La séance est ouverte à neuf heures.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
Avant d’aborder l’ordre du jour de cette séance, je tiens à souhaiter la bienvenue à Guy Fischer, qui est de retour parmi nous. Je suis très heureuse de vous retrouver dans cet hémicycle, mon cher collègue.
Je vous remercie, madame la présidente. C’est une grande joie pour moi d’être de retour parmi vous. Cela étant, je ferai aujourd'hui ma dernière intervention en séance.
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, à la demande du groupe CRC, de la proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes et à l’affectation des dividendes à l’agence de financement des infrastructures de transports, présentée par Mireille Schurch et plusieurs de ses collègues (proposition n° 59 [2011-2012], résultat des travaux de la commission n° 276, rapport n° 275).
Mes chers collègues, je vous rappelle que la discussion générale avait été entamée lors de notre séance du 22 janvier dernier.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Roger Karoutchi.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, madame la rapporteur, mes chers collègues, au risque de vous surprendre, je souhaite commencer mon intervention par un compliment à l’endroit des auteurs de cette proposition de loi. Grâce à eux, nous allons avoir un débat mêlant les questions afférentes à l’aménagement du territoire et les questions afférentes aux infrastructures de transport. Plus important encore, nous allons peut-être avoir des explications de la part du secrétaire d’État sur ce qui vient d’être annoncé, à savoir que des décisions essentielles allaient être prises la semaine prochaine concernant l’écotaxe.
La présente proposition de loi s’inspire du rapport d’information sénatorial Infrastructures de transport : remettre la France sur la bonne voie, publié le 6 février 2008, mais peut-être plus encore du rapport annuel de la Cour des comptes de 2009. Vous avez raison, madame la rapporteur, ces documents doivent être étudiés avec la plus grande attention. Que disent-ils, en substance ? Tout simplement que les entreprises chargées de la gestion des autoroutes auraient pu rester dans le giron de l’État, comme le souligne le rapport d’information sénatorial, et que, aujourd’hui, du fait des privatisations, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, est devenue une sorte de coquille vide.
Comme je viens de le dire, ces documents ont au moins l’avantage de guider la réflexion. Cependant, si réflexion il doit y avoir, celle-ci ne doit pas être articulée autour de l’hypothétique nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes que prévoit la présente proposition de loi. Le groupe UMP estime, avec d’autres, que c’est l’avenir de l’AFITF et plus globalement des investissements d’infrastructures de transport de notre pays qui est en discussion aujourd’hui.
Lors de l’examen du texte en commission, Mme la rapporteur nous a clairement invités à mener une réflexion sur les dommages collatéraux de certaines libéralisations. C’est justement ce que nous nous apprêtons à faire.
Je ne vous cache pas que nous allons naturellement voter contre la proposition de loi.
Je m’autoriserai une brève digression sur l’histoire des privatisations dans notre pays. En effet, au regard de cette histoire récente, il est étonnant que la droite en général et l’UMP en particulier soient dans l’obligation d’assumer seules la libéralisation de notre économie. S’il nous faut assumer ces libéralisations, nous le ferons, mais j’espère simplement que certains de nos collègues de la majorité n’ironiseront pas trop sur le caractère attendu de notre position.
Je rappelle que l’Acte unique européen de 1986, qui déboucha notamment sur la directive « marchés publics de travaux », fut signé sous l’empire d’une majorité qui n’était pas spécialement de droite. Ce n’est pas non plus un gouvernement de droite qui a engagé en 2000 la réforme visant à renforcer la concurrence pour l’attribution des nouvelles concessions autoroutières. On pourrait également ouvrir le débat sur les privatisations ou débuts de privatisation qui ont concerné plusieurs très grandes entreprises françaises – Air France, EADS, France Télécom, le Crédit Lyonnais et j’en passe – entre 1997 et 2002. Je note enfin que, curieusement, alors que l’on avait très peu privatisé entre 2007 et 2012, depuis lors on a repris le rythme des privatisations et des ouvertures de capital ; celles-ci ont par exemple concerné Safran, EADS ou encore Aéroports de Paris. Il y a donc là un élément qui dépasse probablement les clivages politiques.
Je ne ferai pas de commentaire sur ceux qui se disent un jour ennemis de la finance et procèdent le lendemain à des ouvertures de capital ou à des privatisations. Pour notre part, nous avons une position plutôt équilibrée. L’UMP comporte à la fois un courant libéral, plus ouvert sur l’entreprise, et un courant gaulliste, un peu plus interventionniste et qui n’est pas opposé, ni la forme ni sur le fond, lorsque c’est nécessaire, aux interventions de l’État et aux nationalisations. Il y a probablement un temps pour tout.
La valeur actuelle des participations de l’État est inférieure à 100 milliards d’euros, contre 200 milliards d’euros il y a dix ans. Cela doit nous inciter à une certaine prudence en matière de libéralisation. Le groupe UMP assume sans acrobaties sémantiques sa position en matière de participation de l’État dans les entreprises qui pourraient se révéler stratégiques. Si nous sommes opposés à la proposition de loi examinée aujourd’hui, qui est pour le moins radicale, nous entendons alimenter le débat sur le financement de l’AFITF et les investissements futurs en matière d’infrastructures de transport terrestre.
L’exposé des motifs de la proposition de loi évoque une amputation du budget de l’AFITF de 1 à 2 milliards d’euros par an du fait des privatisations des concessions d’autoroutes. Ce sont autant d’investissements en moins. Comme on peut présumer que les dividendes des sociétés concessionnaires étaient la ressource essentielle de l’AFITF, les privatisations ont donc conduit – nous le reconnaissons – à un certain bricolage financier.
Nous reconnaissons également qu’il existe un manque de lisibilité en ce qui concerne les financements de l’AFITF. Monsieur le secrétaire d'État, ce manque de lisibilité est apparu de manière criante – c’est le moins que l’on puisse dire – avec la suppression, peut-être provisoire – attendons la semaine prochaine – de l’écotaxe. En effet, le produit de cette taxe devait être le socle du financement de l’AFITF, avec une recette estimée à 800 millions d’euros. Cette somme devait être affectée au paiement d’infrastructures nouvelles prévues par l’ancienne majorité.
Conséquence directe de cette suspension, dont nous ne connaissons pas l’issue, le financement provisoire de l’AFITF n’a plus grand-chose de provisoire. En réalité, il n’a plus grand-chose de visible. L’État est en effet obligé de jongler, pour son financement, entre le produit de la redevance domaniale due par les sociétés concessionnaires d’autoroutes, le produit de la taxe d’aménagement du territoire, due par les concessionnaires d’autoroutes, et enfin une fraction égale à 40 % du produit des amendes issues des systèmes automatiques de contrôle et de sanction. En ce sens, l’exposé des motifs, qui s’appuie sur le rapport de la Cour des comptes, pose légitimement la question des moyens financiers dont dispose l’AFITF. Il faut aussi rappeler que l’AFITF doit être considérée comme un intermédiaire financier transparent, comme le souligne d'ailleurs la Cour des comptes dans son rapport.
Finalement, on constate que, par effet de domino, la proposition de loi soulève de vraies questions. Je pense notamment à celle de l’existence même de l’AFITF. Si la proposition de loi ne préconise pas cette solution, le rapport de la Cour des comptes, monsieur le secrétaire d'État, prône sans ambiguïté la suppression de l’AFITF et l’intégration de ses activités – notamment la conclusion des conventions de financement – dans la nouvelle direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, la DGITM.
Je me garderai bien d’en arriver à la même conclusion – c’est peut-être un peu prématuré –, mais le débat mérite d’être ouvert : quid de l’avenir d’une agence qui n’a pas vocation, pour le moment, à sélectionner les investissements ? De la même manière, c’est la DGITM, et non l’AFITF, qui est chargée de la passation et de la gestion des contrats de concession. Il ne faudrait pas oublier que l’AFITF a pour mission de formaliser le financement des projets d’infrastructures et de mettre au point les conventions relatives à chacune des opérations.
Pour conclure s’agissant de l’avenir de l’AFITF, je crois que le rôle qui était initialement dévolu à cette dernière était indispensable. L’Agence n’était pas seulement un intermédiaire. Cependant, ses difficultés de financement se sont accrues dans le même temps qu’elle se voyait confier le développement des liaisons ferroviaires de fret et des transports collectifs de personnes. Le spectre de ses interventions s’est ainsi élargi à d’autres modes de transport. On est donc dans la contradiction la plus totale : d’un côté, moins de financement et un financement moins lisible, de l’autre, plus de contraintes, plus d’obligations, plus de domaines de compétence. L’adage selon lequel c’est celui qui paye qui décide ne s’applique pas à l’AFITF.
L’autre question essentielle que pose la proposition de loi porte sur le jugement a posteriori des privatisations effectuées depuis l’ouverture du capital d’Autoroutes du Sud de la France en 2002. Certains estiment, non sans raison, que ces privatisations n’ont pas apporté les financements nécessaires. Ils évoquent également un manque à gagner de l’ordre de 37 milliards d’euros sous forme de dividendes d’ici à 2032. Quels que soient les chiffres avancés, force est de reconnaître – et j’en suis tout à fait conscient – que les privatisations ont limité les marges de manœuvre de la puissance publique.
En revanche, je ne sais pas si ces privatisations se sont déroulées dans un cadre opaque. Quel que soit le jugement porté a posteriori, la question posée est celle de l’opportunité plus que celle de la légalité. Comme je l’ai dit tout à l'heure, il y a plusieurs sensibilités à l’UMP ; dans la mesure où j’appartiens plutôt à la sensibilité gaulliste, je suis moyennement favorable – je le dis franchement – à ce qui s’est passé.
L’exposé des motifs de la proposition de loi évoque le souhait des rapporteurs de la mission d’information de 2008 « que tous les enseignements de la privatisation en 2005 soient tirés à l’avenir, notamment lorsque les concessions prendront fin et que l’État retrouvera toutes les marges de manœuvre pour organiser le service au mieux de ses intérêts financiers et patrimoniaux ».
S’il est légitime de se poser la question du sort des concessions, il faut aussi prendre conscience que le retour des concessions dans le giron de l’État ne peut intervenir que si celui-ci dispose d’opérateurs aptes à prendre la relève– et c’est un autre problème !
Or tous les groupes gestionnaires d’autoroutes sont désormais privés. Il faudrait donc, pour que l’État reprenne la main, créer des opérateurs ad hoc, sous la forme, j’imagine, de sociétés d’économie mixte. Cette opération sera également très coûteuse : sans doute moins qu’une nationalisation, mais il ne faut pas sous-estimer les difficultés qu’elle posera.
En conséquence, le groupe UMP, qui, je le rappelle, votera contre cette proposition de loi, dégage deux réflexions de ce débat. Tout d’abord, les privatisations qui ont eu cours de 2002 à 2005 n’ont pas donné les résultats escomptés : le constat est clair et il faut l’admettre. Ensuite, monsieur le ministre, une réflexion approfondie devra être entamée avec les sociétés concessionnaires, bien avant le terme des concessions, pour que nous trouvions, dans les années à venir, des solutions offrant des conditions meilleures pour l’État et pour les usagers.
Monsieur le ministre, je ne sais si vous êtes en mesure de nous apporter aujourd’hui des précisions sur les décisions définitives que Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a annoncées pour la semaine prochaine concernant l’écotaxe et le financement des infrastructures de transport ? Je serais tenté de dire au groupe CRC que, si ce débat avait eu lieu dans une semaine, nous aurions disposé de plus d’éclaircissements concernant les moyens de financement que le Gouvernement entend consacrer à ces infrastructures.
Quoi qu’il en soit, en l’état, je ne peux que vous confirmer – je ne dirai pas « à regret », car je ne voudrais pas vous faire croire que j’ai basculé !
Sourires.
Applaudissements sur les travées de l’UMP.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, reconnaissons-le d’emblée, nos collègues du groupe CRC ont un certain talent pour inscrire dans leur « niche » des sujets à forte actualité médiatique et potentiellement polémiques.
À défaut d’être directement applicables en l’état – selon moi, en tout cas –, ces textes présentent cependant l’intérêt de susciter le débat. Tel est particulièrement le cas de cette proposition de loi qui vise à nationaliser les sociétés concessionnaires d’autoroutes.
Le report de quelques mois de ce débat « saucissonné » est finalement opportun. Le sujet des bénéfices des sociétés d’autoroutes n’a en effet pas quitté l’actualité : il est revenu sur le devant de la scène avec les déclarations de la ministre de tutelle, Mme Royal, qui souhaite – ou souhaitait : je ne sais s’il faut parler au passé… – prélever un milliard d’euros sur les sociétés concessionnaires pour compenser le manque à gagner lié à l’abandon de l’écotaxe poids lourds, abandon qu’elle appelait de ses vœux. Roger Karoutchi vient de faire allusion aux dernières déclarations de Mme la ministre ; nous verrons bien quelle suite sera donnée à tout cela, et peut-être pourrez-vous nous en dire un peu plus, monsieur le secrétaire d’État.
Peu contestent aujourd’hui que la privatisation des concessions d’autoroutes décidée en 2005 a certainement été une erreur du gouvernement d’alors. Nous l’avions contestée à l’époque et les groupes centristes du Parlement avaient été, je le rappelle, particulièrement en pointe dans le débat. François Bayrou avait même intenté un recours contre cette décision devant le Conseil d’État.
La privatisation des sociétés concessionnaires d’autoroute a eu une conséquence particulièrement dommageable pour la politique des infrastructures de transport. L’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, qui venait juste d’être créée pour financer les grands projets d’infrastructures ferroviaires, fluviales, maritimes, mais aussi routières, s’est ainsi trouvée privée de recettes durables. La principale ressource de l’AFITF devait être constituée par le produit de la cession des participations détenues par l’État et son établissement public Autoroutes de France dans le capital des trois sociétés d’économie mixte concessionnaires.
Je rappelle que, contrairement aux engagements qui avaient été pris, seuls 4 milliards d’euros sur les 14, 8 milliards d’euros issus de la vente des parts de l’État ont été effectivement affectés à l’AFITF, la majeure partie de la somme ayant été consacrée au désendettement de l’État. Cette décision, facile et marquée par une vision de court terme, a privé l’AFITF d’une ressource pérenne et dynamique. Elle a engendré un manque à gagner déterminant pour le financement des infrastructures de transport. Voilà notre point d’accord.
Avec le recul et en pensant aux difficultés actuelles pour financer les grands projets d’infrastructures de transport, qui nous obligent à faire des choix parmi les projets et à les étaler dans le temps, on ne peut que regretter cette décision. Nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer à plusieurs reprises ici et nous serons peut-être amenés à en débattre plus longuement à brève échéance au sein de cet hémicycle, si le Premier ministre rend rapidement ses arbitrages sur l’écotaxe poids lourds.
Néanmoins, si notre groupe est d’accord sur ce constat, l’ensemble des orateurs, lors de la réunion de la commission du développement durable, ont admis que la nationalisation n’est sans doute pas la bonne solution ni la bonne réponse à la question posée.
Cette proposition de loi est sans doute un texte d’appel, mais nous pouvons douter qu’elle soit applicable en l’état. En tout cas, je fais partie des sceptiques.
Nos collègues communistes proposent en effet la recette – d’aucuns diront : « la vieille recette » – de la nationalisation, qui coûterait, selon les estimations, quelque 50 milliards d’euros, soit grosso modo le produit actuel de l’impôt sur les sociétés. Bien entendu, nous n’en avons pas les moyens. Si nos collègues du groupe CRC font mine de croire – ils me pardonneront cette expression – au gage qui consiste à augmenter d’autant l’impôt sur les sociétés, nous estimons qu’une telle mesure ferait fuir ou fermer les entreprises encore présentes sur notre territoire – ou, du moins, une bonne partie d’entre elles. Bref, le remède n’est-il pas pire que le mal ? Telle est la raison pour laquelle notre groupe s’opposera à cette proposition de loi.
Cette initiative présente néanmoins l’avantage certain de permettre à notre assemblée d’inviter à nouveau le Gouvernement à appliquer les recommandations du rapport de la Cour des comptes sur les relations entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes. Ce rapport a mis en lumière un certain nombre d’anomalies et de lacunes dans le contrôle par les services de l’État des obligations des sociétés concessionnaires d’autoroutes, qui se traduisent notamment par des hausses régulières des tarifs des péages autoroutiers, définis par ailleurs dans des conditions très opaques. Sur ce point aussi, chers collègues du groupe CRC, vous avez visé juste, car il s’agit d’un vrai sujet !
Plutôt que de s’engager dans une nationalisation irréaliste, le ministère des transports doit, me semble-t-il, faire siennes les recommandations de la Cour des comptes. Ne nous trompons pas de débat : le rapport de la Cour des comptes ne traite pas directement des sociétés concessionnaires d’autoroutes, mais critique, parfois durement, les services de l’État, qui ne sont pas en mesure de faire respecter les termes du contrat de concession ni de négocier avec les sociétés d’autoroutes des conditions plus favorables pour l’État et les usagers. Pour ces derniers, cette défaillance s’est traduite par une hausse continue et importante des tarifs autoroutiers, qui sont pourtant en principe encadrés et limités. Je tiens à préciser que, lorsque j’évoque les carences des services de l’État, je souligne un problème d’organisation et de moyens, sans remettre en cause les personnels qui s’efforcent d’accomplir leur mission au mieux : je salue leur travail, tout en considérant que leurs moyens de contrôle devraient être renforcés.
La question posée par la Cour des comptes dans cette affaire est celle du rôle de l’État régulateur. La principale conclusion de la Cour est en effet que les conditions actuelles d’encadrement des concessions autoroutières ne permettent pas que les intérêts des usagers et de l’État soient défendus comme ils devraient l’être.
Il ne s’agit pas de remettre en cause le système des concessions qui a permis de développer en quelques dizaines d’années dans notre pays un réseau autoroutier dense et moderne. En revanche, l’État doit contrôler de façon beaucoup plus précise le respect par les sociétés concessionnaires d’autoroutes de leurs obligations.
Meilleure négociation des contrats de plan et des avenants, mise en œuvre des dispositions contraignantes prévues par les cahiers des charges en cas de non-respect par les concessionnaires de leurs obligations contractuelles, contre-expertise des coûts prévisionnels des investissements, révision du décret de 1995 : toutes ces propositions de bon sens formulées par la Cour des comptes doivent être mises en œuvre par le ministère.
J’ai pris bonne note des assurances que M. le ministre délégué chargé des transports a bien voulu nous donner en janvier dernier, au début de la discussion générale. Je crois qu’il est revenu sur ce sujet depuis, mais il faudra que les intentions affichées trouvent une traduction dans la réalité.
En commission, plusieurs de nos collègues ont demandé la constitution d’une mission d’information sur la question de la privatisation des sociétés d’autoroutes. Je suis favorable à une initiative de ce type de notre assemblée, car elle permettrait d’y voir plus clair et de répondre aux questions de la hausse des tarifs des péages autoroutiers et de la rente tarifaire, qui reviennent régulièrement sous une forme polémique. Cette mission permettrait aussi de vérifier que les nouvelles procédures et contrôles mis en place par les services du ministère des transports, et évoqués par M. le ministre délégué lors de la précédente séance consacrée à ce débat, sont bien entrés en application. Enfin, comme le note la Cour des comptes, le cadre des concessions autoroutières doit évoluer alors que les besoins d’extension et de modernisation du réseau autoroutier sont moindres.
Pour conclure, permettez-moi de souligner un paradoxe en m’interrogeant sur la décision prise par le précédent Premier ministre de prolonger de trois ans les concessions en cours.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les auteurs de la proposition de loi rappellent leur opposition à la privatisation de l’intégralité du capital des sociétés d’économie mixte concessionnaires d’autoroutes intervenue en 2006 sur l’initiative du gouvernement de Dominique de Villepin. Ils mettent en avant les faibles recettes attribuées alors à l’AFITF pour le financement des infrastructures de transport : 4 milliards d’euros sur un prix de cession de 14, 8 milliards d’euros. Ils soulignent les fortes augmentations de tarifs constatées depuis, la diminution des effectifs dans le secteur concerné ainsi que la rente de situation dont bénéficient les sociétés d’autoroute. Ils en tirent la conclusion de la nécessité de nationaliser toutes les sociétés concessionnaires, et non pas seulement celles qui ont été privatisées en 2006.
Pour gager cette mesure, le texte prévoit d’augmenter le taux de l’impôt sur les sociétés à due concurrence. Il convient de noter que, contrairement à la formulation de l’intitulé de cette proposition de loi, rien n’est prévu dans le texte pour garantir l’affectation à l’AFITF d’une partie des recettes de péages qui, dans cette hypothèse, reviendrait à l’État.
J’ai souvent dénoncé, en commission et en séance publique, l’erreur, voire la faute politique, qui a consisté à vendre les actifs de l’État dans les sociétés concessionnaires d’autoroutes. D’autres parlementaires socialistes ont exprimé la même position tout aussi clairement. Le groupe socialiste fait donc le même constat que les auteurs de la présente proposition de loi.
Par ailleurs, la Cour des comptes est parvenue aux mêmes conclusions à la suite d’une analyse très précise des conditions de vente des actions de l’État, mais aussi de la gestion des sociétés concessionnaires observée depuis lors.
