Intervention de Harlem Désir

Réunion du 23 juin 2014 à 21h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 26 et 27 juin 2014

Harlem Désir :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m’accueillir au sein de la Haute Assemblée pour ce débat préalable à la réunion du Conseil européen des 26 et 27 juin prochains, afin d’évoquer les priorités que le Président de la République défendra au nom de la France à cette occasion.

Cette réunion des chefs d’État et de gouvernement revêt une importance exceptionnelle. Au lendemain des élections européennes, et alors que vont être installées de nouvelles institutions européennes, l’Europe a en effet besoin pour les cinq prochaines années d’une feuille de route claire, qui lui permette de renouer durablement avec la croissance, de réaliser de grands projets communs dans des domaines d’avenir et de retrouver la confiance des citoyens partout sur le continent.

Pour cela, l’Union européenne doit fonctionner de façon plus simple, moins opaque, en se concentrant sur quelques grandes priorités, avec des objectifs d’efficacité et de résultats. Tel est le mandat qui doit être donné au prochain président de la Commission européenne, lequel sera désigné à l’occasion de ce Conseil européen.

Dans cet état d’esprit, la France défendra principalement quatre grandes priorités, qui devront être au cœur de la feuille de route de la prochaine Commission européenne et que nous mettrons évidemment au centre des débats du Conseil européen.

La première des priorités, c’est le soutien à la croissance, à l’emploi et au financement de l’économie réelle.

Beaucoup a été fait depuis la crise de 2008, et en particulier depuis deux ans, pour assurer l’intégrité de la zone euro, enrayer la spéculation, sortir l’Europe de la récession. Les deux premiers piliers de l’union bancaire – la supervision et la résolution – ont été adoptés et doivent encore être complétés par une garantie commune des dépôts.

L’Union européenne est désormais sortie de la récession, mais les conséquences sociales de la crise, d’abord en termes d’emploi, frappent encore durement nos concitoyens. Il nous faut donc aujourd’hui aller plus loin.

La Banque centrale européenne a abaissé ses taux à plusieurs reprises et mis en œuvre des mesures non conventionnelles pour accroître le financement de l’économie. Il nous faut donc consolider la reprise, développer le potentiel de croissance de l’Europe, renforcer sa base industrielle et d’innovation, accroître le financement de l’économie réelle, qu’il s’agisse des grands projets structurants ou du tissu de nos petites et moyennes entreprises.

La mise en œuvre de cette priorité implique de passer à une nouvelle étape du pacte de croissance défendu par le Président de la République en juin 2012. Cela suppose d’abord une coordination des politiques économiques au sein de la zone euro. Ces politiques doivent désormais être tournées principalement vers la croissance, qui est la première priorité. Cela suppose aussi que l’on utilise toutes les flexibilités du pacte de stabilité et de croissance, en tenant compte des réformes engagées et de la nécessité de conforter la reprise. C’est encore la meilleure garantie d’atteindre les objectifs de réduction de la dette, laquelle est évidemment un impératif que nous devons tous nous assigner.

Nous devons également avoir une véritable stratégie d’investissement. Il nous faut pour cela mobiliser immédiatement les instruments existants et accélérer la mise en œuvre des programmes engagés au titre du budget européen, qu’il s’agisse des fonds structurels, du mécanisme pour l’interconnexion en Europe ou du programme Horizon 2020.

Nous proposons en outre de renforcer l’utilisation des capacités de la Banque européenne d’investissement, en l’incitant à financer des projets d’une façon plus audacieuse, plus difficile peut-être, plus risquée, et en augmentant les moyens de sa filiale, le Fonds européen d’investissement, destiné aux petites et moyennes entreprises.

La phase pilote des project bonds, qui a été engagée par la Banque européenne d’investissement, doit elle aussi déboucher sur un recours beaucoup plus large à ces mécanismes d’emprunt et de financement qui permettent tant de développer des réseaux numériques que de financer des infrastructures, comme c’est déjà le cas dans plusieurs pays de l’Union européenne.

Nous pensons également qu’il est utile de réfléchir à la mise en place d’un instrument permettant d’orienter davantage les flux de l’épargne privée, abondante en Europe, vers le financement des entreprises. Il faut aussi engager une révision des règles prudentielles et comptables, aujourd'hui inadaptées, et faire en sorte qu’un nouvel instrument d’investissement européen puisse voir le jour.

Par ailleurs, l’Europe doit se doter d’une véritable politique industrielle, à laquelle les politiques de concurrence, fiscales et commerciales doivent concourir afin de permettre l’émergence de champions européens. Cette politique industrielle doit aujourd'hui pouvoir se développer dans le secteur du numérique, dans le cadre de l’Agenda numérique pour l’Europe, ainsi que dans celui de l’énergie. J’y reviendrai.

Sur tous ces sujets, nous savons pouvoir compter sur une très grande convergence de vues avec l’Italie, qui prendra la présidence du conseil de l’Union européenne à compter du 1er juillet prochain. La présidence italienne entend faire du Conseil européen d’octobre celui de l’économie réelle.

Nous devons aussi simplifier les procédures et la gouvernance de l’Union européenne.

Tout d’abord, nous proposons que, au sein de la zone euro, il y ait désormais un président stable de l’Eurogroupe. Le Président de la République l’a dit, l’Europe doit être plus claire et plus lisible, pour être plus efficace et plus accessible. Parmi les règles existantes, celles qui font peser des charges disproportionnées sur les entreprises et sur les citoyens européens doivent être identifiées et réduites, en portant une attention toute particulière aux PME. Ce Conseil européen doit également permettre de franchir un pas dans la voie de la simplification à l’échelle européenne.

La deuxième grande priorité, c’est l’affirmation d’une ambition sociale, en particulier en direction de la jeunesse.

La politique de l’emploi doit donner résolument la priorité à la jeunesse en Europe. Nous ne pouvons pas accepter que, dans plusieurs pays de l’Union européenne, le taux de chômage des jeunes reste supérieur à 25 %.

La prochaine conférence pour l’emploi des jeunes, qui se tiendra sous présidence italienne, sera bien sûr un rendez-vous important. Elle sera l’occasion de faire le bilan des actions qui ont été menées jusqu’ici. Nous devons faire en sorte que la « garantie jeunesse » soit effective partout en Europe et qu’elle soit prolongée au-delà de 2015, avec les moyens financiers adéquats. Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, un fonds de 6 milliards d’euros a été attribué à cette politique pour les années 2014-2015. Nous souhaitons que la « garantie jeunesse » soit pérennisée et amplifiée.

Pour assurer la plus grande efficacité possible, de nouveaux champs d’action doivent être définis : je pense notamment à tout ce qui concerne l’apprentissage, la formation tout au long de la vie, l’alternance, mais aussi l’accompagnement des jeunes qui créent et qui innovent. En effet, quand un jeune crée son emploi ou une entreprise, c’est évidemment aussi une chance pour l’économie européenne.

Nous devons par ailleurs contribuer à la mobilité des jeunes à l’échelle du continent, en particulier faire travailler en réseau les agences européennes pour l’emploi et jouer la carte du transfrontalier, comme nous l’avons déjà fait avec l’Allemagne par le biais de l’agence de Kehl.

L’ambition sociale, c’est aussi la dimension sociale de l’union économique et monétaire. Nous proposons la création d’un Eurogroupe social, des avancées nécessaires vers la convergence fiscale et sociale au sein de la zone euro, le renforcement de la lutte contre le dumping social, auquel votre assemblée a déjà contribué en adoptant notamment une législation renforcée sur le détachement des travailleurs, et la perspective d’un salaire minimum dans tous les pays de l’Union européenne, et d’abord dans ceux de la zone euro.

La troisième priorité, c’est la définition d’une véritable politique énergétique et climatique européenne.

L’objectif est clair : nous devons parvenir en octobre prochain à un accord sur le cadre européen 2020-2030. Les positions des États membres étant encore divergentes à ce stade, il nous faut étudier l’ensemble des moyens qui permettront de prendre en compte les spécificités nationales tout en visant l’objectif commun de réduire de 40 % nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 et de porter à 27 % au minimum la part des énergies renouvelables.

Dans cette perspective, nous souhaitons que, dès le Conseil européen de cette semaine, le débat puisse s’engager sur la base des propositions de la Commission européenne. C’est absolument indispensable si nous voulons que l’Union européenne présente un front uni lors de la COP 21, la conférence Paris Climat, qui se tiendra à Paris à la fin de l’année 2015 et à laquelle toutes les grandes puissances dans le monde se préparent, la Chine et les États-Unis ayant déjà indiqué leur intention d’y formuler des propositions nouvelles.

Les deux dimensions du débat – politique énergétique et lutte contre le changement climatique – sont donc pour nous indissociables.

La première concerne les moyens de réduire la dépendance énergétique européenne, notamment à la lumière des événements d’Ukraine. La stratégie de réduction de la dépendance énergétique présentée par la Commission le 28 mai dernier s’inspire très largement des propositions du Premier ministre polonais, Donald Tusk, et du Président de la République.

Cette stratégie comporte des solutions de très court terme pour l’hiver 2014-2015, telles que l’évaluation des risques de rupture de l’approvisionnement en gaz et l’établissement, en conséquence, de plans d’urgence, voire de mécanismes de secours, mais aussi de moyen et long terme, telles que la diversification des sources d’approvisionnement en énergie, la modernisation des infrastructures énergétiques, l’achèvement du marché intérieur de l’énergie, la mise en œuvre de politiques d’efficacité énergétique pour réaliser des économies d’énergie.

Les conclusions du Conseil européen devraient prévoir le renforcement à court terme des mécanismes de solidarité et d’urgence à partir d’une évaluation des risques et une analyse des mesures de moyen et long terme, sur la base des propositions de la Commission.

Toutes ces mesures visent à rendre l’Europe plus efficace en matière énergétique afin de réduire sa dépendance. Elles renforcent la validité des propositions faites dans le cadre du paquet énergie-climat pour 2030. C’est la deuxième dimension des discussions qui auront lieu.

À cet égard, le Conseil européen de juin devrait tendre à définir avec soin le cadre de négociation en vue d’une décision finale sur les objectifs retenus par l’Union à l’horizon 2030 lors du Conseil européen d’octobre 2014.

Rappelons que cela est indispensable à la fois au plan interne, afin de créer un cadre stable et prévisible pour nos entreprises et de les amener ainsi à investir dans les technologies à faible émission de carbone, et au plan international, pour envoyer un signal positif et créer une dynamique vertueuse de prise d’engagements en vue de la COP 21, que j’évoquais à l’instant.

Le quatrième objectif est de renforcer l’espace de liberté, de sécurité, de justice et de bâtir une véritable politique d’immigration commune. Le Conseil européen de juin fixera les orientations du programme post-Stockholm, c’est-à-dire les priorités des cinq prochaines années dans ce domaine.

Nous souhaitons, à cet égard, que plusieurs objectifs puissent être réaffirmés : la garantie des droits à l’intérieur de nos frontières, la protection à nos frontières extérieures et la régulation des flux migratoires.

La liberté de circulation est un acquis, une liberté fondamentale qui touche à l’esprit même de la construction européenne. Elle ne saurait être remise en cause, mais, pour la préserver, il nous faut lutter avec détermination contre les abus et les fraudes dont elle peut faire l’objet. Nous devons aussi mieux faire fonctionner les outils, notamment ceux de l’espace Schengen, qui constituent des contreparties à la suppression des contrôles aux frontières intérieures. Une protection efficace de nos frontières extérieures communes est à cet égard une priorité absolue.

La lutte contre l’immigration irrégulière est essentielle, et le Conseil européen devra délivrer un message fort concernant la situation en Méditerranée. Dans cette perspective, nous devons mener, en relation avec les autorités des États tiers, un combat plus déterminé contre la traite des êtres humains et les activités des passeurs, et donner plus de crédibilité à la politique des retours, dans le respect de la dignité des personnes, en nous assurant notamment de la bonne mise en œuvre des accords de réadmission.

Pour la mise en œuvre de la surveillance des frontières, nous réaffirmerons l’équilibre entre responsabilité et solidarité : la responsabilité des États membres qui assurent en premier lieu le contrôle et la surveillance des frontières extérieures communes, en se dotant de moyens de contrôle efficaces ; la solidarité que nous devons aux États qui sont en première ligne, en particulier l’Italie. Frontex, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne, est l’un des outils majeurs de cette politique et doit progressivement prendre le relais de l’opération Mare Nostrum. Frontex doit renforcer ses activités opérationnelles, mieux échanger les informations avec Europol, améliorer sa réactivité. Il nous faut donc travailler à la mise en place d’un système européen de gardes-frontières.

Enfin, nous devons également mieux réguler l’immigration régulière, qui joue un rôle important, y compris en termes de rayonnement économique, commercial et culturel de l’Europe. Nous souhaitons insister sur le lien entre politique des visas et attractivité de nos territoires, comme l’a d’ailleurs fait Laurent Fabius dans son discours aux assises du tourisme, jeudi dernier.

C’est aussi en favorisant les mobilités, comme celles des étudiants, que l’Union œuvrera à normaliser les flux migratoires et à développer des échanges qui, en contribuant au développement des pays d’origine, favoriseront la stabilisation des populations.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à ces quatre priorités s’ajoute celle que constitue l’affirmation du rôle international de l’Europe en tant qu’acteur global de la mondialisation, c'est-à-dire de son action extérieure, de sa politique de sécurité et de défense commune, des valeurs et des principes qu’elle entend défendre dans ses relations commerciales internationales.

À cet égard, je voudrais évoquer la situation en Ukraine, sujet qui sera évidemment abordé lors du Conseil européen.

Le plus urgent est d’obtenir un cessez-le-feu et une amélioration de la situation sur le terrain. Cependant, une telle désescalade ne pourra intervenir qu’à condition que tous les acteurs s’engagent pleinement dans la négociation : c’est le sens des contacts de haut niveau que le Président de la République et la Chancelière Angela Merkel ont eus avec MM. Poutine et Porochenko, une première rencontre entre les Présidents russe et ukrainien s’étant tenue lors des cérémonies du soixante-dixième anniversaire du Débarquement.

L’appel à la cessation des hostilités et à la négociation a encore été au cœur de l’entretien conjoint qu’ont eu cette semaine le Président de la République, la Chancelière allemande et le Président russe. Le plan en quatorze points annoncé par le Président ukrainien le 20 juin, assorti d’un cessez-le-feu unilatéral d’une semaine, constitue une chance pour mettre fin aux tensions. La Russie doit désormais impérativement démobiliser ses troupes à la frontière et user de son influence auprès des séparatistes pour qu’ils déposent les armes.

L’Union européenne est pleinement mobilisée pour apporter son soutien à l’Ukraine et fournira une aide de 11, 175 milliards d’euros sur la période 2014-2020. Par ailleurs, le volet commercial de l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine sera signé le 27 juin, en marge de ce Conseil européen.

Le conseil Affaires étrangères qui se tient aujourd'hui à Luxembourg a été largement consacré à la situation en Ukraine. Une première phase des discussions, en présence du ministre ukrainien des affaires étrangères, M. Klimkine, a permis de montrer notre soutien unanime au plan de paix proposé par M. Porochenko.

La seconde phase des discussions a permis de dresser les premiers contours de la mission de politique de sécurité et de défense commune civile qui pourrait être lancée pour aider l’Ukraine à réformer son secteur de la sécurité civile. Elle a également reflété notre volonté commune de rester fidèles à la position que nous avons adoptée depuis le début de la crise : nous avons su faire preuve de fermeté lorsque c’était nécessaire en adoptant, au niveau européen, un certain nombre de sanctions qui ont eu une efficacité incontestable, mais nous avons toujours estimé que la priorité devait être donnée au dialogue, à la recherche d’une solution politique, aussi bien entre l’Ukraine et la Russie qu’entre les différentes composantes de la société ukrainienne.

Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les questions que je voulais évoquer en ouverture de ce débat préalable au prochain Conseil européen. L’enjeu est de sauver le projet européen, plus indispensable que jamais, de lui redonner sa force, sa cohérence et sa capacité d’entraînement, de le réconcilier avec les citoyens européens : voilà l’ambition qui guidera la France et ses partenaires lors du Conseil européen des 26 et 27 juin. §

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