Intervention de Pierre Cardo

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 17 juin 2014 : 1ère réunion
Réforme ferroviaire — Audition de M. Pierre Cardo président de l'autorité de régulation des activités ferroviaires araf

Pierre Cardo, président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires :

J'ai certes un avis personnel sur cette réforme ; en tant que régulateur, je n'ai pas à me prononcer sur l'architecture retenue, c'est une décision politique. La création de RFF en 1997 nous a fourni deux sources d'informations - la SNCF d'un côté et RFF de l'autre - et nous a sorti d'une asymétrie de l'information qui pouvait être gênante ; mais elle a aussi créé des tensions très vives ; le système devait évoluer. RFF, avec 1 200 à 1 400 salariés seulement, est nommément gestionnaire d'infrastructure. Sa tâche lui est prétendument facilitée par deux entités restées à la SNCF : SNCF Infrastructure, chargé de l'entretien et la rénovation des voies, avec 35 000 personnes, et la direction des circulations ferroviaires, qui attribue les sillons, avec 14 000 personnes. RFF n'a, concrètement, qu'à régler les factures émises par le gestionnaire d'infrastructure délégué (GID). On voit bien quel peut être le poids de chacun.

En tant que régulateur, la réunion de ces trois entités dans un gestionnaire d'infrastructure unifié (GIU) me paraît une bonne chose, malgré les risques d'asymétrie d'information : tout dépend des pouvoirs que vous nous donnerez. Une liste des informations que nous aurions le droit d'aller chercher, connaissant mes interlocuteurs, serait interprétée comme exclusive. Évitons-la. Régulateur indépendant, nous avons des comptes à vous rendre, à rendre au juge - Conseil d'État et Cour d'appel de Paris. Il faut donner à l'Araf les moyens de son indépendance.

Le règlement des différends nous apprend beaucoup sur les problèmes du ferroviaire : les acteurs se plaignent tout particulièrement des incertitudes sur les sillons, ainsi que des sillons précaires, objets de plages travaux, ou inutilisés et rendus très tard, ce qui empêche d'optimiser le réseau - et réduit les recettes. SNCF Infrastructure et la direction de la circulation ferroviaire doivent se parler. Dans le GIU, le feront-ils ? Beaucoup dépendra des personnes. Cette réunion semble positive, elle peut engendrer des économies, mais pas au niveau annoncé. Les recettes de RFF devraient être augmentées par une meilleure attribution des sillons, et par les pénalités qui contraindront les opérateurs à rendre dans des délais raisonnables ceux qui sont inutilisés.

Les opposants ont peur de l'ouverture à la concurrence. Mais le véritable concurrent, c'est la route ! Les entreprises cherchent depuis trente ans à fonctionner à flux tendu, donc sans stocks ; faute de pouvoir compter sur une livraison dans un délai précis et assuré par le ferroviaire, elles ont recours à la route, même si c'est plus cher - en l'occurrence, pas beaucoup plus. Compte tenu des subventions versées - quand elles le sont, ce qui ne fut pas le cas l'année dernière - le fret ferroviaire est moins cher qu'en Allemagne. Le problème n'est pas le prix, mais la fiabilité, qui pourrait éviter des gâchis et des tensions. La confiance peut revenir, si l'Araf vérifie qu'il n'y a pas de discrimination dans l'attribution des sillons. Nous ne sommes pas là seulement pour faciliter la concurrence, mais également pour faciliter l'usage du ferroviaire : le réseau ferré est un investissement qui appartient à la nation, qu'il s'agit de rentabiliser au maximum.

