La première impression est l'absence quasi totale d'Etat, d'autant plus frappante que nous ne nous sommes déplacés que dans la capitale. Il est vrai que dans les décennies passées la RCA n'a jamais eu un Etat digne de ce nom, en dehors de la capitale et des zones avoisinantes. Qui plus est, ce pays n'a pas de conscience nationale. Le fondateur de la RCA ne songeait-il pas à le rattacher au Tchad ?
Dans une interview récent au journal « Le Monde », la Présidente, Mme Samba Panza, répondait à la question : « de quoi la RCA est-elle malade ? » par la réponse suivante : « De sa division, du manque de nationalisme, du manque de vision commune pour parvenir à une sortie de crise ».
Les administrations n'existent plus. La plupart de leurs locaux ont été pillés et saccagés. Les fonctionnaires, non payés, ont fui. On observe un certain retour, très insuffisant, du fait que les salaires sont assurés depuis deux mois mais l'immensité de la tâche de reconstruction est hors de portée de la seule RCA. Elle ne dispose que de très peu d'encadrement (les préfets et sous-préfets sont à Bangui et non sur le terrain), elle n'a plus de moyens techniques, sa compétence en matière de gestion de l'Etat paraît extrêmement limitée.
Les principaux hommes politiques du pays, dont le comportement n'a évidemment pas été toujours exemplaire lorsqu'ils étaient au pouvoir, demeurent aujourd'hui invisibles et muets, se gardant soigneusement de prendre position dans la perspective des élections prévues en 2015.
Ce constat de l'absence d'Etat vaut pour tous les domaines et, plus particulièrement, pour les questions de sécurité.
L'armée centrafricaine a été balayée par la Seleka qui s'est emparée de tous les arsenaux, des poudrières, des matériels. Elle est totalement démunie. Une partie non négligeable s'est tournée vers le grand banditisme et les trafics en tous genres en s'octroyant, du reste, des grades à la hauteur de leurs ambitions. Une reconstruction de l'armée se heurte principalement aujourd'hui à deux obstacles : l'embargo, mais surtout leur incapacité totale à faire le tri du bon grain et de l'ivraie. Le ministre de la défense, le général Thomas Théophile Tchimangoua, s'en remet totalement à la France dont il souhaite qu'elle prenne tout en main. Mais dans le même temps il récuse toute idée de « chasse aux sorcières ».
Un rapport d'Amnesty International de février dernier indique que « lors de la reconstruction des forces de sécurité, le plus difficile sera de veiller à ce que ces forces démantèlent les nombreuses milices armées présentes dans le pays, et ne coopèrent pas avec elles ou adoptent leurs pratiques. » On n'en est manifestement pas loin et notre sentiment est que la reconstitution de forces armées républicaines sur une base nationale et non ethnique ou communautaire est à la fois indispensable et quasiment hors d'atteinte par la seule volonté des responsables centrafricains. Seule la Présidente évoque la nécessité de « reconstruire le pays sur la base de la justice ».
La police n'est pas mieux lotie et rencontre les mêmes problèmes. Le ministre de la sécurité publique, M. Denis Wangao Kizimalet, nous a dressé un tableau dramatique de l'état des forces de police démunies de tout. La remise sur pied de la police et de la gendarmerie, à laquelle la France prend une part active, qui doit être relayée par la force européenne, est une étape essentielle mais difficile de ce processus du fait de la faible détermination des intéressés. Il convient également de rappeler qu'au sein de la MISCA il y a un effectif de 650 policiers, soit un peu plus de 10% de l'effectif total.
Le rétablissement de la chaîne pénale, la poursuite des criminels, leur jugement et leur incarcération doivent être des priorités. La question de la justice est centrale. Le même rapport d'Amnesty International constate que « les précédents gouvernements du pays n'ont jamais rendu justice, de manière équitable et impartiale, aux victimes d'atteintes aux droits fondamentaux, même de crimes graves tels que les disparitions forcées les exécutions extrajudiciaires et la torture. Cette absence de justice perpétue le cycle de violence car nombre de Centrafricains sont convaincus que les actions d'autodéfense sont le seul moyen de punir les auteurs présumés de tels actes. Mettre fin au règne de l'impunité - par le biais d'enquêtes sérieuses, de véritables poursuites judiciaires et de sanctions contre les responsables de graves violations - contribuera fortement à apaiser les tensions intra-communautaires et à rétablir la confiance dans l'État de droit. »
Peut-être le domaine des finances fait-il l'objet d'un sort particulier puisque des experts occidentaux et les institutions internationales se penchent sur la question. Mais, là aussi, les recettes sont quasi inexistantes ou très largement surestimées. Pour dire les choses clairement, la RCA sera pour de longues années en perfusion financière internationale. Par ailleurs, l'aide financière internationale, aussi indispensable soit-elle, doit faire l'objet d'un suivi particulièrement rigoureux pour éviter qu'une fois de plus une partie importante ne soit détournée.