En effet, dans son rapport de 2008, la Cour a montré que le prix des actifs de l’État vendus aux sociétés concessionnaires d’autoroutes a été sous-évalué. Elle a estimé que cette vente aurait dû rapporter 24 milliards d’euros et non 14, 8 milliards d’euros. La Cour des comptes a également constaté certaines pratiques tarifaires opaques, au moins jusqu’en 2008, allant à l’encontre de la notion de service public. Il s’agit, par exemple, de la technique dite du « foisonnement » qui consiste en une hausse de tarifs ciblée sur les itinéraires les plus fréquentés.
Par ailleurs, dans son rapport de juillet 2013 sur les relations entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes, la Cour des comptes a mis en évidence une progression de 10 %, entre 2008 et 2011, des recettes de péages, lesquelles se sont élevées à 7, 6 milliards d’euros en 2011. Ces chiffres édifiants doivent nous faire réagir, s’agissant de la gestion déléguée d’un service public. La Cour a d’ailleurs indiqué, non sans malice, que la profitabilité de ce secteur « a été beaucoup plus marquée et constante que celle de l’ensemble de l’économie française, hors secteur financier ».
Si nous souscrivons au constat des auteurs de cette proposition de loi, constat dont la pertinence est évidente, faut-il pour autant les suivre dans leur volonté de nationaliser toutes les sociétés concessionnaires d’autoroutes ?
On comprend bien, madame la rapporteur, la logique qui préside à cette proposition. La rente autoroutière ainsi dégagée apporterait dans la durée des recettes suffisantes pour financer la régénération des infrastructures de transport et leur développement. Mais les marges de manœuvre financières de l’État sont aujourd’hui très faibles – c’est le moins que l’on puisse dire ! – et le coût de rachat des actifs des sociétés concessionnaires d’autoroutes est très élevé.
S’agissant d’une éventuelle nationalisation, une première difficulté tient au manque de précisions sur la valeur actuelle des sociétés concessionnaires d’autoroutes.
Dans sa décision du 16 janvier 1982, le Conseil constitutionnel a précisé les grands principes des nationalisations d’entreprises. Ainsi, l’indemnité allouée aux actionnaires des entreprises doit satisfaire aux principes posés par l’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et doit, en conséquence, être juste et préalable. Alors, combien cela pourrait-il coûter ?
Cela a été dit précédemment, la Cour des comptes a estimé que la vente des actifs de l’État aux sociétés concessionnaires aurait dû s’élever à 24 milliards d’euros en 2006. Cette estimation peut constituer le point de départ d’une évaluation du prix de rachat des concessions autoroutières, auquel il faudrait ajouter d’autres éléments.
Tout d’abord, la privatisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes en 2006 ne concernait pas la totalité du capital de ces sociétés puisque l’État n’en possédait qu’une partie. Il faudrait donc racheter l’ensemble du capital des sociétés concessionnaires actuelles et non pas seulement l’équivalent de ce qui a été vendu en 2006.
En outre, si l’on devait nationaliser aujourd’hui ces sociétés, sans doute faudrait-il reprendre également leurs dettes, estimées au total à 25 milliards d’euros par le ministère des transports.
Ensuite, la décision de nationaliser entraînerait une rupture des contrats de concession qui prévoient des pénalités importantes dans ce cas.
Enfin, la liste des sociétés concessionnaires à nationaliser dans l’article 1er de la proposition de loi inclut non seulement les anciennes sociétés d’économie mixte concessionnaires d’autoroutes, mais également les autres concessions qui ne faisaient pas partie de la cession de 2006. Nationaliser l’ensemble des sociétés autoroutières alourdirait d’autant plus le coût d’un éventuel rachat.
La nationalisation de l’ensemble des sociétés concessionnaires d’autoroutes pourrait ainsi coûter de 40 à 50 milliards d’euros, selon les estimations provisoires de la Cour des comptes, ce qui amène à évoquer la deuxième difficulté d’application de cette proposition de loi.
En effet, le texte prévoit, dans son article 3, de gager les nationalisations des sociétés concessionnaires d’autoroutes sur une augmentation de l’impôt sur les sociétés.
Pour connaître le niveau d’augmentation de l’impôt sur les sociétés induit par la mise en œuvre de la proposition de loi, il est essentiel de comparer le rendement de cet impôt au coût d’un éventuel rachat.
L’impôt sur les sociétés rapporte globalement chaque année à l’État 50 milliards d’euros. Afin de ne pas remettre en cause les actions financées par cet impôt, tout en rachetant les actions des sociétés concessionnaires d’autoroutes, il faudrait purement et simplement doubler, sur un exercice budgétaire, les recettes actuelles de l’impôt sur les sociétés.
Cette solution apparaissant pour le moins très difficilement supportable par les entreprises françaises, en particulier les plus petites, dans une période de grave crise économique, l’autre solution serait d’augmenter à due concurrence l’endettement de l’État. Cette solution est, là encore, pour le moins, très difficilement envisageable en raison du niveau actuel de la dette.
En outre, comment justifier, dans une période où les contribuables sont fortement sollicités, le fait d’apporter autant d’argent public à des sociétés privées qui n’ont pas, jusqu’à maintenant, suffisamment participé au développement des infrastructures de transports, bien qu’elles aient beaucoup demandé financièrement aux usagers ?
Dans ce contexte, il paraît préférable d’attendre la fin des concessions : les autoroutes reviendront alors progressivement à l’État, puisque, ne l’oublions pas, ces infrastructures appartiennent à la nation.
Pour autant, la situation actuelle n’est absolument pas satisfaisante. Cette proposition de loi a donc le grand mérite – et il convient d’en remercier ses auteurs – de permettre d’engager le débat sur l’ensemble des questions liées aux concessions autoroutières.
Le rapport de la Cour des comptes de juillet 2013, relatif aux relations entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes, constitue une excellente base de travail. En effet, la Cour dresse une série de huit recommandations, notamment pour réguler les tarifs des péages, mieux encadrer les négociations et sanctionner plus lourdement les éventuels non-respects des obligations contractuelles.
La mise en œuvre de ces recommandations permettrait sans doute de rééquilibrer les contrats de concession en faveur de l’État. L’enjeu essentiel porte, à mon sens, sur la manière de faire contribuer plus fortement les concessionnaires actuels à l’effort national de maintenance des infrastructures de transport et de leur développement.
Je souhaite ainsi mettre en débat trois réflexions.
La première porte sur la pertinence de conserver la forme contractuelle du contrat de plan dans les relations entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes. En effet, quand l’État était actionnaire des sociétés concessionnaires d’autoroutes, il disposait de toutes les informations nécessaires sur la réalité des coûts et des besoins, et une partie des résultats financiers lui revenait.
Avec la privatisation des sociétés d’autoroutes, il en est différemment. Le contrat de plan est-il toujours un outil efficace de négociation contractuelle ou un outil performant de suivi des contrats de concessions ? En tout cas, il me semble nécessaire de le vérifier !
Dans la négative, il serait utile de réfléchir à une évolution des formes de relations entre l’État et les concessionnaires, avec l’objectif de redonner du poids à la puissance publique et d’améliorer le contrôle du respect des dispositions du contrat de concession.
La deuxième réflexion concerne la place du Parlement en la matière. Même si les relations entre l’État et les concessionnaires sont purement contractuelles et ne supposent l’intervention d’aucune autre institution publique, il est tout de même important que le Parlement soit au minimum tenu informé des négociations en cours et du suivi des contrats.
La troisième réflexion a trait à la mise en place d’une fiscalité plus adaptée concernant la contribution des sociétés concessionnaires d’autoroutes à l’effort national de développement des infrastructures de transport.
La taxe d’aménagement du territoire est contractuellement liée au tarif des péages et donc à la participation des usagers. Si l’État décide d’augmenter cette taxe, le risque est grand que ce soient les usagers qui la supportent. Pourquoi ne pas imaginer une modulation de cette fiscalité pour peser moins sur l’usager et plus sur les dividendes des sociétés concessionnaires ? Le choix du Gouvernement de relever de plus de 50 % en 2013 la fiscalité domaniale non liée au tarif des péages a été une judicieuse initiative. Cependant, le Conseil d’État a souhaité limiter cette augmentation au motif que le prélèvement supplémentaire doit être justifié par un avantage économique tiré de l’occupation du domaine public. Faut-il alors imaginer une nouvelle fiscalité ?
La question de la nationalisation ou de la participation accrue au financement des infrastructures de transport des sociétés concessionnaires d’autoroutes est donc un sujet complexe et mérite une analyse plus approfondie de sa faisabilité. C’est pourquoi le Gouvernement comme la majorité présidentielle, en particulier le député Jean-Paul Chanteguet, réfléchissent actuellement à des solutions pertinentes.
En attendant que ces réflexions permettent de formuler des propositions, il convient, me semble-t-il, de relever le niveau de la taxe d’aménagement du territoire, tout en surveillant les tarifs de péage.
En conclusion, je rappelle que le groupe socialiste fait le même constat que les auteurs de la proposition de loi. Il n’en tire toutefois pas les mêmes conclusions, à savoir la nationalisation immédiate des actifs de toutes les sociétés concessionnaires d’autoroutes, en raison des marges budgétaires extrêmement limitées de l’État et du coût très élevé que représenteraient le rachat des actifs des sociétés concessionnaires et la rupture des contrats de concessions.
Cette proposition a toutefois le grand mérite – il faut le dire avec force – d’ouvrir le débat sur l’ensemble des questions relatives aux concessions autoroutières, débat qui ne fait que commencer et qui doit être mené à son terme. §
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier vivement les auteurs de la proposition de loi de nous permettre de débattre d’une question fondamentale – cela a été dit et il faut l’affirmer avec force. Nous n’ignorons pas en effet que la croissance, le développement économique, l’emploi, le désenclavement des territoires sont corrélés à la qualité de nos infrastructures de transport et à la densité de notre réseau. Et tout cela contribue et participe de l’aménagement du territoire, un aménagement du territoire dont on ne dit pas suffisamment l’importance aujourd’hui.
Cette proposition de loi a, par ailleurs, le mérite de mettre en lumière les difficultés que nous risquons de rencontrer si nous voulons atteindre les objectifs du Grenelle de l’environnement en matière de report modal et de réduction de gaz à effet de serre.
Ce texte nous permet donc d’avoir à nouveau un débat – et peut-être pourrons-nous obtenir des réponses du Gouvernement ? – sur l’épineux problème du financement des infrastructures de transport, notamment sur les recettes affectées au budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France.
Au regard des enjeux nationaux en matière de renouvellement des infrastructures, longtemps délaissées, il y a véritablement urgence ! Et les membres du RDSE, à l’instar de notre ami Michel Teston à l’instant, ne cessent de le répéter.
Les auteurs de la présente proposition de loi s’inquiètent à juste titre des effets des privatisations qui ont eu lieu en 2002 et en 2005 : ces dernières ont en effet entraîné une hausse continue du tarif des péages – très supérieure à l’inflation –, alors que les autoroutes concédées étaient quasiment achevées, que de nouveaux investissements de grande importance n’allaient par conséquent pas grever les recettes des sociétés concessionnaires, et que le trafic était amené à croître.
Ces sociétés privées ont ainsi pu encaisser plus de 8 milliards d’euros de chiffres d’affaires en 2011, comme en 2012.
Ces hausses de péages déconnectées des investissements réalisés ont été critiquées récemment – cela a déjà été rappelé – par la Cour des comptes dans son rapport publié en juillet 2013.
La question de la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes s’est posée pour certains avec d’autant plus d’acuité que l’écotaxe poids lourds a été suspendue sine die. Or, cette recette représente 40 % du budget de l’AFITF et met en danger ses missions, comme l’ensemble des projets qu’elle est amenée à porter à très long terme. Il nous faut donc connaître au plus vite l’intention du Gouvernement sur ce point particulier, monsieur le secrétaire d’État. Nous serons tous très vigilants à la réponse que vous ferez.
Faut-il renationaliser dès maintenant les sociétés d’autoroutes ? Telle est la question qui se pose.
Certes, nous sommes nombreux à regretter la privatisation décidée par le gouvernement de l’époque qui s’est avérée être une très mauvaise opération, aussi bien pour les contribuables que pour les usagers.
Il faut le rappeler – mais M. Karoutchi l’a lui-même indiqué tout à l’heure –, cette décision, prise sans consultation préalable de la représentation nationale, était loin de faire l’unanimité au sein même de la majorité de l’époque.
Cependant, la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes, qui, certes, réalisent des bénéfices, aurait un coût excessif sur nos finances publiques, dont on sait en quelle mauvaise posture elles se trouvent aujourd’hui.
La proposition de loi aurait alors pour conséquence néfaste de corriger une grande erreur de gestion du patrimoine de l’État par une nouvelle erreur. Inutile de préciser que, dans le contexte budgétaire actuel, cela n’est pas envisageable !
Enfin, et surtout, comme en 2006, rien ne garantit que les dividendes seraient finalement affectés au budget de l’AFITF. En effet, à l’époque, 4 milliards d’euros seulement sur les 14, 8 milliards d’euros du produit de la cession avaient été affectés à l’Agence.
Pour provoquer une baisse des péages, il reste que l’État a encore un rôle certain à jouer lors des négociations des contrats de plan. Comme Michel Teston l’a rappelé, les autoroutes demeurent propriété de l’État. Ainsi, conformément aux recommandations de la Cour des comptes, le ministère de l’économie et des finances devrait être systématiquement associé aux négociations. De même, il est indispensable de mieux encadrer par décret les hausses des péages. Monsieur le secrétaire d’État, est-ce l’intention du Gouvernement ?
En ce qui concerne le financement des infrastructures de transport, quelles solutions nous reste-t-il ? Sans aucun doute, soit appliquer l’écotaxe, soit envisager sa substitution.
Mais il est inutile de dire, monsieur le ministre, que l’on ne peut préserver indéfiniment le statu quo. Il nous faut savoir très vite ce qu’il en sera.
La paralysie actuelle met en danger tout le dispositif, à commencer par le financement de nos infrastructures, alors que le réseau ferroviaire souffre – on ne le sait que trop ! – d’un désinvestissement de longue date que nous avons du mal à rattraper, et alors que les projets prévus pour 2030 par la commission Mobilité 21 risquent d’attendre et pourraient même ne jamais voir le jour.
Cet immobilisme est d’autant plus préoccupant que le réseau d’infrastructures de transport européen doit, lui aussi, avancer.
Faut-il, sous prétexte d’une telle suspension, s’interdire d’envisager d’autres sources de financements qui pourraient devenir complémentaires ? C’est une question que nous devons tous nous poser.
Comment faut-il interpréter les déclarations faites récemment à l’Assemblée nationale par le ministre du budget, selon lesquelles « l’abandon de la taxe poids lourds nécessiterait de revoir un certain nombre de priorités, de faire des choix pour redessiner notre politique de transport » ?
Vous le voyez, monsieur le ministre, nous nous interrogeons tous, et vos réponses sont très attendues. Nous sommes, comme l’ont dit également les précédents orateurs, dans une situation d’attente.
Je vous le dis avec beaucoup d’amitié, madame Didier, la très grande majorité du groupe du RDSE ne pourra apporter son soutien à cette proposition de loi. §
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi est importante, car elle exprime, au fond, la nécessité impérieuse pour l’État de récupérer la maîtrise de notre bien commun financé par l’impôt : les autoroutes.
Cela a été rappelé sur toutes les travées de cet hémicycle, cette privatisation intervenue en 2005 a clairement privé l’État d’une manne financière conséquente, à hauteur de 2 milliards d’euros par an, et ce sans aucune compensation. Dans le climat actuel de manque flagrant de ressources pour la création d’infrastructures de transport, et donc pour le développement de tous les territoires, y compris les plus enclavés, l’irresponsabilité de cette décision se révèle avec une acuité toute particulière.
Au final, l’argent qui aurait dû financer la création d’infrastructures ou, tout simplement, la régénération de l’existant, lequel en a bien besoin, tombe aujourd’hui dans les mains de Veolia et autres géants du BTP. Ces éléments démontrent au fond que l’État a été spolié par les intérêts privés.
Nous sommes satisfaits d’entendre aujourd’hui les voix, de plus en plus nombreuses, de ceux qui partagent notre constat.
La ministre de l’écologie a ainsi indiqué, lors de son audition devant la commission d’enquête : « Il est quand même très étrange que les autoroutes [...] fassent 2 milliards de bénéfices et que ces 2 milliards de bénéfices, qui sont quand même payés par les usagers, ne reviennent pas pour payer les infrastructures dans le cadre du contrat de plan État-régions. »
Le député Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable de l’Assemblée nationale, va même plus loin, en déclarant : « Il me semblerait plus opportun [...] d’engager une opération de rachat des concessions autoroutières afin que l’État en reprenne le contrôle. »
Le ministre Michel Sapin confirme : « Les autoroutes ont été privatisées dans des conditions discutables [...] tellement discutables que du point de vue du ministre des finances, j’ai plutôt envie de voir se rapprocher le moment de la fin de la concession. »
Comment pourrait-il en aller différemment lorsque l’on sait que, selon diverses projections, dont celle qui a été retenue par l’État, les sociétés d’autoroute auraient rapporté d’ici à 2032 environ 37 milliards d’euros de dividendes à l’État ? Cet argent manque aujourd’hui cruellement ! Pourtant, et contre toute attente, il serait question aujourd’hui d’allonger la durée de ces concessions au profit des mêmes intérêts privés.
Je prendrai un simple exemple : les recettes des péages représentent 82 % du chiffre d’affaires de la société APRR. C’est une véritable rente !
Ainsi, le plan de relance autoroutier présenté officiellement à la Commission européenne, le 16 mai dernier, permet d’allonger la durée des actuelles concessions de deux ou trois ans, en contrepartie d’investissements réalisés par les sociétés concessionnaires, voire d’envisager de nouvelles privatisations de routes nationales.
Par ailleurs, les pistes évoquées par la ministre de l’écologie, en remplacement d’une écotaxe quasiment défunte, passent certes par une mise à contribution des sociétés autoroutières, mais celle-ci serait compensée par un éventuel rallongement des concessions...
Pourquoi faire le choix, aujourd’hui, de prolonger ce racket ? Comment comprendre ce double discours ?
On se trouve là dans une situation paradoxale, puisque l’on propose de perpétuer une situation que l’ensemble de la classe politique dénonce. Notre proposition de loi apporte, dans ce cadre, de la clarté.
Nous maintenons donc que la privatisation des concessions, le 18 juillet 2005, a constitué une faute, et même une double faute : d’une part, parce que cette perte de maîtrise publique dans les sociétés concessionnaires a engendré une forte hausse des tarifs pour les usagers, et, d’autre part, parce que les conditions de cette cession ont été particulièrement favorables aux repreneurs. Les concessions ont en effet été vendues à moins de 15 milliards d’euros, alors même que la Cour des comptes estimait leur valeur à 22 milliards d’euros, l’opération étant assortie d’un taux de rentabilité très satisfaisant pour les concessionnaires puisque celui-ci est estimé à 8 % chaque année.
Il s’agit même d’une triple faute dans la mesure où cette cession a conduit à priver l’État de ressources précieuses, et ce alors que l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, est aujourd’hui en souffrance. La Cour des comptes qualifie d’ailleurs celle-ci, dans son rapport de 2009, d’agence « aux ambitions limitées, privée de moyens et désormais inutile ».
Je retiens de nos débats, pour ma part, essentiellement trois éléments.
Premièrement, cette décision de vente des concessions d’autoroutes a témoigné d’une vision à court terme de la politique, posant comme objectif prioritaire de toute décision publique le désendettement de l’État. Cette obsession a conduit les pouvoirs publics à faire de mauvais choix pour l’intérêt général, des choix contre-performants, y compris d’un point de vue purement économique.
Deuxièmement, il est incroyable que les pouvoirs publics soient aujourd’hui littéralement pris en otage par les sociétés concessionnaires, lesquelles restent en position de force pour négocier la poursuite de leur rente. D’ailleurs, selon les conventions conclues, ces sociétés ne sont absolument pas dans l’obligation de réinvestir leurs bénéfices, ce qui a conduit la Cour des comptes à considérer, en 2013, que « ces conventions étaient particulièrement déséquilibrées ». Allons-nous encore longtemps tolérer cette situation ?
Restaurer l’autorité de l’État, ce qui semble être la mission prioritaire du nouveau Premier ministre, devrait conduire les pouvoirs publics à réagir. La puissance publique a les moyens de renégocier ces conventions, voire de les racheter, comme elle aurait pu avoir les moyens de dénoncer le contrat Ecomouv’... Tout est question de volonté politique !
Alors que le Président de la République a organisé la conférence environnementale et affirmé l’urgence de la transition écologique, le financement de la politique du transport ne saurait rester en berne, comme c’est le cas aujourd’hui.
L’outil qu’est l’ATITF semble en effet condamné par la conjonction d’éléments aggravants : suspension de l’écotaxe, perte de ressources des dividendes des sociétés concessionnaires, faiblesse de la participation de l’État.
Pourtant, les engagements utiles et nécessaires pris dans le cadre du schéma national d’infrastructures de transport, le SNIT, ou plus récemment du plan Mobilité 21, nécessitent des financements. Nous sommes à cet égard – nous y reviendrons d’ailleurs bientôt – très inquiets du fait que la réforme ferroviaire annoncée ne traite aucunement de financements et en appelle simplement à des gains de productivité.
La France est un pays en réseau. Le droit à la mobilité exige que la puissance publique investisse pour la création et le renouvellement des réseaux, notamment les réseaux capillaires, dits « secondaires », en Bretagne comme partout en France.
À ce titre, je suis stupéfait d’apprendre que RFF ne financerait qu’à hauteur de 12 % à 15 % les lignes secondaires, tant pour les études que pour les travaux. Il y a là une inégalité de traitement des citoyens et des collectivités concernées.
Avec ce texte, nous faisons une proposition crédible qui permettrait de récupérer les 2 milliards d’euros de bénéfices qui tombent chaque année dans les poches des actionnaires des sociétés concessionnaires. La renationalisation est aujourd’hui une urgence morale et politique pour restaurer la confiance dans les pouvoirs publics, dans leur capacité à défendre l’intérêt et le patrimoine commun de nos concitoyens.
C’est en effet en prenant des mesures favorables au plus grand nombre et aux territoires que nous réconcilierons les Français et les politiques. C’est cela que nous appelons « le changement ».
Applaudissements sur les travées du groupe CRC . – M. Joël Labbé applaudit également.
Madame la présidente, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite que chacun reconnaisse, sur l’ensemble de ces travées, que la privatisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes a été une erreur. Le secrétaire d’État chargé des transports, pour sa part, l’a toujours dit avec force, et ce dès sa prise de fonctions.
Pour autant, il n’est pas possible de revenir en arrière, de renationaliser, pour les raisons évoquées par plusieurs d’entre vous. Le coût d’une telle renationalisation serait en effet, d’après les estimations, de 40 à 50 milliards d’euros, et l’État serait dans l’obligation, dans le même temps, de retrouver une capacité opérationnelle et de nouvelles compétences afin d’assurer l’entretien du réseau autoroutier.
Il convient néanmoins de mieux gérer les contrats de concession. Frédéric Cuvillier s’y emploie depuis deux ans.
Monsieur Karoutchi, des annonces seront faites la semaine prochaine concernant l’évolution de l’écotaxe. Vous comprendrez que je ne puisse pas vous en dire plus ce matin sur ce sujet.
Cependant, le rapport Chanteguet a été publié, et un important travail est mené par les ministères concernés pour trouver des solutions. Ces questions seront tranchées par le Gouvernement la semaine prochaine.
Vous avez aussi évoqué, monsieur le sénateur, le financement de l’AFITF et le manque de lisibilité quant au financement de l’écotaxe.
Attendons de connaître les choix qui seront définis la semaine prochaine, s’agissant de l’écotaxe, avant d’évoquer l’équilibre financier de cette agence ! Quant à la suppression de cette dernière, elle n’est pas à l’ordre du jour : c’est un outil essentiel, qui permet de bien identifier les dépenses et les recettes.
Vous demandez, monsieur Capo-Canellas, s’il est possible de récupérer des recettes sur les bénéfices des sociétés d’autoroutes.
Imaginons que l’on se fixe un objectif de 1 milliard d’euros à récupérer, soit 50 % de ces bénéfices. Il faudrait, par un moyen ou un autre, compenser la perte subie par les sociétés d’autoroutes.
Sans rappeler toutes les actions menées par Frédéric Cuvillier depuis sa prise de fonctions, je signale qu’il a décidé d’augmenter de 50 % la redevance domaniale, laquelle n’avait pas été modifiée depuis de longues années, ce qui représente plus de 100 millions d’euros de recettes. Initialement, il avait souhaité une augmentation de 100 % de cette taxe, mais cette décision avait été « retoquée » par le Conseil d’État. Il a fallu un an pour mettre en place ce nouveau dispositif, en tenant compte du recours que je viens d’évoquer.
La Cour des comptes considère, à juste titre, qu’il faut mieux gérer les contrats autoroutiers. Le secrétaire d’État chargé des transports s’emploie depuis deux ans à limiter les hausses tarifaires, à mieux négocier les contrats de plan, à limiter le taux de rentabilité des projets. Ces avancées, je tenais à les rappeler devant vous.
Monsieur Teston, vous avez eu raison de souligner qu’il n’aurait pas fallu privatiser les sociétés autoroutières. Même M. Karoutchi l’a reconnu !
Comme vous l’avez dit, le prix de cession a été sous-évalué. Le montant de cette sous-évaluation varierait, selon les chiffres dont nous disposons, entre 7 et 10 milliards d’euros.
Par ailleurs, pour ce qui concerne le foisonnement, la Cour des comptes a indiqué dans son rapport qu’il n’existait plus.
S’agissant de l’augmentation de la taxe d’aménagement du territoire, ou TAT, il faudrait, si je vous suivais dans vos propos, compenser obligatoirement cette mesure par des hausses de tarifs, de telle sorte que l’opération – et nous sommes là dans le cadre de la loi – soit neutre pour le concessionnaire. Pour 100 millions d’euros de gains supplémentaires de TAT, il faudrait augmenter de 1, 5 % les tarifs payés par les usagers.
Quant à l’information du Parlement, on peut toujours l’améliorer. Comme vous le savez, un rapport annuel de gestion des autoroutes est transmis par le Gouvernement au Parlement et la Cour des comptes publie fréquemment des rapports sur ce sujet. Par ailleurs, deux parlementaires sont représentés au sein du comité des usagers, ce qui leur permet de recueillir des informations.
Madame Escoffier, vous avez eu raison d’insister à nouveau sur les résultats des sociétés concessionnaires : 8 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 2 milliards d’euros de bénéfices en 2011, en 2012 et en 2013. Ce sont les contrats de concession – faut-il le rappeler ? – qui conduisent à ces résultats. Faut-il associer Bercy aux négociations ? C’est déjà le cas ! Le travail est donc engagé à cet égard.
Vous avez raison, madame la sénatrice, il faut trouver des solutions pour financer les infrastructures, soit, concrètement, de 2 à 2, 5 milliards d’euros par an. Comme je l’ai déjà dit à M. Karoutchi, il faut attendre la semaine prochaine pour savoir quelles mesures seront annoncées concernant l’écotaxe.
Vous aurez, dès la semaine prochaine, l’occasion de rediscuter de ces questions avec M. le secrétaire d'État chargé des transports.
Monsieur Le Cam, le plan de relance autoroutier compte vingt opérations d’élargissement et de sécurité, le montant des investissements s’élevant à 3, 5 milliards d'euros. Les négociations ont été très difficiles, pour ne pas dire très dures, et la notification a eu lieu en 2014. Actuellement, seuls les concessionnaires sont capables de réaliser ces opérations.
Le sujet du rachat des concessions est très complexe. Selon les modalités de reprise, le coût serait compris entre 20 milliards et 50 milliards d'euros. En outre, un problème opérationnel se pose : comment l’État s’organiserait-il pour gérer ces autoroutes ?
Tels sont les éléments de réponse que je souhaitais vous apporter à l’issue de ce débat, qui a été riche et important pour le Gouvernement. §
La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
Les sociétés suivantes sont nationalisées :
– A’LIÉNOR ;
– ADELAC ;
– Arcour ;
– Autoroute de liaison Calvados-ORNE (ALICORNE) ;
– Autoroute de liaison Seine-Sarthe (Alis) ;
– Autoroutes du sud de la France (ASF) ;
– Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) ;
– Compagnie Eiffage du viaduc de Millau (CEVM) ;
– Compagnie industrielle et financière des autoroutes (Cofiroute) ;
– Sanef ;
– Société des autoroutes Estérel Côte d’Azur Provence Alpes (Escota) ;
– Société marseillaise du tunnel Prado-Carénage (SMTPC).
Au cours de la discussion de cette proposition de loi, nous avons démontré l’importance de remédier à la situation actuelle.
Nous sommes tous d’accord non seulement pour reconnaître que la cession des parts de l’État dans les sociétés concessionnaires a constitué un scandale financier, mais aussi pour dénoncer l’incurie de l’État dans la fixation des tarifs des péages et dans le contrôle des investissements.
Parlons du coût et de la dette publique, puisque ce sont les seuls arguments qui nous sont aujourd’hui opposés.
Concernant le rachat des concessions, monsieur le secrétaire d'État, nous avions souhaité pouvoir disposer de chiffres fiables sur le coût d’une telle opération. En effet, nous ne savons pas selon quelle méthode M. Teston est parvenu au chiffre de 50 milliards d'euros. Nous rejoignons donc ceux qui demandent la création d’une commission d’information. Par ailleurs, il serait peut-être utile que le Gouvernement établisse un chiffrage.
Concernant l’accroissement de la dette publique, le rachat des concessions rapporterait au moins 2 milliards d'euros par an à l’État, qui serviraient pour une part au remboursement d’un emprunt pouvant être souscrit auprès de nos concitoyens et permettraient pour une autre part de relancer nos programmes d’infrastructures essentielles. C’est un impératif incontournable pour notre développement économique local et national. Ce que nous vous proposons, c’est une mesure dynamique, un endettement vertueux ! Il faut en finir avec la phobie de la dette, car cette dernière est aussi un levier d’action pour l’État.
Certes, il y a de la mauvaise dette. Ainsi, aujourd’hui, 29 % de notre dette résulte de taux d’intérêt excessifs exigés par les marchés prédateurs, 24 % de la chute des recettes publiques due aux nombreux cadeaux fiscaux faits aux actionnaires et aux détenteurs de très hauts revenus, sans parler du coût de l’évasion fiscale. Par conséquent, plus de la moitié de notre dette publique est illégitime.
C’est sur ces fronts qu’il faut combattre, sans s’interdire d’investir pour le futur, car il est faux de dire que la dette publique résulte d’une croissance excessive des dépenses publiques !
La dette publique n’est pas un mal en soi. Elle sert à financer des dépenses d’avenir, celles qui permettent de renforcer la croissance à long terme de l’économie, par exemple en finançant des équipements ou de meilleures infrastructures. En réalité, quand le déficit public sert à financer des dépenses socialement utiles, cela profite aux générations futures.
Ainsi, en rachetant les concessions d’autoroutes, nous ne reporterions pas la charge d’une dépense publique sur les générations futures : au contraire ! À cet égard, cet argument plus moral qu’économique ne saurait suffire.
L’État n’est pas un agent privé, il n’est ni un ménage ni une entreprise ; il est seul à pouvoir décider de certains déséquilibres et anticiper sur les besoins de long terme, par exemple en matière de grandes infrastructures de réseaux.
Appliquer aveuglément la règle des 3 % de déficit public revient à ne jamais engager d’améliorations au bénéfice des générations futures et conduit à l’immobilisme.
Mes chers collègues, nos concitoyens ne nous pardonneront pas une énième reculade. Nous ne pouvons plus privilégier la rémunération des actionnaires des sociétés concessionnaires, au détriment de l’intérêt général.
C’est pourquoi je vous demande de ne pas suivre les membres de la commission du développement durable, qui ont rejeté notre texte, et vous invite au contraire à voter la renationalisation des sociétés d’autoroutes, pour répondre aux attentes de nos concitoyens. §
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet article !
Je mets aux voix l'article 1er.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
L’article 1er entre en vigueur à l’expiration d’un délai d’une année à compter de la promulgation de la présente loi.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet article !
Je mets aux voix l'article 2.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
L'amendement n° 1, présenté par M. Dantec et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La deuxième phrase du II de l'article L. 119-7 du code de la voirie routière est ainsi rédigée :
« Ces modulations de péages sont mises en œuvre au plus tard au 1er janvier 2016. »
La parole est à M. Joël Labbé.
Je supplée ici Ronan Dantec, qui est très pris actuellement par la question essentielle du réchauffement climatique.
Cet amendement tend à instaurer, dès 2016, des modulations de péages autoroutiers pour les poids lourds selon les normes Euro d’émissions de particules fines et d’oxydes d’azote, celles-ci constituant un grave problème de santé publique. Notre objectif est d’inciter les entreprises de transport à s’équiper de véhicules moins polluants.
Une directive européenne impose une telle modulation, mais le Gouvernement a considérablement freiné sa mise en œuvre, en prévoyant une application à compter du renouvellement des concessions, soit en moyenne vers 2032. Cet amendement vise à rendre applicables les modulations de péages dès 2016, ce qui est possible. Une telle proposition est d’autant plus d’actualité que le plan de relance autoroutier va prolonger les concessions pour trois ans.
Nous, écologistes, ne cesserons de dénoncer l’inertie de notre pays en matière de lutte contre les pollutions et leurs causes. La France, monsieur le secrétaire d’État, se classe à l’avant-dernier rang au sein de l’Union européenne en termes de fiscalité écologique. La pollution atmosphérique par les particules fines serait responsable de 42 000 décès par an, selon une récente étude européenne. La France reste d’ailleurs sous la menace d’une condamnation européenne pour non-respect des seuils d’émissions de polluants atmosphériques et s’expose ainsi à devoir acquitter une amende de plusieurs millions d’euros. Or aucune taxation du diesel ne semble à l’ordre du jour, et la taxe sur les poids lourds n’en finit plus de se faire attendre…
Nous continuerons donc inlassablement à clamer qu’il est urgent d’appliquer le principe « pollueur-payeur » !
Je précise enfin que cette mesure sera indolore pour les sociétés d’autoroutes et d’un coût minime pour les transporteurs. La loi dispose que « les modulations des péages sont fixées de telle sorte qu’elles restent sans effet sur le montant total des recettes de l’exploitant ». L’application des modulations ne doit donc pas engendrer d’augmentation des tarifs des péages.
Je vous remercie par avance, mes chers collègues, de bien vouloir voter en faveur de l’adoption de cet amendement.
La commission émet un avis défavorable sur cet amendement. Sans se prononcer sur le fond du dispositif, elle a considéré que cette proposition de loi de nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes n’était pas le bon véhicule législatif pour introduire une telle mesure.
La directive européenne prévoit que l’application des modulations est obligatoire pour les nouvelles concessions. En revanche, elle ne l’impose pas pour les contrats en cours.
L’expérience tirée de l’exécution des contrats récents montre que, en pratique, la mise en place de ce dispositif de modulations se heurte à de grandes difficultés techniques.
Par exemple, il faut, en tout temps et en toutes circonstances, pouvoir déterminer la classe Euro des véhicules, ce qui peut nécessiter un contrôle manuel des papiers, alors que le dispositif actuel de tarification opère de manière quasiment instantanée, par reconnaissance automatique du format des poids lourds.
Par ailleurs, pour assurer la neutralité du dispositif, un mécanisme de rattrapage est nécessaire, avec des répercussions d’une année sur l’autre, ce qui rendrait encore moins lisibles les péages, alors que nos concitoyens les considèrent déjà comme opaques.
Tout cela conduirait très vraisemblablement à devoir renégocier l’ensemble des contrats, au nombre de près d’une vingtaine. On ne peut que s’interroger sur l’opportunité d’une telle renégociation, en particulier lorsque l’on constate que le renouvellement des flottes de poids lourds au profit de véhicules moins polluants, de classes Euro 5 et 6, se fait déjà rapidement, et que la part des véhicules les plus polluants, de classes Euro 0 à 3, diminue constamment.
Ainsi, en 2007, les poids lourds de classe Euro 3 représentaient 43 % du parc, ceux de classe Euro 2, 27 %, et ceux de classe Euro 1 un peu plus de 8 %. Les camions de classes Euro 4 et 5 représentaient, quant à eux, moins de 5 % du parc. Fin 2013, la part des poids lourds de classes Euro 4 ou 5 était d’environ 60 %, c’est-à-dire qu’elle était douze fois plus importante, proportionnellement, qu’en 2007.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Il n’était pas illogique de déposer un tel amendement sur cette proposition de loi, quelque peu radicale…
Au regard de notre opinion publique, nous devons être radicaux, s’agissant tant des besoins de financement de l’État que de la problématique du changement climatique.
On nous oppose systématiquement des contraintes techniques. Mais, monsieur le secrétaire d’État, quand on veut, on peut, et on se donne les moyens d’aboutir !
Je maintiens donc cet amendement, bien que je sache déjà quel sort lui sera réservé. Il s’agit de donner un signal fort ! Encore une fois, nous serons sans doute très minoritaires, mais la minorité grossit !
Rires et applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Je mets aux voix l'amendement n° 1.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici le résultat du scrutin n° 192 :
Le Sénat n'a pas adopté.
Mes chers collègues, nous en arrivons à l’article 3. Je vous rappelle que, par cohérence avec la suppression des articles 1er et 2, cet article ne devrait pas être adopté, dans la mesure où il prévoit un gage. S’il est supprimé, il n’y aura plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi et il n’y aura donc pas d’explications de vote sur l’ensemble. Ceux d’entre vous qui désirent expliquer leur vote, que ce soit sur l’article ou sur l’ensemble de la proposition de loi, devront le faire maintenant.
Les charges qui pourraient résulter de l’application de la présente loi pour l’État sont compensées à due concurrence par le relèvement du taux de l’impôt sur les sociétés.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, lors de la discussion générale, j’ai expliqué la position unanime du groupe socialiste. Nous faisons le même constat que les sénatrices et sénateurs du groupe CRC. Nous considérons que la vente par l’État, en 2006, de ses parts dans les sociétés concessionnaires d’autoroutes a été non seulement une erreur, mais aussi une faute politique majeure.
Cela étant, dans le contexte budgétaire extrêmement contraint que nous connaissons, il ne nous paraît pas possible de suivre nos collègues du groupe CRC, même si nous jugeons que leur analyse est fondée.
Nous espérons que, à l’avenir, une fois revenu à meilleure fortune, l’État pourra faire en sorte de conserver une rente autoroutière. Nous voterons donc contre cet article 3, et nous voterions contre le texte dans son ensemble si nous avions à nous prononcer sur celui-ci.
Je tiens en tout cas à rendre hommage aux auteurs de cette proposition de loi. Ils nous ont appelés à prendre conscience des problèmes que pose le système actuel de concessions autoroutières. Pour notre part, nous approuvons totalement l’initiative de notre collègue député Jean-Paul Chanteguet de demander la création d’une mission parlementaire d’information sur cette question.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Ronan Dantec avait déjà eu l’occasion d’exprimer le point de vue du groupe écologiste en janvier dernier, lorsque nous avions commencé à examiner cette proposition de loi. Nous considérons nous aussi que la privatisation des sociétés d’autoroutes, en 2005, fut une erreur, une faute ; nous allons même jusqu’à dire, pour notre part, qu’il s’agit d’un scandale.
L’exploitation des sociétés d’autoroutes aurait en effet pu rapporter plus de 37 milliards d’euros de dividendes à l’État d’ici à 2032, date médiane d’échéance des contrats de concession. Ce montant est à comparer aux 14, 8 milliards d’euros du produit de la privatisation.
Les flux financiers et les besoins d’investissements liés aux transports routiers doivent aujourd’hui être remis à plat.
Cela ne vous surprendra pas : nous redisons qu’il y a urgence à mettre en œuvre l’écotaxe sur les poids lourds ; nous attendons à cet égard les annonces de Mme la ministre de l’écologie, promises pour juin. En effet, la situation budgétaire en matière de transports s’aggrave chaque jour : la suspension de l’écotaxe entraîne un manque à gagner de 800 millions d’euros par an pour l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, et de 150 millions d’euros pour les collectivités locales.
L’État manque d’argent, nous le savons tous. Michel Teston évoquait son retour à meilleure fortune : adopter cette proposition de loi serait un moyen d’engager ce mouvement. On nous dit que l’impécuniosité de l’État serait la raison principale de la mise en œuvre du plan de relance autoroutier, qui consiste à prolonger de trois ans les concessions attribuées à trois sociétés sans appel d’offres, en échange d’un investissement de 3, 5 milliards d’euros de leur part.
Le groupe écologiste salue une nouvelle fois l’initiative de nos collègues du groupe CRC. Une nationalisation nous permettrait de reprendre la main sur les sociétés d’autoroutes, que l’État ne parvient pas à contrôler, et de générer des recettes publiques pour financer la transition écologique dans les transports !
Nous maintenons donc notre avis extrêmement favorable à cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Je voudrais redire combien ce débat est intéressant et saluer le sens de l’opportunité de nos collègues du groupe CRC, qui ont pointé à nouveau un sujet qui est au cœur de l’actualité et qui est indéniablement une question de fond.
Les faits démontrent amplement que la décision de privatiser les autoroutes n’était pas la bonne. Nous en payons d’ailleurs le prix aujourd'hui.
À quelques jours des vacances, le niveau des tarifs des péages et le taux de rentabilité des sociétés d’autoroutes interpellent plus encore que d’habitude nos concitoyens.
Les promesses qui avaient été faites à l’époque de doter de moyens l’Agence de financement des infrastructures de transport de France n’ont pas été tenues. On sait en effet que l’essentiel du produit de la cession est allé au désendettement de l’État et que la question du financement de l’AFITF est toujours pendante. J’ajoute que les déboires de l’écotaxe accentuent encore le problème, même si M. le secrétaire d’État vient de nous indiquer que nous y verrons plus clair la semaine prochaine.