Cette structure et SNCF Mobilité seront chapeautées par la SNCF ; je signale à ce propos que la Société nationale des chemins de fer français disparaît. La SNCF devient un groupe de mobilité, comme l'indiquent les propos de son président depuis quelques mois. C'est une évolution logique. Le contenu de cet Epic de tête relève d'une décision du Parlement, sur laquelle je n'ai pas à me prononcer. Quelques questions peuvent néanmoins se poser : quid d'une direction informatique et d'une direction juridique en son sein ? Avec quelles missions ? Pouvons-nous être certains qu'il n'y aura pas d'échanges d'informations avec les deux autres Epic ? Le seul moyen de s'en assurer, c'est que des éléments externes le contrôlent. Le même service juridique ne saurait être chargé de traiter un contentieux où un opérateur attaquerait SNCF Réseau pour discrimination au profit de SNCF Mobilité. Il faut éviter toute suspicion de la part des opérateurs. Dans cette architecture qui se rapproche du modèle allemand, l'Epic de tête se justifie par la volonté de rassurer le monde cheminot, qui craint que l'on démantèle la maison.

Ce système verticalement intégré exige un régulateur fort, qui ne perde pas ses pouvoirs antérieurs. C'est pourquoi je me suis élevé contre la transformation, dans le texte initial, de notre avis conforme sur la tarification des sillons en avis motivé ou simple, qui ne s'impose pas. L'argument, c'est qu'il reviendrait au gestionnaire d'infrastructure de fixer la tarification... C'est vrai, mais notre avis conforme ne s'y oppose pas. Nous devons vérifier que la tarification faite par RFF ne comporte pas de principe discriminant. Nous avons donné un avis négatif une seule fois, l'année dernière, et nous sommes parvenus à un accord dans les deux mois impartis, malgré 9 millions de recettes en moins pour RFF. Le texte de la commission, à l'Assemblée nationale, a rétabli cet avis conforme, qu'il étend à la tarification des gares et connexions et de certaines infrastructures de services, ce qui est très satisfaisant : aujourd'hui, nos interlocuteurs ne sont pas toujours capables de nous indiquer comment le prix a été élaboré, ce qui est contraire au principe de justification de la prestation de service facturée.

Petit aparté sur le problème des cours de marchandises : le fret doit en disposer de manière assez homogène sur le territoire. Les documents de référence du réseau (DRR) en comptaient 400 en 2013 mais seulement 170 aujourd'hui. Dans sa sagesse, le Sénat pourrait prévoir par amendement que le transfert se fonde sur le premier chiffre et non sur le second. Ce n'est pas à la SNCF de déterminer les cours transférées et les cours qu'elle garde pour les mettre en vente, compte tenu du foncier qu'elles représentent. Dans la carte de celles qui restent, l'Ouest de la France est démuni. Qu'il y ait moins de trafic n'est pas un argument. Ce n'est pas en fonction de l'activité actuelle de l'opérateur historique que doit être déterminé le maillage du territoire : c'est au politique, ou du moins au gestionnaire de l'infrastructure, le futur GIU, d'en décider, en fonction des marchés de demain : d'autres opérateurs pourraient répondre aux besoins d'industriels qui ne sont pas clients de la SNCF. Nous venons seulement de découvrir la nouvelle carte, et d'identifier ce problème. Le Sénat appréciera.

Le contrôle du respect de la trajectoire financière du contrat révisé tous les trois ans entre l'État et le futur gestionnaire d'infrastructure est une extension intéressante de notre mission. Nous sommes là pour informer le Parlement : RFF donnera son avis, mais il y aura un deuxième son de cloche. Nous pourrions être davantage impliqués dans la définition du coût complet. Celle qui est donnée dans le projet de loi, manifestement copiée sur le transport routier, n'est pas conforme à la réalité du ferroviaire. Le président Rapoport a envie que le GIU soit un bon outil industriel, fort bien. Mais il voit aussi son intérêt : comme l'État ne lui donne pas assez, et face à sa lourde dette, il a besoin pour abonder sa seule ressource, le péage, d'un coût complet le plus élevé possible. Mais il ne faudrait pas qu'il compte des éléments deux fois... Notre avis sur la question ne devrait pas être de ceux sur lesquels on s'assoit. Comment se terminera le débat entre les présidents de SNCF Mobilité et du GIU SNCF Réseau, au sein du conseil de surveillance ? L'arbitrage est confié au président de ce conseil, qui n'a pourtant pas à remplir une fonction exécutive. Tel est le sens de l'avis - non publié - du Conseil d'État.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion