Intervention de Michelle Demessine

Réunion du 19 juin 2014 à 9h00
Réhabilitation des fusillés pour l'exemple de la guerre de 1914-1918 — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Michelle DemessineMichelle Demessine, rapporteur :

… encore moins à un nombre précis de fusillés. Ils visent, selon les cas, à évoquer la dimension exemplaire que revêtait la condamnation, c’est-à-dire l’idée qu’elle doit dissuader les autres soldats d’agir pareillement, le caractère démonstratif de l’exécution, qui, conformément au règlement militaire alors en vigueur, donne lieu à un cérémonial très codifié en présence de la troupe, ou encore le fait que certains fusillés ont été arbitrairement désignés parmi d’autres coupables pour être, en quelque sorte, des victimes expiatoires.

L’exposé des motifs de la proposition de loi faisant référence à « plus de 600 fusillés pour l’exemple », on peut considérer que sont ici visés tous les fusillés pour manquements à la discipline militaire, à l’exception des soldats exécutés pour crimes de droit commun et des civils coupables d’espionnage.

Est-il dès lors légitime de considérer que ces 600 et quelques fusillés mériteraient d’être réhabilités ? Cela semble difficile, car, aussi injustes et arbitraires qu’ils puissent paraître aujourd’hui, les jugements rendus à l’époque étaient pour la plupart conformes au code de justice militaire. Le législateur ne peut rétrospectivement mettre en cause le droit en vigueur et juger l’histoire. Or si beaucoup de ces jugements sont contestables, leur mise en cause ne pourrait intervenir qu’au cas par cas, au vu d’un examen individuel des dossiers, avec toutes les difficultés que cet exercice comporterait, compte tenu de l’état des dossiers.

La loi ne saurait, de manière globale et indifférenciée, déclarer innocents tous les fusillés. La notion de « pardon » que la nation demanderait « aux familles et à la population du pays tout entier » ne paraît pas davantage appropriée. L’État peut-il demander pardon, cent ans après, d’avoir fait respecter le droit militaire en vigueur, même si l’on ne peut que regretter qu’il ait été appliqué de manière expéditive, parfois même sans procès ? Ce serait admettre que l’impératif de défense de la nation n’était pas légitime.

Enfin, l’attribution à chaque soldat fusillé de la mention « Mort pour la France », qui découlerait de la réhabilitation, pose problème sur le plan juridique. En effet, la situation des fusillés ne correspond à aucun des cas de figure énoncés à l’article L. 488 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, qui définit les conditions d’attribution de cette mention et qui exige que le décès soit la conséquence directe d’un « fait de guerre ».

Compte tenu des problèmes posés par ce texte et afin de répondre à la demande de reconnaissance de ceux qui ont été, pendant trop longtemps, stigmatisés et mis au ban de la mémoire des soldats de la Grande Guerre, j’avais, en tant que rapporteur, proposé à notre commission une rédaction alternative tendant à une reconnaissance morale et symbolique des fusillés pour l’exemple n’impliquant pas l’attribution de la mention « Mort pour la France ». Cette initiative s’inspirait de celle du Royaume-Uni, qui, en 2006, a procédé dans le cadre d’une loi relative aux forces armées, à la réhabilitation symbolique de tous les soldats de l’Empire britannique exécutés en raison de manquements disciplinaires pendant la Première Guerre mondiale.

Permettez-moi de dire que, en tant que sénatrice du Nord, territoire où cette histoire est encore vivante et qui compte de nombreux cimetières militaires britanniques, je suis particulièrement touchée par la décision du Royaume-Uni. Ce pays, bien qu’il ait payé un lourd tribut à cette guerre, a su montrer l’exemple en accordant cette forme de pardon. Je pense que nous pourrions nous inspirer de ce geste.

Malheureusement, la commission n’a pas suivi ma proposition. Je défendrai donc un amendement en ce sens à titre personnel avec mon collègue Billout.

Dans ce débat compliqué, pour ne pas dire inextricable, la commission des affaires étrangères n’a donc pas adopté la proposition de loi et a préféré s’en tenir à la solution annoncée par le Président de la République en novembre 2013, fondée sur deux mesures symboliques : l’ouverture d’une salle consacrée aux fusillés au musée de l’armée aux Invalides ainsi que la numérisation et la mise en ligne de l’ensemble des dossiers des fusillés détenus par l’État.

Pour conclure, je soulignerai que, quelle que soit l’issue de ce débat, il me semble particulièrement important qu’il ait lieu maintenant, en pleine année de commémoration du centenaire de la Grande Guerre et tout spécialement ce 19 juin, jour que le Sénat consacre à la commémoration de cet événement.

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