Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée examine ce soir en deuxième lecture la proposition de loi de MM. Jean-Léonce Dupont et Hervé Marseille permettant la création de sociétés d’économie mixte à opération unique, après que l’Assemblée nationale a elle-même voté ce texte le 7 mai dernier, à l’unanimité, comme ce fut le cas ici même, au Sénat, lors de l’examen du texte en première lecture.
Cette proposition de loi s’inscrit dans le débat récurrent sur les modes de gestion des services publics.
Des élus de plus en plus nombreux souhaitent en effet reprendre le contrôle de certains services, sans avoir toutefois les moyens de créer, pour des raisons techniques ou financières, des régies municipales ou communautaires.
En une dizaine d’années, les législateurs successifs ont donc été amenés à créer plusieurs outils de développement local ; après les sociétés publiques locales d’aménagement et les sociétés publiques locales, les sociétés d’économie mixte à opération unique répondent incontestablement à cette attente.
Comme vous le savez, la SEM à opération unique reprend les caractéristiques principales de la société d’économie mixte locale, à commencer par la forme de société anonyme, la soumission de l’entreprise aux règles du code de commerce et les conditions de création des sociétés d’économie mixte locales.
D’abord, l’initiative publique est préservée, puisque seuls des collectivités territoriales ou leurs groupements sont autorisés à créer de telles sociétés, dans le cadre des compétences qui leur sont reconnues par la loi.
Ensuite, l’objet social de ces sociétés reste limité « à la réalisation d’une opération de construction, de développement du logement, d’aménagement ou à la gestion d’un service public ou toute autre activité d’intérêt général relevant de la compétence de la collectivité actionnaire ».
Enfin, la création d’une société d’économie mixte à opération unique suppose que les actionnaires publics sont associés à au moins une personne privée. Cela vise à garantir le caractère « mixte » de la société. Le principal ajustement de la législation sur l’économie mixte locale correspond à la possibilité de limiter le nombre d’actionnaires à deux seulement, et non pas sept, comme le prévoit le droit commun des sociétés applicable aux sociétés d’économie mixte locales.
La présente proposition de loi reprend ainsi une évolution amorcée par la loi du 28 mai 2010 pour le développement des sociétés publiques locales, qui avait créé les SPL. Pour autant, la SEM à opération unique n’en demeure pas moins une société particulière.
Elle se différencie en effet de la société d’économie mixte locale classique sur quatre points : la composition du capital social, la mise en concurrence des actionnaires minoritaires, la durée de vie de la société et la notion d’opération unique.
La création de la SEM à opération unique répond en fait à une demande ancienne des collectivités territoriales de pouvoir créer des sociétés dont elles ne seraient pas nécessairement les actionnaires majoritaires. La loi permettra ainsi la création de sociétés dont les collectivités territoriales détiendront « entre 34 % et 85 % des actions ainsi que 34 % au moins des voix dans les organes délibérants ».
Pourquoi ce double seuil ?
La limite de 34 % de participation garantit une minorité de blocage aux collectivités territoriales. La limite de 85 % de participation publique, quant à elle, garantit l’existence d’un capital public-privé.
Ce dispositif est compatible avec le droit communautaire, sur le fondement de la décision Acoset de la Cour de justice de l’Union européenne, en date du 15 octobre 2009.
Dans cet arrêt, la Cour de justice a en effet admis que le choix d’une entreprise privée pour entrer au capital d’une entreprise à capitaux publics et privés créée spécialement pour un service public puisse se faire en même temps que l’attribution de la concession à cette entreprise.
Il faut premièrement que l’associé privé soit sélectionné sur appel d’offres public, après vérification des conditions financières, techniques, opérationnelles et de gestion se rapportant au service à assurer et des caractéristiques de l’offre au regard des prestations à fournir.
Il faut deuxièmement que la procédure d’appel d’offres en question soit conforme aux principes de libre concurrence, de transparence et d’égalité de traitement imposés par le traité européen pour les concessions.
Je tiens à souligner que ce procédé correspond exactement à ce que préconisait la Commission de Bruxelles dans son Livre vert de 2008 sur les partenariats public-privé institutionnels.
Il convenait donc d’adapter le droit français à la mise en œuvre de cet outil et la proposition de loi que nous examinons ce soir va le permettre.
