Notre seconde impression porte sur la façon dont la presse occidentale et notamment française décrit un conflit religieux.
Les autorités religieuses mais aussi politiques ont toutes souligné la tradition de coexistence sans problème des religions chrétienne et musulmane (Répartition approximative : catholiques 29%, protestants 52%, musulmans 15%) en RCA, depuis les origines.
Nous avons rencontré les trois représentants des églises catholique, protestante et musulmane : l'archevêque Dieudonné Nzapalainga, le pasteur Nicolas Guerekoyame-Gbangou et l'imam Kohone Layama. Ces trois représentants des autorités religieuses ont décidé dès le début de la crise de contribuer autant qu'ils le pourraient à apaiser les tensions et à se rendre ensemble sur le terrain, ce qui n'est pas le cas des autorités politiques. La cohésion qu'ils manifestent au nom des mêmes valeurs humaines peut contribuer à l'apaisement des tensions, mais force est de constater que cela ne suffit plus.
Selon nos interlocuteurs, la religion est instrumentalisée à des fins politiques et économiques. Il existe évidemment un phénomène de prédation des richesses de la population d'origine musulmane qui sont traditionnellement les commerçants de la RCA. Le pillage, le nettoyage ethnique puis l'appropriation sont les trois étapes de ce conflit entre les communautés dont l'aspect religieux n'est certainement pas le plus important.
L'épuration en cours est un drame humanitaire, politique et économique. En effet, avec la fuite des musulmans, c'est toute la structure commerciale qui disparaît, et ne s'improvise pas commerçant qui veut.
C'est la raison pour laquelle il faut, dans toute la mesure du possible - et si ces populations le souhaitent - maintenir ces communautés musulmanes à Bangui. Faute de quoi la marche vers la partition pourrait être irrésistible. Cette dimension est évidemment déterminante pour l'avenir du pays. Il est difficile de trouver un juste équilibre entre le fait de traiter les situations de détresse de ces populations dont la vie est menacée et la volonté des agences onusiennes de voir les forces internationales aider ces populations à rejoindre le Nord ou l'Est du pays, accroissant ainsi le risque de partition.
Mme Samba Panza dans l'interview donnée au Monde indique clairement le chemin à suivre pour éviter la partition : « d'abord, il faut restaurer l'autorité de l'Etat. Les brigades de gendarmerie doivent être rouvertes et les commissariats rééquipés. Il faut que l'administration revienne. Ensuite, un processus de réconciliation doit reprendre à la base. Il faut que les communautés réapprennent à se fréquenter. Il faut aussi un dialogue politique avec nos frères de l'est et leur apporter des projets alors qu'ils se sentent complétement abandonnés. »
Il n'empêche que nous ne pouvons qu'être frappés par le niveau de la haine et de la peur qui s'exprime et qui rendra long et difficile le processus de réconciliation. Nous avons pu constater cela lors du déplacement que nous avons fait, à la rencontre de la population musulmane, dans le quartier PK5 de Bangui.
Les autorités religieuses, tout comme les autorités politiques, sont dépassées par l'ampleur de la crise et l'effondrement de toutes les structures. Nous avons entendu un appel à la communauté internationale, et, comme un refrain, la sollicitation faite notamment à la France, qui « détient toutes les clés », de se substituer aux autorités défaillantes. Nous avons réaffirmé, là encore, que, si la communauté internationale détenait certaines des clés de la sortie de crise, rien ne pourrait se faire sans la participation active des Centrafricains eux-mêmes.
Enfin, les comptes rendus de la presse ont tendance à glisser de l'idéologie et du conflit religieux dans les deux groupements que sont la Seleka et les anti-balaka. En fait, ces groupements, très hétérogènes, sont, dans une très large partie, composés de bandits de grands chemins et de maffieux ou d'opportunistes qui prospèrent sur le conflit et le manipulent à leur profit.