Les charges sociales pèsent sur l’emploi d’une autre manière : elles favorisent le remplacement du travail par le capital. Elles introduisent donc un biais dans le mix des facteurs de production.
Il faut également mentionner un troisième impact négatif des charges sociales sur l’emploi, dont ne fait pas état la proposition de résolution : elles gonflent ce qu’on appelle le coin fiscalo-social. Pour le dire plus simplement, plus il y a de charges sur le travail, moins il y a d’incitation à reprendre un emploi. C’est un phénomène bien connu dont nous ne parvenons pas à sortir.
Comme l’a encore rappelé mardi dernier le rapport annuel sur l’évolution de la fiscalité dans l’Union européenne publié par la Commission européenne, ces phénomènes sont, hélas ! particulièrement lourds en France. Selon ce rapport, la France se classe dans le trio de tête des pays européens ayant la plus forte fiscalité globale. Cette situation est des plus inquiétantes.
Sur le sujet qui nous occupe, la situation devient même vraiment alarmante, puisqu’il apparaît que la France taxe relativement peu la consommation, mais beaucoup le travail et le capital. La part des contributions sociales est la plus importante de l’Union européenne, puisqu’elle atteint 17 % du PIB, et la contribution des employeurs représente plus des deux tiers des cotisations sociales, ce qui est là aussi un record.
Ce sont des performances dont notre pays se passerait bien, surtout lorsqu’on se souvient que la distinction entre cotisations patronales et cotisations salariales est purement cosmétique. À la fin, ce sont toujours le consommateur, le salarié et le contribuable qui paient.
Enfin, il existe une dernière raison économique, que ne mentionne pas la proposition de résolution, de réduire la part des cotisations sociales dans le financement de la protection sociale : ce mode de financement met les comptes sociaux à la merci du moindre retournement de conjoncture. Le mode actuel de financement de la protection sociale contribue à alimenter la boule de neige des déficits publics, dont on connaît l’impact potentiellement dévastateur sur la croissance.
Comme je l’ai indiqué, le financement actuel de la protection sociale est obsolète non seulement sur le plan économique, mais également sur le plan des principes, pour des raisons de cohérence du système de prélèvements obligatoires.
L’indemnisation chômage et les branches retraite et accidents du travail et maladies professionnelles, ou AT-MP, sont intrinsèquement liées à l’entreprise. Ce sont des assurances collectives obligatoires prises par les salariés. Elles sont qualifiées de dépenses « contributives » dans la proposition de résolution. Elles doivent en toute logique continuer d’être financées par l’entreprise, et même plus particulièrement par le travail.
A contrario, l’universalisation des branches santé et famille a coupé ces dernières de tout lien direct avec le monde du travail. La santé et la famille sont non pas des assurances prises par les travailleurs, mais des prestations servies à tous, indépendamment du statut professionnel. Ce sont des dépenses « non contributives ». Pourtant, elles continuent d’être principalement financées par les cotisations sociales. C’est cela qui ne va plus. Les dépenses de solidarité nationale doivent en toute cohérence être financées par l’impôt. Quel impôt ? Autrement dit, quelle assiette ? C’est là que le bât blesse ; c’est à cette interrogation que se heurte la réforme.
Pour y répondre, la proposition de résolution ouvre trois pistes : celle du chiffre d’affaires, celle de la consommation et celle du revenu des ménages. Prenons-les une par une.
Comme vous le savez, pour notre part, nous sommes favorables à une logique de taxation de la consommation. C’est la fameuse TVA sociale, défendue de façon presque théologique par notre collègue Jean Arthuis.
Cette TVA sociale a deux avantages : elle porte sur la consommation, qui est encore relativement peu taxée en France, et elle revient à taxer les importations, c’est-à-dire à faire participer les importations au financement de notre protection sociale, ce qui est juste même si cela ne couvre pas tout.
Pour autant, nous ne sommes pas fermés à d’autres pistes. Nous reconnaissons l’intérêt de celle du chiffre d’affaires diminué de la masse salariale, qui est l’un des chevaux de bataille de notre éminent collègue Serge Dassault, l’auteur de la proposition de résolution. Cette mesure pourrait en pratique conduire à une redistribution de la charge du financement de la protection sociale au bénéfice des activités et des groupes les plus intensifs en main-d’œuvre – ce serait peut-être une bonne chose, car cela pourrait accroître le recours à de la main-d’œuvre –, mais au détriment de secteurs entiers qui, par nature, en emploient peu.
Je souhaite, même si la proposition de résolution n’est pas adoptée, que cette idée fasse l’objet d’une analyse, d’un inventaire, d’une évaluation, afin que le Parlement puisse se prononcer sur le sujet. À ma connaissance, nous ne disposons pas encore de tels éléments. J’ai pu constater, lorsque je travaillais au cabinet du ministre de l’économie et des finances, que, malgré ses capacités intellectuelles énormes, Bercy était souvent fermé, pour ne pas dire aveugle s'agissant des conséquences des décisions envisagées. Monsieur le secrétaire d'État, vous avez des services que nous n’avons pas. Je pense que vous devriez faire étudier la mesure proposée par Serge Dassault. Votre ministère compte suffisamment de compétences pour cela !
La troisième piste, celle du revenu des ménages, ne nous semble pas la bonne. L’impôt sur le revenu est extrêmement concentré sur un trop petit nombre de ménages et il a vraiment atteint ses limites ; je vous l’assure, monsieur Dassault.