Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, hier, en passant devant la partie la plus ancienne du Sénat appelée « Petit Luxembourg » et qui a appartenu au cardinal de Richelieu, je me suis souvenu de la phrase que ce dernier avait eue au soir de sa vie, et qu’aime à citer notre ami et collègue Jeanny Lorgeoux : « Les larmes des souverains ont le goût salé de la mer qu’ils ont ignorée ». Cette sentence demeure plus que jamais d’actualité.
Dans cette nouvelle ère mondialisée, avec un ordre géopolitique en plein bouleversement, la mer tient, et tiendra, une place de plus en plus essentielle. Il est donc primordial d’établir une grande stratégie maritime française. Ce que Frédéric Cuvillier a entrepris va, bien évidemment, dans le bon sens.
Pour autant, soyons réalistes. Quelle que soit la volonté à l’œuvre, elle suppose des moyens qui manquent cruellement aujourd’hui. Lutter contre le pillage de nos eaux territoriales ou de nos ZEE, par exemple, implique de mobiliser d’importants moyens de surveillance. Or les carences dans ce domaine ont bien été soulignées par les travaux de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, au moment de l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.
Par conséquent, il faudra tenter de combiner une grande ambition maritime et de faibles moyens. Mais l’équation sera compliquée.
Il aurait pourtant fallu se donner les moyens de rester dans la course, même dans un contexte budgétaire difficile, car les choix d’aujourd’hui engagent notre avenir, en termes d’avancées technologiques, de développement de filières de pointe, d’autonomie énergétique et d’approvisionnement en matières stratégiques.
Ce jour, contentons-nous donc de nous réjouir du présent débat ; je remercie d’ailleurs la délégation sénatoriale à l’outre-mer et son président, Serge Larcher, de l’avoir suscité.
Ce débat permet au moins à la représentation nationale de s’exprimer sur un sujet essentiel.
Je voudrais souligner ici l’excellent travail de nos collègues Jean-Étienne Antoinette, Joël Guerriau et Richard Tuheiava, qui sont les auteurs du rapport sur les zones économiques exclusives ultramarines. J’ai retenu les dix recommandations qu’ils ont faites et j’aimerais, comme tous les membres de la délégation, savoir quelle suite a pu leur être donnée.
Je retiens en particulier la neuvième recommandation, qui préconise le soutien de l’Union européenne à la valorisation des ZEE. Je la cite : « L’Union européenne a déjà identifié un certain nombre d’enjeux stratégiques – rapport sur la croissance bleue ; communications récentes sur les métaux stratégiques – liés aux espaces maritimes. La France doit l’inciter à en tirer les conséquences et à ouvrir les yeux sur les atouts que les ZEE ultramarines représentent, même lorsqu’il ne s’agit pas strictement de zones intégrées à l’Union européenne, par exemple la Polynésie française ».
La dernière résolution du Conseil économique, social et environnemental, intitulée « Pour une Europe ultramarine », publiée en mai dernier, va dans le même sens.
Tout cela semble correspondre à une volonté répandue d’associer sérieusement l’Union européenne à la valorisation des ZEE ultramarines, et il faudrait donc qu’un chantier y soit consacré.
ZEE, zones économiques exclusives… derrière ce vocable de droit international public, froid, technique, dénué de toute poésie, se cache une réalité bien plus belle : la biodiversité, la vie marine, la force de la nature, la mer nourricière comme il existe la terre nourricière, un formidable potentiel de développement et d’avenir.
Cela a déjà été dit, la France possède le deuxième domaine maritime au monde grâce à ses outre-mer, surtout du Pacifique.
L’Océanie, par la dimension maritime qui la caractérise, présente des potentiels considérables. Songeons que, sans parler de la zone internationale de la haute mer, les territoires maritimes des États et territoires du Pacifique, c’est-à-dire les zones économiques exclusives sur lesquelles les États exercent des prérogatives de souveraineté, représentent une superficie de près de trente-cinq millions de kilomètres carrés, dont plus de 18 % reviennent à la France grâce à ses collectivités que sont la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna, sans oublier Clipperton. La seule zone économique exclusive polynésienne excède cinq millions de kilomètres carrés.
En comparaison, les domaines terrestres de ces États et territoires ont une superficie très exiguë : elle est de l’ordre de huit millions de kilomètres carrés, soit moins du quart du domaine maritime. L’ensemble des terres émergées représente seulement 3 % de la superficie de l’ensemble des zones économiques exclusives, et cette proportion est encore à diviser par dix pour les collectivités françaises du Pacifique.
Les facteurs de développement économique sont donc à rechercher prioritairement sur le front maritime dont les potentiels sont immenses, qu’il s’agisse des ressources halieutiques, des ressources minérales profondes ou encore du développement et de la diversification des énergies renouvelables. L’exploration et l’évaluation de ces potentiels constituent un enjeu majeur à l’aune des défis du XXIe siècle.
