Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 24 juin 2014 à 21h30
Renforcement de l'efficacité des sanctions pénales — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest :

Certes, mais ce n’est pas tout à fait la même chose ! Les mots ont un sens.

Et les promoteurs du projet de loi d’opposer la prétendue politique du « tout-répressif » de la majorité précédente à leur humanisme de bon aloi…

L’Assemblée nationale a voté quelques incongruités, telles la transaction pénale conférée aux officiers de police judiciaire – cette mesure n’a d’ailleurs pas manqué de nous étonner –, la géolocalisation et l’interception des correspondances de personnes condamnées sortant de détention, interception de sécurité dont la nature pose question. Chers collègues, vous qui nous opposez la surveillance de sûreté, soyez extrêmement vigilants dans ce domaine ! Il y a là un petit paradoxe que les députés n’ont certainement pas vu.

En dehors de ces incongruités, quel est le fond de la réforme, dont on nous dit, bien sûr, qu’elle est ambitieuse – on dit cela de toute réforme – et qu’elle permettra à la fois de régler le problème de la surpopulation carcérale et celui de la récidive ? Il est vrai que le cœur du dispositif est constitué par l’article 8 du projet de loi, lequel prévoit l’alternative à l’emprisonnement que constitue la « contrainte pénale », notion qui, malgré nos efforts de compréhension, nous semble encore floue et sans grand contenu.

Franchement, par rapport à l’actuel article 131-3 du code pénal, quoi de nouveau sous le soleil ? Et je ne vous cite pas les peines alternatives à l’emprisonnement, très diverses, qui figurent dans les articles suivants du code pénal ! Aussi, je ne vous infligerai pas la lecture de la sous-section 2 du titre III, intitulé « Des peines », que vous connaissez sans doute par cœur.

En outre, le code pénal, même révisé – j’ai participé à cette entreprise à l’époque –, se garde bien de donner une définition de la peine. Pour sa part, ce projet de loi – bavard, comme tant d’autres – n’a pas résisté à la tentation d’une définition, laquelle devrait plutôt se trouver dans des essais ou des ouvrages de philosophie… D’ailleurs, cette définition ne permet pas de bien distinguer le but de la peine de sa fonction. Tout en reconnaissant à la victime un zeste de droits supplémentaires, le texte mélange la sanction nécessaire et l’individualisation pour permettre le retour dans la société de celui qui a enfreint l’une des règles essentielles que le code pénal sanctionne.

Pour en revenir au centre du débat, et même si je ne suis aucunement d’accord avec vous, monsieur le rapporteur, je reconnais que vous suivez la logique initiale du texte, ayant bien conscience que la contrainte pénale est un succédané du sursis avec mise à l’épreuve et non pas une sanction autonome. Aurez-vous le courage de nous dire que l’emprisonnement ne s’applique plus à des délits punis de cinq ans d’emprisonnement – vous l’avez certes, monsieur le rapporteur, limité à quelques délits –, et pourquoi pas ultérieurement à des délits punis de dix ans d’emprisonnement ? Je résiste à la tentation de vous citer certains de ces délits, notamment ceux contre les personnes qui seraient concernées.

En dehors de ce point crucial, qui ne saurait entraîner notre adhésion à votre projet – et je vous démontrerai qu’il n’en est nul besoin pour éviter le tout-carcéral –, vous reprochez que l’on distingue le sort réservé aux récidivistes et aux primo-délinquants. Toutes les dispositions du projet de loi veulent d’ailleurs contraindre le juge à motiver une sanction d’emprisonnement, car si certains sont adeptes des peines planchers, il semble que d’autres soient adeptes des peines plafonds.

Je rappelle que les peines planchers ont été validées par le Conseil constitutionnel. Si cela ne veut rien dire pour M. Jean-Pierre Michel, pour ma part, je respecte les décisions du Conseil constitutionnel. Les peines planchers n’entravaient en rien la personnalisation de la peine et il est évident que les juges ont utilisé la peine minimale de façon mesurée et justifiée. Je vous renvoie aux chiffres de la Chancellerie, madame le garde des sceaux.

C’est un a priori idéologique qui guide votre démarche, plus qu’une véritable politique de lutte contre la récidive. J’en veux pour preuve l’extraordinaire article 3 du projet de loi, qui vise à obliger le juge à motiver spécialement sa décision de prononcer une peine d’emprisonnement – heureusement, et j’y reviendrai, l’impossibilité matérielle permet au juge de faire ce qu’il veut. Pourtant, le juge, conscient de ses responsabilités, ne fait qu’appliquer le code pénal. Quelle méfiance envers les juges ! Un certain nombre d’entre eux s’en sont, à juste titre, émus.

En matière de procédure pénale, tout projet de loi est révélateur d’une politique et n’en est que la traduction juridique. Outre la complication extrême du dispositif qui repose largement sur le juge de l’application des peines – vous en avez d'ailleurs modifié certains aspects qui posaient problème –, il n’a qu’un seul objectif, sous-entendu : lutter contre la surpopulation carcérale – certains diraient « vider les prisons ».

D’ailleurs, je n’aime pas les comparaisons internationales. En effet, si les exemples donnés de certaines politiques pénales d’Europe du Nord font rêver puisque l’on y ferme apparemment les prisons, on oublie de dire que le taux de récidive n’y est pas si faible qu’on le prétend. Il faut toujours relativiser. Il est vrai que les prisons d’Europe du Nord que j’ai visitées ont une dignité que peu de nos établissements pénitentiaires possèdent.

Si le Sénat n’a cessé d’affirmer depuis la commission d’enquête sur les prisons de 2000, et surtout à l’occasion du vote de la loi pénitentiaire de 2009, que les courtes peines d’emprisonnement étaient peu efficaces et même plutôt nuisibles, qu’elles étaient plutôt facteur de récidive que d’amendement, la vraie question qui se pose est de savoir pourquoi la loi n’est pas appliquée ou est peu appliquée !

L’article 65 de la loi pénitentiaire complétant l’article 132–24 du code pénal, cité précédemment par le président de la commission, Jean-Pierre Sueur, prévoit effectivement que les peines d’emprisonnement sans sursis ne peuvent être prononcées qu’en dernier recours. Tout est là ! Pourquoi vouloir inventer quelque chose de nouveau alors que nous disposons déjà de tous les outils juridiques permettant de ne pas incarcérer des primo-délinquants, et ce, madame le garde des sceaux, jusqu’à deux ans d’emprisonnement ? Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi les députés ont décidé de réduire cette durée à un an et six mois d’emprisonnement. J’aimerais bien que quelqu’un m’explique la cohérence de cette décision !

Je rappelle que le code de procédure pénale prévoit que les condamnés libres bénéficient, dans la mesure du possible et si leur personnalité ou leur situation le permettent, de mesures d’aménagement de peine : la semi-liberté, le placement à l’extérieur, le placement sous surveillance électronique, le fractionnement ou la suspension de peine, la libération conditionnelle ou la conversion de la peine en travail d’intérêt général. Il en est de même pour les personnes déjà incarcérées. Et cela pour toutes les peines prononcées de moins de deux ans. Certains avaient voulu, à une certaine époque, réduire cette durée, mais le Sénat s’était battu pour la maintenir

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion