi vise à accélérer le traitement de ce contentieux devant le conseil de prud’hommes en transposant à la prise d’acte une procédure qui existe déjà pour la requalification d’un CDD en CDI et qui sera probablement très prochainement applicable aux demandes de requalification d’une convention de stage en contrat de travail. Son article unique prévoit qu’en cas de prise d’acte le bureau de jugement du conseil de prud’hommes devra statuer dans un délai d’un mois.

J’ai été interrogé, en commission, sur l’importance du contentieux concerné. S’il n’existe pas de suivi statistique aussi fin de l’activité des conseils de prud’hommes, il est possible d’extrapoler à partir des arrêts des cours d’appel pour obtenir un ordre de grandeur. D’après le ministère de la justice, 2 465 d’entre eux faisaient référence en 2013 à la prise d’acte. Comme environ 60 % des arrêts des prud’hommes sont frappés d’appel, on peut estimer que quelque 4 000 recours prud’homaux ont été déposés l’an dernier au titre de la prise d’acte. Cela représente à peine 2 % du contentieux prud’homal, ou moins de vingt affaires en moyenne pour chacun des 210 conseils de prud’hommes que compte notre pays. Quant à la chambre sociale de la Cour de cassation, elle a rendu, l’an dernier, 169 arrêts dans lesquels il est question d’une prise d’acte, ce qui correspond à environ 5 % de son activité totale.

Pour accélérer le traitement de ces affaires, la proposition de loi supprime l’étape de la conciliation dans la procédure prud’homale pour en saisir directement le bureau de jugement. Ce choix est aisément compréhensible puisque la prise d’acte traduit un désaccord irréconciliable entre le salarié et son employeur et, très souvent, un comportement en contradiction avec les principes fondamentaux de toute relation de travail. Qui plus est, avec un taux de succès qui a chuté en dessous de 10 %, la conciliation générale est devenue purement formelle dans la grande majorité des cas. Elle sert même parfois d’outil d’obstruction pour retarder l’instance.

Il est donc dans l’intérêt du salarié, mais aussi de l’employeur de prévoir la résolution de ce différend grave dans les meilleurs délais. L’employeur est soumis à de fortes incertitudes, notamment financières, tant qu’un jugement n’a pas été rendu. Il peut être amené à provisionner des sommes importantes pendant plusieurs années consécutives et être confronté, au fil des différentes étapes de l’instance, à des décisions contradictoires qui peuvent fragiliser son entreprise.

J’ai souhaité interroger les partenaires sociaux sur ce texte, car la justice prud’homale repose sur le paritarisme. Les organisations représentatives des salariés y ont apporté leur soutien, tout en déplorant le manque de moyens alloués aux juridictions prud’homales. Les organisations représentatives des employeurs m’ont fait part de leur opposition, en raison de la suppression de la phase de conciliation et de leur hostilité au principe même de la prise d’acte. Cependant, force est de constater que celle-ci existe dans notre droit : nous ne pouvons pas en faire abstraction. Au contraire, en tant que législateur, il est de notre devoir de faire en sorte que ses spécificités soient prises en compte de manière appropriée.

Il n’est pas ici question de débattre de l’organisation des conseils de prud’hommes ou des moyens dont ils disposent : le moment viendra peut-être lorsque nous examinerons la réforme du mode de désignation des conseillers prud’homaux. La présente proposition de loi ne vise pas à apporter une réponse à ces questions, qui doit s’inscrire dans le cadre d’une réflexion plus générale. Elle apporte un aménagement procédural spécifique, qui me semble bienvenu dans les cas où, malheureusement, le comportement imputé à l’employeur par le salarié ne permet pas à ce dernier de continuer à exécuter son contrat de travail dans de bonnes conditions.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à suivre la commission des affaires sociales et à adopter ce texte sans modification.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste . – Mmes Isabelle Pasquet, Corinne Bouchoux et Muguette Dini ainsi que M. Roland du Luart applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Bouchoux

Mme Corinne Bouchoux . Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, c’est mon éminent collègue Jean Desessard, expert de ces questions, qui aurait dû intervenir pour le groupe écologiste. En déplacement à l’étranger, il m’a proposé de le remplacer… sauf qu’on ne remplace pas Jean Desessard !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Bouchoux

Je vais néanmoins tâcher, pendant les quelques minutes qui me sont imparties, de vous faire connaître la position qui est la nôtre aujourd'hui.

Comme l’a dit le rapporteur, si l’on regarde les statistiques, la prise d’acte peut, à certains égards, ne concerner que 5 % des personnes engagées devant la justice prud’homale. On peut s’imaginer que c’est peu, mais, en réalité, beaucoup de salariés sont concernés par cette question. C’est la première raison pour laquelle nous avons abordé ce texte avec intérêt et, même, avec beaucoup de bienveillance.

Par ailleurs, derrière la procédure qui fait l’objet du texte, il y a le plus souvent des histoires extrêmement dramatiques de personnes au bord du burn out, voire du suicide, pour lesquelles la prise d’acte représente un ultime recours, presque un sauvetage, en leur permettant de s’extraire d’un milieu professionnel particulièrement pathogène. Par conséquent, quand bien même elles ne seraient que très peu nombreuses, les personnes concernées par ce texte méritent toute notre attention.

Vous le savez comme moi, les relations du travail sont devenues beaucoup plus « stressogènes » et pathogènes qu’auparavant. On a inventé des mots, des concepts, des PowerPoint… En l’occurrence, la solution envisagée dans la proposition de loi s’apparente à un coupe-file : on va mettre en place un dispositif qui distinguera celles des urgences qui sont les plus dramatiques et permettra aux personnes concernées de passer devant les autres.

Dans l’ensemble des salariés confrontés à des difficultés professionnelles extrêmes, si certains sont, et c’est heureux, défendus par des syndicats, d’autres connaissent une situation de plus grande fragilité. À cet égard, le dispositif de la proposition de loi tendra à mettre en concurrence des cas différents pour favoriser les personnes méritant le plus notre attention. Ce procédé nous a interpellés.

Cela étant dit, ce texte est juridiquement satisfaisant : il est court, ramassé, clair. Il ne porte préjudice à personne. Au contraire, il permettra de résoudre des situations extrêmes.

Néanmoins, j’aurais aimé, monsieur Barbier, que votre rapport me délivre des informations « genrées ». En effet, je souhaiterais vivement savoir si, statistiquement, les personnes concernées par la prise d’acte appartiennent davantage à un sexe qu’à l’autre. Sur ce point, je suis tentée de formuler des hypothèses – encore que je puisse me tromper. En tout état de cause, il me semble extrêmement important de savoir de quoi il retourne. Dès lors, je suis demandeuse d’observations statistiques nous permettant de connaître un peu plus finement les populations concernées.

Enfin, vous savez comme moi que les prud’hommes sont actuellement extrêmement embouteillés. Nous sommes nous aussi très attachés au système paritaire, à sa logique et à l’amélioration de ses conditions de fonctionnement. À cet égard, nous pensons que le dispositif de la proposition de loi, s’il constitue un mieux pour les personnes concernées, ne réglera en rien la question de l’engorgement en général des prud’hommes ni leurs conditions matérielles de fonctionnement.

À ce sujet, je voudrais vous faire part d’une anecdote extrêmement symptomatique. À Paris, les prud’hommes manquent tellement de moyens que la lettre par laquelle on informe les salariés du renvoi de leur situation devant le juge départiteur précise qu’on ne peut leur indiquer quand leur affaire sera jugée, en raison de délais d’attente trop longs. Ce type de formulation, à l’égard de personnes en souffrance et impatientes de voir leur cas jugé, me semble pour le moins maladroit. Si la justice prud’homale est encombrée, il serait important de pouvoir donner aux justiciables un délai approximatif, ce que nous devrions être en mesure de faire puisque nous disposons de moyennes.

Compte tenu de ce que nous avons pu observer du fonctionnement des prud’hommes, en tout cas en région parisienne, et de l’embouteillage dont ils souffrent, nous soutiendrons le texte, même si nous considérons qu’une petite amélioration pour une petite catégorie de personnel ne résout en rien le problème de fond.

À cet égard, ce texte confirme la pente du marché du travail qui se dessine depuis quelques années : à défaut d’apporter une solution pérenne au chômage de masse et aux dysfonctionnements des relations au quotidien, au lieu d’une réforme structurelle profonde, qui permettrait d’avancer, nous sommes obligés de mettre des cautères sur des jambes de bois. En l’occurrence, nous aidons une catégorie de personnes sans aider les prud’hommes en tant que tels, alors que ces derniers auraient cruellement besoin de moyens pour améliorer leur fonctionnement. Dans le droit du travail comme ailleurs, une justice trop lente est injuste.

