Intervention de Nicole Bricq

Réunion du 19 juin 2014 à 15h00
Financement de la protection sociale et allégement des charges des entreprises — Rejet d'une proposition de résolution

Photo de Nicole BricqNicole Bricq :

Il faudrait donc nous en dire plus sur l’assiette de ces cotisations, qui basculeraient sur la fiscalité. S’agirait-il de l’impôt de l’impôt de solidarité sur la fortune, de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt de consommation, la TVA ? Il faudrait que vous précisiez l’origine des financements préconisés. Or, évidemment, vous ne le faites pas.

L’objet principal de votre proposition de résolution figure en évidence dans son exposé des motifs : la restauration des marges des entreprises, le gain de parts de marché, l’investissement, l’embauche et l’amélioration de la compétitivité. Cela me rappelle quelque chose !

Depuis novembre 2012, ces objectifs – j’y reviendrai – sont ceux du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi et, depuis peu, ceux du pacte de responsabilité et de solidarité.

Vous présentez la baisse du coût du travail comme la solution majeure – voire l’unique solution – aux difficultés des entreprises. Permettez-moi de vous poser quelques questions à cet égard.

Dispose-t-on d’une étude d’impact nous permettant de mesurer les conséquences d’une telle mesure et le retour sur investissement ?

Il ne vous aura pas échappé qu’il faut aussi tenir compte des stratégies des entreprises. Or, depuis plusieurs dizaines d’années, marquées par des exonérations de charges, avons-nous investi en faveur de la montée en gamme de nos produits ? Contrairement à vous, cette question m’intéresse. À ce sujet, le rapport Gallois a bien montré que nos entreprises étaient insuffisamment montées en gamme, qu’elles avaient n’avaient pas assez investi dans l’innovation et qu’elles étaient tournées vers des marchés qui n’étaient pas forcément en croissance.

Par ailleurs, comment sont réparties les dépenses de recherche, de développement et d’innovation dans notre pays ? Quelle part joue la faible efficacité de notre dispositif de formation professionnelle initiale et continue dans les difficultés des entreprises à recruter des personnels formés ? Je rappelle que la loi du 5 mars 2014 a apporté des améliorations notables, notamment la mise en œuvre du compte personnel de formation et de mesures en faveur de la formation en alternance.

En résumé, vous ne vous posez pas ces questions, alors que vous savez que les pactes que nous mettons en œuvre visent précisément à faire appel à la responsabilité des chefs d’entreprise et à donner de l’oxygène aux entreprises afin qu’elles améliorent leur compétitivité. Toutefois, nous savons bien que rien n’est mécanique et qu’il n’existe pas de garantie absolue que les gains engendrés seront mis au service de l’investissement et des emplois. Ce serait trop beau !

En vous posant ces questions que vous ne vous posez pas, je veux insister sur le fait que les difficultés et le manque de compétitivité de nos entreprises sont multifactoriels. Je vous remercie d’ailleurs de nous offrir l’occasion, grâce à cette proposition de résolution, monsieur Dassault, de réfléchir à ce sujet.

Nous avons l’impression – je parle au nom du groupe socialiste – que vous en êtes arrivé à une conclusion avant même de vous être interrogé sur ce qui vous y a conduit et que votre proposition de résolution est fondée sur un présupposé, pour ne pas dire sur un préjugé, selon lequel la quasi-totalité des difficultés des entreprises serait liée au seul coût du travail.

Or, depuis les années quatre-vingt-dix, nous avons une longue expérience en matière d’exonérations de cotisations sociales. Leur effet sur l’emploi, pour ne prendre que ce critère, est crédité de manière très variable. Selon les intervenants, ce sont entre 400 000 et 1 million d’emplois qui auraient été créés sur l’ensemble de la période. Autant dire que les estimations, établies pourtant a posteriori, ne sont pas fiables !

Certains experts estiment aujourd’hui qu’un transfert de cotisations familiales sur la fiscalité permettrait de créer 62 000 emplois. On peut rendre hommage à une telle précision, mais il ne faut pas oublier que le chiffre annoncé repose sur une hypothèse de croissance. Le facteur macroéconomique est très important pour que la microéconomie embraye !

Nous ne sommes pas opposés par principe aux exonérations de cotisations sociales, qui ont un effet positif pour autant qu’elles soient ciblées. À cet égard, je rappelle que, en France, le taux d’emploi des personnes non qualifiées est de 66, 6 %, contre 60, 7 % au Royaume-Uni et 62, 7 % en Allemagne.

Ces allégements sont un soutien à l’économie française, qui se répercute sur les prix des services qu’utilisent les entreprises exportatrices et sur les prix aux consommateurs. Pour peu qu’elles soient franches et massives, les exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires entraînent un cycle de croissance et d’emploi.

Efficace pour soutenir l’emploi dans des métiers difficiles, cette politique profite avant tout aux milliers de PME qui peuplent notre territoire. Encore faut-il veiller à ce que les salaires progressent à mesure que les salariés gagnent en qualification. En effet, dans trop de branches, le salaire d’entrée est inférieur au SMIC. Le pacte de responsabilité et de solidarité mis en œuvre par le Gouvernement doit donner une nouvelle impulsion à la négociation de branche.

Ce pacte traduit la volonté de desserrer le plus possible l’étau du chômage, qui touche avant tout les moins qualifiés. Il prévoit, je veux le rappeler, 10 milliards d’euros d’allégements de cotisations, dont 4, 5 milliards d’euros sur les salaires compris entre 1 et 1, 6 SMIC. Le reste est constitué par une baisse des cotisations familiales de 1, 8 point sur les salaires, jusqu’à trois SMIC et demi, baisse qui concernera 93 % des salariés. Au total, ce sont plus de 10 millions de salariés et 1, 6 million d’entreprises qui sont concernés. Enfin, 90 % des allégements porteront sur les salaires inférieurs à 1, 35 SMIC.

Pour encourager les entreprises à embaucher, le Gouvernement a opté pour une présentation simple et un slogan clair : « zéro charge au niveau du SMIC ». L’effet « emploi » du pacte, hors CICE, est évalué – je le dis avec les précautions d’usage – à 190 000 emplois.

L’allégement des cotisations se traduit par une perte de recettes pour l’État. Il suppose donc des économies correspondantes. Nous en reparlerons très bientôt.

Par ailleurs, le CICE représentera 20 milliards d’euros en année pleine. Il s’agit d’un crédit d’impôt, jusqu’à 2, 5 SMIC. Selon les projections de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, le Gouvernement en attend 300 000 créations ou sauvegardes d’emplois d’ici à 2017.

Il faut reconnaître que la quantification des effets du CICE sur l’emploi et sur l’investissement est difficile : le premier est très dépendant du taux de croissance que l’on retient ; le second pourrait être mesuré si l’on connaissait la base, autrement dit si l’on pouvait dire ce qui se serait passé sans cette mesure.

Le CICE doit avoir un effet positif sur l’investissement, mais on ne connaîtra pas la part qui lui sera attribuée finalement : favorisera-t-il des investissements d’entretien et de remplacement ou des investissements d’innovation ? À en croire le dernier baromètre de KPMG qui vient d’être publié, les deux tiers de ce crédit d’impôt seraient consacrés à des investissements de remplacement et d’entretien, ce qui n’est pas très bon pour la compétitivité, car c’est d’innovation que nous manquons. Nous avons du mal à passer à l’étape de la recherche et du développement.

Pour conclure, permettez-moi de vous rapporter les propos qu’a tenus Louis Gallois le 21 mai dernier lors de son audition au Sénat devant la mission commune d’information sur la réalité de l’impact sur l’emploi des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises. Citant l’exemple de Michelin, il a indiqué que ses pneus, qui sont plus chers que ceux de ses concurrents, se vendent mieux, car on leur attribue à juste titre une qualité supérieure.

D’ailleurs, quand on procède à une comparaison avec l’Allemagne, qui est l’une de vos références, monsieur Dassault, on voit bien que d’autres facteurs entrent en jeu dans la compétitivité d’une économie. Louis Gallois y a fait référence. Ainsi le coût du logement représente-t-il 16 % du revenu des Allemands, contre 26 % de celui des Français.

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