Intervention de Jean-Étienne Antoinette

Réunion du 18 juin 2014 à 14h30
Débat sur les zones économiques exclusives ultramarines

Photo de Jean-Étienne AntoinetteJean-Étienne Antoinette :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis une vingtaine d’années, soit depuis l’entrée en vigueur de la convention de Montego Bay qui a défini la zone économique exclusive et accordé des droits souverains aux États sur les ressources de cette zone, notre planète connaît une révolution silencieuse : celle du partage des océans.

Nous assistons à un changement majeur de la donne géopolitique et économique mondiale, comme en témoignent non seulement le progrès très rapide des techniques d’extraction d’hydrocarbures ou de minerais offshore, mais aussi les tensions internationales de plus en plus vives liées au partage des espaces maritimes et aux permis d’exploration. La course au contrôle des ressources marines et sous-marines est lancée, certains pays tels que la Chine ou le Brésil déployant déjà des moyens considérables.

Or, sur la ligne de départ de cette course, la France, grâce aux outre-mer, bénéficie d’une position extrêmement favorable. Avec 11 millions de kilomètres carrés, notre ZEE est la deuxième mondiale par son étendue après celle des États-Unis. Répartie sur tous les océans du planisphère, elle est la plus diversifiée.

Alors que la planète bleue s’approche des 10 milliards d’habitants et que les ressources terrestres s’amenuisent, la mer focalise les convoitises. Réservoir de ressources à la fois énergétiques, alimentaires et minérales, ou source d’innovations technologiques ou médicales, la mer devrait aider l’humanité à relever nombre de défis du XXIe siècle.

Les ressources des ZEE ultramarines doivent tout d’abord permettre de répondre au défi énergétique.

Les présomptions sont très fortes de voir les ZEE françaises recéler des gisements d’hydrocarbures. Depuis 2012, la prospection la plus avancée en la matière concerne la Guyane. Shell France a cependant recentré sa zone de prospection sur un périmètre plus étroit que celui qui était prévu à l’origine. Par ailleurs, deux demandes de permis de recherche correspondant au projet Udo, de Esso et Total, visant une zone située à 150 kilomètres des côtes, et au projet Shelf, de Total et Hardman Petroleum, relatif à une zone proche du littoral, sont actuellement soumises à consultation publique.

Dans l’océan Indien, la ZEE française des îles Éparses recouvre une large partie du canal du Mozambique, où des gisements de pétrole et de gaz sont hautement probables, et les Comores viennent d’attribuer les premiers lots de prospection. L’enjeu pétrolier alimente également un débat entre la France et le Canada au sujet du plateau continental autour de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Outre les hydrocarbures, les ZEE apparaissent comme des lieux de prédilection pour le développement des énergies marines renouvelables. C’est un sujet stratégique majeur pour les territoires ultramarins dont les difficultés d’approvisionnement énergétique contribuent au renchérissement du coût de la vie.

Une mention particulière doit sans doute être faite de l’énergie thermique des mers qui présente le grand avantage de ne pas être intermittente. Les défis techniques posés par la captation de l’eau froide des profondeurs ou l’acheminement à terre de l’énergie produite au large montrent à quel point la conquête des mers peut stimuler l’innovation et favoriser la création de nouveaux procédés et de nouvelles filières industrielles. Les prototypes actuellement développés en Martinique et en Polynésie française consistent à faire produire de l’hydrogène par la centrale ETM ensuite acheminé à terre par des navires spécialisés.

Les systèmes de climatisation de type SWAC en service à la Réunion ou en Polynésie française, à l’hôpital de Papeete et dans plusieurs hôtels, utilisent également les eaux froides du fond des mers tropicales.

Plusieurs technologies sont enfin arrivées aujourd’hui à un stade préindustriel, en particulier grâce à l’appui des collectivités. C’est le cas des deux prototypes de station houlomotrice installés à la Réunion, même si l’un d’eux a malheureusement été détruit par le cyclone Bejisa.

Outre les ressources énergétiques dont elles disposent, les ZEE ultramarines constituent une réserve halieutique et, plus largement, de biodiversité. Comme dans bien d’autres domaines concernant les outre-mer, l’évaluation du potentiel est cependant encore balbutiante. Les filières pêche doivent encore être structurées ; l’aquaculture doit être développée et ses avantages compétitifs en termes de qualité et de traçabilité des produits doivent être promus. Les algues, en particulier, constituent une ressource extrêmement prometteuse, avec des applications industrielles très diverses allant de la pharmacopée à l’agroalimentaire, en passant par la protection de l’environnement, la fabrication de nouveaux matériaux, ou encore les biocarburants. Concernant cette dernière production, rappelons que les algues ont un rendement à l’hectare dix fois supérieur à celui des oléagineux.

L’inventaire des ressources des ZEE ultramarines doit bien sûr être complété par l’évocation des ressources minérales. Les fameux nodules polymétalliques, qui ont nourri l’imaginaire des années soixante-dix, se révèlent encore difficiles à récolter dans les plaines abyssales sans atteinte à l’environnement, mais des programmes de repérage sont en cours. Des opérations d’extraction visent en revanche d’autres sources minérales profondes telles que les sulfures hydrothermaux : en Papouasie-Nouvelle-Guinée, un projet de 1 700 mètres de fond devrait entrer en phase industrielle l’an prochain. Pour ce qui concerne la France, ce type de formations minérales a été identifié à Wallis-et-Futuna, près des îles Matthew et Hunter en Nouvelle-Calédonie, fait qui n’est sans doute pas étranger à la contestation par le Vanuatu de la souveraineté de notre pays sur ces îlots.

Des amas sulfurés seraient aussi présents autour des îles Saint-Paul, Amsterdam, Crozet, Kerguelen, à Mayotte, ainsi qu’aux Antilles et en Polynésie. Les encroûtements cobaltifères, riches en minerais, auxquels sont fréquemment associées les fameuses terres rares, sont présents dans l’archipel des Tuamotu, aux Kerguelen, à Mayotte et dans les îles Éparses.

Selon une étude réalisée par l’université de Tokyo en 2011, les gisements situés autour des îles Tuamotu constitueraient une part très importante des réserves mondiales de ces terres rares, composants stratégiques pour les technologies de pointe et dont la pénurie est redoutée.

Pour toutes ces ressources à fort potentiel d’innovation, on constate une accélération de la maturation des procédés d’exploitation ; la course est bel et bien lancée. Ainsi, les industriels chinois ont récemment mis au point un véhicule d’exploration des grands fonds, alors que la France a été pionnière en matière de sous-marins de poche. Je pense aussi au projet SISCA de sondage-carottage à grande profondeur du groupe DCNS élaboré en partenariat avec l’IFREMER, COMEX et TEC System, groupe qui, au mois de mars dernier, a été lauréat du concours mondial de l’innovation dans le cadre de la commission Innovation 2030 ! L’une des sept ambitions de cette commission est en effet la valorisation des richesses marines.

Mais cette mobilisation sur certaines performances technologiques ne doit pas faire oublier une double priorité.

La première priorité, sans laquelle il est vain de prétendre avoir une ambition pour la valorisation des ressources des ZEE ultramarines, est celle de leur protection. L’exploitation des richesses de la mer est partout contestée, alors que la présence de la France en la matière recule, en raison de matériels vieillissants, de programmes sans cesse reportés et revus à la baisse. Une véritable stratégie doit être inventée pour assurer la souveraineté de notre pays sur son territoire.

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