Intervention de Christian Eckert

Réunion du 19 juin 2014 à 15h00
Financement de la protection sociale et allégement des charges des entreprises — Rejet d'une proposition de résolution

Christian Eckert, secrétaire d’État :

Il n’est pas facile d’identifier toutes les conséquences d’un tel transfert, mais on peut concevoir que toutes ne seraient pas favorables : certes, les entreprises intensives en main-d’œuvre bénéficieraient d’une très forte diminution de l’assiette soumise à prélèvements. Au contraire, pour celles pour lesquelles la main-d’œuvre représente une plus faible part de la valeur ajoutée, et pour celles dans lesquelles les consommations intermédiaires représentent une part importante du chiffre d’affaires, ce transfert serait certainement défavorable, en tout cas à rendement global constant. Or les entreprises industrielles, notamment, sont souvent à la fois moins intensives en main-d’œuvre et fortement consommatrices de productions intermédiaires. Dès lors, même si le poids des cotisations s’allégeait pour certaines entreprises, il s’alourdirait pour d’autres, ce qui serait profondément perturbateur pour l’économie, surtout au regard des masses en jeu.

En outre, l’assiette proposée étant affectée d’une variabilité importante, et en tout état de cause supérieure à celle de la masse salariale, un tel transfert conduirait, en première analyse, à une grande variabilité d’une année sur l’autre des recettes sociales, d’un côté, et des charges des entreprises, de l’autre. Cette variabilité aurait des effets néfastes, tant pour les comptes publics que pour l’économie. Ce point a d’ailleurs été relevé par M. le sénateur Pozzo di Borgo.

La proposition de résolution invite également à transférer les prélèvements sur d’autres assiettes, notamment la consommation et les ménages, au moyen de la fiscalité. De ce point de vue, il faut rappeler que la part des cotisations sociales sur les revenus d’activité a déjà fortement reculé depuis une vingtaine d’années, ainsi que l’ont souligné un certain nombre d’orateurs – il me semble en effet que la répartition des financements s’établit à peu près à 60 % pour les cotisations sociales et à 40 % pour la fiscalité. Ainsi, les cotisations sont aujourd’hui minoritaires dans le financement de la branche maladie, du fait de l’importance de la CSG et des impôts et taxes déjà affectés. Pour la branche famille, il est vrai que les cotisations restent largement majoritaires aujourd’hui, mais, là encore, la part des impôts et de la CSG a nettement progressé.

Par ailleurs – et j’y vois une des réponses à cette proposition de résolution –, le Premier ministre a chargé en décembre 2013 le Haut Conseil du financement de la protection sociale d’étudier différentes voies permettant d’établir une meilleure logique de financement des différentes branches de la sécurité sociale, en envisageant une réduction des prélèvements qui portent sur le seul facteur travail.

En mars 2014, dans son rapport faisant suite à cette demande, le Haut Conseil a conclu que la diminution des cotisations sociales des entreprises aurait des effets potentiellement favorables sur l’emploi, au moins en apparence, mais que le transfert aurait des inconvénients qui contrebalanceraient ces avantages, et cela de manière négative, quelle que soit l’assiette choisie, qu’il s’agisse de la TVA ou de la CSG.

Taxer la consommation, si l’on exclut les taxes comportementales ou sur le tabac, reviendrait en réalité à augmenter la TVA. Chacun peut mesurer quelles seraient les conséquences d’une hausse trop importante de la TVA. S’agissant des autres impôts sur les ménages, il faut rappeler qu’ils financent déjà, et dans une proportion importante, les branches maladie et famille de la sécurité sociale : certains orateurs ont évoqué le taux de 40 %, qui est probablement inférieur à la réalité.

Pour finir, je rappellerai quelles sont les voies choisies par le Gouvernement pour réduire le coût du travail et favoriser l’emploi et l’investissement productif.

