Intervention de Bernard Bigot

Commission des affaires économiques — Réunion du 17 juin 2014 : 1ère réunion
Transition énergétique — Audition de M. Bernard Bigot administrateur général du commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives cea

Bernard Bigot, Administrateur général du CEA :

Je rebondis d'emblée sur votre remarque concernant le département Sciences du vivant. Nous travaillons en effet en étroite collaboration avec l'INSERM et le CNRS, chacun apportant sa contribution dans le domaine des nanosciences. Il va de notre responsabilité de travailler en bonne intelligence sur ces sujets essentiels.

Nous constatons aujourd'hui une évolution profonde du contexte énergétique sous l'effet de trois forces majeures.

Tout d'abord il faut préserver notre indépendance énergétique, dont l'importance nous est rappelée par les récents événements en Ukraine. Nous dépendons encore à plus des deux tiers des énergies fossiles pour notre consommation finale d'énergie, ce qui nous place dans une position de fragilité incontestable qu'il faut limiter au maximum.

Ensuite, les coûts d'alimentation en combustibles fossiles ont triplé entre 2005 et 2014, passant de 23 milliards à près de 70 milliards d'euros annuels pour une même quantité d'énergie importée.

Enfin, la consommation d'énergies fossiles produit des gaz à effet de serre qui ont un impact important sur notre planète - tant sur le climat et l'environnement que sur la santé - qu'il est aujourd'hui urgent de réduire.

Il est donc nécessaire d'envisager une transition énergétique visant à diminuer notre dépendance aux combustibles fossiles, ne serait-ce que pour faire perdurer les ressources existantes.

Nous bénéficions aujourd'hui en France d'un socle d'énergie nucléaire important. La stratégie du CEA consiste à préserver cette technologie, à la fois en améliorant la sûreté des installations et en assurant son fonctionnement dans des conditions économiques optimisées. Pour ce faire, nous avons fixé quatre enjeux :

- la préservation de l'outil industriel, en assurant les meilleures conditions de sûreté et de fonctionnement des 58 réacteurs ;

- une vision consolidée du cycle de vie des installations : nous devons pouvoir démanteler, assainir, et gérer les combustibles usés ;

- le renouvellement des compétences humaines, avec la transmission du savoir accumulé aux nouvelles générations, afin d'éviter une perte de connaissances lors des départs à la retraite ;

- la préparation du futur, via l'optimisation des ressources et la minimisation des déchets, notamment grâce aux réacteurs de quatrième génération.

Cependant, le nucléaire ne saurait se substituer intégralement aux énergies fossiles, d'autant que les progrès technologiques de ces dernières années rendent aujourd'hui possible la transition énergétique grâce à l'utilisation à grande échelle des énergies renouvelables.

L'électron est au coeur de la stratégie du CEA, qui se décline en trois axes : tout d'abord le développement de l'énergie solaire, sous forme d'électricité ou de chaleur. Cette dernière, en particulier, est une ressource encore sous-exploitée, malgré les nombreuses applications dont elle peut faire l'objet. Le couplage à un stockage local permettrait de réduire les besoins en réseaux, qui sont aujourd'hui un facteur limitant le développement de ces solutions.

Le deuxième axe de notre politique concerne l'utilisation d'énergie électrique renouvelable - solaire, éolienne, maritime - sous forme de stockage chimique. L'hydrogène est une piste prometteuse, car il peut être aisément mélangé au gaz naturel jusqu'à 25 %, et donc distribué via les réseaux existants, ou bien utilisé directement dans des moteurs thermiques. Nous travaillons également sur le développement de piles à combustible qui, grâce à la reconversion d'hydrogène en électricité, permettront d'accroître les distances pouvant être parcourues avec des véhicules électriques. On peut imaginer un système hybride dans lequel les déplacements urbains et péri-urbains seraient réalisés grâce aux batteries électriques, et les longues distances grâce à un kit avec réservoir d'hydrogène. Nous serions alors plus dans une logique de service, avec location des piles à combustible en fonction des besoins, que dans l'équipement systématique des véhicules. Enfin, l'hydrogène pourra servir à la production des bio-carburants de deuxième génération, car l'apport d'hydrogène permet d'améliorer le rendement de la conversion des matières organiques en hydrocarbures utilisables comme carburants.