Un certain intérêt pour ces questions s’est manifesté au cours des toutes dernières années : l’attestent les travaux du Grenelle de la mer et du comité interministériel de la mer ainsi que la création du comité pour les métaux stratégiques, mais aussi, surtout, des initiatives comme le projet d’exploration des fonds sous-marins dans la zone économique exclusive de Wallis-et-Futuna lancé par l’IFREMER, qui associe, dans un partenariat public-privé, le BRGM – Bureau de recherches géologiques et minières –, Technip et Eramet.
Malgré tout, les connaissances de l’environnement marin de Wallis et de Futuna demeurent partielles et les possibilités de valorisation durable des ressources marines restent à explorer pour de nombreuses activités comme la pêche, la mise en valeur des ressources biologiques animales et végétales, l’exploitation des fonds ou les énergies renouvelables. Ce manque de connaissances limite fortement les capacités de protection des milieux marins et sous-marins, ainsi que de développement d’une exploitation soutenable de leurs ressources.
L’exploitation future des ressources minérales et biologiques marines dans la ZEE de Wallis-et-Futuna, dans une perspective durable, nécessite impérativement de mesurer les impacts des activités sur les milieux à moyen et long termes. À cet égard, il est indispensable d’associer étroitement le territoire aux projets potentiels de mise en valeur des fonds marins de sa ZEE, dont l’exploitation devra évidemment permettre la création de richesse et d’emplois pour la population locale.
La réforme du code minier national en cours doit tenir compte de la fragilité avérée du milieu marin dans les outre-mer en général. Les techniques d’exploration et d’exploitation à de grandes profondeurs ne sont pas encore éprouvées, et relèvent à ce stade de la recherche et développement.
En vue de la valorisation de nouvelles ressources, il a paru intéressant de mobiliser davantage des expertises scientifiques collectives pour établir l’état des savoirs scientifiques sur les potentiels et les impacts environnementaux de leur exploitation. C’est dans ce cadre que le ministère a confié au CNRS – le Centre national de la recherche scientifique – et à l’IFREMER une expertise scientifique collective sur les impacts de l’exploitation des ressources minérales marines profondes centrée sur les ressources métalliques. J’aimerais savoir si des résultats sont déjà disponibles.
Nous ne refusons pas le progrès, ni les potentiels de développement économique ou technologique. Mais nous ne voulons à aucun prix que cela se fasse au détriment du territoire ou de ses populations et de leur mode de vie.
Le respect de l’environnement en général et de l’océan en particulier est une valeur traditionnelle chez les peuples d’Océanie. Les habitants de Wallis-et-Futuna se sont mobilisés depuis des années en faveur de la protection de la biodiversité marine – notamment pour ce qui concerne les coraux – en étant très impliqués dans l’action de l’IFRECOR – belle initiative française pour les récifs coralliens – créée il y a près de quinze ans. Je rappelle que la France occupe le quatrième rang des pays coralliens.
Une meilleure concertation devra être instaurée entre l’État, les partenaires privés, les chefferies coutumières et les élus du territoire. L’État ne peut prétexter de sa compétence normative dans le domaine maritime – compétence d’ailleurs fort ambiguë aux termes du statut de 1961 – pour s’exonérer de la prise en compte des intérêts de la population du territoire et de sa volonté, exprimée par le biais de ses différentes autorités.
À ce jour, nous avons l’impression désagréable d’être sinon tenus à l’écart, du moins peu informés de ce qui se passe réellement. Or rien ne doit se faire dans l’opacité. Rien ne doit mettre en péril notre environnement ou nos valeurs. Et ce qui se fera doit se faire dans la concertation et avoir des retombées positives pour Wallis-et-Futuna et ses habitants.
Je crois avoir dit l’essentiel. Pour terminer, je souhaiterais, madame la ministre, évoquer deux derniers points. Le premier porte sur les limites de la ZEE de Wallis-et-Futuna. J’aimerais savoir où en sont les conventions avec Samoa et Tuvalu. Pour l’avenir, il est en effet indispensable de fixer de façon définitive la ZEE.
Le second point, lié au début de mon intervention, concerne le manque de moyens de surveillance du domaine maritime. Nous avions, jusqu’aux environs de l’an 2000, des accords de pêche avec le Japon et la Corée du Sud. Aujourd’hui, nous ne sommes plus liés par aucun accord. Pourtant nul ne doute que de la pêche illicite est pratiquée dans notre ZEE. Nous réfléchissons à de nouveaux accords. Nous avons besoin de l’État pour nous aider sur ce point. §