Par ailleurs, les aménagements de peine ont effectivement beaucoup augmenté, comme le prévoyait la loi pénitentiaire, mais surtout au bénéfice du placement sous surveillance électronique, qui consiste, pour l’essentiel, à vérifier que le condamné se trouve à son domicile aux heures fixées par le juge. Actuellement, 11 048 détenus sont dans cette situation. À l’inverse, les mesures de semi-liberté ou de placement à l’extérieur, qui permettent de travailler à la réinsertion, sont très peu développées.
Dans ces conditions, les sorties sèches demeurent majoritaires : 80 % des détenus quittent la prison sans avoir fait l’objet d’un accompagnement, mais cette proportion s’établit à 84 % pour les condamnés à une peine d’emprisonnement de six mois à un an, et même à 98 % pour ceux dont la peine est inférieure à six mois.
Or, on le sait, ces sorties sèches augmentent le risque de récidive à la sortie. Les condamnés se réinsèrent dans le milieu d’où ils viennent, c'est-à-dire dans celui de la délinquance, d’où ils ne sont sortis que pour entrer en prison.
C’est d'ailleurs l’une des raisons pour lesquelles certains de nos voisins européens – je ne parle pas de pays exotiques comme le Canada ou les pays nordiques – ont interdit, sauf exception, le recours aux courtes peines d’emprisonnement. Ainsi, le droit allemand contient une disposition spécifique concernant les courtes peines qui limite la possibilité pour le juge de prononcer des peines inférieures à six mois d’emprisonnement. Lorsqu’il le fait, il doit motiver sa décision spécifiquement en fonction de la gravité de l’infraction ou de la personnalité de l’auteur. La Suisse, quant à elle, interdit le prononcé de peines de moins de six mois d’emprisonnement. En regard de ces dispositions, la peine de contrainte pénale apparaît comme extrêmement timorée.
Cette situation n’a pas été améliorée par les lois sur la récidive qui ont été adoptées entre 2005 et 2012.
Vous trouverez dans mon rapport, mes chers collègues, une présentation de l’ensemble des mesures adoptées, dont la plus emblématique concerne l’instauration de peines planchers. Notez aussi une restriction des conditions d’accès aux aménagements de peine, une surveillance plus facile à la fin de la peine et des dispositions relatives aux mineurs destinées à écarter l’excuse de minorité et à instaurer des tribunaux correctionnels pour mineurs, à la place des tribunaux pour enfants.
En apparence, ces lois reposent sur une logique, qui peut se comprendre et se défendre, de gradation de la réponse judiciaire face à quelqu’un qui s’entête dans la délinquance.
En réalité, les réponses apportées ne sont pas pertinentes.
D’une part, la notion de récidive légale est une notion juridique complexe – le grand public n’y comprend rien ! –, qui se distingue du concours d’infractions et de la réitération d’infractions, et qui ne reflète donc pas ce que les gens entendent habituellement par récidive.
D’autre part, cette logique de gradation de la réponse pénale n’est pas toujours adaptée aux situations concrètes et aux différentes trajectoires de sortie de la délinquance – on parle de « désistance » – qui sont loin d’être rectilignes.
Sur ces sujets, la règle classique de doublement des peines encourues en cas de récidive permet déjà au juge d’adapter le quantum de la sanction au cas d’espèce, comme le faisait remarquer au cours d’une réunion de la commission Mme Tasca.
Je dirai enfin un mot des peines exécutées en milieu ouvert. Un paradoxe a été relevé par la Cour des comptes en 2010 : ces peines sont « quantitativement importantes, mais qualitativement négligées ».
Je veux notamment parler du sursis avec mise à l’épreuve, ou SME, qui représente les trois quarts des mesures suivies en milieu ouvert par le service pénitentiaire d’insertion et de probation, le SPIP – près de 80 000 SME ont été prononcés en 2011, dont un tiers dans le cadre d’une « peine mixte » –, ou encore du travail d'intérêt général, le TIG – 15 000 peines prononcées en 2011. En revanche, les peines alternatives, comme les stages ou les annulations du permis de conduire, sont beaucoup moins prononcées.
Ces peines sont pourtant intéressantes, car elles favorisent un suivi et permettent d’éviter la désocialisation liée à une incarcération, mais leurs conditions d’exécution posent des problèmes de moyens, nous le savons bien, monsieur Détraigne.
Pour ce qui concerne le SME, en particulier, les contraintes imposées à la personne ne sont pas toujours bien adaptées, les délais d’exécution sont souvent longs, et, très fréquemment, la prise en charge par le SPIP se résume à un simple contrôle du respect des obligations, sans suivi particulier axé sur la réinsertion et la prévention de la récidive.
Nous avons déjà souvent parlé des difficultés rencontrées pour multiplier les offres de TIG auprès des collectivités locales et des organismes publics, notamment.
Ces difficultés sont singulièrement imputables à la crise d’identité que traversent les SPIP en milieu ouvert. Jean-René Lecerf l’avait d'ailleurs évoquée dans son rapport pour avis budgétaire voilà quelques mois : à l’heure actuelle, les SPIP sont saturés. En théorie, chaque conseiller suit environ 90 mesures ; en réalité, ce ratio atteint souvent 150 à 200 mesures par conseiller, ce qui est anormal. Par comparaison, un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse suit en moyenne 25 mineurs.
Les SPIP sont donc confrontés à une crise d’identité, avec le recentrage de leurs missions sur la prévention de la récidive qui a laissé de côté le travail social. La loi du 27 mars 2012, à laquelle nous nous étions opposés, leur a retiré une grande partie des enquêtes de personnalité présentencielles.
C’est dans ces conditions que les personnels des SPIP vont faire l’objet d’un renouvellement de générations dans les années à venir, avec l’annonce par le Gouvernement du recrutement de 1 000 personnels supplémentaires d’ici à 2017, soit une augmentation du corps de l’ordre de 25 %, pour permettre l’application du présent projet de loi.
Ainsi, 400 postes ont d’ores et déjà été ouverts par la loi de finances pour 2014, l’objectif, énoncé par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault – mais le Gouvernement actuel suit le précédent sur ce point – lors du dépôt du présent projet de loi, étant de parvenir, à terme, à un ratio de 40 mesures par conseiller de probation.
J’en viens maintenant, après cette introduction un peu longue, au texte lui-même, qui a été significativement enrichi par les travaux de l’Assemblée nationale.
Je reviens très rapidement sur le projet de loi initial du Gouvernement.
Il contient notamment un important volet consacré à l’individualisation des peines, avec la suppression des peines planchers et le rétablissement de l’obligation de motivation de toute peine d’emprisonnement ferme non aménagée, y compris pour les récidivistes. La révocation du sursis ne sera également plus automatique.
Par ailleurs, le projet de loi crée une nouvelle procédure de césure du procès pénal pour mener des investigations sur la personnalité, sur le modèle de ce qui existe déjà pour les mineurs.
Il prévoit aussi de développer la probation, en s’inspirant d’expériences conduites dans les pays anglo-saxons et sur les recommandations du Conseil de l’Europe. Il crée notamment une nouvelle peine, dite de « contrainte pénale » – une autre appellation aurait pu être trouvée, car il s’agit d’une véritable tautologie ! – susceptible d’être prononcée pour des infractions punies de cinq ans d’emprisonnement au maximum lorsque la personnalité de l’auteur justifie un accompagnement socio-éducatif renforcé.
Cette peine pourrait être prononcée pour une durée de six mois à cinq ans – c’est très long – et comprendrait des mesures d’assistance, de contrôle et de suivi, ainsi que certaines obligations ou interdictions – exécution d’un stage, d’un TIG, réparation du dommage causé à la victime, injonction de soins, etc.
Sa mise en œuvre reposera avant tout sur les juges d’application des peines et les conseillers d’insertion et de probation. Une réévaluation régulière de la situation de la personne en cause sera mise en place.
Par ailleurs, afin de limiter les sorties sèches, le projet de loi crée une procédure de libération sous contrainte, qui obligera l’administration pénitentiaire à examiner la situation de toutes les personnes condamnées à une peine inférieure ou égale à cinq ans lorsqu’elles ont exécuté les deux tiers de leur peine, afin de décider, si possible, une mesure de sortie encadrée.
À l’inverse, sans que l’on comprenne parfaitement la cohérence d’ensemble du projet, l’article 7 revient sur l’une des mesures essentielles de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, en ramenant de deux ans à un an pour les non-récidivistes, et de un an à six mois pour les récidivistes, le seuil d’emprisonnement permettant un aménagement de peine ab initio.
Le texte met également l’accent sur la nécessité d’éviter les ruptures de prise en charge entre le milieu fermé et le milieu ouvert en associant plus étroitement les services publics concernés.
Il reconnaît expressément les droits des victimes tout au long de l’exécution de la peine.
Il renforce aussi les pouvoirs de police et de gendarmerie en matière de contrôle du respect, par une personne condamnée, des obligations résultant de sa condamnation.
Si les députés ont peu modifié les articles du projet de loi initial, ils ont en revanche procédé à de nombreux ajouts. Je souligne ici la qualité du travail du rapporteur de l’Assemblée nationale, M. Dominique Raimbourg.
Quant aux articles du projet de loi initial, je mentionnerai essentiellement trois sujets.
D’abord, pour ce qui concerne les aménagements de peine, les députés ont prévu un quantum unique d’un an d’emprisonnement, applicable aux non-récidivistes comme pour les récidivistes.
Ensuite, à l’égard du champ de la contrainte pénale, ils sont parvenus à un compromis avec le Gouvernement, en prévoyant que la contrainte pénale s’appliquera aux délits punis de cinq ans d’emprisonnement jusqu’au mois de janvier 2017, et, à compter de cette date, à tous les délits. Je proposerai sur ce point des modifications.
Enfin, ils ont prévu que les forces de police et de gendarmerie pourraient recourir à la géolocalisation et à l’interception des communications lorsqu’elles soupçonnent une personne de ne pas respecter les obligations résultant de sa condamnation.
Nos collègues députés ont par ailleurs enrichi le texte de trente articles nouveaux.
Je mentionnerai notamment plusieurs dispositions sur les victimes, la consécration des bureaux d’aide aux victimes, la possibilité de recourir à la justice restaurative avec l’accord de la victime, une nouvelle procédure d’indemnisation lorsque la victime ne s’est pas constituée partie civile et la création – sur laquelle nous reviendrons – d’une sorte de taxe de 10 % sur toutes les amendes pénales prononcées, afin de financer l’aide aux victimes.
Pour ce qui concerne l’exécution des peines, les députés ont en particulier prévu que, lorsqu’un condamné n’aura pas pu ou pas voulu bénéficier d’un aménagement de peine, il pourra être soumis par le juge d’application des peines, pendant la durée des crédits de peine et des réductions supplémentaires de peine, au respect de certaines mesures de contrôle, obligations ou interdictions afin de permettre sa réinsertion.
Les députés ont par ailleurs intégré les dispositions de la proposition de loi de notre ancienne collègue Hélène Lipietz relative à la création d’un dispositif de suspension de détention provisoire pour motif d’ordre médical, votée à l’unanimité par le Sénat au mois de février dernier, et allégé la procédure de suspension de peine pour raisons médicales.
Les députés ont également ajouté un volet relatif à la prévention de la délinquance, en proposant plusieurs mesures pour impliquer davantage les acteurs locaux de terrain, comme cela se pratique dans les pays anglo-saxons, par exemple au Canada, notamment au sein des comités locaux de prévention de la délinquance.
Enfin, et c’est plus problématique, les députés ont adopté plusieurs articles qui augmentent considérablement les pouvoirs de la police et de la gendarmerie. J’y reviendrai, car nous avons estimé que ces articles, auxquels le ministère de l’intérieur est d’ailleurs hostile, posaient un problème de constitutionnalité.
Mes chers collègues, j’en viens à la position que la commission des lois a adoptée et que je vous propose de suivre.
Pour nous, ce projet de loi s’inscrit dans la continuité de la loi pénitentiaire. Il reprend des principes, rappelés par Mme le garde des sceaux, que la commission des lois a toujours défendus, y compris sous la précédente majorité – de façon irrégulière peut-être –, à savoir la nécessité de préparer la réinsertion de la personne condamnée et la liberté d’appréciation laissée au juge.
En cela, ce projet de loi se situe dans la lignée de l’École de la défense sociale nouvelle animée, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, par des hommes qui avaient vécu la déportation et les camps de concentration et qui voulaient affirmer leur foi en la réinsertion et en la possibilité de resocialisation de tous les délinquants et criminels. Plusieurs textes ont cependant fait exception à cette tradition : je pense à la néfaste loi Sécurité et liberté et aux différentes lois sur la récidive.
Pour le reste, nos lois se sont toujours inscrites dans cette tradition d’humanisme défendue par l’École de la défense sociale nouvelle, très inspirée par le christianisme social.
Si j’approuve totalement la création de la contrainte pénale, qui devrait permettre de combler quelque peu le retard de notre pays en matière de probation, j’ai néanmoins proposé plusieurs ajustements qui ont été acceptés par la commission.
Sur le champ de la contrainte pénale, nous sommes d’accord avec le compromis trouvé à l’Assemblée nationale et consistant à procéder par étapes : seront concernés d’abord les délits punis de cinq ans, puis, éventuellement, après une évaluation en 2017, tous les délits.
Toutefois, le système voté par les députés présente un défaut : il continue de faire de la contrainte pénale une simple alternative à l’emprisonnement, le juge pouvant prononcer l’une ou l’autre de ces peines. Dans ces conditions, je crains que les magistrats ne prononcent que très peu de contraintes pénales. Il faut sortir de l’idée que la prison est la seule peine adaptée à tous les types d’infractions, notamment aux petits délits.