Comme je l’ai déjà indiqué, et Michel Teston l’a également dit, il est nécessaire de clarifier les relations entre l’État et les sociétés d’autoroutes. J’ai noté qu’un certain nombre de recommandations de la Cour des comptes ont d’ores et déjà été mises en œuvre, comme M. le secrétaire d’État nous l’a précisé. Je salue également la création d’une mission d’information sur le sujet. Il faut en effet que le Parlement examine comment l’État se met en situation de mieux contrôler les sociétés d’autoroutes et de revoir un certain nombre de questions financières qui ont été soulevées à juste titre.
Pour en revenir à la proposition de loi, nous avons eu l’occasion de le dire au cours de la discussion générale, il est impossible, pour des raisons financières et juridiques notamment, de la mettre en œuvre. Voilà pourquoi mon groupe se prononcera majoritairement contre le texte. Je précise que l’un de ses membres votera cependant pour et qu’un autre ne participera pas au vote.
Quoi qu’il en soit, je souhaite que nous sachions revenir sur ces questions, sans doute cela sera-t-il possible grâce à la mission d’information.
Ce matin, j’ai le sentiment d’un rendez-vous manqué. En effet, nous sommes à peu près tous d’accord sur la pertinence et l’intérêt du débat. Beaucoup reconnaissent même que la privatisation était une erreur. Qu’est-ce qui nous empêche alors de la corriger ? Nous nous grandirions en faisant ce choix ; nous en abstenir contribuera à nourrir une fois de plus la résignation. Pourquoi n’y parvenons-nous pas ?
On nous oppose un argument récurrent, très en vogue ce printemps et depuis quelques années : la dette, la dette, la dette ! Ce sempiternel refrain est devenu la clé de voûte de toutes les politiques menées en Europe et, bien sûr, en France.
Je voudrais tout de même rappeler que la dette est un déséquilibre entre les recettes et les dépenses. Or on met uniquement l’accent sur les dépenses, qu’il faudrait réduire impérativement. Tout le monde le demande ! Tout le monde l’exige ! « C’est incontournable ; c’est inévitable ; c’est ainsi… », entend-on. Nous refusons d’entrer dans cette mécanique, car, en réalité, il s’agit d’une question de choix. Souvenons-nous que les dépenses de l’État représentaient 24 % du PIB en 1990. Elles ont diminué pour atteindre le chiffre de 21 % en 2008.
Si l’État est capable de réduire ses dépenses, c’est plutôt du côté des recettes qu’existent des manques très sérieux, et ce – il faut malheureusement le constater – indépendamment des alternances politiques : entre 2000 et 2002, 40 milliards d’euros de recettes ont été « sacrifiés » ; entre 2006 et 2007, 12, 5 milliards d’euros manquaient au budget de la nation ; entre 2007 et 2012, 22, 7 milliards d’euros ont disparu des comptes de l’État.
On nous parle également d’une vieille revendication historique, d’une recette poussiéreuse et éculée des communistes : la nationalisation. Cependant, le débat ne porte pas sur le mot, mais sur la maîtrise publique des outils de développement. Il ne s’agit pas d’un choix dogmatique de notre part, mais d’une question politique de fond qui porte sur la gestion de la société.
Je constate que l’État est beaucoup plus réactif quand il s’agit de renflouer régulièrement les banques. On n’hésite pas à ce moment-là à transférer la dette de la sphère privée à la sphère publique. Nous tous, aujourd'hui, supportons une dette qui a été aggravée par le secours des banques.
Le débat, selon moi, ne fait que commencer. Nous le voyons bien, le nombre de votes en faveur de ce texte dépasse celui des sénateurs et sénatrices communistes. Je pense que nous devrons très vite reprendre la discussion.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.
Sourires.
… car je suis essentiellement venue pour soutenir Mme Demessine lors du texte qui va suivre. Cela étant, je voudrais moi aussi en souligner l’intérêt. D’ailleurs, lorsque nous en avons discuté au sein de notre groupe, certains ont décidé qu’ils s’abstiendraient sur le texte.
Ce sujet devrait légitimement être abordé lors de l’examen des crédits du ministère des transports, mais il faut dire que, depuis deux ans, en raison de problèmes multiples et variés, nous ne parvenons pas à voir le budget dans sa totalité. C’est bien dommage ! Dans quelques jours – les mêmes causes produisant les mêmes effets –, je crains que le projet de loi de finances rectificative ne puisse pas non plus être examiné jusqu’au bout.
Si, dans les mois qui viennent, nous pouvions examiner de façon complète les deux parties de la loi de finances, je crois que notre assemblée y gagnerait et que cela permettrait d’évoquer ce sujet particulier.
Je mets aux voix l'article 3.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici le résultat du scrutin n° 193 :
Le Sénat n'a pas adopté.
Les trois articles de la proposition de loi ayant été successivement supprimés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix heures quarante, est reprise à dix heures cinquante.
L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe CRC, de la proposition de loi relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918, présentée par M. Guy Fischer et plusieurs de ses collègues (proposition n° 212 [2011-2012], résultat des travaux de la commission n° 604, rapport n° 603).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Guy Fischer – que nous retrouvons avec beaucoup de plaisir –, auteur de la proposition de loi.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’aube du centenaire de la Grande Guerre, les nombreuses publications ou émissions qui fleurissent de toutes parts nous invitent à revisiter cet événement.Malheureusement, peu nombreuses sont celles qui permettent une vision historiquement complète des tenants et aboutissants de ce conflit.
L’historien Bruno Drweski, maître de conférences à l’Institut national des langues et civilisations orientales, pose, en un raccourci saisissant, la genèse de ce drame planétaire : « La Première Guerre mondiale a éclaté non pas comme un éclair dans un ciel serein, mais comme le résultat d’une accumulation de tensions et de frustrations, à l’échelle mondiale, qui s’étaient accumulées dans la foulée des grandes découvertes qui avalent relié le Nouveau Monde à l’Europe, puis dans la foulée du partage du monde dans le cadre du processus planétaire de colonisation ».
Dans un monde en pleine contradiction entre le développement d’une industrie moderne et un monde rural resté archaïque, les grandes puissances se sont bel et bien affrontées pour le partage des richesses, des marchés et des ressources, pour la conquête des colonies, pour la recomposition des sphères d’influence.
Ce préalable d’importance étant posé, il faut se souvenir que la guerre de 14-18 fut une accumulation d’horreurs, pour les soldats comme pour les civils. Censée être courte, elle montra vite l’état d’impréparation des gouvernements et des élites, qui durent improviser une guerre de plus en plus meurtrière pour les soldats, au service des profiteurs de guerre. Ce fut en définitive une guerre longue, une succession de combats meurtriers, de petites avancées ou de reculs limités, qui faisaient perdre toute conscience d’objectifs pour lesquels il eût été important de se battre, de mourir ou de tuer.
Cette évolution fit naître ou croître des résistances, des prises de conscience. « Guerre à la guerre ! », le slogan d’Henri Barbusse, commença à conquérir le cœur de nombreux soldats, conscients d’être la piétaille, les sacrifiés d’une boucherie sans nom. Ce même auteur, dans Le feu, décrit avec une terrifiante justesse les conditions des combats : « Un bruit diabolique nous entoure. On a l’impression inouïe d’un accroissement continu, d’une multiplication incessante de la fureur universelle. Une tempête de battements rauques et sourds, de clameurs furibondes, de cris perçants de bêtes s’acharne sur la terre toute couverte de loques de fumée, et où nous sommes enterrés jusqu’au cou, et que le vent des obus semble pousser et faire tanguer. […]
« Dans une odeur de soufre, de poudre noire, d’étoffes brûlées, de terre calcinée, qui rôde en nappes sur la campagne, toute la ménagerie donne, déchaînée. Meuglements, rugissements, grondements farouches et étranges, miaulements de chats qui vous déchirent férocement les oreilles et vous touillent le ventre, ou bien le long hululement pénétrant qu’exhale la sirène d’un bateau en détresse sur la mer. Parfois même, des espèces d’exclamations se croisent dans les airs, auxquelles des changements bizarres de ton communiquent comme un accent humain. La campagne, par places, se lève et retombe ; elle figure devant nous, d’un bout de l’horizon à l’autre, une extraordinaire tempête de choses. […]
« Il y avait, en avant de nous, à une dizaine de mètres au plus, des formes allongées, inertes, les unes à côté des autres – un rang de soldats fauchés – et arrivant en nuée, de toutes parts, les projectiles criblaient cet alignement de morts !
Les balles qui écorchaient la terre par raies droites en soulevant de minces nuages linéaires, trouaient, labouraient les corps rigidement collés au sol, cassaient les membres raides, s’enfonçaient dans des faces blafardes et vidées, crevaient, avec des éclaboussements, des yeux liquéfiés et on voyait sous la rafale se remuer un peu et se déranger par endroits la file des morts. »
La lancinante question des « fusillés pour l’exemple » s’inscrit en plein dans cette double et funeste problématique mal assumée : à l’époque, le commencement de révolte de simples soldats, nationaux et immigrés, jetés avec un cynisme absolu dans l’arène meurtrière des tranchées par des puissances insoucieuses de leur sort, puis, plus tard, y compris aujourd’hui, le refus d’analyser historiquement les causes, les effets et les conséquences de cette guerre.
Ces soldats furent passés par les armes après des conseils de guerre improvisés et sommaires, et sous des prétextes divers : sentinelle endormie, insulte à officier, battue en retraite sans autorisation, mutinerie, désertion, sans compter, malheureusement, ceux qui furent abattus par un officier à bout portant au détour d’une tranchée, soit pour rébellion, soit, ne l’oublions pas, pour appartenance connue à des organisations ouvrières militant contre la guerre.
Selon les travaux les plus récents, le nombre des fusillés pour l’exemple est évalué à plus de 600 pour plus de 2 500 condamnations à mort prononcées sur 140 000 jugements. Et ces études n’intègrent pas, faute de documents archivés, les exécutions sommaires, impossibles à recenser du fait de leur nature même !
Dès la fin de la guerre de 14-18, les familles de fusillés, relayées par différentes associations, dont l’ARAC, l’Association républicaine des anciens combattants, la Ligue des droits de l’homme et la Fédération nationale de la libre pensée, ont exprimé la revendication de les réhabiliter. Une quarantaine d’entre eux ont été réhabilités par la Cour de cassation dans l’entre-deux-guerres, dont certains dès janvier 1921.
Après la Seconde Guerre mondiale, une chape de plomb s’est abattue sur la mémoire des fusillés pour l’exemple. Peut-être fallait-il éviter de noircir plus encore l’image de notre armée après la débâcle de 1940 ? Cette censure mémorielle alla jusqu’à l’interdiction, durant des décennies, de la diffusion du fameux et beau film de Stanley Kubrick intitulé Les Sentiers de la gloire.
Dès l’origine, ce fut une question délicate et politiquement sensible : quel sort réserver aux soldats français fusillés pour l’exemple entre 1914 et 1918 – surtout la première année ! –, après avoir été condamnés par la justice militaire pour désertion, mutinerie, refus d’obéissance ? Fallait-il les réhabiliter ? Si oui, comment ?
Cette revendication a connu un regain en novembre 1998 lorsque Lionel Jospin, alors Premier ministre, avait souhaité, lors d’une cérémonie sur le plateau de Craonne, que les soldats « fusillés pour l’exemple, au nom d’une discipline dont la rigueur n’avait d’égale que la dureté des combats, réintègrent aujourd’hui, pleinement, notre mémoire collective nationale. »
Dix ans plus tard, devenu Président de la République, Nicolas Sarkozy, qui avait auparavant, comme l’ensemble de la droite, vivement protesté contre cette déclaration, nuançait fortement sa position. À Verdun, le 11 novembre 2008 – j’étais présent ! –, il exprimera cette fois de la commisération pour ces hommes : « Mais quatre-vingt-dix ans après la fin de la guerre, je veux dire, au nom de la nation, que beaucoup de ceux qui furent exécutés alors ne s’étaient pas déshonorés, n’avaient pas été des lâches, mais que simplement ils étaient allés jusqu’à l’extrême limite de leurs forces. »
Malgré les conditions exceptionnelles dans lesquelles ont agi – ou refusé d’agir – ces hommes, souvent très jeunes, l’absence de toute disposition tendant à la réhabilitation persiste à les faire considérer comme des lâches ou des traîtres, flétrissant ainsi leur mémoire et jetant l’opprobre sur leurs descendants. J’ai regardé avec émotion le documentaire intitulé Adieu la vie, adieu l’amour, récemment diffusé par la chaîne Public Sénat, ce dont je me réjouis, qui relate en particulier la quête d’une petite-fille de fusillé pour réhabiliter l’honneur de son grand-père.
Quoi qu’il en soit, les gouvernements qui se sont succédé ont toujours conclu à la nécessité de « faire un tri » entre ces jeunes gens, selon qu’ils sont présumés déserteurs, mutins ou ayant commis un crime de droit commun. De la même façon, le rapport de M. Antoine Prost rejette une réhabilitation générale et évoque l’éventualité d’une « déclaration solennelle », éventuellement renforcée d’un « projet pédagogique ».
Pour autant, il faut noter que ce dernier a exigé plusieurs fois dans son rapport un geste fort des pouvoirs publics, de la nation. Dès l’introduction, l’historien indique que « la question posée est celle de la mémoire qu’en veut conserver la nation. » Il évoque bien sûr les fusillés. « C’est à elle de s’en saisir ». Il indique même : « Un large consensus existe dans notre société pour estimer que la plupart n’étaient pas des lâches : c’étaient de bons soldats, qui avaient fait leur devoir et ne méritaient pas la mort. L’indignité dont les a frappés leur condamnation mérite d’être relevée. C’est ce qu’on attend des pouvoirs publics. »
Comment le Parlement, le Sénat, pourrait-il refuser d’adopter une disposition de reconnaissance, d’apaisement, après un tel constat ? C’est la raison pour laquelle, avec mon groupe, nous avions redéposé en 2011 un texte prévoyant la réhabilitation des fusillés pour l’exemple collectivement et publiquement.
Notons qu’il existe un dossier et des témoignages écrits pour 650 fusillés environ, à l’instar du sous-lieutenant Jean-Julien Chapelant, Rhodanien réhabilité grâce aux efforts des associations et de sa famille.
Je profite de cet exemple marquant pour rappeler que d’importantes associations se sont investies de longue date dans ce combat pour la réhabilitation des fusillés pour l’exemple : l’Association républicaine des anciens combattants, fondée par Henri Barbusse, notamment, l’Union pacifiste de France, le Mouvement de la paix et bon nombre de sections de la Ligue des droits de l’homme et de la Fédération nationale de la libre pensée.
Je souligne également l’engagement des collectivités territoriales : pas moins de trois conseils régionaux, vingt-neuf conseils généraux, dont celui de Corrèze, présidé à l’époque par François Hollande, ont adopté des vœux visant à réhabiliter les fusillés pour l’exemple.
C’est parce que nous estimons qu’une réhabilitation pourrait enfin, en l’année du centenaire du début de la Première Guerre mondiale, servir l’éducation à la paix que le groupe communiste républicain et citoyen du Sénat vous invite, mes chers collègues, à adopter sa proposition de loi, en la réaménageant si nécessaire, afin de recueillir le plus large consensus.
Ce 19 juin est la Journée du Sénat en la mémoire de la Grande Guerre. De nombreuses initiatives seront prises pour saluer la mémoire des combattants et rappeler l’ampleur du drame. Ce même jour, la Haute Assemblée refusera-t-elle la reconnaissance, le pardon à ces hommes injustement punis de mort ?
Avant de conclure, permettez-moi de rappeler que le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et le Canada ont déjà, par le passé, adopté des lois de réhabilitation, de pardon ou d’amnistie. Pourquoi la France, pays des droits de l’homme, refuserait-elle cette réhabilitation en cette année du centenaire de l’assassinat de Jaurès, le tribun de la paix ?
Mes chers collègues, nous n’avons pas noté depuis le début des discussions sur notre texte une seule raison claire et compréhensible justifiant le refus de voter en faveur de celui-ci et de l’amendement que vous proposera mon amie Michelle Demessine. Bien entendu, la réhabilitation des fusillés pour l’exemple, pour être mieux comprise, se doit d’écarter les cas marginaux d’espions ou de criminels de droit commun avérés. C’est peut-être le seul argument bien faible, au regard du drame humain dont l’écho se répercute encore jusqu’à nos jours, mis en avant par ceux qui ont accueilli notre proposition de loi avec réticence, voire hostilité. Pour autant, il n’est pas acceptable que ces cas marginaux, dont le nombre n’excéderait pas quelques dizaines, soient mis en avant pour refuser la réhabilitation, la reconnaissance par la nation de ceux qui furent incontestablement des victimes de ce terrible conflit.
Aussi, dans un souci d’apaisement, et pour vous inviter à des débats sereins et constructifs, nous défendrons un amendement précisant que « la Nation rétablit dans leur honneur les soldats de la Première Guerre mondiale fusillés pour l’exemple ». Cet amendement vise en outre à préciser que « leurs noms peuvent être inscrits sur les monuments aux morts ». Cette rédaction comporte, à mon sens, l’avantage de ne pas troubler nos débats par la question récurrente des lois dites « mémorielles ». En effet, cette nouvelle rédaction est non seulement déclarative, mais aussi dynamique, puisqu’elle permet concrètement de trouver – enfin ! – la sérénité sur ce sujet, en rétablissant ces hommes martyrs dans leur honneur et en reconnaissant publiquement et naturellement ce qui se fait déjà parfois : l’inscription des noms sur les monuments aux morts.
Cela étant réaffirmé, je fais confiance au débat et à nos collègues, dont beaucoup, je le sais, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, sont épris de justice et de vérité historique.
Mes chers collègues, tout au long de mon mandat sénatorial – un mandat au service du peuple, pour le peuple ! –, qui s’achèvera dans quelques semaines, j’ai défendu beaucoup de causes, de salariés en lutte, de retraités, de femmes et d’hommes souffrant de l’injustice sociale, de la violence d’un monde où, bien trop souvent, la cause de l’argent prime celle de l’humanité. J’ai défendu l’égalité en France comme ailleurs ; j’ai soutenu la jeunesse en quête d’avenir. C’est pourquoi c’est avec force qu’une dernière fois je fais appel à votre sens politique, à votre sens de la vérité historique, mais aussi à votre cœur, pour que, enfin, ces martyrs de la Grande Guerre, grande par l’horreur et l’effroi, soient enfin rétablis dans leur honneur et leur dignité.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste, du groupe écologiste, du RDSE et de l'UDI-UC . – M. Jackie Pierre applaudit également.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question des fusillés pour l’exemple constitue un volet particulièrement douloureux de la Grande Guerre. Elle renvoie à la condamnation par les tribunaux militaires et à l’exécution par l’armée de ses propres soldats, reconnus coupables de manquements à la discipline militaire : refus d’obéissance, abandon de poste, désertion à l’ennemi, ...
Cette question est difficile, car elle nous confronte à des histoires personnelles bouleversantes, comme celle du soldat Lucien Bersot, condamné et exécuté pour n’avoir pas voulu porter le pantalon taché de sang d’un camarade, celui du sous-lieutenant Chapelant, fusillé attaché sur son brancard, ou celles de ces hommes soupçonnés de mutilations volontaires, alors qu’ils avaient été blessés par des balles allemandes, fusillés pour abandon de poste.
Ces destins individuels tragiques, qui s’inscrivent dans un contexte de mort de masse, nous bouleversent d’autant plus que nous les appréhendons avec notre regard contemporain, pour lequel la mort n’est plus banale, pour lequel la vie, les droits de l’homme, la justice sont les valeurs les plus importantes, du moins dans nos démocraties.
Cette question est aussi sensible, car elle renvoie à une zone d’ombre de notre histoire nationale, qui a fait l’objet de controverses marquées entre, d’un côté, les tenants de l’ordre, estimant que la discipline, clé de voûte de l’armée, garante de l’intégrité de la nation, justifie la plus grande sévérité et ne saurait souffrir de mises en cause et, de l’autre, les partisans d’une lecture humaniste, qui considèrent que ces hommes, jetés en pâture sur les champs de bataille, condamnés à se battre, avaient finalement quelques excuses. Je rappelle que, le premier jour de la guerre, il y a eu 17 000 morts, souvent des paysans qui, la veille, étaient encore dans les champs.
Il me semble que ce débat commence aujourd’hui à être dépassé. Le sort des fusillés, qui a été au cœur du combat de familles, de militants des droits de l’homme et, il faut y insister, d’associations d’anciens combattants, est depuis quelques années évoqué dans le discours politique officiel. Lionel Jospin, en tant que Premier ministre, a ouvert la voie à Craonne en 1998, plaidant pour que les soldats « fusillés pour l’exemple » réintègrent notre mémoire collective. En 2008, Nicolas Sarkozy, Président de la République, les inclut dans son hommage à tous les soldats de la Grande Guerre lors de la commémoration de l’Armistice à Douaumont, reconnaissant au nom de la nation que « beaucoup de ceux qui furent exécutés alors ne s’étaient pas déshonorés, n’étaient pas des lâches, mais que simplement ils étaient allés jusqu’à l’extrême limite de leurs forces ». Récemment, dans son allocution pour le lancement des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, le Président François Hollande a évoqué « ceux qui furent condamnés de façon arbitraire et passés par les armes », invoquant un esprit de réconciliation.
