Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, pour l’élu de Loire-Atlantique que je suis, il est évident que les océans, de façon générale, et l’espace maritime français en particulier constituent un « empire bleu », qu’il convient de protéger autant que de développer. Mais cela ne sera possible qu’à condition que nous nous appuyions sur une vision à long terme nous permettant de gérer nos richesses. Une telle gestion et une telle préservation ne peuvent se concevoir sans une politique globale de sécurisation, dont l’échelle est infinie.
Aujourd'hui, l’espace maritime français représente 11, 5 millions de kilomètres carrés et peut s’étendre jusqu’à 13, 5 millions de kilomètres carrés. La France, au deuxième rang mondial de par son domaine maritime, suivant les États-Unis, mais précédant l’Australie, doit être en mesure et en capacité de gérer un espace géographique qui va de Saint-Pierre-et-Miquelon jusqu’à la Nouvelle-Calédonie, en passant par la Réunion. Les mers françaises s’étendent sur tous les océans, aussi peut-on affirmer que, sur la mer et le littoral français, le soleil ne se couche jamais !
C’est dire à quel point il est important de réviser l’approche de nos territoires ultramarins, en particulier pour ce qui concerne la sécurité.
La sécurité des zones économiques exclusives nous impose une gestion à deux niveaux : en surface et sous la mer. En effet, les fonds marins des ZEE constituent certes des réserves halieutiques, mais représentent aussi un potentiel de ressources en hydrocarbures et minières, dans un contexte de compétition énergétique acharnée. Toutefois, dans la mesure où cet empire bleu héberge un écosystème vital pour la planète, nous ne pouvons pas tout nous permettre.
Ces ressources posent une quadruple équation relative à leur accès, leur exploitation, leur préservation et leur sécurisation, laquelle concerne tant les ressources stratégiques elles-mêmes que les routes qui y conduisent.
Quelles sont ces ressources ? Il s’agit, M. Jeanny Lorgeoux l’a rappelé, de pétrole au large des côtes guyanaises et de Saint-Pierre-et-Miquelon, de métaux rares au large de Nouméa et de Wallis-et-Futuna, de nodules polymétalliques autour de Clipperton...
À cet égard, il faut souligner que l’IFREMER, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, accomplit un travail remarquable, qui va de la protection de récifs coralliens – il faut les conserver à tout prix – à l’exploration scientifique de mines sous-marines à Wallis-et-Futuna.
Comme je l’ai dit, il y a les fonds, et il y a la surface maritime. Rappelons que 90 % du transport mondial de marchandises s’effectue par voie maritime. L’enjeu économique est à l’échelle des océans, qui occupent 70 % de la surface du globe. Plus que jamais, il est temps d’appréhender les océans comme un nouveau théâtre effectif de la mondialisation. Il faut noter que cette approche globale est d’autant plus essentielle dans le domaine maritime que les solutions terriennes du partage de l’espace ne fonctionnent pas toujours.
Pourtant, l’espace maritime mobilise des activités diplomatiques et militaires. J’en veux pour preuve l’opération européenne Atalante menée contre la piraterie en Méditerranée ou encore l’opération Narcops dans les Caraïbes. Mais il s’agit là plus d’opérations que de politique. Nous le savons, il est plus que temps de penser ou repenser notre relation à l’espace maritime.
Je suis navré de vous le dire, mes chers collègues, je doute que la création d’un secrétariat d’État chargé, entre autres, de la mer soit une solution. Non, il faut aller bien au-delà : les défis sont tellement immenses et transversaux qu’ils méritent l’édification d’une stratégie nationale, sur plusieurs dizaines années. Bref, la réflexion doit être proportionnelle au statut de puissance maritime auquel nous prétendons.
Il ne faut pas l’oublier, notre pays est en compétition avec d’autres puissances, qui ont bien pris conscience du fait que les ressources stratégiques représentaient l’un des défis du XXIe siècle. La revendication des îles Senkaku par la Chine et le Japon en est un exemple criant. L’embargo décidé par Pékin sur les exportations de terres rares a provoqué une panique chez les grands industriels.
Avons-nous pris la mesure des impacts économiques de ce type de différends ? L’un des véritables problèmes tient surtout à la combinaison de deux facteurs : une difficile substitution de ces terres rares et une concentration de leur exploitation.
Après Jean-Louis Carrère et Jeanny Lorgeoux, je déplore à mon tour l’insuffisance de nos efforts pour inventorier les ressources de nos zones économiques exclusives, surtout si l’on songe à notre promptitude à délimiter dans ces espaces des zones de protection naturelle. Il s’avérera peut-être que celles-ci sont justement les plus riches ou les plus faciles à exploiter.
Je me demande si, parfois, nous ne mettons pas la charrue avant les bœufs, et si nos moyens ciblent de bons objectifs !
Tous les membres de la commission des affaires étrangères sont très préoccupés par notre difficulté à maintenir des capacités de surveillance, de contrôle et d’action pour réprimer les contrevenants. Que vaut le droit si nous n’avons pas les moyens de le faire respecter ? J’en conviens, cela implique des moyens considérables, compte tenu de l’étendue des zones à couvrir. Mais c’est cette étendue qui confère à la France son statut de puissance maritime.
Concrètement, nous devons disposer de satellites d’observation, de moyens aéromaritimes adaptés, performants et polyvalents. Il importe surtout d’améliorer la coordination et les synergies entre les services chargés de l’action de l’État en mer, dont les missions comprennent la surveillance et la police des pêches, mais aussi la défense maritime des territoires, la lutte contre les trafics illicites et la pollution, ainsi que le sauvetage.
