Intervention de Catherine Tasca

Réunion du 25 juin 2014 à 14h45
Renforcement de l'efficacité des sanctions pénales — Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte dont nous sommes saisis aujourd’hui a pour objet premier de renforcer l’efficacité réparatrice de la sanction pénale pour la société. Mais, sous votre impulsion, madame la ministre, une visée symbolique lui a également été donnée : il tend à changer notre regard, à promouvoir une autre approche de la délinquance et de la prison, une autre ambition pour le triptyque sanction-réinsertion-prévention de la récidive. Il traduit la nouvelle orientation de la politique pénale voulue par notre majorité.

Ce projet de loi résulte d’un long travail de concertation associant tous les acteurs de la mise en œuvre de la politique pénale. Les travaux préparatoires ont commencé bien en amont, avec la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, présidée par Mme Nicole Maestracci et qui a recommandé de repenser la politique pénale en l’orientant vers la limitation du recours à l’incarcération et le développement des mesures d’aménagement des peines.

Le projet de loi est à l’évidence fidèle à l’esprit des conclusions de la conférence de consensus. Face à la croissance constante du nombre de détenus, la politique pénale doit absolument évoluer. Les personnes que nous avons auditionnées ont été unanimes sur ce point.

M. Robert Badinter a insisté sur le fait que le taux d’incarcération traduit la réussite ou l’échec de la politique pénale. De 2002 à 2012, le nombre de détenus a augmenté de 35 %, ce qui révèle l’échec de la politique pénale du « tout carcéral » menée par la majorité précédente, exception faite de la loi de 2009, et défendue à l’instant par notre collègue Pierre Charon.

La peine de prison constitue la norme aujourd’hui, alors même qu’elle reste souvent inexécutée. Or force est de constater les effets néfastes de l’incarcération, en particulier sur les personnes condamnées à de courtes peines. Loin de leur permettre de s’amender, la prison leur ouvre trop souvent la voie de la récidive et de la criminalité. Quand le recours à la détention est nécessaire – et il l’est forcément dans bien des cas –, il faut absolument garantir, comme l’a souligné notre collègue Jacques Mézard, des conditions de détention respectueuses de la dignité des personnes détenues et préparer la sortie dès le début de l’incarcération, afin d’éviter les sorties « sèches ».

C’est avec ce souci du respect de la dignité des personnes condamnées que j’ai défendu la proposition de loi modifiant la loi du 30 octobre 2007 instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté, adoptée à l’unanimité par le Sénat le 15 mai dernier. Renforcer les pouvoirs du contrôleur général des lieux de privation de liberté, c’est veiller au respect de la dignité des personnes condamnées et aux bonnes conditions de travail des personnels pénitentiaires. C’est ainsi favoriser la réinsertion sociale et diminuer le risque de récidive. Les constats et les réflexions de M. Jean-Marie Delarue doivent maintenant nourrir nos nouvelles propositions.

Les peines d’emprisonnement prononcées arrivant toutes un jour à leur terme, la société a la responsabilité de prévenir efficacement la commission de nouvelles infractions. En ce sens, le présent projet de loi a le mérite d’aborder de front le problème de la récidive, en se focalisant sur les délits et sur les courtes peines.

Pour ces cas, force est de constater que la prison ne peut qu’aggraver le risque de récidive. Nul ne saurait, de bonne foi, taxer de laxisme ceux qui proposent de favoriser les peines alternatives à l’incarcération ou les aménagements de peines. Il est de la responsabilité de l’État de faire le nécessaire pour remplir son devoir de protection du citoyen, en dehors de toute considération démagogique. De ce point de vue, ce projet de loi est un texte courageux et responsable.

Je ne reviens pas sur l’architecture du texte ni sur l’analyse des articles, parfaitement présentés par Mme la garde des sceaux et M. le rapporteur. Je soulignerai plutôt les apports, qui me semblent essentiels, du travail parlementaire, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Je salue particulièrement le travail très approfondi effectué par notre rapporteur, M. Jean-Pierre Michel.

Le texte met très justement l’accent sur l’indispensable individualisation des peines prononcées et sur le renforcement du contrôle et du suivi des personnes effectuant leur peine.