Tout d’abord, il faut rappeler que le poids des cotisations sociales n’est qu’une des données de la question de la compétitivité des entreprises françaises, comme l’a rappelé Nicole Bricq. Le rapport Gallois, à la fin de 2012, établit en effet que le poids des cotisations salariales des entreprises industrielles en France est un élément pesant sur leur compétitivité-prix. Pour autant, les difficultés des entreprises françaises en termes de compétitivité internationale ont d’autres causes, tout aussi structurelles : ainsi, l’industrie allemande est positionnée sur un segment de gamme supérieur à celui des entreprises françaises. Bien que disposant d’une épargne abondante, ces dernières rencontrent malgré tout des difficultés d’accès au crédit. Bien d’autres raisons sont également à prendre en compte.

Le poids des prélèvements n’en est pas moins un des facteurs qu’il faut analyser.

Concernant le coût du travail, le Gouvernement a pris des mesures sans précédent par leur ampleur, Nicole Bricq les a rappelées. Créé pour le soutien à l’emploi, dès l’automne 2012, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi a pour objet d’alléger de 20 milliards d’euros, en régime de croisière, l’imposition du travail. Ce pacte comprend un ensemble de mesures destinées à amplifier l’effort consenti pour soutenir l’emploi, particulièrement celui des travailleurs les moins qualifiés, qui souffrent le plus du chômage. Compte tenu de la priorité accordée à la lutte contre le chômage, les mesures les plus créatrices d’emploi, à savoir les allégements de cotisations patronales entre 1 et 1, 6 SMIC, seront mises en œuvre dès 2015, ce qui représentera un manque à gagner de 4, 5 milliards d’euros.

Ce soutien va aussi à l’investissement productif, qui est une des conditions de la prospérité du pays à court terme comme à long terme. Les mesures adoptées depuis 2012 constituent un ensemble cohérent mis en place progressivement afin d’inciter les entreprises à investir. D’une part, le CICE permet déjà de redonner aux entreprises des marges pour innover, investir et regagner de la compétitivité, y compris à l’exportation. D’autre part, les mesures fiscales du pacte, avec la suppression progressive de la contribution sociale de solidarité des sociétés, ou C3S, la disparition de la contribution exceptionnelle d’impôt sur les sociétés et la perspective de baisse du taux normal d’impôt sur les sociétés, permettront d’amplifier cet effort et de rétablir la capacité d’investissement du secteur productif.

Enfin – et c’est important –, le Gouvernement n’a pas fait le choix de financer ces réductions par d’importantes hausses d’impôts sur la consommation et sur les ménages. Le CICE est déjà en grande partie financé – pour plus de la moitié – par des mesures d’économies exceptionnelles réalisées en 2014 et grâce auxquelles la dépense publique est aujourd’hui maîtrisée.

Le pacte de responsabilité et de solidarité s’accompagne, quant à lui, de mesures d’économies spécifiques. Dès 2015, 21 milliards d’euros d’économies sont prévus. La protection sociale y prendra sa part.

Je voudrais rappeler, en réponse aux propos de Mme Assassi, selon laquelle ce pacte ne contiendrait pas de mesures en faveur des salariés, que des réductions de cotisations sociales pour les salariés, à hauteur de 2, 5 milliards d’euros, sont d’ores et déjà inscrites dans le projet du Gouvernement qui vous sera prochainement soumis. De même, une réduction de 1, 1 milliard d’euros de l’impôt sur le revenu dû au titre des revenus perçus en 2013 sera mise en œuvre dès le mois de septembre prochain. On ne peut donc pas dire que le pacte de responsabilité et de solidarité s’adresse uniquement aux entreprises !

En conclusion, vous l’aurez compris, même s’il peut partager une partie des préoccupations des auteurs de la présente proposition de résolution, le Gouvernement propose une autre voie pour améliorer la compétitivité des entreprises, une voie plus cohérente, qui ne présente pas les mêmes inconvénients.

Je vous invite à travailler avec le Gouvernement dans le cadre des discussions qui vont s’ouvrir dans les prochaines semaines. J’imagine que la piste qui vous sera proposée, à savoir une réduction des contributions sociales et des impôts, permettra de répondre à votre préoccupation. Le chemin que le Gouvernement choisit n’est pas en adéquation parfaite – c’est bien le moins que l’on puisse dire ! – avec votre proposition de résolution.

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