Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 25 juin 2014 à 14h45
Renforcement de l'efficacité des sanctions pénales — Article 5

Christiane Taubira, garde des sceaux :

Le Gouvernement émet également un avis défavorable.

Monsieur Détraigne, vous avez raison, les magistrats ont, dans les toutes premières années, massivement appliqué les peines planchers, puis ils ont fait de gros efforts pour y déroger. L’objectivité avec laquelle ils jugent les a conduits à considérer que, dans bien des cas, l’application de la peine plancher ne convenait pas. Comme M. le rapporteur vient de le rappeler, les magistrats ont parfois eu recours au sursis avec mise à l’épreuve pour éviter le prononcé d’une peine plancher.

Cela étant – je l’ai déjà dit il y a quelques instants –, les peines planchers entravent l’individualisation des peines, dans le principe et dans la pratique. C’est absolument incontestable ! J’en reviens à l’article 132-19-1 du code pénal relatif aux peines planchers, introduit par la loi de 2007, que je cite à l’intention de M. Bas et qui vient aussitôt après le tableau des peines planchers : « Par décision spécialement motivée, la juridiction peut toutefois prononcer une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure aux seuils prévus par le présent article si le prévenu présente des garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion. » Or, je le répète, le public qui est visé par le projet de loi et qui a besoin d’être accompagné ne présente précisément pas ces garanties exceptionnelles.

Souvenons-nous que les peines planchers ont plus que triplé, bondissant de 14 % à 44 % ! Qu’en est-il résulté ? La principale conséquence a été la surpopulation carcérale, au titre des courtes peines. Or, en pareil cas, il est impossible de préparer la sortie de prison, précisément parce que le temps est trop court. Qui plus est, les personnes concernées sont encore plus désocialisées, du fait de leur passage en prison. J’ai déjà cité ces chiffres hier en ouvrant la discussion générale : 7 % des personnes qui entrent en prison sont sans domicile fixe et 14 % des personnes qui en sortent sont sans solution d’hébergement. Il faut tenir compte de cette réalité !

Autrement dit, nous devons nous poser la question suivante : l’objectif affiché, à savoir la lutte contre la récidive, a-t-il été servi par les peines planchers ? Non seulement tel n’a pas été le cas, mais les peines planchers ont eu l’effet inverse, notamment sur les petits délits, punis de moins de trois ans d’emprisonnement. J’ai cité hier le chiffre de 47 %.

Ces peines ont aggravé la surpopulation carcérale et donc entravé la lutte contre la récidive. Voilà pourquoi elles ont eu un effet pervers. Elles ont trahi l’intention du législateur.

Répétons-le, le législateur voulait lutter contre la récidive, mais, en réalité, il a mis en place un dispositif qui, en augmentant considérablement la population carcérale – cette dernière a crû de 35 % en dix ans –, a contrecarré tout ce qui pouvait être fait sur ce front au sein des établissements pénitentiaires.

Voilà pourquoi nous affirmons qu’il est nécessaire de supprimer les peines planchers. J’ajoute qu’il ne s’agit pas de les abroger purement et simplement. Le présent texte met à la disposition des magistrats un arsenal comprenant notamment la contrainte pénale, qui permettra d’assurer le suivi le plus individualisé possible. Il pourra être adapté, ajusté. À ce jour, nous ne disposons pas, dans le code pénal, d’un semblable instrument.

À l’avenir, ce suivi sera ajusté et évalué – c’est là une obligation. Ainsi, nous instaurons de meilleures assurances pour la réinsertion de personnes que l’on incarcérait précisément faute de pouvoir apporter ces garanties exceptionnelles.

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