Je le répète, nous soutiendrons la proposition de loi de nos collègues, même si, hier soir, sur un autre texte, relatif à un tout autre domaine, nous aurions aimé bénéficier d’une telle compréhension et d’un tel soutien… §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons vise à modifier le traitement judiciaire de la prise d’acte de rupture du contrat de travail, procédure fixée par la Cour de cassation dans plusieurs arrêts de juin 2003 et dont la définition n’a pas varié depuis.

Cette procédure permet au salarié de cesser son travail à tout moment, sans effectuer de préavis, comme dans le cadre d’une procédure de démission, en raison de manquements graves de l’employeur, qu’il fera reconnaître comme tels ultérieurement devant le juge.

La jurisprudence a distingué différents types de comportements de l’employeur pouvant donner lieu à une prise d’acte de rupture par le salarié : harcèlement ou mesures discriminatoires, atteinte à la dignité du salarié, manquements aux obligations de sécurité, non-paiement du salaire ou encore modification de la rémunération, autant d’actes d’une gravité telle qu’ils font effectivement obstacle à la poursuite du contrat de travail.

Si les griefs invoqués à l’encontre de l’employeur sont considérés comme fondés, la prise d’acte sera qualifiée de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Si, au contraire, le conseil de prud’hommes estime les griefs infondés, la prise d’acte produira les effets d’une démission.

Au fond, quel est l’enjeu ?

L’enjeu est le versement de multiples indemnités par l’employeur s’il est donné droit au salarié, et par le salarié s’il est donné droit à l’employeur. Or, comme l’a souligné M. le rapporteur, il faut tenir compte des délais d’attente de la décision du juge. En effet, à partir de la date de rupture de la relation contractuelle, le salarié ne perçoit plus son salaire et peut donc se retrouver dans une véritable situation de précarité financière.

Or, dans ce cas, le salarié, parce qu’il a pris l’initiative de la rupture, ne peut prétendre à des indemnités et n’est pas éligible à l’allocation d’aide au retour à l’emploi. Notre législation du droit du travail considère, en effet, que le salarié a perdu volontairement son emploi tant que la justice ne s’est pas prononcée.

La proposition de loi pointe ce problème, car la procédure de prise d’acte de rupture entraîne parfois de longs délais. Ainsi, la moyenne de traitement d’un dossier devant la juridiction prud’homale est actuellement de dix mois ; elle atteint parfois seize mois dans la région parisienne, voire plus dans certaines villes, ainsi que vient de le souligner notre collègue Corinne Bouchoux.

L’objet de cette proposition de loi est donc de limiter au maximum ces délais, afin que le litige soit rapidement réglé et que les salariés connaissent une situation financière difficile la plus courte possible.

Pour ce faire, le texte prévoit la suppression de la phase de conciliation lors du déroulement de la procédure et un délai légal court, à savoir un mois, pour le traitement de ces litiges.

L’intention des auteurs de cette proposition de loi est bien évidemment louable, car il n’est pas acceptable qu’un salarié, dans l’attente d’une décision judiciaire, puisse se retrouver sans aucune ressource durant plusieurs mois. Cependant, la solution proposée appelle, de notre part, plusieurs réflexions.

Tout d’abord, regrettons que la pertinence de la phase de conciliation soit remise en question de façon aussi radicale.

Certes, la conciliation n’a pas pour objet d’aboutir au règlement du litige puisque, dans le cas de la procédure considérée, quelle que soit son issue, l’affaire sera nécessairement portée devant le bureau de jugement. Cependant, cette phase représente, à mon sens, une étape importante dans le processus judiciaire : elle permet, d’une part, l’information des parties, le dialogue et la recherche d’une sortie de crise et, d’autre part, la constitution du dossier, en vue de l’étape du jugement.

N’oublions pas que les actes de l’employeur sont gravement mis en cause et que le traitement de l’affaire en un mois ne permettra pas nécessairement un examen approfondi, d’autant que l’on connaît la charge de travail des conseillers prud’homaux, confrontés à près de 200 000 demandes chaque année !

