Intervention de Michel Billout

Réunion du 19 juin 2014 à 9h00
Réhabilitation des fusillés pour l'exemple de la guerre de 1914-1918 — Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi

Photo de Michel BilloutMichel Billout :

Quelles sont la signification et la vocation des commémorations organisées cette année à l’occasion du centenaire de la Grande Guerre et du soixante-dixième anniversaire de la libération du territoire ? Monsieur le secrétaire d’État, vous livrez des éléments de réponse dans la brochure de présentation éditée par vos services : « Cette année représente une occasion unique pour nos concitoyens de redécouvrir leur passé commun, de rendre hommage à nos morts, victimes civiles et combattants de la liberté, de célébrer enfin le temps de la victoire de la République et de ses valeurs. »

La redécouverte de ce passé commun et l’hommage rendu aux morts de la Première Guerre mondiale s’inscrivent dans ce cadre général. Ces commémorations, pour qu’elles prennent tout leur sens et qu’elles rencontrent l’adhésion de nos concitoyens, doivent reposer sur une connaissance des événements qui les resitue dans leur contexte et dans toutes leurs dimensions : avec leur gloire et leur lumière, mais aussi avec leurs zones d’ombre.

On peut penser que tout a été dit depuis longtemps sur le premier conflit mondial, sur ses causes, sur ses conséquences économiques et sociales dévastatrices et, bien entendu, sur la tragédie humaine. Le terme de « boucherie » a souvent été employé, terme qu’on pourrait appliquer à bien des conflits, mais celui-ci a été particulièrement effroyable.

Dire qu’on ne peut pas réécrire l’histoire aujourd’hui me semble un peu réducteur. Les travaux portant sur notre histoire récente ou plus lointaine s’enrichissent chaque jour. Je pense que, sans être forcément professeurs d’histoire, nous pouvons tous le reconnaître.

Certains aspects de ce conflit sont complexes et très sensibles. Ils sont encore controversés et peuvent donner lieu à polémique. Tel est le cas de la question des soldats français condamnés à mort et exécutés. Ainsi, il a été officiellement annoncé que, au cours des commémorations de la Première Guerre mondiale, ce sujet ferait l’objet de débats publics.

La proposition de loi qui est soumise à notre examen par le groupe communiste républicain et citoyen, sur l’initiative de mon ami Guy Fischer, s’inscrit précisément dans ce contexte et traite d’une question sur laquelle il reste sans doute encore beaucoup à dire. J’ajouterais que, depuis les années 1920, de nombreuses associations militent en faveur d’une réhabilitation de ces hommes.

Évitons d’emblée toute arrière-pensée polémique et politicienne et considérons que, aussi longtemps après les faits, ceux-ci peuvent être appréhendés de façon apaisée, avec comme seul objectif de rassembler nos compatriotes autour d’une mémoire commune. Peu connue du grand public, cette question est douloureuse pour les familles de fusillés, mais elle est aussi très délicate d’un point de vue symbolique et politique, en ce qu’elle touche à l’honneur des combattants, au patriotisme, à nos armées.

De quelle façon revenir sur le cas des quelque 740 soldats français fusillés entre 1914 et 1918, dont 600 pour des motifs strictement militaires, après avoir été condamnés par la justice militaire pour désertion, mutinerie, refus d’obéissance, espionnage ou même crime de droit commun ? Faut-il vraiment les réhabiliter aujourd’hui au sens juridique du terme de façon indistincte ? Sinon, comment procéder pour ceux qui auraient fait l’objet d’une injustice manifeste ?

Je comprends tout à fait qu’une procédure de réhabilitation collective soit hasardeuse et risquée. En effet, des individus fusillés pour crime de droit commun ou espionnage pourraient en bénéficier. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle des historiens et certaines associations, comme la Ligue des droits de l’homme, sont plutôt favorables à des réhabilitations au cas par cas.

Cette procédure, plus sûre, aurait l’avantage de ne concerner que les soldats victimes de condamnations manifestement contestables.

À cet égard, contrairement à certaines idées reçues, ce sujet n’a jamais été tabou, et il serait faux de dire que la République n’a rien fait. Une quarantaine de soldats, fusillés au mépris du droit de l’époque, ont été judiciairement et individuellement réhabilités par la Cour de cassation dans l’entre-deux-guerres, certains dès janvier 1921.

Toutefois, la solution de la réhabilitation au cas par cas serait aléatoire et pratiquement impossible à mettre en œuvre, car, comme l’a écrit l’historien Antoine Prost dans un rapport qu’il vous a remis, monsieur le secrétaire d’État : « Refaire des procès cent ans après les faits n’a guère de sens : les témoins sont tous morts, et les pièces des dossiers ne permettent presque jamais de conclure [...]. Dans 20 % des cas, les dossiers ont même été perdus ».

Néanmoins, si nous écartons cette hypothèse, la question posée par la nécessité de donner une juste place à ces hommes et à ces événements dans la mémoire collective reste entière.

Je pense qu’il n’est pas trop tard pour surmonter ces difficultés et qu’il serait juste de faire un geste officiel et symbolique pour que le souvenir de ces hommes soit reconnu par la nation. Certes, leur place au Musée de l’Armée en l’Hôtel national des Invalides est une avancée, mais celle-ci est, à mes yeux, nettement insuffisante, d’autant que, avec le recul, la signification que l’on peut donner à ces faits a beaucoup évolué.

Michelle Demessine l’a noté dans son rapport, en 1998, lors d’une commémoration sur le plateau de Craonne, Lionel Jospin, alors Premier ministre, avait souhaité dans son discours que ces hommes « réintègrent notre mémoire collective nationale ». Dix ans plus tard, à Verdun, Nicolas Sarkozy prononçait une déclaration allant dans le même sens.

Il faut aujourd’hui prendre en compte les progrès de l’historiographie, qui intègre ces actes dans un contexte beaucoup plus vaste, où l’indiscipline et le refus de la guerre procédaient de convictions qui sont respectables.

Ces citoyens sous l’uniforme estimaient, lucidement sans doute, que ces combats n’avaient pas pour unique raison la défense de la patrie. Je pense, pour ma part, qu’ils furent victimes, comme les autres combattants, d’une guerre qui ne fut pas celle du droit, mais celle du déchaînement des nationalismes, d’une guerre pour la défense d’intérêts qui n’étaient pas les leurs, ainsi que d’un commandement, il faut aussi le dire, défaillant.

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