Avant d’aborder la proposition de loi, il me semble nécessaire de revenir sur les faits et le contexte dans lequel ils sont intervenus.
Selon le rapport du comité d’experts présidé par l’historien Antoine Prost, remis au Gouvernement en octobre 2013, on dénombre un peu plus de 600 soldats fusillés pour des motifs strictement militaires, c’est-à-dire en excluant les condamnations pour crimes de droit commun et pour espionnage. Les deux tiers de ces exécutions ont eu lieu dans les premiers mois du conflit, entre le début des hostilités et le milieu de l’année 1915.
Comme l’ont mis en évidence les historiens, c’est dans cette période, difficile sur le plan militaire et politique, que la justice militaire s’est montrée la plus répressive, l’armée ayant obtenu des mesures d’exception : suspension des recours en révision, suspension de l’exercice du droit de grâce par le Président de la République et, surtout, instauration de conseils de guerre spéciaux, dits aussi cours martiales, qui jugeaient en formation restreinte, sans instruction préalable, sans possibilité de recours et sans droit de grâce, les droits de la défense étant quasiment inexistants. Le haut commandement militaire assortit en outre ces mesures de directives tendant à une justice sévère, expéditive, destinée à conforter la discipline. C’est à ce moment qu’ont eu lieu les dérives que l’on sait et que se sont déroulées les principales affaires, comme celle des fusillés de Vingré, de Souain ou encore de Flirey, qui auront très vite un grand retentissement.
Cette ligne très dure s’infléchira en 1915, à la faveur de la reprise en main de l’armée par le pouvoir politique, à laquelle le Parlement contribua activement. À ce sujet – j’ouvre une parenthèse –, se tiendra cet après-midi au Sénat un colloque sur le parlementarisme de guerre pendant la Première Guerre mondiale, qui devrait rappeler l’implication forte des deux assemblées dans le suivi des opérations militaires et le développement d’un « contrôle parlementaire aux armées » à compter de ce tournant.
C’est ainsi qu’à partir de 1915 des mesures d’assouplissement sont obtenues : la possibilité de grâce présidentielle est rétablie dès janvier 1915, les conseils de guerre spéciaux sont supprimés de facto à la fin de l’année 1915 et une loi réformant profondément le fonctionnement de la justice militaire est votée le 27 avril 1916, qui renforce les droits de la défense et l’instruction préalable, introduit la prise en compte des circonstances atténuantes pour les crimes et délits en temps de guerre et rétablit les recours en révision. Finalement, et je me permets cette remarque, ce tournant n’est-il pas avec le recul une forme d’aveu ?
Des exécutions se dérouleront encore tout au long du conflit, mais à une tout autre échelle. Les mutineries de 1917, notamment, seront moins sévèrement réprimées que les défaillances individuelles des premiers mois de la guerre.
Constituée d’un article unique, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui tend à procéder à une réhabilitation générale et collective des fusillés pour l’exemple de la Première Guerre mondiale. Elle prévoit que leurs noms soient portés sur les monuments aux morts et que la mention « Mort pour la France » leur soit attribuée. Elle comporte en outre une demande de pardon de la nation à leur famille et au pays tout entier.
Il faut bien en comprendre l’intention : il s’agit de mettre fin à une discrimination qui flétrit la mémoire des fusillés. En effet, bien souvent, sauf dans un moment de faiblesse qui leur fut fatal, ils ont été de bons soldats.
Le terme « réhabilitation » a une implication précise : il signifie l’annulation des jugements rendus par les conseils de guerre. À cet égard, il convient de rappeler qu’un certain nombre de réhabilitations de fusillés, entre quarante et cinquante, sont intervenues dans l’entre-deux-guerres, dans le cadre de procédures judiciaires de révision : procédures de droit commun d’abord, puis, en raison des difficultés à obtenir des révisions, dans le cadre d’une cour spéciale de justice militaire, créée par la loi. Composée à parité de magistrats et d’anciens combattants, cette cour a siégé de 1933 à 1935.
Ces réhabilitations ont permis aux soldats fusillés qui en ont fait l’objet de se voir attribuer, comme les soldats morts au combat, la mention « Mort pour la France », à laquelle sont attachés un certain nombre de droits, honorifiques et pécuniaires, le plus emblématique étant que le nom du soldat est inscrit avec cette mention sur le monument au mort de sa commune de naissance ou de dernière domiciliation.
Ces dernières années, la question de la mémoire des fusillés et de leur réhabilitation a refait surface, dans le cadre d’un renouvellement de l’intérêt porté à l’histoire de la Première Guerre mondiale, notamment à l’approche de la commémoration de son centenaire. Des études historiques ont été menées, mettant en évidence l’ampleur et le caractère marqué du phénomène, même s’il faut garder en tête, par ailleurs, le nombre de l’ensemble des victimes de la Grande Guerre : 1 350 000 morts.
Les associations de droits de l’homme, d’anciens combattants se sont positionnées et plusieurs demandent la réhabilitation des fusillés pour l’exemple, eu égard aux excès commis par une justice d’exception. Les possibilités judiciaires de réviser les procès étant extrêmement limitées, la proposition de loi vise à procéder à une réhabilitation des fusillés par la loi.
L’examen de ce texte par la commission des affaires étrangères a donné lieu à un débat approfondi, mettant en évidence différents points de vue. De fait, le texte proposé soulève plusieurs difficultés.
Se pose tout d’abord la question du champ d’application de la mesure de réhabilitation. En effet, les termes « fusillés pour l’exemple » ne renvoient pas à une catégorie juridique particulière, …
… encore moins à un nombre précis de fusillés. Ils visent, selon les cas, à évoquer la dimension exemplaire que revêtait la condamnation, c’est-à-dire l’idée qu’elle doit dissuader les autres soldats d’agir pareillement, le caractère démonstratif de l’exécution, qui, conformément au règlement militaire alors en vigueur, donne lieu à un cérémonial très codifié en présence de la troupe, ou encore le fait que certains fusillés ont été arbitrairement désignés parmi d’autres coupables pour être, en quelque sorte, des victimes expiatoires.
L’exposé des motifs de la proposition de loi faisant référence à « plus de 600 fusillés pour l’exemple », on peut considérer que sont ici visés tous les fusillés pour manquements à la discipline militaire, à l’exception des soldats exécutés pour crimes de droit commun et des civils coupables d’espionnage.
Est-il dès lors légitime de considérer que ces 600 et quelques fusillés mériteraient d’être réhabilités ? Cela semble difficile, car, aussi injustes et arbitraires qu’ils puissent paraître aujourd’hui, les jugements rendus à l’époque étaient pour la plupart conformes au code de justice militaire. Le législateur ne peut rétrospectivement mettre en cause le droit en vigueur et juger l’histoire. Or si beaucoup de ces jugements sont contestables, leur mise en cause ne pourrait intervenir qu’au cas par cas, au vu d’un examen individuel des dossiers, avec toutes les difficultés que cet exercice comporterait, compte tenu de l’état des dossiers.
La loi ne saurait, de manière globale et indifférenciée, déclarer innocents tous les fusillés. La notion de « pardon » que la nation demanderait « aux familles et à la population du pays tout entier » ne paraît pas davantage appropriée. L’État peut-il demander pardon, cent ans après, d’avoir fait respecter le droit militaire en vigueur, même si l’on ne peut que regretter qu’il ait été appliqué de manière expéditive, parfois même sans procès ? Ce serait admettre que l’impératif de défense de la nation n’était pas légitime.
Enfin, l’attribution à chaque soldat fusillé de la mention « Mort pour la France », qui découlerait de la réhabilitation, pose problème sur le plan juridique. En effet, la situation des fusillés ne correspond à aucun des cas de figure énoncés à l’article L. 488 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, qui définit les conditions d’attribution de cette mention et qui exige que le décès soit la conséquence directe d’un « fait de guerre ».
Compte tenu des problèmes posés par ce texte et afin de répondre à la demande de reconnaissance de ceux qui ont été, pendant trop longtemps, stigmatisés et mis au ban de la mémoire des soldats de la Grande Guerre, j’avais, en tant que rapporteur, proposé à notre commission une rédaction alternative tendant à une reconnaissance morale et symbolique des fusillés pour l’exemple n’impliquant pas l’attribution de la mention « Mort pour la France ». Cette initiative s’inspirait de celle du Royaume-Uni, qui, en 2006, a procédé dans le cadre d’une loi relative aux forces armées, à la réhabilitation symbolique de tous les soldats de l’Empire britannique exécutés en raison de manquements disciplinaires pendant la Première Guerre mondiale.
Permettez-moi de dire que, en tant que sénatrice du Nord, territoire où cette histoire est encore vivante et qui compte de nombreux cimetières militaires britanniques, je suis particulièrement touchée par la décision du Royaume-Uni. Ce pays, bien qu’il ait payé un lourd tribut à cette guerre, a su montrer l’exemple en accordant cette forme de pardon. Je pense que nous pourrions nous inspirer de ce geste.
Malheureusement, la commission n’a pas suivi ma proposition. Je défendrai donc un amendement en ce sens à titre personnel avec mon collègue Billout.
Dans ce débat compliqué, pour ne pas dire inextricable, la commission des affaires étrangères n’a donc pas adopté la proposition de loi et a préféré s’en tenir à la solution annoncée par le Président de la République en novembre 2013, fondée sur deux mesures symboliques : l’ouverture d’une salle consacrée aux fusillés au musée de l’armée aux Invalides ainsi que la numérisation et la mise en ligne de l’ensemble des dossiers des fusillés détenus par l’État.
Pour conclure, je soulignerai que, quelle que soit l’issue de ce débat, il me semble particulièrement important qu’il ait lieu maintenant, en pleine année de commémoration du centenaire de la Grande Guerre et tout spécialement ce 19 juin, jour que le Sénat consacre à la commémoration de cet événement.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE . – M. Christian Namy applaudit également.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen de la proposition de loi relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918 suscite un débat dont je mesure toute la solennité. De même, je suis conscient de l’importance que revêt ce matin l’expression de la représentation nationale et du Gouvernement.
La question que plusieurs de vos collègues ont souhaité soumettre au débat parlementaire est avant tout une question humaine, de cœur et parfois d’émotion.
Je tiens à commencer mon intervention en rappelant l’histoire des fusillés, même si les deux orateurs qui m’ont précédé s’y sont déjà attachés.
Cette histoire est d’abord celle d’un conflit dévastateur ; elle ne peut se lire qu’à travers le filtre de la Première Guerre mondiale. De fait, l’histoire des fusillés s’est jouée dans l’ombre d’une guerre totale, d’une guerre mondiale, d’une guerre brutale qui a jeté dans l’horreur des tranchées, dans le froid des hivers, dans la violence des combats 65 millions d’hommes à travers le monde. Aussi devons-nous prendre garde que le rappel de l’histoire des fusillés n’occulte celle des millions d’hommes et de femmes qui sont allés au bout de leur combat, parfois jusqu’au sacrifice suprême. Il ne peut ni ne doit rien enlever au courage et à l’héroïsme des soldats auxquels nous rendons hommage à Verdun, dans la Somme, dans la Marne ou au Chemin des Dames.
Parler de la Grande Guerre, c’est parler des 10 millions de combattants morts au combat et des 20 millions de blessés : les amputés, les gazés, les « gueules cassées », qui portèrent à jamais dans leur âme et dans leur chair l’empreinte de cette guerre. C’est parler des combattants de l’arrière, de ce peuple sans armes, de ces femmes et de ces hommes qui ont souffert, qui ont tenu et maintenu l’économie de notre pays pour que la France puisse rester debout.
Parler de la Grande Guerre, c’est aussi parler de ceux qui n’ont pas tenu face à la peur du lendemain, face à l’âpreté des combats, face à l’horreur du quotidien ; de ceux qui, parfois, furent condamnés pour n’avoir été que des hommes.
En vérité, les conditions dans lesquelles s’est déroulée la Première Guerre mondiale furent d’une brutalité si grande que Maurice Genevoix a écrit : « Ce que nous avons fait, c’est plus qu’on ne pouvait demander à des hommes, et nous l’avons fait ».
Qui furent les soldats de la Grande Guerre fusillés dans ce contexte ? La pluralité des cas rend difficile la définition d’un périmètre de réhabilitation générale. Ainsi, Joseph Maire est fusillé le 11 septembre 1914 pour abandon de poste en présence de l’ennemi, alors que son dossier laisse penser qu’il ne s’est jamais soustrait au combat ; Lucien Bersot, que Mme la rapporteur a mentionné, est fusillé le 13 février 1915 pour avoir refusé de porter le pantalon souillé du sang de l’un de ses camarades ; sept soldats du 327e régiment d’infanterie sont fusillés sans jugement pour abandon de poste ; l’officier G. est fusillé en 1917 pour intelligence avec l’ennemi.
Dans leur grande majorité, les fusillés sont des militaires condamnés par un conseil de guerre et qu’un peloton d’exécution a passés par les armes. S’ajoutent à eux quelques civils français et étrangers condamnés en conseil de guerre pour faits d’espionnage. Enfin, quelques militaires ont fait l’objet d’une exécution sommaire au front, par des officiers.
L’expression « fusillés pour l’exemple » résiste mal à l’épreuve de ces quelques remarques. Si l’exemplarité est une notion pertinente dans la mesure où elle a guidé la stratégie disciplinaire des officiers, il n’y a pas eu à proprement parler de décimation ; un seul cas est avéré, selon le rapport que le professeur Antoine Prost m’a remis le 1er octobre dernier.
L’exemplarité est le souci qui anime un officier décidant de faire exécuter l’un de ses soldats au motif de désobéissance, dans l’intention de prévenir de nouveaux abandons de poste. Elle réside dans ce moment insupportable où des hommes voient leur camarade rejoindre le peloton d’exécution, puis tomber en son nom.
Si la faute commise aurait parfois été condamnée par une autre juridiction qu’un tribunal militaire, le verdict rendu imposait à des hommes qui supportaient déjà le pire de voir tomber un frère d’armes, un camarade, un ami. Des historiens rapportent que, face au peloton d’exécution, nombreux furent ceux qui clamèrent qu’ils n’étaient pas des lâches, mais que la condamnation était juste. L’exemplarité n’excluait donc pas la culpabilité au regard du droit de l’époque, mais elle imposait aux hommes le spectacle de la souffrance.
Personne aujourd’hui ne conteste cette réalité. D’ailleurs, c’est dès le lendemain du conflit que familles et associations se sont mobilisées pour que de nombreux fusillés soient réhabilités.
Des questions récurrentes se posent, qui traversent les générations ; celle des fusillés de la Grande Guerre en fait partie.
Le débat mémoriel s’est ouvert en France sitôt la guerre terminée. Plusieurs cas de condamnés à mort et d’exécutés ont été dénoncés comme des injustices. Des lois d’amnistie sont revenues sur les condamnations prononcées par les tribunaux militaires : ce sont les lois des 24 octobre 1919, 29 avril 1921, 9 août 1924 et 3 janvier 1925. En outre, la loi du 9 mars 1932 a institué une cour spéciale de justice militaire destinée à examiner les recours présentés par les familles.
Dans certains cas, l’annulation du jugement a été prononcée et la réhabilitation ordonnée ; je pense aux fusillés de Vingré et aux caporaux de Souain, réhabilités respectivement en 1921 et 1934. Nombreux sont les cas pour lesquels une solution a été trouvée : la réhabilitation, voire l’octroi de la mention « Mort pour la France ».
Je profite de ma présence à la tribune ce matin pour saluer très sincèrement devant la représentation nationale le combat mené depuis les années vingt par plusieurs associations, en particulier la Ligue des droits de l’homme et la Ligue pour les familles de fusillés. Depuis des décennies, elles agissent pour défendre la mémoire de ceux qui n’étaient, comme nous, que des hommes.
En 1957, Hollywood s’est emparé à son tour de la figure du fusillé de 14-18, derrière la caméra de Stanley Kubrick. Dans Les Sentiers de la gloire, le grand public a découvert dans quel contexte des soldats ont été fusillés : celui d’une justice militaire devenue une justice d’exception. Le film met en scène trois hommes du 701e régiment repliés sous le feu ennemi, qui sont tirés au sort, condamnés à mort et exécutés – un récit qui lui a valu d’être censuré en France jusqu’en 1975.
Le tournant mémoriel s’est opéré ensuite sur le champ politique, avec le discours prononcé par Lionel Jospin à Craonne, le 5 novembre 1998. Dans ce discours, l’ancien Premier ministre forme le vœu que « ces soldats, fusillés pour l’exemple, au nom d’une discipline dont la rigueur n’avait d’égale que la dureté des combats, réintègrent aujourd’hui, pleinement, notre mémoire collective nationale ».
Dix ans plus tard, le Président Nicolas Sarkozy s’exprimait dans ces termes : « […] quatre-vingt-dix ans après la fin de la guerre, je veux dire, au nom de notre nation, que beaucoup de ceux qui furent exécutés alors ne s’étaient pas déshonorés, n’avaient pas été des lâches, mais que simplement ils étaient allés jusqu’à l’extrême limite de leurs forces ».
J’ai tenu – je le dis sans aucune prétention – à inscrire mon action dans la continuité de ces paroles. C’est ainsi que, en novembre 2012, j’ai attribué la mention « Mort pour la France » au lieutenant Chapelant, l’un des trois soldats du film de Kubrick, fusillé sur sa civière le 11 octobre 1914. Ce geste symboliquement fort était pour moi un premier pas : un pas pour dire que ce débat était toujours ouvert, que j’en étais totalement conscient et que je l’abordais avec responsabilité.
Je rappelle que la mention « Mort pour la France » oblige l’inscription du nom sur le monument aux morts. Les termes de l’article 2 de la loi du 28 février 2012 fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France sont à cet égard tout à fait clairs : « Lorsque la mention ″Mort pour la France″ a été portée sur son acte de décès [...], l’inscription du nom du défunt sur le monument aux morts de sa commune de naissance ou de dernière domiciliation ou sur une stèle placée dans l’environnement immédiat de ce monument est obligatoire. »
La mention « Mort pour la France » peut être attribuée à des cas singuliers, à des personnes ayant fait l’objet d’une réhabilitation, mais pas de manière collective ; du reste, la pluralité des cas et des parcours, que j’ai soulignée au début de mon intervention, rendrait impossible une mesure générale.
Le centenaire de la Première Guerre mondiale offre un cadre propice à un nouveau débat public sur la postérité mémorielle des soldats fusillés. C’est pourquoi j’ai demandé la rédaction d’un rapport qui me fournisse un état des lieux complet de la question.
Le Président de la République considère le sujet avec la plus grande attention, la plus grande humanité, la plus grande précision historique et juridique.
Aucune décision ne pouvait être prise sans le souci de ne pas trahir l’histoire. Cette exigence est au fondement de la décision annoncée par le Président de la République le 7 novembre dernier, qui permet une réhabilitation collective, la seule possible, sur le plan moral, civique et mémoriel. Permettez-moi de citer le chef de l’État : « […], je souhaite, au nom de la République, qu’aucun des Français qui participèrent à cette mêlée furieuse ne soit oublié. C’est pourquoi je demande au ministre de la défense qu’une place soit accordée à l’histoire des fusillés au musée de l’armée, aux Invalides, dans ce lieu qui porte le récit de la guerre. De même, je souhaite que les dossiers des conseils de guerre soient numérisés et disponibles. »
La réintégration des fusillés dans la mémoire nationale avait été opérée par le discours de Craonne ; elle trouve aujourd’hui une concrétisation en un lieu chargé d’histoire. Cette décision est aussi le seul moyen pour la France de ne pas trier, parmi ses morts, ceux tombés au front sous les balles ennemies et ceux exécutés sous les yeux de leurs camarades.
Le ministère de la défense s’est immédiatement mis au travail. Parce que la plus grande des reconnaissances passe à mes yeux par la connaissance, le musée de l’armée a été chargé de réintégrer l’histoire des fusillés dans celle de la Première Guerre mondiale, et donc dans la mémoire collective de ce conflit. Pour réaliser cet objectif, la direction du musée a souhaité faire appel aux recommandations d’un conseil scientifique ad hoc, composé d’éminents historiens spécialistes de l’époque et placé sous la présidence du professeur Antoine Prost.
Je le répète, c’est en réintégrant cette histoire dans son contexte de guerre que nous la préserverons de l’oubli. Aussi les équipes du musée élaborent-elles actuellement un parcours chronologique à travers les salles consacrées à la guerre de 14-18. Les visiteurs qui traversent chaque année ces salles découvriront l’histoire des fusillés grâce à des photographies commentées de conseils de guerre ou liées à l’exécution d’un militaire, mais aussi grâce à des documents tels que des ordres d’exécution. Le parcours invitera le visiteur à se plonger au cœur de la justice militaire de l’époque, dont il faut rappeler les fondements pour comprendre le cas des fusillés. Je signale que les équipes de recherche n’ont découvert aucune trace d’éventuelles lettres adressées par les condamnés à leur famille avant leur exécution. Si certaines personnes possèdent de telles archives, le musée est tout à fait disposé à en exposer une copie.
