Intervention de Delphine Bataille

Réunion du 19 juin 2014 à 9h00
Réhabilitation des fusillés pour l'exemple de la guerre de 1914-1918 — Article unique

Photo de Delphine BatailleDelphine Bataille :

La réhabilitation des fusillés pour l’exemple – nos débats de ce matin l’illustrent clairement – est une question bien plus sensible et complexe qu’il n’y paraît.

Le sort de ces soldats a fait un retour en force dans la mémoire collective, notamment au travers de films retraçant leur histoire dramatique. Pensons à King and country de Joseph Losey, dont le titre français est d’ailleurs Pour l’Exemple.

Les Français sont aujourd’hui majoritairement favorables à une telle réhabilitation. Néanmoins, sur les plans juridique et historique, la réhabilitation est avant tout un acte consistant à annuler des peines prononcées et des jugements rendus par les tribunaux militaires. Elle renvoie donc au fonctionnement de la justice en temps de guerre.

Dès le début des hostilités, des conseils de guerre spéciaux ont été chargés de juger de manière expéditive des soldats accusés de désertion, de refus d’obéissance et d’abandon de poste en présence de l’ennemi. La préoccupation essentielle était alors de prévenir la contagion au sein des troupes et de préserver l’autorité des officiers. L’intérêt de la discipline primait clairement sur celui de l’individu.

Les militaires qui jugeaient n’étaient pas des spécialistes du droit, mais intervenaient dans un cadre légal pour des délits précis. C’est pendant cette période, à savoir les premiers mois de la guerre, que l’on compte le plus grand nombre de fusillés pour l’exemple. Vous l’avez indiqué il y a quelques instants, monsieur le secrétaire d’État, au total, ce sont près de 900 soldats qui sont considérés comme tels.

Dans les années qui ont suivi la Grande Guerre, des demandes de réhabilitation ont émané des familles, soutenues par des associations et notamment par des groupements d’anciens combattants. Une quarantaine de soldats ont ainsi été rétablis dans leur honneur immédiatement après les faits.

Néanmoins, la réhabilitation implique une procédure juridique très complexe, car elle suppose de réviser des procès. Les dossiers ont été traités au cas par cas, et ils ont exigé beaucoup d’acharnement de la part des familles.

Certains combats pour reconquérir l’honneur d’un soldat fusillé pour l’exemple, comme celui de Blanche Maupas, ont marqué les esprits. Cette affaire des caporaux de Souain a d’ailleurs inspiré – de nombreux orateurs l’ont rappelé – Les Sentiers de la gloire à Stanley Kubrick. Souvenons-nous que ce film a été censuré pendant près de vingt ans en France, avant sa première diffusion en 1975, au motif qu’il montrait la cruauté de l’armée française envers ses soldats.

Passé une période de raréfaction des demandes de réhabilitation, avec la Seconde Guerre mondiale et les années qui l’ont suivie, l’irruption plus récente de ce sujet dans l’espace public, au travers de nombreux documentaires, a fini par populariser l’image de ces soldats innocents et martyrs.

Beaucoup l’ont dit : en novembre 1998, à Craonne, Lionel Jospin a prononcé des mots qui ont marqué un tournant dans l’histoire, en parlant des soldats condamnés à la suite des mutineries du Chemin des Dames comme des fusillés pour l’exemple. Il a appelé à leur complet retour dans la mémoire nationale.

Outre la complexité même de la notion de « réhabilitation collective », qui impose de juger de nouveau des faits historiques, les historiens estiment que les cas les plus graves ont déjà été traités. Ils ajoutent qu’il reste difficile de distinguer ceux qui ont été jugés arbitrairement parmi les centaines de fusillés pour l’exemple, d’autant que, aujourd’hui, je l’indique à mon tour, quelque 25 % des archives ont disparu.

Par ailleurs, certaines associations sont farouchement opposées au fait d’associer le nom de condamnés de droit commun à la mention « Mort pour la France ».

Cela étant, il n’est pas envisageable, aujourd’hui, de ne rien faire, même si la réhabilitation au cas par cas est encore plus difficile, cent ans après la Grande Guerre. C’est pourquoi, lors du lancement du centenaire en novembre dernier, le Président de la République, dans un esprit de réconciliation, a demandé que soit accordée aux fusillés une place au Musée de l’armée des Invalides et que les dossiers de guerre soient numérisés et consultables en ligne.

Monsieur le secrétaire d’État, vous venez d’évoquer ce chantier. Dans cet esprit, vous avez d’ailleurs sollicité un rapport sur cette question sensible et controversée, en vue de disposer d’un état des lieux complet, dans la perspective de réhabilitations individuelles. Vous êtes, comme nous, animé par le souci de ne pas trahir l’histoire.

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