Nous nous réjouissons de la mise en place d’une organisation spécifique de la fonction de garde-côte, associant la marine nationale à de nombreuses administrations et constituant un modèle de coordination assez exceptionnel. Si nombre de nations nous envient ce schéma, on ne peut que déplorer l’insuffisance des moyens en équipements qui y sont consacrés.
Pour protéger les 11 millions de kilomètres carrés de notre ZEE, nous ne disposons actuellement outre-mer que de six frégates de surveillance – il en faudrait le double –, de deux bâtiments de transport léger, BATRAL, – deux ont été désarmés en 2011 et 2013 –, de sept patrouilleurs hauturiers, dont quatre P400 que nous faisons durer, d’un patrouilleur austral et de deux navires reconvertis, ou déguisés, je ne sais comment dire, en patrouilleurs, soit un ancien palangrier saisi et un ancien bâtiment hydrographique.
Malheureusement, les renforcements attendus au cours de la présente loi de programmation militaire ne sont pas à la hauteur des enjeux. Tout d’abord, ce texte est moribond, et il n’était prévu de commander que trois bâtiments multi-missions, ou B2M, et, éventuellement, un quatrième bâtiment à vocation interministérielle et à financement correspondant.
En outre, ces navires, de nature essentiellement civile et faiblement armés, qui assurent le remplacement des BATRAL, ne disposent pas d’une capacité amphibie de débarquement. Deux patrouilleurs légers à faible tirant d’eau, spécialement commandés pour être utilisés en Guyane, seront livrés en 2016.
Le programme de bâtiments de surveillance et d’intervention maritime – BATSIMAR –, dont la marine a défini les caractéristiques en 2007 et dont la loi de programmation militaire pour les années 2009-2014 prévoyait la livraison en seize unités à partir de 2017 à raison de deux par an, a vu sa cible réduite à douze et son calendrier retardé, puisque la première livraison ne devrait pas intervenir avant 2024.
Ce report de sept années, même s’il s’accompagne d’une ultime prolongation des moyens existants, fragilise encore notre dispositif de sauvegarde outre-mer, et aggravera la réduction des capacités entre 2019 et 2025.
Compte tenu de ces moyens et du fort niveau d’engagement opérationnel, notamment sur des théâtres d’opérations extérieures, la marine nationale ne peut mener que des opérations ponctuelles.
De ce fait, la notion de protection relève presque du virtuel. Au regard non seulement des enjeux que représente l’exploitation des ressources de la mer et des fonds marins et de la montée prévisible des tensions qui y sont liées, mais aussi de l’accroissement du niveau de violence de ceux qui se livrent à des activités illicites, il est indispensable que nous engagions rapidement un travail de réajustement des moyens consacrés à l’action de l’État en mer dans les zones ultramarines et de réflexion sur leur financement.
Outre l’avancement des commandes et des livraisons, nous devons réfléchir sérieusement à l’apport des nouvelles technologies en matière de surveillance. Je pense, par exemple, aux systèmes d’identification obligatoire des navires autorisés à travailler dans certaines zones et à la capacité de détecter par satellite ceux qui ne le sont pas. Il est temps de lancer des études sur la mise au point de drones de surveillance embarqués, permettant l’extension des zones de surveillance.
Nous devrions également considérer qu’il y aurait une certaine légitimité à réserver une part des redevances d’exploration et d’exploitation des ressources de notre ZEE à la surveillance et à la protection. Ainsi, ces nouvelles ressources financières pourraient être réaffectées au budget d’équipement de la défense, sans peser sur les autres postes budgétaires du ministère.
Enfin, il me semblerait utile de nous rapprocher des États riverains avec lesquels nous avons conclu des accords de délimitation, afin d’organiser une coopération en matière de surveillance et de contrôle, chacun devant être en mesure d’agir pour le compte d’autrui dans cette mission. Cela devrait être possible dans l’océan Pacifique, avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, notamment.
J’ai également noté les contestations dont la France fait l’objet. Madame la ministre, notre pays en est-il conscient ? Vous-même l’êtes sûrement, mais en va-t-il de même pour l’ensemble des membres du Gouvernement ? Quels moyens ont été prévus pour éviter une rupture de nos capacités de protection ? Nous attendons des réponses claires et précises, permettant de garantir le statut de puissance maritime de notre pays.
Sur le plan industriel, nous devons répondre collectivement à une série de questions afin de lancer un projet dont l’importance pour la France est d’un niveau exceptionnel. Quel délai prévoir pour réaliser l’exploration en question ? Si nous fixons une durée de cinquante ans, nous aurons du mal à atteindre notre objectif. Bien sûr, cinquante ans, c’est énorme à l’échelle individuelle. Mais c’est exactement le temps qui s’est écoulé entre le début de l’opération Airbus et la période actuelle.
En réalité, nous nous inscrivons dans une logique de trois cents ans, ce qui nous ramène, d’un point de vue historique, à la royauté ! Or si nous nous contentons d’avancer doucement et lentement, chacune de nos ZEE sera contestée, au motif de notre désintérêt. Ce sera bien mérité !
Merci, madame la ministre, mes chers collègues, de conserver votre intérêt pour ce qui constitue un point essentiel de l’avenir de notre pays. Merci, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, d’avoir voulu l’organisation de ce débat. §