La visite de ce parcours « fusillés » sera conçue autour de quatre étapes à vocation pédagogique. La première rappellera le contexte des premiers mois du conflit ; il faut se souvenir que près de 200 soldats ont été fusillés pendant les seuls quatre premiers mois. La deuxième étape sera consacrée à la loi du 27 avril 1916 relative au fonctionnement et à la compétence des tribunaux militaires en temps de guerre. La troisième étape visera à faire comprendre l’état et le moral des troupes à partir de 1917, c’est-à-dire le contexte dans lequel les mutineries ont eu lieu. La dernière étape présentera un bilan de la guerre et abordera plus précisément la question de la mémoire des fusillés dans l’immédiat après-guerre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très content de pouvoir vous annoncer que le travail remarquable accompli par les équipes du musée de l’armée permettra l’inauguration des nouvelles salles 14-18 le 7 novembre prochain, soit un an après la décision du Président de la République. La création de ces salles représente un investissement important pour le ministère de la défense, mais c’est un projet auquel nous sommes attachés, et ce sera bientôt un engagement tenu.
Les documents présentés permettront au visiteur de saisir la question dans toute sa complexité et dans toute la pluralité de ses dimensions. Dès l’entrée dans les salles 14-18, l’écran d’accueil fera désormais mention, parmi les 1, 4 million de soldats morts pour la France, des soldats fusillés. C’est là, je le crois, une véritable reconnaissance.
Enfin, le musée disposera de la base de données de tous les fusillés ; cet outil est en cours de réalisation, conformément à la volonté du Président de la République. Il ne s’agira pas d’un site internet spécifique, qui tendrait à traiter la question des fusillés comme une problématique anhistorique, mais bien d’un enrichissement du chapitre « Première Guerre mondiale » au sein du site « Mémoire des hommes ». Une telle recherche n’avait jamais été entreprise jusqu’alors par l’État. Elle me permet de vous annoncer que, à ce jour, ce ne sont pas 650, mais 918 fusillés qui ont été recensés pour l’ensemble des années de guerre. Ce travail est la preuve de ma volonté de transparence, d’ouverture et de vérité.
Pour certains fusillés, nous ne détenons que très peu d’informations, mais tous seront mentionnés, sans distinction. La base de données comportera la fiche d’identité du fusillé, ainsi que le contenu des dossiers de jugement dont nous disposons à son sujet. Le travail de numérisation a commencé le 12 juin dernier et cinq vacataires ont été recrutés par le ministère de la défense pour travailler spécifiquement à cette mission qui, si elle ne connaît aucun aléa, devrait être menée à terme pour le 7 novembre prochain.
Reste que le ministère n’a pas encore reçu l’accord de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Des discussions sont en cours, car certaines données qui seront mises en ligne peuvent être jugées sensibles. Nous espérons avoir l’accord définitif de la CNIL dans le courant de l’été.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je tenais à dire devant la représentation nationale. Je voulais rappeler l’importance que le Président de la République a accordée à la question des fusillés de 14-18 et souligner que les engagements qui ont été pris sont en voie d’être tenus, les projets en cours mobilisant des équipes du ministère de la défense pour faire la lumière sur cette histoire. Ce n’est que par la connaissance précise et exhaustive de ce dossier que le grand public lui donnera toute la place qu’il mérite dans sa mémoire collective.
C’est avec la volonté de construire une mémoire apaisée que la France est entrée dans le centenaire. C’est aussi avec l’ambition d’adresser un message de cohésion nationale, de paix et de fraternité, après que les Français et les Allemands ont fait tant d’efforts sur le chemin de la réconciliation, après que l’Europe s’est construite sur les cendres et les ruines de la guerre. C’est enfin avec le souci de rendre hommage aux oubliés que la France est entrée dans le centenaire : je pense aux femmes, aux troupes coloniales, aux travailleurs étrangers, aux victimes civiles et aux fusillés. Il importe que tous réintègrent la mémoire nationale, en respectant la vérité historique. C’est dans cet esprit de réconciliation et en menant jusqu’au bout les missions qui m’ont été confiées que nous pourrons réintégrer pleinement et collectivement les fusillés, sans les distinguer, dans la mémoire nationale.
Pour conclure, je veux vous exprimer, monsieur Fischer, madame la rapporteur, toute ma gratitude pour la qualité de vos interventions. Je mesure pleinement la nécessité pour notre pays de se retrouver autour d’une mémoire dont le maître mot serait l’apaisement. C’est d’ailleurs ma volonté de créer une cohésion autour de notre histoire, dans le respect de chacun, mais en évitant l’idée de repentance.
La question posée aujourd’hui n’est pas seulement d’ordre juridique, même si je l’entends, elle a aussi une dimension humaine et émotionnelle, et j’y prête attention. Cependant, ce que vous préconisez dans le cadre de la proposition de loi n’apporte pas à mes yeux une réponse satisfaisante. J’espère vous avoir convaincus qu’un important travail a été entrepris, dans un souci permanent du respect de notre histoire et de nos morts. J’émettrai donc un avis défavorable sur ce texte.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 28 juin prochain, nous célébrerons un triste anniversaire, celui de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, il y a cent ans. Nous sommes en effet aux prémices d’un cycle mémoriel dense, important, voire crucial. Cette année, nous commémorerons le centenaire du début de la Première Guerre mondiale.
Mais c’est un terme bien pudique que celui de « Première Guerre mondiale ». Nous allons en réalité commémorer une boucherie humaine sans nom, une guerre qui eut les conséquences les plus atroces et les plus dramatiques pour la France et l’Europe : 10 millions de morts, dont près de 1, 5 million pour notre seul pays. Ces chiffres sont abstraits, la réalité l’est moins. Cette guerre, c’est l’enfer des tranchées boueuses, pestilentielles et sanglantes, dans lesquelles nous avons enseveli toute une génération d’hommes.
Permettez au président du conseil général de la Meuse que je suis d’avoir un regard particulier et une sensibilité aiguë sur le sujet. Vous avez tous lu Ceux de 14 de Maurice Genevoix. Aussi, vous n’êtes pas sans savoir que, chaque jour, la mémoire de Verdun, de l’Argonne, des Éparges s’impose à mon département. Un siècle après, nous nous souvenons, et c’est à nous qu’il incombe d’honorer la mémoire de ceux qui ont fait le sacrifice ultime pour la liberté de notre pays et de ceux qui sont tombés du fait de la seule absurdité de la guerre.
Près d’un million et demi de soldats français perdirent la vie. Parmi eux, il y aurait eu plus de 600 « fusillés pour l’exemple ». À ce nombre, corrigé par M. le secrétaire d’État à l’instant, s’ajoutent tous ceux qui ont été abattus sans jugement. Pour quel exemple ? Parlons-nous de ces soldats de dix-huit ans, parfois moins, qu’on envoyait à la mort dans des conditions dramatiques et qui ont été fusillés pour n’avoir su sortir assez vite de la tranchée ? Parlons-nous de ceux qui, après avoir essuyé l’horreur de l’assaut contre une tranchée ennemie, ne pouvaient se retenir de regarder leurs officiers en murmurant « assassin, assassin ! ». Est-ce cela « l’exemple » justifiant le fait de fusiller nos propres compatriotes ? Est-ce cela le prix de la discipline dans les rangs ?
Une justice militaire intransigeante quand elle était exercée, des conditions de guerre épouvantables, des circonstances terribles, voilà les raisons pour lesquelles ces hommes furent fusillés. Il s’agissait d’exécuter pour dissuader. On a brisé des vies.
Dans le rapport remis au Gouvernement par le comité d’historiens présidé par Antoine Prost sur la question des fusillés pour l’exemple est cité un cas qui m’a spécialement interpellé. C’est celui des sous-lieutenants Henri Herduin et Pierre Millant, tous deux à la tête d’une compagnie du même bataillon, qui, en juin 1916, se replièrent avec les rescapés lors d’un assaut manqué plutôt que de se faire prendre par l’ennemi. Ils ont été fusillés le lendemain !
Le sous-lieutenant Herduin se savait victime d’une injustice. Néanmoins, il commanda lui-même son peloton d’exécution. Et voilà ce qu’il a déclaré avant de mourir : « Soldats, vous allez me fusiller, mais je ne suis pas un lâche, mon camarade non plus. Mais nous avons abandonné la position ; nous aurions dû rester jusqu’au bout, jusqu’à la mort. Si vous vous trouvez dans le même cas, n’abandonnez pas, restez jusqu’au bout… et maintenant, visez bien, droit au cœur... ».
Encore une fois, je me pose la question : était-ce cela le prix de la discipline dans les rangs ? Je suis très sensible à leur drame. Alors qu’ils ont été réhabilités en 1926, le département de la Meuse, avec l’accord unanime des associations locales d’anciens combattants, a érigé une stèle en leur honneur en novembre 2009, dans un lieu proche de leur exécution, à savoir le village de Fleury, qui est l’un des neuf villages détruits par les combats et non reconstruits dans la zone rouge de Verdun. Vous comprendrez donc ma sensibilité sur ce sujet.
La proposition de loi déposée par Guy Fischer et ses collègues a pour objet de réhabiliter collectivement les fusillés pour l’exemple. Dans un contexte commémoratif important, cette question est plus que légitime pour les familles, pour les associations et pour notre mémoire nationale. Je remercie chaleureusement notre collègue de nous permettre ainsi d’évoquer ces faits terribles dans l’enceinte de cet hémicycle.
Pendant trop longtemps, ces hommes ont été qualifiés de soldats indignes ; pendant trop longtemps, le sceau de la honte a marqué leurs familles. Le chagrin devenait une souffrance morale : « comment pleurer quelqu’un qui a déshonoré l’uniforme ? ». Ces fusillés pour l’exemple font aujourd’hui et à jamais partie de la mémoire nationale.
Avez-vous vu, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le film Joyeux Noël de Christian Carion ? Parfois, il devient évident que, lorsque l’on a atteint les limites de l’intolérable, on devient tout simplement incapable de se battre, sans pour autant trahir son pays. Qu’aurions-nous fait, nous tous, dans les mêmes conditions, à tout juste dix-huit ans ?
Les orateurs qui m’ont précédé ont cité les propos tenus par MM. Jospin et Sarkozy. Ce dernier s’est exprimé en 2008 à Verdun, à l’ossuaire de Douaumont, où, je vous le rappelle, plus de 130 000 corps de soldats français et allemands sont ensevelis. Le Président de la République François Hollande a réaffirmé, quant à lui, le 7 novembre dernier, ce qui avait été dit par son prédécesseur : les fusillés pour l’exemple ne doivent pas être oubliés.
Si une réhabilitation morale a donc eu lieu, reste à mener une véritable réhabilitation législative, qui conduirait à rendre hommage aux soldats tombés injustement, en inscrivant leurs noms sur nos monuments aux morts. C’est pourquoi, à titre personnel, je suis tenté d’adhérer à la démarche initiée par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen. J’y suis tenté en mémoire non seulement de ces vies perdues pour des motifs absurdes, mais aussi de mon département de la Meuse, qui a été l’un des théâtres de cette guerre atroce.
Cette proposition de loi possède une véritable portée. À mes yeux, elle est un signal très fort envoyé au Gouvernement et au Président de la République en cette année de commémoration.
Monsieur le secrétaire d’État, j’ai écouté avec attention votre intervention. Tous les fusillés, vous avez raison, ne peuvent pas forcément être réhabilités. Je retiens donc votre proposition, qui, si je l’ai bien comprise, permettra une réhabilitation au cas par cas, sur demande des familles concernées. Il y a là, je crois, une voie permettant d’élever le débat, d’en sortir par le haut et d’apporter le supplément d’âme nécessaire aux prochaines commémorations. Je regrette simplement qu’aucun amendement n’ait été déposé pour introduire vos propositions. Tout comme mon groupe, j’y aurais adhéré très volontiers. Aujourd’hui, nous ne pouvons accepter la réhabilitation de tous les fusillés sans examen des dossiers. C’est pourquoi, dans sa grande majorité, le groupe UDI-UC ne prendra pas part au vote.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe socialiste et du groupe CRC.
L’ordre du jour appelle la désignation des trente-sept membres de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, et de l’article 10 du règlement, la liste des candidats présentés par les groupes a été publiée.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.
Nous reprenons la discussion de la proposition de loi relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Claire-Lise Campion.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui porte sur un sujet sensible. Sensible, non pas parce qu’elle modifierait en profondeur la vie sociale ou politique de notre pays ni parce qu’elle serait déterminante pour construire notre avenir collectif. Sensible, parce qu’elle s’intéresse au passé, à la vision que nous nous faisons de notre histoire, et donc à la mémoire que nous en conservons.
Les célébrations du centenaire de la Première Guerre mondiale ont débuté et, pendant quatre ans, il y aura de très nombreux événements historiques à rappeler et à commémorer. Nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen ont voulu, par cette proposition de loi, que nous nous saisissions de la question des fusillés pour l’exemple.
Les événements ont cent ans, mais la question également : elle commença à être posée dès les premières exécutions. Portée par les témoignages des combattants, par l’engagement d’associations de défense des droits de l’homme et par la volonté des familles des fusillés, elle se pose encore aujourd’hui.
S’intéresser aux fusillés pour l’exemple, c’est d’abord s’intéresser à des hommes, essayer de savoir qui ils étaient. La tâche est complexe, car si le terme pour les désigner est unique, la réalité de leur condition est multiple. Certains, ayant refusé, selon les mots du Premier ministre Lionel Jospin, « d’être des sacrifiés », ont été victimes, lors de leur passage devant le conseil de guerre, d’une absence d’instruction préalable, ainsi que de témoignages exclusivement à charge et réduits à la portion congrue. D’autres, plus d’une centaine, civils comme militaires, ont été jugés coupables non pas d’avoir flanché face à la violence quotidienne et vaine des combats, mais de s’être livrés à des actions d’espionnage ou d’avoir commis des crimes de droit commun, parfois des crimes de sang.
C’est cette diversité des cas personnels qui rend ce sujet si difficile à aborder de façon globale ; elle rend symboliquement compliquée une réhabilitation collective.
Dans le même temps, il faut ajouter à cette diversité des situations, la difficulté des historiens à exploiter les sources que leur a laissées la justice militaire. Cette juridiction d’exception n’utilisait souvent que peu de documents, pour des procès rapides, voire expéditifs. Les dossiers judiciaires tenus dans chaque division de l’armée française sont manquants pour 20 % d’entre eux. La qualité de ceux qui ont été conservés est très aléatoire, certains contenant moins d’une dizaine de documents, d’autres plusieurs centaines. C’est cette qualité variable des sources qui rend ce sujet malaisé à aborder de façon particulière ; elle constituerait un obstacle majeur s’il nous fallait envisager une réhabilitation totale au cas par cas.
L’opinion publique n’a jamais oublié les fusillés pour l’exemple. Les demandes pour permettre des réhabilitations ont été nombreuses. Elles sont la marque d’une volonté de ne pas reléguer ces hommes dans les fourgons de l’histoire.
Quatre-vingts ans après la fin de la Première Guerre mondiale, on pouvait craindre que le sujet ne soit définitivement oublié, relégué dans la liste des questions difficiles à aborder, voire taboues. Elle aurait alors été un « kyste mémoriel » de l’histoire de France. En 1998, en rendant hommage, à Craonne, aux fusillés de la Grande Guerre, le Premier ministre Lionel Jospin a ouvert le chemin au plus haut niveau de l’État pour reconnaître qu’il y a encore des réponses à apporter.
Dix ans plus tard, en rendant hommage, à Douaumont, à tous les soldats morts au cours de la Première Guerre mondiale, le Président Nicolas Sarkozy a poursuivi dans ce sens.
Le Président François Hollande, voilà quelques mois, le 7 novembre dernier, en lançant les célébrations du centenaire de la Première Guerre mondiale, a dit l’importance qu’il accorde à cette question et a présenté les solutions qu’il a retenues pour qu’enfin les fusillés prennent toute leur place dans la mémoire nationale.
Ce n’est plus seulement à l’État, ce n’est plus seulement aux femmes et aux hommes politiques de faire vivre cette nouvelle étape de la mémoire ; c’est aussi et avant tout aux citoyens.
Au plus haut niveau de l’État, la reconnaissance des fusillés est acquise ; elle a dépassé deux alternances politiques, et elle a été et sera encore réaffirmée à l’occasion des célébrations du centenaire. Elle est également acquise pour de nombreux autres acteurs de la vie publique. À l’heure actuelle, nombre de conseils généraux et régionaux se sont saisis de cette question.
Cela a été rappelé par plusieurs orateurs, l’une des principales illustrations de ces événements par le cinéma, le film de Stanley Kubrick, Les Sentiers de la gloire, sorti en 1957, n’a été diffusé en France pour la première fois qu’en 1975. Ne parlons pas de censure : à sa sortie, les distributeurs décidèrent d’eux-mêmes de ne pas le diffuser. Preuve, déjà, qu’il convient d’agir pour améliorer la perception qu’ont nos concitoyens de ces événements, plus encore que d’agir par la justice et la loi.
Plusieurs historiens se sont déjà emparés du sujet, ont fourni les données, les analyses, matières fondamentales pour une meilleure compréhension des mentalités de l’époque et de ces exécutions.
Il est nécessaire que les fusillés pour l’exemple soient avant tout réhabilités dans la mémoire collective, qu’ils le soient par une meilleure ouverture de la société à leur histoire, à toutes leurs histoires. Rendons publics les dossiers judiciaires, renforçons la place accordée aux fusillés dans notre récit de la Première Guerre mondiale, facilitons l’inscription des noms des fusillés sur les monuments aux morts : ces mesures permettront de donner corps dans la société à la réhabilitation.
Nous avons déjà discuté, ici, de lois mémorielles, comme cette proposition de loi, mais il faut aussi savoir adopter d’autres méthodes pour ne pas juger l’histoire en rejugeant les hommes, mais comprendre l’histoire en la laissant aux hommes. C’est pourquoi notre groupe ne votera pas cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collèges, c’est dans le contexte de la commémoration du centenaire de la Grande Guerre que nous examinons une proposition de loi chargée d’émotion qui renvoie à un événement tragique de notre histoire.
Le cas des « fusillés pour l’exemple » de 1914-1918 fait partie de ces chapitres douloureux qui resurgissent régulièrement parce qu’ils n’ont pas été dépassionnés totalement. Nous savons que c’est un sujet qui a longtemps partagé, d’un côté, les tenants de l’ordre militaire coûte que coûte et, de l’autre, ceux qui ont mis en avant les circonstances atténuantes des « fusillés pour l’exemple ». Les seconds finiront par l’emporter.
En effet, les lois d’amnistie de 1919, puis de 1921, ainsi que la loi du 9 août 1924 tendant à permettre la réhabilitation des soldats exécutés sans jugement, ont rapidement posé la question du sort injuste de ces soldats victimes des affres de la guerre. Il faudra toutefois attendre plusieurs décennies pour que les esprits continuent à converger vers cette idée de réhabilitation collective.
Grâce au travail des historiens et à l’exploitation des archives, il faut bien reconnaître que tous ces jeunes gens ont payé de leur vie une posture politique qui consistait à afficher la fermeté du pouvoir dans un contexte de débâcle sur le front est.
Comme vous le savez, mes chers collègues, la justice militaire a vu croître ses prérogatives à partir d’août 1914, avec en point d’orgue l’instauration de « conseils de guerre spéciaux » par décret du 6 septembre 1914. On connaît les conséquences de cette justice d’exception : des procédures expéditives, sans recours possible, suivies d’exécutions publiques pour frapper les esprits et garantir la discipline des troupes. Il faudra toute la ténacité des familles et des associations pour que les réhabilitations judiciaires démontrent l’arbitraire de ces exécutions sommaires.
Sur le plan politique, on ne peut que saluer l’initiative du Premier ministre de l’époque, Lionel Jospin, qui, en 1998, à Craonne, a ouvert la porte à la réhabilitation politique des « fusillés pour l’exemple ». L’actuel chef de l’État et son prédécesseur ont poursuivi ce travail de réintégration de ces soldats au sein de la mémoire collective nationale.
S’agissant des collectivités locales, il faut rappeler que leurs élus ont aussi entrepris des démarches visant à la réhabilitation des « fusillés pour l’exemple » de la Grande Guerre. C’est le cas dans les Hautes-Pyrénées, dont le conseil général a adopté une motion en ce sens le 24 mai 2013.
Je partage, avec mes collègues du RDSE, cette attention portée au drame des « fusillés pour l’exemple », qui s’exprime encore aujourd’hui dans le cadre de l’examen de la proposition de loi de nos collègues du groupe CRC. Nous ne pouvons que reconnaître la brutalité de cette politique qui a ôté brutalement la vie à plus de 700 soldats, qui, rappelons-le, n’avaient pour horizon, à ce moment, que la pluie, la boue, le froid, la faim, les poux, la mitraille et le sang.
Tous ceux qui n’avaient plus la force d’affronter ces maux, fallait-il les fusiller pour l’exemple ? Quel exemple ? Celui de tenir debout tous ceux qui devaient encore aller au supplice et ne pas lâcher leurs compagnons de misère ?
Il faut reconnaître aujourd’hui que ces exécutions ont choqué l’idéal républicain, les valeurs d’humanisme et de fraternité que celui-ci suppose. C’est d’ailleurs au nom de ces valeurs et du respect des droits de l’homme que notre pays sait condamner avec promptitude les exécutions de soldats et de combattants en différents points chauds de notre planète.
