Intervention de Jean-Pierre Michel

Réunion du 24 juin 2014 à 21h30
Renforcement de l'efficacité des sanctions pénales — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel, rapporteur :

Afin de faire évoluer notre système pénal, la commission propose, outre les dispositions adoptées par l’Assemblée nationale, de faire de la contrainte pénale une peine de référence unique, tout en prévoyant, bien entendu, des peines alternatives et des sanctions pécuniaires, pour un certain nombre de délits peu graves. La liste qui a été retenue exclut toutes les atteintes aux personnes : il s’agit notamment du vol simple et de la conduite sous l’influence de l’alcool.

Cela ne signifie pas que la contrainte pénale devra être prononcée dans tous les cas pour ces infractions : si le juge considère que cette sanction est trop lourde, il pourra prononcer une peine d’amende, un TIG, un stage, une interdiction du permis de conduire, la confiscation du véhicule, etc. En revanche, il ne pourra plus prononcer de peine de prison. C’est à cela qu’il faut aboutir.

Nous verrons d’ici à quelques années si, comme je le souhaite, il est opportun d’élargir ce système. Pour moi, à terme, il faudra passer en matière correctionnelle du diptyque prison-amende au triptyque prison-contrainte pénale-amende. C’est ce qui nous a été proposé tout au long des auditions que nous avons menées, notamment par Robert Badinter, les représentants de la Commission consultative des droits de l’homme, Mme Delmas-Marty, Mme Herzog-Evans et le professeur Pin.

Nous avons également simplifié le système voté par les députés en faisant de la sanction du non-respect des obligations d’une contrainte pénale un délit autonome, puni de deux ans d’emprisonnement, comme c’est déjà le cas pour les TIG. Le système figurant dans le projet de loi présentait, me semble-t-il, quelques risques constitutionnels.

Je soumettrai enfin plusieurs ajustements visant notamment à rééquilibrer les pouvoirs entre la juridiction de jugement et le juge de l’application des peines.

Je considère, pour ma part, que le juge de l’application des peines est non pas le juge qui prononce la sanction, mais celui qui décide des obligations découlant de cette sanction et vérifie leur bonne exécution.

S’agissant des aménagements de peine, nous proposons d’en revenir au droit issu de la loi pénitentiaire, c’est-à-dire à un seuil de deux ans d’emprisonnement et d’un an pour les récidivistes. En cela, je suis ce que le Gouvernement prétendait vouloir, c’est-à-dire faire une différence entre les récidivistes et les non-récidivistes.

En effet, non seulement l’abaissement du quantum proposé par le projet de loi est incohérent avec le reste du texte, mais il devrait, en outre, conduire à augmenter mécaniquement de 5 000 le nombre de peines non aménageables, ce qui n’est pas envisageable au vu de la situation actuelle de nos établissements pénitentiaires. Nous avons souvent insisté ici pour préserver cet équilibre qui me paraît bon et, sur ce point, la commission propose de rester fidèle à sa position, telle qu’elle s’est exprimée au moment du vote de la loi pénitentiaire.

Je proposerai, par ailleurs, de supprimer les articles introduits par les députés donnant – sans aucun contrôle, il faut bien le dire – de nouveaux pouvoirs à la police et à la gendarmerie : possibilité de recourir à la géolocalisation et aux interceptions de communications à l’encontre de toute personne sortant de détention sans que la finalité soit expliquée, possibilité donnée aux officiers de police judiciaire de mettre en œuvre une transaction pénale – c’est à mon avis contraire au principe de la séparation des pouvoirs – ou des alternatives aux poursuites d’office, possibilité de communiquer des documents couverts par le secret de l’enquête et de l’instruction, notamment aux conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, donc au préfet et au maire.

Le ministère de l’intérieur a confirmé, lors de mes auditions, qu’il était également défavorable à ces dispositions qui posent de nombreuses difficultés et qui, en l’état, passeraient difficilement, me semble-t-il, l’épreuve du Conseil constitutionnel.

Enfin, si, sur le principe, la commission est bien sûr favorable à la création d’une taxe de 10 % sur toutes les amendes pénales et les sanctions financières pour financer l’aide aux victimes, il existe un risque, car la nature juridique de cette majoration n’est pas claire : s’agit-il d’une taxe ou d’une sanction ? En toute hypothèse, pour éviter toute contestation sur le fondement du principe de proportionnalité, nous avons instauré un plafond. Le Gouvernement propose d’améliorer la rédaction de cet article et la commission émettra vraisemblablement demain matin un avis favorable sur cet amendement.

Mes chers collègues, je souhaite évoquer maintenant les trois articles introduits par la commission.

Il s’agit, d’abord, de la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, comme l’ont également souhaité en commission Mmes Benbassa et Cukierman dans deux amendements identiques. Ces juridictions n’ont rien apporté ; elles ne prononcent pas de sanctions plus sévères que les tribunaux pour enfants ; elles ont compliqué le travail des juridictions tout en écartant la société civile, puisque les assesseurs devant les tribunaux pour enfants en ont été exclus. Tous les magistrats, sans exception, qui ont évoqué ces juridictions à l’occasion soit des auditions sur ce texte soit du rapport sur la protection judiciaire de la jeunesse que j’ai rédigé l’année dernière se sont prononcés pour leur suppression.

Sur la rétention de sûreté ensuite, j’ai proposé un dispositif intermédiaire, assez subtil, que la commission a entériné. Dans la mesure où, à l’heure actuelle, des personnes font l’objet d’une surveillance de sûreté, il ne serait pas responsable de supprimer totalement cette mesure sans prévoir de suivi pour ces dernières. L’amendement adopté par la commission supprime la rétention de sûreté en tant que telle, mais conserve la surveillance de sûreté et crée un délit autonome pour le cas où une personne ne respecterait pas ses obligations.

Enfin, puisque la commission des lois évoque régulièrement la situation des malades mentaux en prison, nous avons souhaité intégrer le dispositif de la proposition de loi de Jean-René Lecerf relative à l’atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits, texte dont j’ai été le rapporteur et que le Sénat a voté à l’unanimité au mois de janvier 2011. Le Gouvernement a déposé un amendement sur ce sujet que la commission examinera également demain.

Je terminerai mon propos par trois remarques, avant de formuler une conclusion.

Madame le garde des sceaux, vous le savez très bien, cette loi ne servira à rien si le Gouvernement ne dégage pas les moyens nécessaires, notamment en personnels de services de probation et en juges de l’application des peines. Le Gouvernement a pris des engagements clairs dans le cadre de ce projet de loi, notamment le recrutement de 1 000 personnels supplémentaires sur trois ans, 400 ayant d’ailleurs déjà été recrutés. Il faut que ces engagements soient respectés. C’est le gage du succès de ce texte ; un échec serait absolument dramatique.

Je rappelle que, si la loi pénitentiaire est aujourd’hui peu ou mal appliquée, c’est notamment parce que les postes annoncés par le précédent gouvernement n’ont pas été créés. L’objectif affiché est de parvenir à un ratio de 40 mesures par conseiller de probation : il faut qu’il soit tenu si l’on veut que les mesures de milieu ouvert fonctionnent.

Il existe une autre condition préalable à l’application de cette loi, à savoir la rénovation des méthodes de travail des services de probation. Cette question suscite beaucoup d’inquiétude chez les personnels – je les ai tous entendus –, mais elle doit être résolue pour que la probation devienne une alternative véritablement crédible à la détention. Les personnels des services de probation sont bien sûr des fonctionnaires exerçant un service public, mais ils peuvent être aidés et accompagnés par des militants associatifs, comme c’est déjà le cas pour les fonctionnaires de la protection judiciaire de la jeunesse qui sont assistés par des associations habilitées.

Enfin – et vous l’avez évoqué au cours de votre audition devant la commission, madame le garde des sceaux –, il est nécessaire d’améliorer l’évaluation des politiques publiques en matière de sécurité. Les nombreuses lois votées au cours des dix dernières années se sont faites pratiquement « à l’aveugle », sans évaluation préalable, car notre outil d’évaluation est défaillant.

Cela est largement imputable aux outils statistiques du ministère de l’intérieur et, jusqu’à une date récente, du ministère de la justice, outils qu’il faut absolument améliorer. Le décret prévu par l’article 7 de la loi pénitentiaire, qui prévoyait une évaluation de la récidive par établissement pour peine, n’a toujours pas été publié. Néanmoins, vous avez récemment annoncé une réforme de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales et la création d’un Observatoire de la récidive et de la désistance totalement indépendant du Gouvernement. Souhaitons qu’il soit bientôt mis en place et que l’on dispose ainsi d’un système d’évaluation fiable et indépendant.

Je conclurai sur le laxisme supposé du projet de loi. Voilà un terme que je ne cesse d’entendre à la télévision ou de lire dans les journaux à propos de ce texte. Or ce qui serait laxiste, ce serait de ne rien faire, …

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