Un des points positifs que nous avons pu constater lors de notre mission est la volonté bilatérale ou multilatérale de relance de la coopération civile dans tous les domaines. La rencontre que nous avons eue avec les organisations internationales européennes ou onusiennes, tout comme l'investissement tout à fait remarquable de l'AFD en RCA, montrent qu'il y a une véritable prise de conscience de l'urgence, de l'immensité de la tâche et de la constatation de l'incapacité des autorités centrafricaines de coordonner et d'organiser la reconstruction civile.
La reconstruction ne peut être que globale puisque tout est à faire.
La Présidente de transition, Madame Samba Panza, nous a fait part d'un besoin d'audit général de l'Etat et, en particulier, pour ce qui concerne la chaîne financière et économique. Elle a demandé également un appui en matière de gestion des ressources humaines et une assistance technique dans pratiquement tous les domaines y compris, bien sûr, le domaine militaire.
La santé, l'éducation (seules certaines écoles privées ont repris timidement les cours). La rentrée scolaire 2014 ne connaît pas le commencement d'une réflexion. Les questions de formation sont fondamentales.
Et je ne cite pas le redémarrage d'une timide activité économique, le lancement de travaux à haute intensité de main-d'oeuvre. Ceci est particulièrement fondamental pour donner des perspectives à une jeunesse désoeuvrée qui peut être tentée par le banditisme ou l'extrémisme armé.
Nous pourrions faire la même analyse pour tous les secteurs de la gestion d'un Etat. A sa tête, le gouvernement de transition ne paraît pas avoir non plus une grande expérience. Il s'agit souvent de fonctionnaires internationaux qui se voient confrontés à des tâches qui les dépassent.
Seuls peut-être la Présidente, Mme Samba Panza, et le Président musulman du CNT, M. Ferdinand Nguendet, nous ont paru avoir une certaine vision et surtout une certaine volonté. Mais comme le constate lui-même le Président du CNT : « l'Etat est en lambeaux, tout est à reconstruire. On n'a ni police, ni gendarmerie, ni justice, ni armée. L'histoire de la RCA est ponctuée de coups d'Etat et de conflits intérieurs qui ont entraîné une politique d'exclusion pour se protéger de l'adversaire. La jeunesse est laissée à elle-même, il y a une absence totale de vision, l'ensemble du pays est à l'abandon ».
Pourtant, selon lui, le gouvernement de transition est une chance pour la nation en raison de la manière dont il a été constitué, sans possibilité de se présenter aux élections. La présidente de transition et le premier ministre ne sont pas des hommes politiques. Ils n'ont pas d'adversaire politique et peuvent incarner les valeurs républicaines avec un seul but : celui de ramener l'ensemble des forces autour d'une table et de promouvoir la réconciliation. On peut néanmoins regretter que la répartition entre une présidente de transition chrétienne et un premier ministre musulman n'ait pas pu être obtenue conformément aux accords de N'Djamena.
Le Conseil national de transition, qui a pourtant gagné en crédibilité, peine encore à fonctionner, en particulier pour avancer dans la rédaction d'un avant-projet de Constitution qui demeure sa principale mission. Ses membres se considèrent comme une chambre d'enregistrement qui ne parvient pas à faire pression sur le gouvernement dont ils se plaignent de l'immobilisme.
La question des élections et de leur faisabilité en l'absence d'un recensement fiable des électeurs mérite d'être posée. Ce qui paraît évident c'est qu'il n'y a pas de légitimité démocratique et que celle-ci est indispensable pour rassembler et reconstruire. Nous avons constaté une nouvelle perte de confiance de la population dans le politique : la vision et les espoirs suscités ne sont pas concrètement au rendez-vous. Il y a là un danger très réel de pousser une population de plus en plus désespérée en l'absence de progrès concrets dans une logique communautaire et non pas nationale. La tenue d'élections pourrait permettre une identification de la population et de ses aspirations avec ses dirigeants. En disant cela nous ne méconnaissons nullement la validité des efforts réalisés par les responsables de la transition qui, ne pouvant se présenter aux élections, disposent, en théorie, de la liberté nécessaire à la mise en oeuvre d'actions concrètes et courageuses. Pourtant, le coordonnateur des Nations unies et un certain nombre de représentants d'organisations internationales nous ont fait part de leurs doutes quant à la faisabilité de l'organisation d'élections.
Enfin, à un moment où toutes les bonnes fées des institutions internationales se penchent sur la RCA, il faudra être particulièrement attentifs à la corruption des soi-disant « élites » ou plutôt de celles qui sont au pouvoir.