Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous arrivons au terme du processus d’examen du projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées.
Je me réjouis du consensus qui s’est dégagé en commission mixte paritaire entre les deux assemblées. Pour paraphraser Michel Audiard, je dirai que, sur un tel sujet, une quelconque dissonance entre l’Assemblée nationale et le Sénat aurait « fait désordre ». §
J’espère que le vote de l’ensemble des groupes politiques siégeant dans cet hémicycle sera positif et entérinera la nouvelle dynamique que porte ce projet de loi, car, mes chers collègues, il ne nous est plus permis de prendre davantage de retard.
En effet, malgré la difficulté de dresser un état des lieux pertinent, eu égard à la fiabilité discutable des données statistiques, nous nous apercevons tous et toutes, dans notre quotidien d’élu, que les travaux d’accessibilité relèvent plutôt de la chimère que de la réalité ; plus précisément, en dix ans, les avancées en matière de mise en accessibilité ont été inégales et insuffisantes.
Pour preuve, selon l’Association des paralysés de France, seuls 15 % des établissements recevant du public sont actuellement aux normes, quand seulement 8 % des communes de moins de 200 habitants ont adopté leur plan d’accès à la voirie et aux espaces publics, contre 38 % des communes de plus de 50 000 habitants.
Ce hiatus témoigne de l’importance du volontarisme politique sur cette problématique, à l’échelon tant local que national.
Aujourd’hui, si nous sommes obligés de proroger, à contrecœur, les délais qu’avait fixés la loi de 2005 et de souscrire au recours aux ordonnances, procédure dérogatoire peu appréciable pour les parlementaires, c’est à cause de l’absence de portage et de suivi politique, sous le quinquennat précédent, de l’auguste projet d’accessibilité universelle.
Prisonniers de l’inertie, voire de l’inaction passée, nous nous retrouvons dos au mur. Les mots, même ceux qui sont inscrits dans le marbre de la loi, sans actes, ne peuvent suffire. Ils ont certes une valeur symbolique, mais une portée non tangible. Désormais, il faut que nous soyons concrets.
Ainsi, la mise en œuvre des agendas d’accessibilité programmée et des schémas directeurs d’accessibilité, prévue respectivement aux articles 1er et 2 du présent projet de loi, devrait améliorer le pilotage des travaux de mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports, du cadre bâti et de la voirie.
Pour autant, l’adoption du projet de loi d’habilitation ne constituant pas un blanc-seing pour le Gouvernement, les parlementaires examineront attentivement et même scrupuleusement les mesures qui figureront au sein du projet de loi de ratification, qui, en vertu de l’article 38 de la Constitution, devra être « déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation », en l’occurrence dans un délai de cinq mois à compter de la publication des ordonnances.
En outre, la forte disparité observée quant aux travaux d’accessibilité sur notre territoire révèle le rôle prépondérant joué par les élus locaux. Certaines villes, telle Brive-la-Gaillarde – pardonnez mon chauvinisme local ! –, qui a reçu une Marianne d’or pour son engagement en faveur de l’accessibilité de l’espace public et des bâtiments communaux en 2012, ont réalisé de substantiels investissements ; à l’inverse, d’autres communes ont effectué des arbitrages contraires à l’intérêt des personnes en situation de handicap.
En d’autres termes, madame la secrétaire d'État, les collectivités territoriales, par la mise en place de plans d’action en matière d’accessibilité, par exemple, peuvent, je le crois, impulser localement les politiques ayant trait au handicap.
La volonté politique et l’affichage politique sont donc bien des facteurs essentiels en vue d’assurer la participation des personnes victimes d’un handicap à la vie de la cité.
À cet égard, comme le rappelle l’article L. 114-1 du code de l’action sociale et des familles, « toute personne handicapée a droit à la solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l’accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté ».
Or il me semble que cette noble solidarité dont il est question est malheureusement souvent mise à mal par le regard porté sur le handicap.
Le regard honteux, parfois coupable, que peut jeter sur lui-même celui qui est affecté par un handicap est compréhensible, bien que néfaste. Il est l’expression d’un rejet, d’une douleur, d’une souffrance psychologique qu’il faut s’attacher à lénifier afin que la personne accepte de vivre avec ce handicap ; en revanche, le regard indifférent, voire méprisant, que peut adresser la société à l’encontre de la personne en situation de handicap est inacceptable.
Plutôt que de tendre le bâton, elle doit tendre la main ; plutôt que d’être un miroir dégradant, elle doit être un miroir enjolivant.
Dans cette perspective, la perception du handicap résulte non plus de l’incapacité permanente ou temporaire dont est atteinte la personne, mais de l’interaction de cette dernière avec un environnement peu favorable à son épanouissement.
Comme le met en exergue le programme des Nations unies pour l’égalisation des chances des personnes handicapées de 1982, « le handicap est donc fonction des rapports des personnes handicapées avec leur environnement. Il surgit lorsque ces personnes rencontrent des obstacles culturels, matériels ou sociaux qui les empêchent d’accéder aux divers systèmes de la société qui sont à la portée de leurs concitoyens. Le handicap réside donc dans la perte ou la limitation des possibilités de participer sur un pied d’égalité avec les autres individus à la vie de la communauté. »
Par conséquent, la collectivité doit permettre aux personnes affectées par un handicap de développer leurs potentialités, leurs « capabilités », pour reprendre la terminologie d’Amartya Sen, cet éminent philosophe et économiste. Tout obstacle érigé contre cet objectif s’avère, par suite logique, un frein à leur « bien-être ».
C’est pourquoi l’inaccessibilité, barrière majeure à l’expression des potentialités de celles et ceux qui sont en situation de handicap, constitue un reniement de leurs droits et une atteinte ineffable à l’idéal de justice sociale.
Il convient de garder à l’esprit que l’accessibilité universelle ne concerne pas uniquement les personnes en situation de handicap. Ce concept, progressiste, part du postulat que tous les individus peuvent être confrontés, un jour ou l’autre, à des difficultés pour se déplacer – à l’instar, suis-je tentée de dire, de jeunes parents accompagnés de leur enfant en poussette.
Par ailleurs, eu égard au vieillissement de la population, cette approche transversale s’avère probante.
La capacité de notre pays à anticiper les adaptations nécessaires à ce phénomène démographique, par des politiques publiques opportunes, déterminera notre faculté de répondre à cet enjeu sociétal.
Dans le cadre du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, présenté en conseil des ministres le 3 juin dernier, outre les politiques de prévention, il ne faudra pas omettre le volet portant sur l’accessibilité.
En conclusion, je tiens, à la suite d’autres orateurs qui se sont exprimés avant moi, à saluer l’excellent travail réalisé par ma collègue Claire-Lise Campion, depuis plusieurs années maintenant, et à rappeler que la mise en accessibilité n’est aucunement une « fleur » faite aux personnes en situation de handicap ; c’est un devoir pour tous et toutes, éminemment civique et profondément humain.