Intervention de Claire-Lise Campion

Réunion du 19 juin 2014 à 9h00
Réhabilitation des fusillés pour l'exemple de la guerre de 1914-1918 — Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi

Photo de Claire-Lise CampionClaire-Lise Campion :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui porte sur un sujet sensible. Sensible, non pas parce qu’elle modifierait en profondeur la vie sociale ou politique de notre pays ni parce qu’elle serait déterminante pour construire notre avenir collectif. Sensible, parce qu’elle s’intéresse au passé, à la vision que nous nous faisons de notre histoire, et donc à la mémoire que nous en conservons.

Les célébrations du centenaire de la Première Guerre mondiale ont débuté et, pendant quatre ans, il y aura de très nombreux événements historiques à rappeler et à commémorer. Nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen ont voulu, par cette proposition de loi, que nous nous saisissions de la question des fusillés pour l’exemple.

Les événements ont cent ans, mais la question également : elle commença à être posée dès les premières exécutions. Portée par les témoignages des combattants, par l’engagement d’associations de défense des droits de l’homme et par la volonté des familles des fusillés, elle se pose encore aujourd’hui.

S’intéresser aux fusillés pour l’exemple, c’est d’abord s’intéresser à des hommes, essayer de savoir qui ils étaient. La tâche est complexe, car si le terme pour les désigner est unique, la réalité de leur condition est multiple. Certains, ayant refusé, selon les mots du Premier ministre Lionel Jospin, « d’être des sacrifiés », ont été victimes, lors de leur passage devant le conseil de guerre, d’une absence d’instruction préalable, ainsi que de témoignages exclusivement à charge et réduits à la portion congrue. D’autres, plus d’une centaine, civils comme militaires, ont été jugés coupables non pas d’avoir flanché face à la violence quotidienne et vaine des combats, mais de s’être livrés à des actions d’espionnage ou d’avoir commis des crimes de droit commun, parfois des crimes de sang.

C’est cette diversité des cas personnels qui rend ce sujet si difficile à aborder de façon globale ; elle rend symboliquement compliquée une réhabilitation collective.

Dans le même temps, il faut ajouter à cette diversité des situations, la difficulté des historiens à exploiter les sources que leur a laissées la justice militaire. Cette juridiction d’exception n’utilisait souvent que peu de documents, pour des procès rapides, voire expéditifs. Les dossiers judiciaires tenus dans chaque division de l’armée française sont manquants pour 20 % d’entre eux. La qualité de ceux qui ont été conservés est très aléatoire, certains contenant moins d’une dizaine de documents, d’autres plusieurs centaines. C’est cette qualité variable des sources qui rend ce sujet malaisé à aborder de façon particulière ; elle constituerait un obstacle majeur s’il nous fallait envisager une réhabilitation totale au cas par cas.

L’opinion publique n’a jamais oublié les fusillés pour l’exemple. Les demandes pour permettre des réhabilitations ont été nombreuses. Elles sont la marque d’une volonté de ne pas reléguer ces hommes dans les fourgons de l’histoire.

Quatre-vingts ans après la fin de la Première Guerre mondiale, on pouvait craindre que le sujet ne soit définitivement oublié, relégué dans la liste des questions difficiles à aborder, voire taboues. Elle aurait alors été un « kyste mémoriel » de l’histoire de France. En 1998, en rendant hommage, à Craonne, aux fusillés de la Grande Guerre, le Premier ministre Lionel Jospin a ouvert le chemin au plus haut niveau de l’État pour reconnaître qu’il y a encore des réponses à apporter.

Dix ans plus tard, en rendant hommage, à Douaumont, à tous les soldats morts au cours de la Première Guerre mondiale, le Président Nicolas Sarkozy a poursuivi dans ce sens.

Le Président François Hollande, voilà quelques mois, le 7 novembre dernier, en lançant les célébrations du centenaire de la Première Guerre mondiale, a dit l’importance qu’il accorde à cette question et a présenté les solutions qu’il a retenues pour qu’enfin les fusillés prennent toute leur place dans la mémoire nationale.

Ce n’est plus seulement à l’État, ce n’est plus seulement aux femmes et aux hommes politiques de faire vivre cette nouvelle étape de la mémoire ; c’est aussi et avant tout aux citoyens.

Au plus haut niveau de l’État, la reconnaissance des fusillés est acquise ; elle a dépassé deux alternances politiques, et elle a été et sera encore réaffirmée à l’occasion des célébrations du centenaire. Elle est également acquise pour de nombreux autres acteurs de la vie publique. À l’heure actuelle, nombre de conseils généraux et régionaux se sont saisis de cette question.

Cela a été rappelé par plusieurs orateurs, l’une des principales illustrations de ces événements par le cinéma, le film de Stanley Kubrick, Les Sentiers de la gloire, sorti en 1957, n’a été diffusé en France pour la première fois qu’en 1975. Ne parlons pas de censure : à sa sortie, les distributeurs décidèrent d’eux-mêmes de ne pas le diffuser. Preuve, déjà, qu’il convient d’agir pour améliorer la perception qu’ont nos concitoyens de ces événements, plus encore que d’agir par la justice et la loi.

Plusieurs historiens se sont déjà emparés du sujet, ont fourni les données, les analyses, matières fondamentales pour une meilleure compréhension des mentalités de l’époque et de ces exécutions.

Il est nécessaire que les fusillés pour l’exemple soient avant tout réhabilités dans la mémoire collective, qu’ils le soient par une meilleure ouverture de la société à leur histoire, à toutes leurs histoires. Rendons publics les dossiers judiciaires, renforçons la place accordée aux fusillés dans notre récit de la Première Guerre mondiale, facilitons l’inscription des noms des fusillés sur les monuments aux morts : ces mesures permettront de donner corps dans la société à la réhabilitation.

Nous avons déjà discuté, ici, de lois mémorielles, comme cette proposition de loi, mais il faut aussi savoir adopter d’autres méthodes pour ne pas juger l’histoire en rejugeant les hommes, mais comprendre l’histoire en la laissant aux hommes. C’est pourquoi notre groupe ne votera pas cette proposition de loi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion