Madame la garde des sceaux, le texte que vous avez initié constitue un tournant au regard d’une philosophie de la justice aspirant à préserver la touche d’humanité tout en palliant l’indifférence aux oubliés de l’histoire, une philosophie qui est aussi indignation et exigence de défendre les droits des plus démunis, avec et pour eux.
Si le projet de loi dont nous débattons réussit à traverser dignement une atmosphère politique qui est plus à la polémique qu’à la reconstruction sociale positive, il contribuera à faire de la compassion, comme le soulignait Rousseau dans Émile, non pas une faible commisération, mais une force susceptible d’irriguer les liens sociaux. Aussi bien Rousseau que Ricœur réhabilitent en effet la compassion comme composante du lien social, démontrant la force de ce sentiment, loin de tout éphémère sentimentalisme comme de tout stérile apitoiement.
Madame la garde des sceaux, votre texte, même incomplet, porte haut l’humanisme qui a longtemps été celui de notre pays, mais que certains de ses dirigeants tendent parfois à oublier, soumis à la course aux informations rapides et sensationnelles des médias, adeptes d’une philosophie du smartphone et du tweet qui serait, selon le flot du jour, à même de dicter décisions importantes et mesures prêtes à l’emploi ; telle cette utopie de la « tolérance zéro » à l’insécurité, dans un monde d’humains vulnérables et faillibles !
Avec ce texte, nous nous ouvrons aussi au care anglo-américain, tel qu’analysé par Joan Tronto. Selon elle, le care permet la « transformation de la pensée sociale et politique, en particulier de la façon que nous avons de traiter les autres ». C’est à partir de sa pratique que se révèlent le mieux les ressources de la compassion pour tisser des liens sociaux plus soucieux des besoins des plus démunis et plus ambitieux dans la défense de leurs droits. C’est en prenant au sérieux les pratiques du care et en les considérant dans toute leur envergure que s’en manifeste la puissance intégrative. À cet égard, votre texte est parfaitement réaliste, madame la garde des sceaux.
Nous, écologistes, sommes heureux et honorés d’examiner avec vous toutes et tous ce projet de loi relatif à l’individualisation des peines et à la prévention de la récidive, qui nous permet d’être les acteurs d’un tournant décisif. Il était temps de mettre fin à l’aberration des peines planchers, ainsi qu’à la révocation automatique du sursis simple et du sursis avec mise à l’épreuve.
La contrainte pénale, l’une des mesures phares de ce projet de loi, a certes réveillé les démons les plus puissants de notre imaginaire pénal. Pourtant, au printemps, la conférence de consensus sur la prévention de la récidive a démontré, chiffres à l’appui, que, pour les petites infractions, la récidive était plus faible après une peine de probation en liberté qu’après un séjour en prison.
L’enfermement à tout prix serait-il donc le seul horizon possible de la peine ? Et pourquoi la peine de probation serait-elle un cadeau fait aux délinquants ? Pourtant, Nicole Maestracci, magistrate, présidente du comité d’organisation de la conférence de consensus, a insisté sur le fait que la peine de probation était « une peine à part entière », ajoutant qu’il convenait de sortir de l’idée selon laquelle les peines en milieu ouvert seraient plus douces que l’enfermement.
Et comme l’écrit Denis Salas : « Cette peine s’inscrit complètement dans la philosophie de la réhabilitation. » Punir, c’est d’abord réinjecter dans l’individu coupable des normes sociales et non morales. La psychanalyse nous a appris que l’on ne pouvait pas éradiquer le désir du mal et qu’il était vain d’espérer rendre le délinquant plus vertueux, mais qu’il était possible d’essayer de l’insérer dans la société et de l’empêcher de devenir pire, comme c’est le cas, justement, dans ces prisons où les petits délinquants fréquentent des bandits d’envergure ou des djihadistes, dans une promiscuité extrême et dans l’abandon à soi-même.
Il s’agit non plus d’entretenir une société sondagière et vengeresse de l’utopie sécuritaire et du populisme pénal, mais de travailler à l’avènement d’une société apaisée qui participe activement à la mise en œuvre de la sanction. En fait, selon Denis Salas, le droit à la probation dit au coupable : « Tu seras puni, mais tu gardes ta place parmi nous. »