On peut également craindre qu’une procédure permettant une issue aussi rapide ne déclenche une multiplication ou, à tout le moins, un accroissement du nombre des actions en justice sur ce fondement, afin d’échapper aux délais plus importants de la procédure ordinaire. Ce serait en quelque sorte une forme de « détournement » par rapport à l’objectif de cette proposition de loi.

Plutôt que de chercher une solution dérogatoire, ne vaudrait-il mieux pas examiner la question de l’encombrement des conseils prud’homaux ?

Faut-il le rappeler, un rapport de Mmes Guillonneau et Serverin soulignait la nécessité de modifier en profondeur l’organisation et le fonctionnement des conseils de prud’hommes, afin que la justice soit rendue plus rapidement.

Les juridictions prud’homales souffrant déjà d’un engorgement préjudiciable aux requérants, est-il tenable et, pour tout dire, réaliste de prévoir un délai aussi resserré - un mois ! - pour statuer ? Je ne le crois pas.

Notre rapporteur a procédé à diverses consultations, notamment de différents conseils prud’homaux, qui lui permettent d’estimer que, concernant cette procédure de prise d’acte, le nombre de recours annuels devant les prud’hommes s’élève aujourd'hui à 4 000 environ. À cet égard, il serait intéressant de connaître votre estimation sur le sujet, madame la secrétaire d'État.

L’interprétation de ces chiffres est sujette à débat : ils semblent rassurer certains d’entre nous, alors que je ne les trouve pas, pour ma part, mineurs. En revanche, il est sûr que le dispositif proposé sera source de grandes difficultés pour les juges, qui devront désormais se prononcer sur ces dossiers dans le mois de leur saisine.

Si le service public de la justice ne dispose pas ou ne dispose plus des capacités d’absorption suffisantes pour répondre aux exigences d’une société qui engage davantage de procédures, redéfinir le déroulement des procédures en réduisant leur durée ne rendra que plus incohérente, je le crains, ou, du moins, plus difficile, la manière dont la justice est rendue.

En outre, d’une certaine manière, le texte créerait une forme d’inégalité d’accès au droit en fonction de la nature de l’acte ayant conduit à la rupture du contrat de travail.

Plutôt que de créer un nouveau délai accéléré, il conviendrait peut-être de repenser la manière dont la justice est rendue en France et de prendre des mesures que je qualifierais, même par ces temps difficiles, d’« ambitieuses », afin de réduire véritablement et, espérons-le, définitivement les délais de traitement des recours.

Notre groupe estime que ce serait plus respectueux des droits de la défense ainsi que des conditions de travail des conseillers prud’homaux.

Il n’en demeure pas moins vrai que l’on doit trouver une solution satisfaisante pour régler les situations visées dans cette proposition de loi. Et, parce que la solution proposée par notre collègue Gilbert Barbier ne présente pas toutes les garanties durables et suffisantes pour remédier au mal, le groupe UMP s’abstiendra. Comprenez, chers collègues, qu’il s’agit d’une abstention positive !

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Muguette Dini

Mes chers collègues, chacun d’entre vous ayant évoqué les trois modes de rupture d’un contrat de travail prévus par le code du travail, je n’y reviendrai pas. S’y ajoute un mode de rupture alternatif, la prise d’acte de la rupture du contrat de travail, dont la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui cherche à améliorer la procédure – le texte ne vient en aucun cas ajouter une procédure supplémentaire à celles qui existent.

Rappelons que la prise d’acte de rupture est une construction jurisprudentielle bien établie, qui vient répondre à une situation particulière lorsque la présence sur le lieu de travail devient, pour le salarié, véritablement insoutenable.

En ce sens, la prise d’acte de rupture ne pourra en aucun cas être envisagée comme un autolicenciement.

La Cour de cassation a ainsi caractérisé un certain nombre de situations, susceptibles de justifier des prises d’acte de rupture, telles que les faits de harcèlement, les mesures discriminatoires, l’atteinte à la dignité du salarié, le manquement de l’employeur à son obligation de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, ainsi que le non-paiement des salaires.

Le salarié devant réunir lui-même les preuves de l’existence de faits réels et suffisamment graves à l’encontre de son employeur, on peut imaginer qu’il ne s’engagera dans une telle procédure que lorsque aucune autre solution n’aura été trouvée.

