Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen des 26 et 27 juin va se voir soumettre, en vertu du traité sur la stabilité, la cohérence et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, dit TSCG, et dans le cadre procédural du semestre européen, une série de recommandations par pays visant à guider les États membres dans leurs politiques budgétaires et de réformes dites « structurelles ».
J’ai lu soigneusement les recommandations concernant non seulement la France, mais aussi l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni. C’est un programme d’assainissement à perte de vue, engagé simultanément dans tous les pays européens. Il s’agit en effet de ramener non seulement le déficit budgétaire « structurel », objectif de moyen terme, à 0, 5 % du PIB, mais aussi le niveau d’endettement à 60 % du PIB.
Dans ce cadre contraint, l’Allemagne ne peut absolument pas jouer son rôle de locomotive de la croissance européenne. Si les recommandations qui lui sont adressées mentionnent « l’amélioration des conditions propices à une hausse de la demande interne », leur portée est immédiatement circonscrite « à la réduction des taux élevés d’imposition et de cotisation de sécurité sociale, en particulier pour les bas salaires ». Cette suggestion est franchement dérisoire, quand on lit dans le paragraphe précédent que l’Allemagne doit préserver une position budgétaire saine, afin que le taux d’endettement de l’État, actuellement de 85 % du PIB, reste sur une trajectoire descendante durable, jusqu’à 60 % du PIB. Ce n’est pas avec ce genre de recommandation qu’on fera repartir la croissance européenne !
Pour la France, c’est une mise à la diète généralisée : efforts d’économies budgétaires accrus, plafonnement des retraites, rationalisation des allocations familiales, réduction des aides au logement et, curieusement, réforme territoriale, comme si celle-ci pouvait permettre de dégager des économies propres à réduire le déficit budgétaire à 3 % du PIB en 2015 ! Cet objectif est évidemment hors d’atteinte, quand on sait que le déficit sera de 4, 1 % du PIB en 2014, du fait d’un tassement des rentrées fiscales de 14 milliards d’euros par rapport aux prévisions.
Viennent ensuite, parmi les recommandations, la réduction du coût du travail, la remise en cause du crédit d’impôt recherche que j’avais créé jadis, la déréglementation des professions dites réglementées, l’ouverture des services à la concurrence, la hausse des tarifs du gaz et de l’électricité, la réduction des niches fiscales et l’élimination des seuils, la suppression des subventions au diesel, la réforme du système d’indemnisation du chômage, j’en passe et des meilleures. Ultime et cocasse recommandation : faire en sorte que le gestionnaire unique des infrastructures des chemins de fer soit bel et bien indépendant par rapport à la SNCF.
On croit rêver, monsieur le secrétaire d’État ! Sur quelle planète vivent donc les technocrates de la Commission européenne ? Celle-ci n’hésite même pas à outrepasser ses compétences en préconisant la réforme du système d’éducation, compétence nationale s’il en est. Bonjour la subsidiarité !
Nous assistons à la mise en tutelle généralisée de la démocratie républicaine. La Commission préconise ainsi les fusions des collectivités locales, éclairant d’un jour inédit les motivations d’une réforme territoriale dont nous avions jusqu’ici quelque peine à percevoir la logique.
La Commission européenne, dans sa proposition au Conseil européen, va même jusqu’à critiquer les règles européennes en dénonçant, à la page 5 du document concernant la France, l’absence de ciblage du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi sur les entreprises exportatrices, seules en mesure d’aider la France à retrouver sa compétitivité. Or on sait que ce sont les institutions européennes elles-mêmes qui, au nom de la concurrence, imposent une règle de non-discrimination entre les entreprises, handicapant ainsi toute politique industrielle.
Ce qui frappe dans la lecture de ces considérants, c’est le resserrement du « cadenassage » de nos choix politiques. Le 5 mars 2014 intervenait, en vertu du TSCG de 2012, la présentation par la Commission du bilan concernant la France ; le 7 mai, la France présentait son programme national de réformes ; le 2 juin était publié le projet de recommandation de la Commission au Conseil du 26 et 27 juin 2014 concernant la France.
Vous entendez, mes chers collègues, ce « cliquetis de chaînes » que j’avais annoncé lors de la ratification du TSCG le 20 octobre 2012. Que restera-t-il, après la réunion du Conseil des 26 et 27 juin, de la liberté de vote du budget par le Parlement ? Et que reste-t-il déjà de la liberté de la France de s’organiser comme bon lui semble en tous domaines, y compris l’éducation ou l’administration des collectivités locales ? Où est passé l’article III de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui rappelle que « le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation » ? Que fait-on de l’article 3 de notre Constitution, qui rappelle que c’est au peuple qu’appartient la souveraineté ? Chacun d’entre nous peut ressentir que notre République n’est plus vraiment libre de ses décisions.
Monsieur le secrétaire d’État, nous ressentons aussi le poids de la doxa économique qui sous-tend la logique de ces recommandations. Tandis que les États-Unis revoient à la baisse leurs prévisions de croissance de 2, 8 % à 2 % pour 2014, dans la zone euro, la faiblesse des crédits bancaires et des taux d’inflation – 0, 5 % en rythme annuel, en mai – fait peser, je cite Mme Lagarde, directrice du FMI, dans une interview du 16 juin au Handelsblatt, « de graves menaces pour la reprise européenne ».
L’évolution de la situation en Ukraine et en Irak comporte des risques de récession accrus, notamment à travers les prix du gaz et du pétrole. L’euro a retrouvé un cours de 1, 36 dollar, supérieur de près de 20 % à son cours de lancement. Bonjour la compétitivité !
Si Mme Yelleen, présidente du Federal Reserve Board, promet, quant à elle, une politique monétaire accommodante, que fait de son côté la BCE ? Mme Lagarde n’a pas hésité à braver le conformisme ambiant en déclarant : « Si l’inflation devait rester obstinément faible, alors nous espérerions certainement que la BCE prenne des mesures d’assouplissement quantitatif par le biais d’achat d’obligations souveraines. » Quelle audace !
Nous attendons, monsieur le secrétaire d’État, que le Conseil européen, détenteur de la légitimité démocratique, se saisisse pleinement de la gravité de la situation économique. Le vice-chancelier allemand, M. Sigmar Gabriel, s’est prononcé récemment pour « davantage de souplesse budgétaire à l’égard des pays qui paient le coût des réformes imposées ».
Il est temps d’engager une autre politique sur le plan européen, en commençant par faire baisser la parité de l’euro et en allongeant d’un ou deux ans les objectifs de retour aux critères du pacte de stabilité. Les sociaux-démocrates sont au pouvoir en Allemagne. Ils doivent aussi prendre leurs responsabilités pour mettre la monnaie au service de l’économie et desserrer le carcan des disciplines que l’ordolibéralisme allemand veut imposer au reste de l’Europe au mépris d’une situation sociale qui n’a jamais été aussi dégradée : 23 millions de chômeurs dans les pays de la seule zone euro ! Un peu d’inflation supplémentaire est parfaitement tolérable. La BCE doit cesser de combattre, tel Don Quichotte, les dangers imaginaires que ses statuts lui commandent de terrasser. Il y a longtemps que c’est chose faite. Il est temps d’affronter les problèmes réels !
Avant de conclure, j’aimerais dire quelques mots de l’Ukraine, car la situation qui y prévaut amènera sans doute le Conseil à se saisir de la question.
M. Porochenko propose la paix mais il fait la guerre ! À ce jour, il n’a pas ouvert le processus de négociations auquel il s’était engagé. Or il faut bien négocier avec ceux contre lesquels on se bat. Il est facile d’excommunier l’adversaire en lançant contre lui une opération dite « antiterroriste ».
La Russie a facilité la tenue de l’élection présidentielle ukrainienne du 25 mai, je ne vous l’apprends pas !