Après l’important travail fourni par le Sénat en décembre 2013, sous la houlette du rapporteur, Jacques Mézard, les députés ont souhaité apporter quelques précisions techniques, sans toutefois remettre en cause l’ensemble du dispositif.
La commission des lois de l’Assemblée nationale a ainsi substitué la notion d’« opérateur économique » à celle de « personne privée » pour la désignation du partenaire de la personne publique au sein de la SEM à opération unique. Cette terminologie, issue du droit européen de la commande publique, permet de ne pas exclure certaines personnes publiques, comme les établissements publics industriels et commerciaux, de l’accès au capital des SEM à opération unique.
L’Assemblée nationale a également précisé que l’objet unique de la SEM à opération unique ne pourrait être modifié pendant la durée d’existence de cette société.
Les députés ont aussi prévu que le partenaire appelé à constituer la SEM à opération unique serait sélectionné, non par une procédure spécifique d’appel public à manifestation d’intérêt – comme vous l’aviez initialement envisagé –, mais par une procédure unique d’appel public à la concurrence respectant les règles de la commande publique prévues selon l’objet du contrat destiné à être signé entre la SEM à opération unique et la personne publique.
Dans le même esprit, alors que le Sénat avait prévu la possibilité que la procédure d’appel public à manifestation d’intérêt puisse prévoir la possibilité pour le candidat d’inclure dans son offre des contrats de sous-traitance, l’Assemblée nationale a souhaité replacer toutes les questions relatives à la sous-traitance dans le cadre des règles de droit commun de la commande publique.
Je souhaite dire un mot sur cette question importante pour expliquer en quoi le recours au droit commun pour l’encadrement de la sous-traitance ne pose pas de difficultés, car je sais que certains d’entre vous ont pu s’interroger sur ce point.
Dans la mesure où la SEMOP se substitue, au terme de la procédure, à l’actionnaire opérateur choisi par la personne publique, c’est à cette société qu’il reviendra d’exécuter ledit contrat, en mettant en œuvre l’ensemble des capacités professionnelles, techniques et financières acquises conjointement. Il va de soi que la SEMOP se servira des capacités de son opérateur pour réaliser l’opération projetée – savoir-faire, logiciels ou brevets de l’opérateur, outillage, etc. C’est d’ailleurs au regard de ses capacités et de la manière de répondre aux exigences du pouvoir adjudicateur que l’opérateur sera choisi.
Concernant les prestations intrinsèquement liées à l’objet du contrat, celles-ci doivent pouvoir être anticipées par le pouvoir adjudicateur, formulées en amont et insérées dans les documents de consultation. Le candidat dispose alors de plusieurs possibilités, sans mise en concurrence ni publicité : soit candidater seul, s’il estime être en capacité de satisfaire les besoins de la collectivité et de répondre à ses exigences pour réaliser l’opération projetée ; soit constituer un groupement momentané d’entreprises – le candidat dispose alors de toute latitude pour choisir son cocontractant ; soit recourir à la sous-traitance, le candidat pouvant alors présenter, lors du dépôt de son offre, des sous-traitants à même de réaliser les prestations annexes pour lesquelles il ne dispose pas de la capacité ou des moyens techniques adéquats.
Le contrat de sous-traitance est conclu si l’offre du candidat est acceptée. La notification de l’attribution du contrat vaut acceptation du sous-traitant.
Dans l’hypothèse où les prestations intrinsèquement liées à l’objet du contrat n’ont pas été prévues initialement dans le contrat et surviennent en cours d’exécution, deux hypothèses doivent alors être distinguées.
Première hypothèse : la SEMOP n’est pas soumise aux dispositions de l’ordonnance du 6 juin 2005 sur les marchés non soumis au code des marchés publics ou de celle du 15 juillet 2009 sur les concessions de travaux publics – cela devrait être le cas dès lors que les besoins d’intérêt général qu’elle vise à satisfaire présenteront un caractère industriel ou commercial. La SEMOP sera alors libre de choisir ses sous-traitants et notamment de recourir à des filiales de l’opérateur économique actionnaire, qui devront être agréés par la collectivité territoriale ou le groupement de collectivités territoriales concernés.
Deuxième hypothèse : l’entreprise est soumise aux dispositions de l’ordonnance du 6 juin 2005 sur les marchés non soumis au code des marchés publics ou de celle du 15 juillet 2009. La SEMOP ne pourra pas recourir aux sous-traitants de son choix, mais devra les sélectionner en respectant les procédures applicables aux marchés relevant de l’ordonnance de 2005.
La commission des lois de l’Assemblée nationale a aussi prévu que les informations obligatoires nécessaires à cet appel public à la concurrence seraient complétées par un document de préfiguration de la SEM à opération unique.
Elle a également adopté un amendement de réécriture de l’article 1er bis présenté par son rapporteur, permettant d’assurer que la procédure de sélection de l’actionnaire opérateur économique, comme l’attribution du contrat à la SEM à opération unique créée à l’issue de la procédure, puisse faire l’objet d’un référé précontractuel ou d’un référé contractuel.
Enfin, en modifiant le titre de la proposition de loi, les députés ont précisé que son objet est de permettre la création, par les collectivités territoriales et leurs groupements, de SEM à opération unique.
En séance publique, l’Assemblée nationale a adopté six amendements, dont l’un prévoit que plusieurs opérateurs économiques pourront être retenus pour créer une SEMOP s’ils constituent un groupement pour répondre à l’appel public de la collectivité.
Conscient de l’équilibre général du texte, le Gouvernement n’a présenté que deux amendements de précision, qui ont été adoptés par les députés.
À l’article 1er, il s’agissait de préciser que le quantum minimum de parts attribuables aux actionnaires opérateurs économiques s’entend bien pour l’ensemble des acteurs économiques, et non considérés individuellement.
À l’article 1er bis, il apparaissait nécessaire de prévoir que l’assemblée délibérante de la collectivité ou du groupement de collectivités se prononce, de manière effective, sur le principe même du recours à la SEM à opération unique.
Comme l’avait déjà indiqué le Gouvernement en première lecture devant le Sénat, en la personne de Mme Escoffier, que je salue et dont je salue l’engagement sur ce texte, la SEM à opération unique répond à un besoin évident et reconnu des collectivités territoriales et des entreprises.
Je tiens à cet égard à relever la qualité du travail entrepris par le rapporteur, Jacques Mézard, ainsi que par l’auteur de cette proposition de loi, le vice-président du Sénat Jean-Léonce Dupont, dont chacun sait qu’il est aussi président de la Fédération des entreprises publiques locales et qu’il connaît parfaitement le sujet. Je n’oublie pas les nombreux autres sénateurs et députés, de différents groupes, qui ont déposé des propositions de loi identiques, dont certaines ont d’ailleurs été jointes à l’examen du présent texte. C’est la preuve, s’il en fallait, du caractère transpartisan de cette attente des élus locaux et du travail législatif remarquable accompli pour y répondre.
Si l’intérêt de ce nouvel outil n’est plus à démontrer, il était indispensable d’en assurer la sécurité juridique afin de permettre aux différents acteurs de se saisir pleinement de cet instrument nouveau destiné à améliorer la qualité des services publics locaux.
C’est désormais chose faite.
En l’état, la proposition de loi répond à deux exigences : la maîtrise politique et la sécurité juridique.
Maîtrise politique, d’abord, car le nouvel outil proposé répond à la volonté des collectivités de renforcer leur rôle et leur visibilité dans la gouvernance des services publics locaux, sans pour autant revenir à des formules intégralement publiques.
Sécurité juridique, ensuite, car les élus bénéficient du régime de mandataire de la collectivité locale et de la protection afférente à ce statut, même quand la collectivité est actionnaire minoritaire. Par ailleurs, le risque financier pris par la collectivité est limité à son apport au capital.
Ce soir, après une première lecture dans chacune des deux chambres, nous nous retrouvons avec un texte qui, grâce aux apports respectifs du Sénat puis de l’Assemblée nationale, améliore la proposition de loi initiale tout en en gardant ce qui en faisait l’essentiel.
Mesdames, messieurs les sénateurs, votre proposition de loi n’est pas seulement utile, elle est audacieuse, puisqu’elle se situe un cran au-dessus des exemples étrangers et des instruments auxquels on peut déjà se référer dans le droit positif.
Son champ d’application sera vaste – n’en doutons pas – et les instruments qu’elle met en place rendront possibles de nombreuses opérations utiles à nos collectivités territoriales et donc à nos concitoyens.
Le Gouvernement vous remercie de votre engagement dans l’élaboration de ce texte, qui intègre ainsi des dispositions pragmatiques et qui apporte une réponse efficace aux attentes de nos élus locaux.