Il existera évidemment toujours des abus, comme dans tous les domaines. Ce texte ne me semble toutefois pas en comporter le risque, au vu des spécificités et de la rareté, malgré tout, de la procédure. Il me semble important, dans le cadre de ce texte, de ne diaboliser ni le salarié ni l’employeur.

On nous fait remarquer que la modification de la procédure prud’homale ici prévue risque d’entraîner un allongement des délais pour les autres dossiers déposés devant les juridictions prud’homales et d’introduire ainsi une inégalité de traitement.

Il me semble toutefois que cette proposition de loi vient répondre à une situation critique pour les salariés et se justifie par la situation précaire dans laquelle le salarié peut se trouver, sans salaire ni allocation chômage.

Rappelons que cette situation est propre à ce mode de rupture du contrat de travail. Cette spécificité me semble justifier une procédure adaptée, afin de pallier la précarité actuellement induite par ce mode de rupture du contrat de travail.

Il me semble également important de rappeler que, depuis l’introduction du mode de rupture conventionnelle, la prise d’acte de rupture n’intervient que dans des cas extrêmement limités et encadrés.

Par conséquent, on peut estimer que le raccourcissement des délais dans le cadre de cette procédure ne modifierait que légèrement le paysage des procédures prud’homales.

Le texte qui nous est présenté prévoit également la suppression de la phase de conciliation.

Cette proposition se justifie à plusieurs égards.

Tout d’abord, dans le cadre de la prise d’acte de rupture, seul le bureau de jugement prud’homal peut se prononcer sur l’imputabilité de la rupture. Quelle que soit l’issue de la conciliation, celle-ci ne saurait avoir pour effet que le salarié se rétracte, puisque cette possibilité n’est pas admise par la jurisprudence. Par conséquent, la phase de conciliation apparaît ici inutile.

Ensuite, la suppression de la phase de conciliation viendra pallier l’engorgement du bureau des conciliations, en ôtant à ce dernier une partie des affaires qu’il est aujourd’hui dans l’obligation de traiter.

Enfin, je souhaite préciser que, à l’instar de mes collègues, j’estime qu’une réforme générale des tribunaux prud’homaux est nécessaire. Toutefois, ce constat ne saurait nous empêcher de proposer des améliorations ponctuelles. En effet, j’ai pu constater, au cours de mon mandat, qu’il valait mieux parfois avancer par petites touches efficaces plutôt que de rester dans l’inaction, dans l’attente d’une réforme générale, dont on ne sait pas si et quand elle aboutira.

Je conclurai mon intervention en remerciant notre rapporteur pour l’excellence de son travail et en l’assurant du soutien du groupe UDI-UC.

Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Pasquet

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, cette proposition de loi, bien que se résumant à un article unique et n’abordant qu’un aspect juridictionnel, apporte aux salariés qui décideraient de prendre acte de leur rupture du contrat de travail une sécurité juridique et financière indispensable à leur démarche.

D’une manière générale, le grand public connaît trois modes de rupture du contrat de travail : deux d’entre elles sont historiques, la démission et le licenciement, tandis que le troisième, à savoir la rupture conventionnelle, est plus récent.

Pourtant, il existe une autre façon de mettre fin au contrat de travail, antérieure à la rupture conventionnelle, que les juristes ont d’ailleurs qualifiée de « rupture du troisième type ». Toutefois, cette procédure est d’abord et avant tout une construction jurisprudentielle, puisque la première référence à ce mode de rupture du contrat de travail remonte à une décision de la Cour de cassation du 25 septembre 2002.

Concrètement, la prise d’acte de rupture du contrat de travail marque la fin du lien contractuel à l’initiative du salarié en raison de faits que ce dernier reproche à son employeur.

En fait, le salarié tire les conséquences du non-respect des obligations contractuelles de l’employeur pour mettre fin au contrat qui les lie. Pour faire reconnaître la légitimité de cette prise d’acte de rupture, le salarié doit saisir le conseil des prud’hommes, instance qui – ce n’est un secret pour personne ! – connaît des délais de traitement particulièrement longs, ce qui est la conséquence de l’augmentation du nombre des saisines et de l’insuffisance en moyens et en personnels que connaissent les juridictions sociales.

