Intervention de Roger Karoutchi

Réunion du 19 juin 2014 à 9h00
Nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes — Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi

Photo de Roger KaroutchiRoger Karoutchi :

Je m’autoriserai une brève digression sur l’histoire des privatisations dans notre pays. En effet, au regard de cette histoire récente, il est étonnant que la droite en général et l’UMP en particulier soient dans l’obligation d’assumer seules la libéralisation de notre économie. S’il nous faut assumer ces libéralisations, nous le ferons, mais j’espère simplement que certains de nos collègues de la majorité n’ironiseront pas trop sur le caractère attendu de notre position.

Je rappelle que l’Acte unique européen de 1986, qui déboucha notamment sur la directive « marchés publics de travaux », fut signé sous l’empire d’une majorité qui n’était pas spécialement de droite. Ce n’est pas non plus un gouvernement de droite qui a engagé en 2000 la réforme visant à renforcer la concurrence pour l’attribution des nouvelles concessions autoroutières. On pourrait également ouvrir le débat sur les privatisations ou débuts de privatisation qui ont concerné plusieurs très grandes entreprises françaises – Air France, EADS, France Télécom, le Crédit Lyonnais et j’en passe – entre 1997 et 2002. Je note enfin que, curieusement, alors que l’on avait très peu privatisé entre 2007 et 2012, depuis lors on a repris le rythme des privatisations et des ouvertures de capital ; celles-ci ont par exemple concerné Safran, EADS ou encore Aéroports de Paris. Il y a donc là un élément qui dépasse probablement les clivages politiques.

Je ne ferai pas de commentaire sur ceux qui se disent un jour ennemis de la finance et procèdent le lendemain à des ouvertures de capital ou à des privatisations. Pour notre part, nous avons une position plutôt équilibrée. L’UMP comporte à la fois un courant libéral, plus ouvert sur l’entreprise, et un courant gaulliste, un peu plus interventionniste et qui n’est pas opposé, ni la forme ni sur le fond, lorsque c’est nécessaire, aux interventions de l’État et aux nationalisations. Il y a probablement un temps pour tout.

La valeur actuelle des participations de l’État est inférieure à 100 milliards d’euros, contre 200 milliards d’euros il y a dix ans. Cela doit nous inciter à une certaine prudence en matière de libéralisation. Le groupe UMP assume sans acrobaties sémantiques sa position en matière de participation de l’État dans les entreprises qui pourraient se révéler stratégiques. Si nous sommes opposés à la proposition de loi examinée aujourd’hui, qui est pour le moins radicale, nous entendons alimenter le débat sur le financement de l’AFITF et les investissements futurs en matière d’infrastructures de transport terrestre.

L’exposé des motifs de la proposition de loi évoque une amputation du budget de l’AFITF de 1 à 2 milliards d’euros par an du fait des privatisations des concessions d’autoroutes. Ce sont autant d’investissements en moins. Comme on peut présumer que les dividendes des sociétés concessionnaires étaient la ressource essentielle de l’AFITF, les privatisations ont donc conduit – nous le reconnaissons – à un certain bricolage financier.

Nous reconnaissons également qu’il existe un manque de lisibilité en ce qui concerne les financements de l’AFITF. Monsieur le secrétaire d'État, ce manque de lisibilité est apparu de manière criante – c’est le moins que l’on puisse dire – avec la suppression, peut-être provisoire – attendons la semaine prochaine – de l’écotaxe. En effet, le produit de cette taxe devait être le socle du financement de l’AFITF, avec une recette estimée à 800 millions d’euros. Cette somme devait être affectée au paiement d’infrastructures nouvelles prévues par l’ancienne majorité.

Conséquence directe de cette suspension, dont nous ne connaissons pas l’issue, le financement provisoire de l’AFITF n’a plus grand-chose de provisoire. En réalité, il n’a plus grand-chose de visible. L’État est en effet obligé de jongler, pour son financement, entre le produit de la redevance domaniale due par les sociétés concessionnaires d’autoroutes, le produit de la taxe d’aménagement du territoire, due par les concessionnaires d’autoroutes, et enfin une fraction égale à 40 % du produit des amendes issues des systèmes automatiques de contrôle et de sanction. En ce sens, l’exposé des motifs, qui s’appuie sur le rapport de la Cour des comptes, pose légitimement la question des moyens financiers dont dispose l’AFITF. Il faut aussi rappeler que l’AFITF doit être considérée comme un intermédiaire financier transparent, comme le souligne d'ailleurs la Cour des comptes dans son rapport.

Finalement, on constate que, par effet de domino, la proposition de loi soulève de vraies questions. Je pense notamment à celle de l’existence même de l’AFITF. Si la proposition de loi ne préconise pas cette solution, le rapport de la Cour des comptes, monsieur le secrétaire d'État, prône sans ambiguïté la suppression de l’AFITF et l’intégration de ses activités – notamment la conclusion des conventions de financement – dans la nouvelle direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, la DGITM.

Je me garderai bien d’en arriver à la même conclusion – c’est peut-être un peu prématuré –, mais le débat mérite d’être ouvert : quid de l’avenir d’une agence qui n’a pas vocation, pour le moment, à sélectionner les investissements ? De la même manière, c’est la DGITM, et non l’AFITF, qui est chargée de la passation et de la gestion des contrats de concession. Il ne faudrait pas oublier que l’AFITF a pour mission de formaliser le financement des projets d’infrastructures et de mettre au point les conventions relatives à chacune des opérations.

Pour conclure s’agissant de l’avenir de l’AFITF, je crois que le rôle qui était initialement dévolu à cette dernière était indispensable. L’Agence n’était pas seulement un intermédiaire. Cependant, ses difficultés de financement se sont accrues dans le même temps qu’elle se voyait confier le développement des liaisons ferroviaires de fret et des transports collectifs de personnes. Le spectre de ses interventions s’est ainsi élargi à d’autres modes de transport. On est donc dans la contradiction la plus totale : d’un côté, moins de financement et un financement moins lisible, de l’autre, plus de contraintes, plus d’obligations, plus de domaines de compétence. L’adage selon lequel c’est celui qui paye qui décide ne s’applique pas à l’AFITF.

L’autre question essentielle que pose la proposition de loi porte sur le jugement a posteriori des privatisations effectuées depuis l’ouverture du capital d’Autoroutes du Sud de la France en 2002. Certains estiment, non sans raison, que ces privatisations n’ont pas apporté les financements nécessaires. Ils évoquent également un manque à gagner de l’ordre de 37 milliards d’euros sous forme de dividendes d’ici à 2032. Quels que soient les chiffres avancés, force est de reconnaître – et j’en suis tout à fait conscient – que les privatisations ont limité les marges de manœuvre de la puissance publique.

En revanche, je ne sais pas si ces privatisations se sont déroulées dans un cadre opaque. Quel que soit le jugement porté a posteriori, la question posée est celle de l’opportunité plus que celle de la légalité. Comme je l’ai dit tout à l'heure, il y a plusieurs sensibilités à l’UMP ; dans la mesure où j’appartiens plutôt à la sensibilité gaulliste, je suis moyennement favorable – je le dis franchement – à ce qui s’est passé.

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