Le troisième axe développé par le CEA est le stockage sous forme de batteries. Nous cherchons à améliorer les performances de celles-ci, notamment sur le point de la sécurité. En effet, l'extrême proximité des réactifs chimiques composant les batteries les rend dangereuses, car le moindre choc déclencherait une énergie équivalente à l'explosion de 60 litres de pétrole : nous travaillons donc à améliorer leur fiabilité. L'optimisation des performances en fonction des conditions environnementales de fonctionnement - température, notamment - nécessite également des systèmes de plus en plus complexes sur lesquels nous réfléchissons.

Le CEA possède des compétences variées, aussi bien dans le domaine de l'énergie que dans le domaine des technologies de l'information, des matériaux et de la modélisation. Il s'agit d'une vraie richesse, et nous souhaitons mobiliser l'ensemble de ces savoirs au profit de la recherche.

Je souhaite également souligner que nos modes de vie et notre géographie sont adaptés au développement du véhicule électrique. En France, 85 % des véhicules roulent moins de 150 kilomètres par jour. C'est une distance sur laquelle le véhicule électrique prendrait tout son intérêt. Le parc automobile existant présente une élasticité qu'il faut exploiter : le fonctionnement de ces véhicules ne représenterait que 15 % de notre production d'électricité... Lorsqu'ils ne roulent pas - ce qui peut représenter jusqu'à 20 heures par jour -, ces véhicules peuvent stocker de l'énergie. Nous pourrions stocker 9 gigawatts, soit un septième seulement de notre capacité de production nucléaire.

Par ailleurs, la mobilité va complexifier les réseaux existants : aujourd'hui, nous pouvons programmer les besoins en électricité, car nous fournissons des points fixes (bâtiments, bornes) et nous connaissons les pratiques de chacun. Si l'on s'oriente vers le stockage mobile, il sera nécessaire de développer l'intelligence des systèmes.

Concernant mes déclarations dans la presse au sujet de notre capacité à réduire de 50 % la part de nucléaire dans la production d'électricité d'ici 2025, je précise que j'ai exprimé un avis d'expert : tout est toujours possible, mais à quel prix ? Actuellement, les prix de l'électricité augmentent de quelques pourcents seulement par an et les charges d'investissements restent supportables.

La capacité de production d'énergie nucléaire dédiée à l'électricité est aujourd'hui de 63 GW. Pour atteindre l'objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire, il faudrait remplacer 20 GW par une autre source d'énergie d'ici 2025. Or les rendements du photovoltaïque (14 %) comme de l'éolien (22 %) sont faibles : il faudrait donc installer en moins de dix ans environ 100 GW de nouvelles capacités pour espérer combler avec des énergies renouvelables la diminution de la production d'origine nucléaire. C'est un objectif extrêmement difficile à atteindre, d'autant plus qu'il s'agit de calculs théoriques sur les quantités : il faut ensuite assurer la disponibilité de l'énergie produite, ce qui nécessite sans doute de 5 à 15 GW de moyens de production supplémentaires, sans doute au gaz, pour pallier le problème de l'intermittence.

C'est un raisonnement de physicien, mais il vous démontre que si nous voulons tenir l'objectif annoncé, nous devrons fournir un effort considérable.

Concernant le projet ASTRID, démonstrateur technologique de réacteur de quatrième génération, je souhaite tout d'abord rappeler que le combustible usé est réutilisable à 95 %, et même 96 % si on inclut le plutonium. Nous avons accumulé de grandes quantités de ce combustible usé, qui est réutilisable. Son stockage définitif serait complexe et demanderait beaucoup plus de place que le stockage des produits de fission non réutilisables, qui font l'objet d'un procédé de vitrification. De plus cela ne serait pas une utilisation optimale d'une ressource qui n'est pas renouvelable !

Les réacteurs à neutrons rapides comme ASTRID doivent donc apporter la preuve qu'il est possible de consommer ce plutonium et, dans une moindre mesure, l'uranium de retraitement. Ils seront utilisés dans un premier temps en parallèle aux réacteurs à eau que nous possédons aujourd'hui ; une fois démontrés leur intérêt et leur capacité à fonctionner, le pays pourra décider, souverainement, du moment où l'on fera croître le parc. L'objectif premier est donc de faire la démonstration du multi-recyclage sécurisé des combustibles usés.

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