En effet, le fait que ce soit le salarié qui mette un terme au contrat de travail induit une « présomption de démission » qui, jusqu’à l’issue de la procédure, le prive de toute possibilité d’indemnisation. Si le juge reconnaît qu’il s’agit d’une prise d’acte de la rupture du contrat de travail, celle-ci produit alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans le cas contraire, elle produit les effets d’une démission.

On le comprend aisément, les délais peuvent être très longs entre le moment où le salarié enclenche la procédure de la prise d’acte de rupture et celui où le conseil de prud’hommes « valide », en quelque sorte, cette dernière. Durant ce laps de temps, le salarié s’expose donc à une période d’insécurité financière, qui peut constituer un frein à ses démarches.

Afin de remédier à ces difficultés, cette proposition de loi prévoit, à juste titre, de s’inspirer de ce qui existe déjà pour les demandes de requalification des CDD en CDI, à savoir le renvoi de la demande de qualification de la prise d’acte directement devant le bureau de jugement, qui statue au fond dans le délai d’un mois suivant la saisine, ce qui, mécaniquement, accélère la procédure.

Le groupe CRC votera cette proposition de loi, même si nous doutons, compte tenu de l’engorgement actuel des juridictions sociales, que les conseils de prud’hommes puissent réellement statuer dans un délai d’un mois, notamment en région parisienne et dans les grandes agglomérations.

Les conseils de prud’hommes ont plus que jamais besoin de voir leurs moyens renforcés et d’être mieux dotés en greffiers, notamment.

Qui plus est, madame la secrétaire d’État, notre inquiétude n’a jamais été aussi vive au sujet du sort que vous entendez réserver aux conseillers prud’homaux élus, auxquels vous envisagez de substituer des conseillers nommés. Notre groupe, par la voix de sa présidente, Éliane Assassi, a déjà eu l’occasion d’interpeller le ministre du travail à ce sujet ; le courrier que nous lui avons adressé le 2 avril dernier est resté sans réponse à ce jour.

Le projet du Gouvernement de supprimer à terme les élections prud’homales est à la fois injuste, inefficace pour asseoir la légitimité des représentants des salariés et juridiquement incertain.

Les salariés de notre pays sont attachés à l’institution prud’homale et aux élections qui lui correspondent ; celles-ci, malgré le faible taux de participation, ancrent la démocratie sociale dans notre pays et c’est une démarche qu’il convient de renforcer.

Cette institution, madame la secrétaire d’État, vous comprendrez qu’il nous paraisse nécessaire, non pas de l’affaiblir, mais au contraire de lui donner une pertinence encore plus grande, comme le permet la présente proposition de loi. Il faut ainsi actionner, en lien avec le Conseil supérieur de la prud’homie, tous les leviers propres à favoriser la participation des salariés aux élections prud’homales !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE . – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacky Le Menn

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je me dispenserai d’utiliser les quinze minutes de temps de parole qui m’ont été attribuées, dans la mesure où l’excellent rapport de M. Barbier fait le tour de la question dont nous sommes saisis. J’irai donc à l’essentiel, d’autant plus que les interrogations de certains de nos collègues ont déjà été soulevées devant la commission des affaires sociales.

Chacun a compris que la prise d’acte de rupture du contrat de travail se définit par rapport à une situation de fait : le salarié, considérant que le comportement de son employeur rend impossible la poursuite de la relation de travail, prend acte de la rupture du contrat et quitte l’entreprise en imputant la responsabilité de la rupture à l’employeur. La prise d’acte est d’effet immédiat : elle entraîne la cessation immédiate du contrat de travail, de sorte qu’aucun salaire n’est plus dû par l’employeur ; le salarié voit donc sa situation se détériorer.

Concrètement, le salarié annonce à l’employeur qu’il quitte l’entreprise, sans être tenu de justifier son départ. Il appartient ensuite aux prud’hommes de qualifier la prise d’acte, en recherchant la réalité des motifs exposés par le salarié ; la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation est constante à cet égard. Si les griefs invoqués contre l’employeur sont considérés comme fondés, la prise d’acte équivaudra à un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; dans le cas contraire, elle équivaudra à une démission, avec toutes les conséquences que prévoit le code du travail.

Comme les précédents orateurs l’ont rappelé, la Cour de cassation insiste sur la nécessité pour le salarié d’invoquer des faits qui présentent une gravité suffisante. De plus, ces faits réels et suffisamment graves qu’il reproche à son employeur, c’est au salarié qu’il appartient d’en apporter la preuve. En effet, la prise d’acte étant une décision importante, il faut que le salarié puisse établir, selon les termes employés par la Cour de cassation, « un manquement suffisamment grave de l’employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail ».

Parmi les motifs que la Cour de cassation a estimés de nature à justifier une prise d’acte figurent notamment les faits de harcèlement. Cette jurisprudence me semble propre à rassurer Mme Bouchoux, qui a exprimé ses inquiétudes au sujet des harcèlements « genrés ». Je pense qu’en analysant plus avant la jurisprudence de la Cour, on trouverait une réponse à la question de notre collègue.

D’autres motifs ont été reconnus par la Cour de cassation, comme les mesures discriminatoires, l’atteinte à la dignité du salarié – même si tous les faits de cette nature, malheureusement, n’arrivent pas jusqu’au juge –, la non-fourniture de travail – c’est important - et des agissements de l’employeur commis en dehors du temps et du lieu de travail - des cas avérés font l’objet d’une jurisprudence.

Quels sont les effets juridiques respectifs d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’une démission ?

En cas d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’employeur est condamné à verser au salarié des indemnités, notamment une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité compensatrice de congés payés, une indemnité pour perte des droits au compte personnel de formation et, le cas échéant, une indemnité pour préjudice distinct et une indemnité spécifique pour inaptitude professionnelle. En outre, le salarié bénéficie des intérêts légaux sur les sommes qui lui sont dues.

En cas de démission, le salarié doit régler l’indemnité correspondant au préavis qu’il n’a pas exécuté ; il peut aussi être condamné à verser à l’employeur des dommages et intérêts.

S’agissant des conséquences de la prise d’acte pour le salarié et pour l’employeur, il faut signaler que l’employeur doit remettre au salarié, lors du départ de celui-ci, un certificat de travail, le reçu pour solde de tout compte et une attestation de Pôle emploi.

Seulement, tant que le conseil de prud’hommes n’a pas rendu son jugement, Pôle emploi ignore si la prise d’acte va être considérée comme une démission, qui n’entraîne pas le versement d’allocations, ou comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse ouvrant, lui, droit aux allocations. Le salarié ne perçoit donc aucune allocation avant que le conseil de prud’hommes ne se soit prononcé. C’est pour lui une conséquence très grave de la prise d’acte, d’autant que la situation de demandeur d’emploi non indemnisé est susceptible durer : en cas d’appel, la décision peut prendre jusqu’à 121 jours !

Aujourd’hui, mes chers collègues, l’intervention du législateur s’impose, comme M. le rapporteur l’a expliqué.

En effet, comme la situation résultant d’une prise d’acte est dommageable au salarié comme à l’employeur, qui doit provisionner dans son bilan le montant d’éventuelles indemnités, ce qui n’est pas rien, il est nécessaire pour les deux parties qu’une décision soit prise dans les meilleurs délais. Or la procédure devant les prud’hommes ne permet pas une décision prompte, et ce pour deux raisons.

En premier lieu, le juge des référés n’a pas le pouvoir de se prononcer sur l’imputabilité de la rupture du contrat de travail, cette compétence relevant uniquement du pouvoir des juges du fond ; la Cour de cassation a rappelé ce principe dans un arrêt du 11 mai 2005.

En second lieu, la procédure prud’homale se déroule en deux phases : la phase de conciliation et la phase de jugement devant le bureau de jugement. À cet égard, certains déplorent que l’on gagne du temps sur la phase de conciliation ; j’y vois, moi, la possibilité d’accélérer le cours de la justice prud’homale en cette matière.

Bien sûr, cette proposition de loi n’a pas pour ambition de résoudre toutes les questions liées aux conseils de prud’hommes. Nous aurons l’occasion de les examiner si nous sommes saisis d’un projet de loi portant, notamment, sur la désignation des conseillers prud’homaux.

Il ne s’agit pas de diaboliser quiconque dans les rapports, ici conflictuels, entre employeurs et salariés, mais tout simplement de fluidifier et d’accélérer la procédure. Comme je l’ai dit à notre collègue Jean Desessard en commission des affaires sociales, il faut parfois procéder par petites touches pragmatiques, sans chercher à tout réformer, pour réaliser des avancées.

En l’occurrence, la proposition de loi ouvre la voie à des avancées intéressantes à la fois pour les salariés et pour les employeurs. Du reste, elle est somme toute très modeste, puisqu’elle ne concerne qu’un nombre réduit de salariés : environ 4 000 par an, alors qu’il y a près de 250 000 affaires chaque année.

En définitive, la prise d’acte, fondée sur l’article 1184 du code civil, va permettre, comme notre collègue Gilbert Barbier le souligne dans son rapport, d’apporter un aménagement procédural spécifique qui semble bienvenu. C’est pourquoi le groupe socialiste votera cette proposition de loi sans proposer de modification !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE, ainsi qu’au banc des commissions.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Escoffier

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je parlerai à mon tour moins longtemps que prévu, beaucoup ayant été dit par les orateurs qui m’ont précédée.

Permettez-moi cependant de saluer l’initiative de notre ancien collègue député Thierry Braillard, devenu depuis membre du Gouvernement ; avec les autres députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste de l’Assemblée nationale, il a présenté cette proposition de loi : destinée à combler un manque juridique, elle constitue indéniablement une véritable avancée pour les salariés, ce qui a été très largement souligné tout au long de la discussion générale.

En dehors du licenciement, de la démission et de la rupture conventionnelle, la jurisprudence a reconnu aux salariés le droit de mettre fin à leur contrat de travail en invoquant à l’encontre de leur employeur des griefs suffisamment graves pour que la responsabilité de cette rupture puisse ensuite lui être imputée : telle est la définition de la prise d’acte de rupture du contrat de travail.

La Cour de cassation en a défini les contours dans plusieurs arrêts de juin 2003 : « Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission ».

Il appartient donc au conseil des prud’hommes de qualifier les griefs reprochés par le salarié à son employeur, au terme d’une procédure dont il a été dit qu’elle était longue et compliquée. Je ne m’étendrai pas sur cette procédure, périlleuse pour le salarié, puisque la charge de la preuve pèse sur lui.

Je tiens, en revanche, à répondre à ceux de nos collègues qui prétendent que l’adoption de la proposition de loi risquerait de conduire des salariés mal intentionnés à faire un usage abusif de la prise d’acte. Je leur rappelle que seul un manquement patronal suffisamment grave peut justifier la rupture du contrat de travail. D’ailleurs, la Cour de cassation a rendu l’utilisation de la prise d’acte plus difficile pour les salariés en jugeant que des faits trop anciens, n’ayant pas fait obstacle à la poursuite du contrat, ne pouvaient pas être invoqués.

Comme tous les orateurs l’ont souligné, il faut aujourd’hui trouver une réponse pragmatique ; tel est l’objet de la proposition de loi.

Nos collègues, notamment M. le rapporteur, ont eu raison d’affirmer que la conciliation, si elle doit pouvoir favoriser des accords permettant aux deux parties d’éviter les délais et les aléas d’une procédure contentieuse, n’a aucun sens dans le cas d’une prise d’acte de rupture du contrat de travail, puisque seul le juge du fond est compétent pour se prononcer sur l’imputabilité de la rupture.

Comme M. Le Menn l’a suggéré il y a quelques instants, il conviendrait de revoir l’ensemble de la justice prud’homale ; ce sera l’objet d’un autre travail, qui viendra en son temps.

Pour l’heure, les membres du RDSE voteront avec un grand enthousiasme cette proposition de loi, qui apporte une solution concrète et rapide à un problème réel rencontré par certains salariés.

Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi qu’au banc des commissions.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Mes chers collègues, je vous remercie d’avoir synthétisé vos propos ; je puis vous assurer qu’ils n’en sont pas moins forts !

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

(Non modifié)

Au chapitre Ier du titre V du livre IV de la première partie du code du travail, il est inséré un article L. 1451-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1451 -1. – Lorsque le conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de qualification de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur, l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine. »

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Je ne suis saisie d’aucun amendement.

Je vais donc mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.

Je vous rappelle que le vote sur l’article unique vaudra vote sur l’ensemble.

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi relative à la procédure applicable devant le conseil de prud’hommes dans le cadre d’une prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié.

La proposition de loi est définitivement adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à vingt-deux heures.