L’innovation principale de ce projet de loi réside dans la création d’une nouvelle peine de contrainte pénale, alternative nécessaire à l’incarcération, qui permettra un suivi renforcé des personnes condamnées. À cet égard, je salue l’initiative de l’Assemblée nationale, qui a étendu à tous les délits l’application de cette nouvelle peine à compter de 2017.

Sur l’initiative du rapporteur, la commission des lois du Sénat a fait un pas supplémentaire dans cette direction en adoptant un amendement visant à faire de la contrainte pénale la peine principale encourue pour une liste restreinte de délits, excluant les atteintes à l’intégrité physique des personnes. Dans ces cas, la peine d’emprisonnement n’a pas véritablement de sens.

L’instauration d’une procédure d’examen obligatoire de la situation des condamnés aux deux tiers de la peine est une autre mesure forte de ce texte. Cet examen permettra d’apprécier s’il y a lieu ou non de faire bénéficier les détenus d’une mesure de sortie encadrée. À tous les niveaux, les services pénitentiaires d’insertion et de probation, dont je tiens à saluer l’action au cœur de notre système pénal, seront les pivots de la réforme, eu égard à leur rôle en matière de suivi et d’accompagnement des condamnés.

Par ailleurs, le texte renforce les pouvoirs de police et de gendarmerie en matière de contrôle des personnes placées sous main de justice. Il s’attache également à renforcer les droits des victimes.

Le travail de la commission des lois du Sénat a permis de nombreuses avancées. Elle a supprimé les dispositions autorisant la police et la gendarmerie à recourir à la géolocalisation et à des interceptions de communications en dehors de tout cadre d’enquête portant une atteinte disproportionnée aux libertés individuelles, que notre assemblée a le souci constant de défendre.

Lors des auditions menées par la commission, la quasi-totalité des experts que nous avons entendus ont insisté pour que la rétention de sûreté soit supprimée : c’est ce que nous proposons. La surveillance de sûreté, quant à elle, est heureusement maintenue.

Notre rapporteur propose également la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, instaurés par la loi du 10 août 2011 et dont le fonctionnement n’a donné satisfaction à personne.

Enfin, la commission donne suite à la proposition de loi adoptée à l’unanimité par le Sénat le 25 janvier 2011, issue des travaux de la mission d’information sur la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions. Il s’agit de reconnaître explicitement l’altération du discernement comme facteur d’atténuation de la responsabilité, et donc de la peine, tout en renforçant les garanties relatives au respect de l’obligation de soins pendant et après la détention.

Je souhaite insister sur les aménagements de peines. La commission des lois a choisi, contrairement à ce qui était prévu dans le texte initial, de s’en tenir au droit actuel, issu de la loi pénitentiaire de 2009, en accord avec l’esprit du projet de loi, qui vise à favoriser les aménagements de peines, plutôt que d’en restreindre la possibilité. Cependant, il est nécessaire à mon avis de conserver les améliorations apportées par l’Assemblée nationale visant à réduire les différences entre les régimes applicables respectivement aux récidivistes et aux primo-délinquants, les premiers étant, en tout état de cause, condamnés à des peines plus lourdes que les seconds. J’y reviendrai en défendant un amendement.

Enfin, je présenterai un amendement tendant à renforcer le dispositif des travaux d’intérêt général, qui est l’un des pivots de la nouvelle peine de contrainte pénale et dont il faut donc assurer le développement.

Dans toutes ces dispositions, le texte respecte totalement la liberté du juge, tant pour le prononcé d’une sanction individualisée que pour l’exécution de celle-ci. Bien sûr, il conviendra de veiller tout particulièrement à ce que les moyens de la justice soient à la hauteur de cette volonté de réorientation de la politique pénale.

Les objectifs de ce texte sont donc justes. Il prolonge le travail accompli au travers de la loi pénitentiaire de 2009. Il permet en outre de dépasser l’opposition traditionnelle et caricaturale entre politique sécuritaire et politique dite « laxiste ». §

Après avoir apprécié et accompagné le travail que vous avez accompli, madame la garde des sceaux, nous serons à vos côtés pour faire en sorte que votre ambition ne reste pas lettre morte. Nous voterons donc ce texte avec conviction. §

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