Soucieux de redonner une place aux « fusillés pour l’exemple » dans la mémoire collective, je soutiens, avec la plus grande partie des membres de mon groupe, l’esprit de la proposition de loi, mais non pas son dispositif ; nous lui préférons l’amendement déposé par les auteurs de cette proposition de loi. En effet, nous avons bien conscience que cet amendement évite d’engendrer les conséquences juridiques qu’ouvre au contraire le texte initial. Il s’agit avant tout de rendre aux fusillés toute leur dignité, et nous devons nous attacher à cette réhabilitation symbolique, qui sera néanmoins, j’en suis sûr, un geste fort de reconnaissance de la nation et un élément de fierté.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste . – M. Christian Namy applaudit également.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes appelés aujourd’hui à nous prononcer sur la proposition de loi déposée par Guy Fischer relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918.
Cette proposition de loi prend une dimension toute particulière en cette année où nous célébrons le centenaire de la Grande Guerre. Le Président de la République a lui-même appelé, lors du lancement du cycle des commémorations, le 7 novembre 2013, à la prise en compte et à la reconnaissance de l’histoire des fusillés. Faisant écho au contexte particulièrement inhumain et barbare dans lequel les soldats français ont évolué, le chef de l’État a souhaité « qu’aucun des Français qui participèrent à cette mêlée furieuse ne soit oublié ». Cependant, les déclarations ne suffisent pas. Et c’est bien là tout le sens cette proposition de loi !
Le groupe écologiste salue cette initiative. En effet, ce texte vise environ 600 fusillés pour manquements à la discipline militaire : refus d’obéissance, abandon de poste, révolte, voie de fait sur supérieur, désertion à l’ennemi. Le rapport énonce que ni les soldats exécutés pour des crimes de droit commun ni les civils coupables d’espionnage ne sont concernés.
Ces « fusillés pour l’exemple », condamnés à mort par des conseils de guerre et exécutés au front, ont servi de levier de répression pour instaurer un climat de terreur dans les rangs et ainsi réduire au silence tout mouvement de contestation. Le cérémonial et la mise en scène autour des exécutions sont bien la preuve que l’impact psychologique était, au-delà de la simple condamnation, l’effet recherché. Or ce texte nous appelle à repenser le sens que nous donnons au mot « héros ». Il est certain qu’il ne suffit pas d’obéir à la hiérarchie militaire, au sacrifice de sa vie, pour être un héros.
Mme Leila Aïchi. Les mutins de la Grande Guerre ont rejeté l’absurdité et la barbarie dans laquelle la nation se trouvait. Ils ont bravé une autorité militaire devenue absurde. À ce titre, ils étaient aussi des héros.
M. Roger Karoutchi s’exclame.
Il est temps de rendre hommage à ces acteurs de la paix, dont la mémoire a été salie pour les besoins de l’Union sacrée. Les témoignages des poilus sont particulièrement édifiants et nous permettent, l’espace d’un court instant, d’imaginer l’horreur qu’a pu être cette guerre : « Les canons et les fusils ne marchaient plus, il régnait un silence de mort. Il n’y avait que les blessés qui appelaient : Brancardiers ! Brancardiers ! À moi ! Au secours ! D’autres suppliaient qu’on les achève. C’était affreux à voir. […] le bombardement commençait et il fallait rester là, à attendre les obus, sans pouvoir bouger jusqu’au soir huit heures, où on venait nous relever. »
Avec un siècle de recul, nous devons comprendre que les hommes visés par cette proposition de loi, condamnés pour manquements à la discipline militaire, n’étaient ni des lâches ni des traîtres. Les témoignages et les analyses en ce sens abondent et ne font que rappeler la détresse dans laquelle ces hommes, au service de la France, se trouvaient.
Mes chers collègues, aujourd’hui, force est de constater que l’image des fusillés est déjà « réhabilitée » dans la conscience collective. Or il s’agit simplement ici de permettre à la loi de s’adapter aux évolutions de la société. Accorder une place aux fusillés de 14-18 dans le musée des Invalides ou mettre à disposition du public leurs dossiers sont certes des avancées, mais cela ne suffit pas.
Sur le fond, certains opposeront à ce texte la contrainte juridique. En effet, le terme « réhabilitation » implique l’annulation des jugements rendus par les conseils de guerre. Le terme « collectif », quant à lui, empêche toute distinction entre les innocents, victimes d’une justice excessive, et ceux qui étaient, comme le définit le rapport, « objectivement coupables ». Je considère toutefois que l’impératif de reconnaissance ne doit pas être entravé par de simples considérations administratives. Il s’agit là davantage d’un acte symbolique de la nation envers ses combattants.
C’est en ce sens que l’amendement proposé par Mme Demessine visant à permettre une réhabilitation symbolique et morale des fusillés pour l’exemple se trouve être un premier pas important. Son adoption permettrait à la France d’en finir définitivement avec ce tabou.
Le groupe écologiste soutient unanimement cet amendement, car il vise surtout à réparer une injustice. En effet, près de 200 fusillés non réhabilités figureraient déjà sur les monuments aux morts. Il paraît alors délicat de ne pas accorder à l’ensemble ce que nous avons déjà permis pour certains. À titre d’exemple, le sous-lieutenant Jean-Julien Chapelant a été fusillé pour « capitulation en rase campagne » le 11 octobre 1914 alors qu’il venait, en réalité, d’échapper aux Allemands, qui l’avaient fait prisonnier. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez vous-même reconnu ce soldat « mort pour la France » en 2012. Pourquoi nous arrêter là ? Cet exemple nous montre bien que, si nous ne pouvons refaire l’histoire, nous devons toutefois tenir compte du caractère exceptionnel de la situation qui a pu mener à des dérives.
Mes chers collègues, nous ne pouvons pas souscrire au principe de discrimination des morts. Il est donc de notre devoir de citoyens et d’élus de la nation de reconnaître l’ensemble de ces hommes qui ont été confrontés à la guerre dans ce qu’elle a de plus absurde et de leur rendre hommage.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE . – M. Christian Namy applaudit également.
Monsieur Fischer, j’aurais vraiment aimé être d’accord avec vous, car, vous le savez – je vous l’ai dit à plusieurs reprises –, j’ai pour vous beaucoup d’estime.
Mais l’historien que je suis a bien du mal à considérer que c’est au Parlement de réécrire l’histoire de France. Dans bien des cas, si on laissait faire les historiens, si on laissait faire la mémoire collective, celle des citoyens et non pas celle du Parlement, ce serait plus efficace, en tout cas plus conforme à la réalité. On ne refait pas l’histoire, parce qu’on ne recrée pas les conditions dans lesquelles les événements se sont déroulés.
Pour autant, j’ai entendu beaucoup de choses avec lesquelles je suis d’accord : certains de ces soldats ne méritaient probablement pas d’être exécutés.
madame Didier.
D’ailleurs, presque immédiatement après la guerre, pendant deux ans, de 1933 à 1935, alors que certains des acteurs militaires étaient encore en activité, une cour spéciale composée de magistrats et de militaires a réhabilité un certain nombre de fusillés, mais pas tous. En d’autres termes, quinze ou vingt ans après les faits, à une période où l’on n’était plus sous la pression de la guerre, non seulement cette cour à la composition mixte n’a pas réhabilité collectivement les soldats fusillés, mais elle n’en a pas non plus réhabilité certains.
Plusieurs intervenants se sont émus de l’horreur de cette guerre. Moi, je ne connais pas de guerre qui soit drôle, sympathique. Je ne connais pas de conditions de guerre qui soient acceptables pour les soldats.
Personne ne nie que la période entre 1914 et 1918, avec son lot de combats, de boue, de froid, de tranchées, ait été atroce. Mais pensez à la retraite de Russie, ce n’était pas mieux ! Lisez les récits de nos soldats de la Grande Armée, qui parlent de ces régiments entiers morts de froid, de ces hommes morts gelés dans des fleuves glacés en construisant des ponts. Oui, les guerres sont atroces ! Oui, elles causent beaucoup de morts, de souffrances, d’atrocités ! Mais on ne refait pas l’histoire cent ans après.
Monsieur le secrétaire d’État, vous le savez, beaucoup de choses ont été dites sur les quelque 900 fusillés qui viennent d’être recensés. La mémoire collective les a souvent associés à l’offensive Nivelle de 1917, offensive atroce, abominable. Cette véritable boucherie a poussé 40 000, 50 000, 60 000 soldats à se mutiner. Face à cette situation invraisemblable, Pétain, qui n’était pas encore l’homme de 1940, a quasiment demandé les pleins pouvoirs. Et il les a obtenus, parce que l’armée était en train de se disloquer et que les forces allemandes étaient sur le point d’atteindre Paris !
Pendant cette période, c’est vrai, plus de 500 condamnations à mort ont été prononcées en quelques semaines, mais, au final, très peu d’exécutions ont lieu : une quarantaine. En fait, l’armée a réellement procédé à des exécutions au début de la guerre. Durant le seul mois d’octobre 1914, on en compte 60, et on était alors loin des mutineries.
Mes chers collègues, souvenons-nous : en octobre 1914, la guerre n’a commencé que depuis deux mois, les forces allemandes percent les lignes françaises sur la Marne. Le général Gallieni mobilise alors les Parisiens et réquisitionne les taxis pour défendre Paris, la capitale, la patrie et la République ! Il est vrai que les chefs militaires disent aux autorités civiles : « Nous ne tenons pas ! » Il est vrai également que c’est à ce moment-là que sont survenus un certain nombre de désertions et de problèmes dus à la débâcle. Est-ce que vous pouvez dire à des chefs militaires qui défendent la République : « Vous n’avez pas à prendre de mesures pour sauver Paris, pour sauver la France, pour sauver la République ? »
Ne mélangeons pas tout ! Bien sûr que, avec 1 400 000 morts pour la France et plus de 18 millions de morts en Europe, la Première Guerre mondiale a été une immense boucherie. Elle marquera d’ailleurs la fin de la domination européenne sur le monde. Songez à tous ces Français, à tous ces Allemands, à tous ces Autrichiens, à tous ces Italiens qui sont morts dans la haine. Mais Dieu est grand ! Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la construction européenne a permis de prévenir le retour d’un tel massacre.
Si la boucherie a été réelle, ne dites pas pour autant que l’armée et la République n’ont pas fait leur devoir en 1914 !
Monsieur Fischer, je comprends qu’on réhabilite certains soldats. M. le secrétaire d’État a dit avec raison que, dans certains cas, il fallait le faire. Il a d’ailleurs procédé à des réhabilitations individuelles il y a un an. Lorsqu’un soldat a été exécuté pour des raisons absurdes ou pour des motifs infondés, même cent ans après, il faut en effet trouver une solution. Reste que vous ne pouvez pas le faire de manière collective, sinon, je le dis avec toute l’estime que j’ai pour vous, ce serait considérer qu’aucun soldat n’a eu de faiblesse.
Entendons-nous bien ! Si je dis cela, c’est pour répondre à l’une de nos collègues qui affirmait qu’il fallait redéfinir ce qu’était un héros. Pour ma part, je ne suis pas un héros, et je défie quiconque de prétendre que, en cas de conflit, il se conduirait comme un héros. Qui sait ce que nous aurions fait en nous retrouvant dans les tranchées ? Moi, je n’en sais rien, et personne ne le sait !
En tout cas, vous ne pouvez pas reprocher à l’armée chargée de défendre la République d’avoir fait en sorte que le front tienne et que Paris ne soit pas occupé par les forces allemandes. On peut bien sûr après coup se demander si ce conflit était juste ou non, mais c’est un autre débat.
Je rappelle quand même que le gouvernement en place en 1914 était républicain, contrairement au gouvernement de Vichy. C’était la IIIe République ! Il tenait sa légitimité des élections. C’est ce gouvernement légitime qui a donné des instructions pour que le front tienne. Et nos soldats, nos très nombreux soldats – plus de 3 millions de Français –, pour l’essentiel, ont tenu, dans la boue, dans le froid, dans des conditions horribles.
Je le répète, je ne sais pas ce que vous ou moi aurions fait dans les tranchées, …
… mais ce que je sais, c’est qu’une réhabilitation collective de tous les soldats fusillés pour l’exemple laisserait entendre que tout ce qui a été fait par les autorités militaires et civiles de l’époque est une erreur, une faute. Or cette condamnation rejaillirait sur tous nos chefs militaires et sur l’ensemble de la République.
Oui à des réhabilitations au cas par cas, comme il y en a déjà eues durant l’entre-deux-guerres, et comme il y en aura encore, j’en suis sûr ! Mais non à la réécriture de l’histoire ! Ne disons pas que la République s’est trompée pendant des années et ne laissons pas entendre aux chefs de nos armées, qui sont d’authentiques républicains, comme ceux qui commandaient à l’époque, qu’ils doivent défendre la République et s’attendre ensuite à être condamnés.
Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.
Quelles sont la signification et la vocation des commémorations organisées cette année à l’occasion du centenaire de la Grande Guerre et du soixante-dixième anniversaire de la libération du territoire ? Monsieur le secrétaire d’État, vous livrez des éléments de réponse dans la brochure de présentation éditée par vos services : « Cette année représente une occasion unique pour nos concitoyens de redécouvrir leur passé commun, de rendre hommage à nos morts, victimes civiles et combattants de la liberté, de célébrer enfin le temps de la victoire de la République et de ses valeurs. »
La redécouverte de ce passé commun et l’hommage rendu aux morts de la Première Guerre mondiale s’inscrivent dans ce cadre général. Ces commémorations, pour qu’elles prennent tout leur sens et qu’elles rencontrent l’adhésion de nos concitoyens, doivent reposer sur une connaissance des événements qui les resitue dans leur contexte et dans toutes leurs dimensions : avec leur gloire et leur lumière, mais aussi avec leurs zones d’ombre.
On peut penser que tout a été dit depuis longtemps sur le premier conflit mondial, sur ses causes, sur ses conséquences économiques et sociales dévastatrices et, bien entendu, sur la tragédie humaine. Le terme de « boucherie » a souvent été employé, terme qu’on pourrait appliquer à bien des conflits, mais celui-ci a été particulièrement effroyable.
Dire qu’on ne peut pas réécrire l’histoire aujourd’hui me semble un peu réducteur. Les travaux portant sur notre histoire récente ou plus lointaine s’enrichissent chaque jour. Je pense que, sans être forcément professeurs d’histoire, nous pouvons tous le reconnaître.
Certains aspects de ce conflit sont complexes et très sensibles. Ils sont encore controversés et peuvent donner lieu à polémique. Tel est le cas de la question des soldats français condamnés à mort et exécutés. Ainsi, il a été officiellement annoncé que, au cours des commémorations de la Première Guerre mondiale, ce sujet ferait l’objet de débats publics.
La proposition de loi qui est soumise à notre examen par le groupe communiste républicain et citoyen, sur l’initiative de mon ami Guy Fischer, s’inscrit précisément dans ce contexte et traite d’une question sur laquelle il reste sans doute encore beaucoup à dire. J’ajouterais que, depuis les années 1920, de nombreuses associations militent en faveur d’une réhabilitation de ces hommes.
Évitons d’emblée toute arrière-pensée polémique et politicienne et considérons que, aussi longtemps après les faits, ceux-ci peuvent être appréhendés de façon apaisée, avec comme seul objectif de rassembler nos compatriotes autour d’une mémoire commune. Peu connue du grand public, cette question est douloureuse pour les familles de fusillés, mais elle est aussi très délicate d’un point de vue symbolique et politique, en ce qu’elle touche à l’honneur des combattants, au patriotisme, à nos armées.
De quelle façon revenir sur le cas des quelque 740 soldats français fusillés entre 1914 et 1918, dont 600 pour des motifs strictement militaires, après avoir été condamnés par la justice militaire pour désertion, mutinerie, refus d’obéissance, espionnage ou même crime de droit commun ? Faut-il vraiment les réhabiliter aujourd’hui au sens juridique du terme de façon indistincte ? Sinon, comment procéder pour ceux qui auraient fait l’objet d’une injustice manifeste ?
Je comprends tout à fait qu’une procédure de réhabilitation collective soit hasardeuse et risquée. En effet, des individus fusillés pour crime de droit commun ou espionnage pourraient en bénéficier. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle des historiens et certaines associations, comme la Ligue des droits de l’homme, sont plutôt favorables à des réhabilitations au cas par cas.
Cette procédure, plus sûre, aurait l’avantage de ne concerner que les soldats victimes de condamnations manifestement contestables.
À cet égard, contrairement à certaines idées reçues, ce sujet n’a jamais été tabou, et il serait faux de dire que la République n’a rien fait. Une quarantaine de soldats, fusillés au mépris du droit de l’époque, ont été judiciairement et individuellement réhabilités par la Cour de cassation dans l’entre-deux-guerres, certains dès janvier 1921.
Toutefois, la solution de la réhabilitation au cas par cas serait aléatoire et pratiquement impossible à mettre en œuvre, car, comme l’a écrit l’historien Antoine Prost dans un rapport qu’il vous a remis, monsieur le secrétaire d’État : « Refaire des procès cent ans après les faits n’a guère de sens : les témoins sont tous morts, et les pièces des dossiers ne permettent presque jamais de conclure [...]. Dans 20 % des cas, les dossiers ont même été perdus ».
Néanmoins, si nous écartons cette hypothèse, la question posée par la nécessité de donner une juste place à ces hommes et à ces événements dans la mémoire collective reste entière.
Je pense qu’il n’est pas trop tard pour surmonter ces difficultés et qu’il serait juste de faire un geste officiel et symbolique pour que le souvenir de ces hommes soit reconnu par la nation. Certes, leur place au Musée de l’Armée en l’Hôtel national des Invalides est une avancée, mais celle-ci est, à mes yeux, nettement insuffisante, d’autant que, avec le recul, la signification que l’on peut donner à ces faits a beaucoup évolué.
Michelle Demessine l’a noté dans son rapport, en 1998, lors d’une commémoration sur le plateau de Craonne, Lionel Jospin, alors Premier ministre, avait souhaité dans son discours que ces hommes « réintègrent notre mémoire collective nationale ». Dix ans plus tard, à Verdun, Nicolas Sarkozy prononçait une déclaration allant dans le même sens.
Il faut aujourd’hui prendre en compte les progrès de l’historiographie, qui intègre ces actes dans un contexte beaucoup plus vaste, où l’indiscipline et le refus de la guerre procédaient de convictions qui sont respectables.
Ces citoyens sous l’uniforme estimaient, lucidement sans doute, que ces combats n’avaient pas pour unique raison la défense de la patrie. Je pense, pour ma part, qu’ils furent victimes, comme les autres combattants, d’une guerre qui ne fut pas celle du droit, mais celle du déchaînement des nationalismes, d’une guerre pour la défense d’intérêts qui n’étaient pas les leurs, ainsi que d’un commandement, il faut aussi le dire, défaillant.
Ces hommes furent également victimes de procédures judiciaires militaires iniques.
C’est donc pour cet ensemble de raisons, et parce qu’il est de nature à rassembler et à apaiser les esprits, que le groupe communiste républicain et citoyen votera pour l’amendement à la proposition de loi de notre collègue Guy Fischer.
Son adoption constituerait un geste fort de notre assemblée, qui conforterait la reconnaissance officielle réalisée par le pouvoir exécutif ces dernières années, ainsi que par de très nombreuses collectivités.
Vifs applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer l’initiative de Guy Fischer, parfaitement relayée par notre rapporteur.
En cette année symbolique de commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, il est important que la nation se rassemble pour se souvenir. La guerre de 1914-1918 fut un drame horrible, un conflit atroce.
Je partage évidemment les propos de Roger Karoutchi : toute guerre est inhumaine et, parce qu’il en est ainsi, toute guerre doit nous interpeller.
Concernant le dossier qui nous réunit aujourd’hui, le cas des fusillés pour l’exemple a été un drame individuel, mais aussi collectif, …
… qui a frappé le monde avec une violence extraordinaire : plus de 8 millions de morts au total, dont 8 millions de soldats mobilisés en France, et 1, 3 million de morts sur une population de 40 millions d’habitants.
Dès le premier jour de la guerre, on comptait 17 000 morts parmi les soldats, qui n’en étaient peut-être pas tout à fait, car, quelques jours auparavant, ils travaillaient encore dans leurs ateliers ou dans leurs usines.
Ils sont tombés dans un univers effroyable, un déluge de feu, de fer, de sang.
Il est évidemment difficile, hors de ce contexte, d’être en mesure de porter un jugement, et bien audacieux celui qui peut dire comment il aurait réagi dans une telle tourmente !
Je connais l’engagement de Guy Fischer et j’y suis sensible, car nous avons souvent travaillé ensemble sur ces dossiers de mémoire, de défense des valeurs humaines, et en particulier du monde combattant.
Néanmoins, à mon sens, toute réhabilitation collective risquerait d’être injuste, parce que des dossiers auraient disparu et que, de ce fait, certains seraient oubliés et d’autres réhabilités à tort.
Un soldat fusillé, c’est avant tout un drame personnel, …
… mais c’est aussi une tragédie pour sa famille et pour la patrie.
Dans ces conditions, je suis très sensible au fait que le Premier ministre Lionel Jospin ait le premier ouvert la voie sur un dossier difficile. Je le rappelle, lorsqu’il s’est exprimé à Craonne, que n’a-t-on entendu ! Des critiques vives, parfois violentes, voire plus encore !
Puis, Nicolas Sarkozy s’est inscrit dans les pas de Lionel Jospin, à Douaumont. Un an après, il a redit, au pied de l’Arc de triomphe, que les fusillés pour l’exemple méritaient que leur situation soit réexaminée et prise en compte par la nation.
Enfin, le Président de la République, François Hollande, vient de déclarer qu’il fallait vraiment agir. Sa proposition, reprise et rappelée aujourd’hui par M. le secrétaire d’État, n’emporte aucun mépris ni aucune dévalorisation du présent texte de Guy Fischer, relayé par Mme la rapporteur et nos amis du groupe CRC.
La proposition de M. le secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire est peut-être plus forte encore, car elle requiert que la nation se souvienne collectivement de cette tragédie, qui, si elle est individuelle, a aussi eu des conséquences pour l’ensemble des Français.
Monsieur le secrétaire d’État, vous nous affirmez que, le 11 novembre prochain, sera inaugurée la salle des fusillés pour l’exemple, et pas n’importe où : au Musée de l’Armée, en l’Hôtel national des Invalides. Cela signifie que la nation tout entière rappellera, dans un lieu hautement symbolique, ce drame collectif composé de tragédies individuelles et que, à ce moment-là, elle rendra leur dignité aux fusillés pour l’exemple, lors d’un rassemblement, et non lors d’un déchirement.
Monsieur le secrétaire d’État, je suis entièrement à vos côtés et soutiens votre initiative. Puisqu’elle est très forte, j’espère qu’elle obtiendra l’adhésion et l’appui de l’ensemble de la représentation nationale.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.
Si j’adhère totalement à votre proposition, c’est parce que, comme l’avait proposé le Président de la République, vous avez mis en œuvre la numérisation des dossiers individuels, laquelle nous permettra d’étudier individuellement les cas visés.
Je suis tout à fait d’accord avec vous, il faut continuer cette numérisation. Toutefois, je me permettrai une suggestion à ce propos : nous devons utiliser cette numérisation non pour le plaisir, mais avec la volonté de nous engager fortement en faveur de la reconnaissance et de la mémoire de ces soldats. Au travers de cette initiative, il s’agit de redonner à ces fusillés leur dignité, mais aussi de leur rendre justice et droit.
Je propose donc que ces dossiers numérisés puissent être utilisés par ceux qui souhaitaient demander une réhabilitation, et pas n’importe comment, c’est-à-dire après réflexion, avec sérieux et rigueur.
En outre, puisqu’il s’agit de rétablir quelqu’un dans ses droits, je suggère que ces dossiers permettent éventuellement de saisir le Défenseur des droits, par une procédure équivalente à celle que suivent nos concitoyens pour saisir le médiateur : ainsi, le maire d’une commune, alerté par la famille ou certains citoyens, saisirait un parlementaire, qui saisirait à son tour le Défenseur des droits.
L’adoption d’une telle mesure serait une preuve de sérieux et de responsabilité de la part de nos concitoyens et de la représentation nationale. Ensemble, nous répondrions au souhait de Guy Fischer qu’il a exprimé au travers de sa proposition de loi : une réhabilitation collective par la nation rassemblée, afin de rendre justice, dignité et honneur aux fusillés pour l’exemple.
Sans vouloir mésestimer le texte qui nous est soumis, je trouve ma suggestion beaucoup plus forte et favorable à la reconnaissance de ceux qui ont vécu une tragédie individuelle au cœur d’un drame collectif.
C’est la raison pour laquelle, au nom du groupe socialiste, nous ne voterons pas cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.
Mes chers collègues, monsieur le secrétaire d'État, comme vous le savez, le temps de notre débat est contraint. Je vous appelle donc à la plus grande concision.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
Madame la présidente, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j’apprécie le ton apaisé et mesuré de l’ensemble des intervenants. Je souhaite néanmoins vous faire part de quelques éléments qui ont alimenté ma réflexion.
Premièrement, depuis que je suis aux responsabilités, s’il y a une chose que j’essaie d’éviter, eu égard à ce qu’a exprimé le Président de la République le 7 novembre dernier, c’est la mémoire perdue. Or nous avons tous, les uns et les autres, une mémoire sélective.
Cette question des fusillés pour l’exemple se situe au cœur de notre histoire. Toutefois, il en est d’autres. Qui a pensé aux 900 tirailleurs sénégalais morts au camp du Courneau ?
Qui aurait pensé à ces soldats placés dans ce camp « d’hivernage » et oubliés dans notre histoire collective par l’ensemble des exécutifs et des groupes politiques, si ces événements n’avaient été relevés par des élus locaux appartenant à nos familles politiques ?
J’ai été, et je le dis sans aucune prétention, le premier responsable gouvernemental à me déplacer à la cérémonie qui est organisée au mois d’août au camp du Courneau à la mémoire de ces 900 soldats.
Qui a pensé aux dissidents antillais pour le deuxième conflit mondial : 4 000 à 5 000 hommes qui quittèrent la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe, passant pour certains par les États-Unis dans des conditions dramatiques et rejoignant la France libre en Afrique du Nord, après des milliers de kilomètres de mers et d’océans traversés ?
Qui a pensé à la rafle de l’Opéra à Marseille, où même les préfets n’avaient pas le droit de se déplacer pour représenter la République, du fait des décisions de la police de Vichy, que la France se refusait à regarder en face ? S’il y a bien une chose sur laquelle nous pouvons tomber d’accord, et c’est le travail que j’essaie d’accomplir avec vous, c’est éviter que certaines mémoires en soient perdues. Je tiens à le souligner de nouveau.
Deuxièmement, la vérité des chiffres est là : nous sommes passés de 150 soldats fusillés à plus de 900. Si j’ai agi ainsi, c’est pour ne pas cacher l’horreur du premier conflit mondial et la réalité des fusillés pour l’exemple.
La guerre est une horreur, chacun l’a dit, et nous pourrions le répéter sans cesse, avec ressentiment et émotion. Toutefois, je veux aussi rendre hommage, sans tomber dans un quelconque héroïsme outrancier, à nos jeunes soldats, aujourd’hui engagés sur plusieurs théâtres d’opération extérieure, parfois par des températures de plus de cinquante ou cinquante-cinq degrés. Eux aussi se battent au nom de la République française ! Eux aussi subissent l’horreur de la guerre, mais, aujourd’hui comme hier, la République fait, en les mobilisant, le choix de défendre ses intérêts.
M. Roger Karoutchi acquiesce.
Troisièmement, je tiens à vous le dire, je suis très sensible à ces questions de réhabilitation. Pour preuve, je n’ai pas hésité à agir au sujet du soldat Chapelant.
En l’occurrence, vous demandez une reconnaissance symbolique et morale. Mais songez à ce qui va être fait au sein du Musée de l’armée ! Alain Néri l’a rappelé, ce n’est pas un endroit neutre. Nous n’allons pas camoufler ce passé dans je ne sais quel lieu, à Paris ou en province, pour occulter la destinée de ces fusillés. Nous le plaçons au cœur de l’histoire de nos armées. Ce musée est ouvert au grand public, aux jeunes comme aux moins jeunes. La salle qui y sera dédiée aux fusillés permettra donc bel et bien cette reconnaissance morale et symbolique.
De même, Alain Néri a eu raison de l’évoquer, la numérisation permettra de faire remonter les différents dossiers et d’entrer dans les détails de chaque cas précis, grâce à ces documents.
Je le répète, je suis opposé à une réhabilitation collective, parce que la mention « Mort pour la France » a un sens, auquel je ne dérogerai pas. Je n’en suis pas moins prêt à examiner les situations individuelles, comme je l’ai fait pour le soldat Chapelant, en m’appuyant sur le conseil scientifique qui a été mis en place et en consultant les archives existantes.
S'agissant de la mise en place d’une procédure de saisine, je suis prêt à y réfléchir, et un groupe de travail parlementaire pourrait être créé sur cette question. Cette saisine pourrait concerner, plutôt que le Défenseur des droits, le secrétaire d’État aux anciens combattants, au terme du processus. Il faut y réfléchir. L’enjeu est d’obtenir les dossiers de la part des mairies concernées, pour qu’ils puissent être étudiés. Ce faisant, des soldats pourront être réhabilités au cas par cas, avec, éventuellement, la mention « Mort pour la France ».
Telles sont les réflexions que je voulais formuler devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs. Il ne s’agit pas de conclure ce débat, qui est toujours ouvert devant nous. Néanmoins, par sagesse et par respect pour notre histoire et pour l’ensemble de nos morts, je considère que la solution que j’ai proposée est la meilleure.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.
La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi initiale.
Les « fusillés pour l'exemple » de la Première Guerre mondiale font l'objet d'une réhabilitation générale et collective et, en conséquence, la Nation exprime officiellement sa demande de pardon à leurs familles et à la population du pays tout entier. Leurs noms sont portés sur les monuments aux morts de la guerre de 14-18 et la mention « mort pour la France » leur est accordée.
La réhabilitation des fusillés pour l’exemple – nos débats de ce matin l’illustrent clairement – est une question bien plus sensible et complexe qu’il n’y paraît.
Le sort de ces soldats a fait un retour en force dans la mémoire collective, notamment au travers de films retraçant leur histoire dramatique. Pensons à King and country de Joseph Losey, dont le titre français est d’ailleurs Pour l’Exemple.
Les Français sont aujourd’hui majoritairement favorables à une telle réhabilitation. Néanmoins, sur les plans juridique et historique, la réhabilitation est avant tout un acte consistant à annuler des peines prononcées et des jugements rendus par les tribunaux militaires. Elle renvoie donc au fonctionnement de la justice en temps de guerre.
Dès le début des hostilités, des conseils de guerre spéciaux ont été chargés de juger de manière expéditive des soldats accusés de désertion, de refus d’obéissance et d’abandon de poste en présence de l’ennemi. La préoccupation essentielle était alors de prévenir la contagion au sein des troupes et de préserver l’autorité des officiers. L’intérêt de la discipline primait clairement sur celui de l’individu.
Les militaires qui jugeaient n’étaient pas des spécialistes du droit, mais intervenaient dans un cadre légal pour des délits précis. C’est pendant cette période, à savoir les premiers mois de la guerre, que l’on compte le plus grand nombre de fusillés pour l’exemple. Vous l’avez indiqué il y a quelques instants, monsieur le secrétaire d’État, au total, ce sont près de 900 soldats qui sont considérés comme tels.
Dans les années qui ont suivi la Grande Guerre, des demandes de réhabilitation ont émané des familles, soutenues par des associations et notamment par des groupements d’anciens combattants. Une quarantaine de soldats ont ainsi été rétablis dans leur honneur immédiatement après les faits.
Néanmoins, la réhabilitation implique une procédure juridique très complexe, car elle suppose de réviser des procès. Les dossiers ont été traités au cas par cas, et ils ont exigé beaucoup d’acharnement de la part des familles.
Certains combats pour reconquérir l’honneur d’un soldat fusillé pour l’exemple, comme celui de Blanche Maupas, ont marqué les esprits. Cette affaire des caporaux de Souain a d’ailleurs inspiré – de nombreux orateurs l’ont rappelé – Les Sentiers de la gloire à Stanley Kubrick. Souvenons-nous que ce film a été censuré pendant près de vingt ans en France, avant sa première diffusion en 1975, au motif qu’il montrait la cruauté de l’armée française envers ses soldats.
Passé une période de raréfaction des demandes de réhabilitation, avec la Seconde Guerre mondiale et les années qui l’ont suivie, l’irruption plus récente de ce sujet dans l’espace public, au travers de nombreux documentaires, a fini par populariser l’image de ces soldats innocents et martyrs.
Beaucoup l’ont dit : en novembre 1998, à Craonne, Lionel Jospin a prononcé des mots qui ont marqué un tournant dans l’histoire, en parlant des soldats condamnés à la suite des mutineries du Chemin des Dames comme des fusillés pour l’exemple. Il a appelé à leur complet retour dans la mémoire nationale.
Outre la complexité même de la notion de « réhabilitation collective », qui impose de juger de nouveau des faits historiques, les historiens estiment que les cas les plus graves ont déjà été traités. Ils ajoutent qu’il reste difficile de distinguer ceux qui ont été jugés arbitrairement parmi les centaines de fusillés pour l’exemple, d’autant que, aujourd’hui, je l’indique à mon tour, quelque 25 % des archives ont disparu.
Par ailleurs, certaines associations sont farouchement opposées au fait d’associer le nom de condamnés de droit commun à la mention « Mort pour la France ».
Cela étant, il n’est pas envisageable, aujourd’hui, de ne rien faire, même si la réhabilitation au cas par cas est encore plus difficile, cent ans après la Grande Guerre. C’est pourquoi, lors du lancement du centenaire en novembre dernier, le Président de la République, dans un esprit de réconciliation, a demandé que soit accordée aux fusillés une place au Musée de l’armée des Invalides et que les dossiers de guerre soient numérisés et consultables en ligne.
Monsieur le secrétaire d’État, vous venez d’évoquer ce chantier. Dans cet esprit, vous avez d’ailleurs sollicité un rapport sur cette question sensible et controversée, en vue de disposer d’un état des lieux complet, dans la perspective de réhabilitations individuelles. Vous êtes, comme nous, animé par le souci de ne pas trahir l’histoire.
M. le secrétaire d’État acquiesce.
Notre volonté commune est de rendre hommage aux oubliés, pour que tous réintègrent la mémoire nationale dans le respect de l’histoire. Aussi, nous considérons que votre position est une solution de sagesse et qu’elle sera soutenue par le plus grand nombre.
Mme Gisèle Printz et M. Alain Néri applaudissent.
L'amendement n° 1, présenté par Mme Demessine, M. Billout et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
La Nation rétablit dans leur honneur les soldats de la Première Guerre mondiale fusillés pour l’exemple. Leurs noms peuvent être inscrits sur les monuments aux morts.
La parole est à M. Guy Fischer.
Madame la présidente, ce sera là mon ultime intervention.
Dans sa rédaction initiale, l’article unique de ma proposition de loi soulevait un certain nombre de difficultés d’ordres juridique, politique et symbolique. Nous le reconnaissons.
Ces obstacles ont été évoqués au cours de la discussion générale. Il s’agit de l’impossibilité d’une réhabilitation générale et collective, de l’impossibilité d’attribuer la mention « Mort pour la France » et du caractère très sensible de la notion de « demande de pardon de la nation », qui pourrait s’apparenter à une forme de repentance hors de propos.
Bien que le Parlement ne soit pas fondé à modifier, un siècle plus tard, des situations individuelles, le problème reste entier. À nos yeux, il est temps pour les assemblées de répondre à la demande, renouvelée au cours des dernières années, d’une reconnaissance d’ordre symbolique.
Aussi, au travers de cet amendement, nous proposons de procéder à une forme de réhabilitation morale des fusillés victimes de condamnations arbitraires et de reconnaître la dignité de ceux qui ont été trop longtemps stigmatisés, voire mis au ban de la mémoire des soldats de la Grande Guerre.
Nous évitons ainsi le terme de « réhabilitation », avec ses implications juridiques précises, et nous abandonnons l’idée d’attribuer aux fusillés la mention « Mort pour la France ». En revanche, nous proposons de conserver la notion de « fusillé pour l’exemple », qui est couramment employée en la matière. Il s’agit d’une disposition d’ordre déclaratif qui, à notre sens, ne pose pas de problème juridique.
Enfin, nous souhaitons voir figurer dans la loi l’autorisation d’inscrire les noms de ces fusillés sur les monuments aux morts de nos communes, une pratique qui, dans les faits, est déjà largement répandue. Ainsi, le Parlement conforterait la reconnaissance officielle engagée ces dernières années par le pouvoir exécutif et par de nombreuses collectivités territoriales : une vingtaine de conseils généraux, dont celui que le chef de l’État a présidé, a déjà voté des motions en ce sens !
Je conclus en insistant sur l’exemple britannique.
M. Roger Karoutchi manifeste son scepticisme.
Comme nous très sensibles à l’honneur et à la patrie, nos amis d’outre-Manche ont eux-mêmes procédé, en 2006, dans le cadre d’une loi relative aux forces armées, à une réhabilitation symbolique des soldats de l’Empire britannique exécutés en raison de manquements disciplinaires au cours de la Première Guerre mondiale !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Mon cher collègue, je l’ai écrit dans mon rapport et je l’ai dit au cours de la discussion générale : j’avais moi-même proposé cette solution à la commission. Celle-ci, hélas ! ne m’a pas suivie.
Les membres de la commission considèrent que, même si elle se veut symbolique, cette disposition conserve une portée générale, étant donné qu’elle vise tous les fusillés pour l’exemple. Il ne s’agit donc pas, à son sens, d’une solution adaptée, eu égard à la complexité de la situation. Il lui a paru préférable de s’en tenir aux déclarations formulées jusqu’à présent et aux mesures concrètes annoncées par le Gouvernement : l’ouverture d’une salle au musée des Invalides et la mise à disposition des dossiers des fusillés sur internet.
La première mesure est de nature mémorielle, la seconde relève de la transparence et permettra à chacun de forger son propre jugement, en mesurant toute la difficulté d’appréhender cette question.
En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Monsieur Fischer, il me semble que nous sommes animés par le même souci de justice, de transparence et de vérité. Les avancées qui se sont succédé depuis le lancement du centenaire, il y a un an, traduisent clairement la volonté du Gouvernement, dans le cadre de cette mémoire apaisée que vous appelez de vos vœux.
Toutefois, le présent texte, même modifié par cet amendement, aboutirait à une reconnaissance collective que nous ne pouvons juger acceptable.
Je le répète, la mention « Mort pour la France » a un sens. Dans certaines communes, les monuments commémoratifs ne sont pas dédiés aux « morts pour la France », mais « à nos morts ». Cet état de fait résulte d’un choix opéré par les maires eux-mêmes. Il ne s’agit en aucun cas d’une reconnaissance accordée par l’État.
Enfin, j’entends, depuis le début de nos débats, invoquer l’exemple britannique.
On peut regretter que les réalités ne soient pas les mêmes en Angleterre et dans notre pays sur ce plan. Je rappelle néanmoins que l’objection de conscience existait déjà en droit britannique avant le premier conflit mondial et que la France avait, pour sa part, privilégié une approche différente.
Par conséquent, j’émets également un avis défavorable sur cet amendement.
Je mets aux voix l'amendement n° 1.
J'ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe CRC, l'autre, du groupe socialiste.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, ainsi que l’avis du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Avant de mettre aux voix l'article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
Lorsque l’on engage le pays tout entier pour se défendre, il est important que les principes sur lesquels se fonde l’action militaire soient respectés.
Cependant, monsieur le secrétaire d'État, votre démarche est très pertinente. Vous avez accepté, comme le Président de la République l’a souhaité, d’ouvrir une salle dédiée, car il ne doit pas y avoir, dans notre pays, de mémoire perdue. Ce chemin risque d’ailleurs d’être un chemin de croix, car la France sait très bien être amnésique quand cela l’arrange.
Je souhaite cependant souligner votre effort, qui me paraît, avec la numérisation des dossiers, de nature à apporter une réponse à celles des familles qui se sentent directement concernées.
Mémoire perdue pour mémoire perdue, n’oublions pas toutefois que l’Allemagne n’était pas obligée d’envahir la France, qu’elle n’était pas contrainte de suivre le plan Schlieffen, qui conduisait à violer la neutralité de la Belgique, ni de faire subir aux civils de ce dernier pays des massacres, qui ont mobilisé son peuple tout entier, comme d’ailleurs l’opinion française, contre l’envahisseur allemand. Et personnage pour personnage, la mort du lieutenant Péguy est certainement plus emblématique de ce que fut l’engagement des républicains, notamment de gauche, pour défendre le pays tout entier.
Monsieur le secrétaire d'État, il me semble que votre attitude est raisonnable. La présence parmi nous de notre collègue Gisèle Printz m’incite à rappeler, après vous, que nombre de communes, en particulier en Alsace et en Moselle, célèbrent leurs morts en omettant de dire qu’ils ne sont pas morts pour la France.
Mme Gisèle Printz acquiesce.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Mes chers collègues, je rappelle que les groupes ont présenté leurs candidatures pour la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
La Présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées, et je proclame :
MM. Philippe Adnot, Dominique Bailly, Mme Nicole Bonnefoy, MM. François-Noël Buffet, Luc Carvounas, Philippe Dallier, Ronan Dantec, Michel Delebarre, Éric Doligé, Jean-Léonce Dupont, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Christian Favier, Jean Germain, Mme Jacqueline Gourault, MM. Charles Guené, Edmond Hervé, Jean-Jacques Hyest, Philippe Kaltenbach, Roger Karoutchi, Yves Krattinger, Georges Labazée, Gérard Larcher, Gérard Le Cam, Dominique de Legge, Gérard Longuet, Roger Madec, Jacques Mézard, Thani Mohamed-Soilihi, Jean-Pierre Raffarin, Henri de Raincourt, Bruno Retailleau, Alain Richard, Bruno Sido, Jean-Pierre Sueur, Henri Tandonnet, Mme Catherine Troendlé, M. René Vandierendonck, membres de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
La commission spéciale se réunira le lundi 23 juin 2014, à 17 heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à treize heures dix, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.