Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, hormis l'objectif de dépenses de la branche vieillesse, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 ne consacre qu'un seul article aux retraites. Mais cette unique disposition constitue, à mes yeux, la grande et même la vraie réforme que la commission des affaires sociales réclame depuis des années pour mettre fin au recours massif aux préretraites.
Conformément aux engagements pris pendant la campagne électorale, le Président de la République a décidé de mettre un terme à une politique malthusienne qui a totalement échoué : celle qui consiste à généraliser les cessations précoces d'activité pour les seniors.
Ce texte nous propose donc de pénaliser lourdement, sur le plan financier, les préretraites d'entreprise ainsi que les mises à la retraite d'office. Il était grand temps, car ces mécanismes ont littéralement torpillé la réforme des retraites de 2003 et expliquent, pour une bonne part, l'ampleur des déficits actuels de la branche vieillesse.
Nous avions pourtant essayé d'endiguer ce flux : l'an dernier, le Sénat s'était prononcé à l'unanimité contre la prorogation des avantages sociaux accordés aux mises à la retraite d'office, ce qui n'avait malheureusement pas empêché que la version définitive de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 impose leur maintien, sous une autre forme, jusqu'en 2014. J'en conclus que nous avions simplement eu raison trop tôt.
Cela étant, quelle est la situation de la branche vieillesse ? Selon moi, elle est paradoxale. En dépit de la réforme de 2003, son déficit s'est nettement creusé depuis quatre ans. Alors que ce dernier était de 1, 9 milliard d'euros en 2006, il s'élève à 4, 7 milliards d'euros en 2007 et devrait atteindre 5, 7 milliards d'euros en 2008.
Cette évolution défavorable ne s'explique pas uniquement par le facteur démographique lié aux départs en retraite massifs des premières classes d'âge du baby-boom d'après-guerre.
À mon sens, la principale explication est ailleurs. Le succès de la réforme de 2003 supposait, en réalité, la mobilisation de tous les acteurs du monde du travail et l'appel à leur esprit de responsabilité. Or la faiblesse persistante du taux d'emploi des seniors montre la limite de l'exercice, comme vous l'avez d'ailleurs dit vous-même, madame la secrétaire d'État.
En fait, cette réforme a été confrontée à des obstacles imprévus et considérables. Tout d'abord, la conjoncture économique s'est avérée moins favorable que prévu et la diminution du chômage a été plus tardive que nous ne l'espérions. Ensuite, une accumulation de mesures ponctuelles a, au fil du temps, érodé les équilibres financiers de l'assurance vieillesse.
Tous ces éléments font qu'avec le recul - mais c'est toujours plus facile à dire après - il n'aurait pas fallu limiter l'horizon de la réforme à 2020.
J'ajoute que nous devons aussi avoir la lucidité d'aborder certaines questions dérangeantes. Je veux parler ici du coût, beaucoup plus important que prévu, de la mesure concernant les carrières longues, qui représente plus de 2, 3 milliards d'euros chaque année pour le seul régime général.
Est-ce soutenable encore longtemps ? Je n'en suis pas convaincu, d'autant que ce dispositif a été partiellement détourné de son esprit initial. On constate ainsi que les assurés sociaux ont racheté leurs années de cotisations incomplètes ou d'études pour pouvoir accéder à ce dispositif, ce qui n'avait jamais été envisagé à l'origine.
Enfin, nous le savons tous, la politique de promotion de l'emploi des seniors amorcée par les pouvoirs publics à partir de 2003 a été largement vidée de son contenu par les accords conventionnels signés par les partenaires sociaux. Une multitude de dispositifs de cessation précoce d'activité fonctionnent toujours à plein régime et contournent totalement l'esprit de la réforme.
La France reste donc la lanterne rouge en Europe dans ce domaine. Le taux d'emploi des seniors stagne même depuis quatre ans pour les femmes et baisse encore un peu plus pour les hommes.
Il faut donc se féliciter de voir le projet de loi de financement de la sécurité sociale rompre avec l'hypocrisie et les pratiques du passé. La commission des affaires sociales vous proposera d'ailleurs d'aller au-delà des dispositions qu'il propose.
Cela étant, je m'inquiète d'une autre dérive potentielle, liée aux négociations en cours entre les syndicats et le patronat sur la pénibilité. Cette notion est difficile à cerner. La logique voudrait d'ailleurs qu'elle soit prise en compte et compensée durant la vie active, par le salaire et l'amélioration des conditions de travail, et non au moment de la cessation d'activité.
Je vois dans cette négociation un risque élevé de création d'un nouveau mécanisme de préretraite, au moment même où la question de la soutenabilité financière du dispositif des carrières longues est posée.
Telle est la situation. Elle conduit à conclure qu'un ajustement important s'imposera l'an prochain, ne serait-ce que pour préserver le pacte entre les générations.
Monsieur le ministre, la commission des affaires sociales entend participer activement à la prochaine réforme des retraites en agissant comme une force de proposition. Depuis plus d'un an, nous nous sommes préparés à l'échéance de 2008 et nous avons conclu, à travers plusieurs rapports, à la nécessité de prendre différentes mesures.
Premièrement, il convient de mettre en oeuvre rapidement un ensemble de mesures d'économies.
Deuxièmement, on ne doit pas surestimer les excédents potentiels de l'assurance chômage ou la productivité future de notre économie ; c'est d'ailleurs le reproche que nous avons adressé au dernier rapport du COR dont le scénario s'appuie systématiquement sur l'aspect le plus favorable de chaque paramètre. Ce n'est pas réaliste.
Ttroisièmement, il faut préparer la réforme suivante, celle de 2012, pour qu'elle soit structurelle, fondée, par exemple, sur les comptes notionnels suédois.
Quatrièmement, il faut s'attacher à bien cibler les catégories d'assurés sociaux susceptibles d'être mis à contribution. Les jeunes générations et les actifs du secteur privé ont déjà assumé la charge principale des réformes précédentes. Au contraire, les trois fonctions publiques n'y ont contribué que depuis 2003, et encore de manière très progressive.
Or, on le sait, les fonctionnaires pourraient représenter en 2020 plus de 60 % des besoins de financement de la branche vieillesse, c'est-à-dire trois fois leur part relative dans la population active. C'est donc sur ce point qu'il faudra à mon avis faire porter l'effort principal.
À court terme, un retour à l'équilibre des comptes impliquera d'adopter des mesures courageuses sur le plan financier.
Nous proposons ainsi d'accélérer la mise en oeuvre des mesures d'économies, à commencer par la décote dans la fonction publique qui, à nos yeux, devrait être pleinement effective dès 2012, et non en 2015.
Nous estimerions imprudent d'engager de nouvelles dépenses au-delà des mesures en faveur du minimum vieillesse et des pensions de réversion annoncées par le Président de la République pendant la campagne électorale.
Il faudrait aussi contrôler le dispositif des carrières longues et peut-être envisager de n'en ouvrir le bénéfice qu'à partir de l'âge de cinquante-huit ans.
Enfin, il paraît indispensable, d'une part, de repousser à cinquante-huit ans l'âge auquel les chômeurs sont dispensés de recherche d'emploi, cette mesure devant ensuite être supprimée d'ici cinq à dix ans, et, d'autre part, de demander un nouvel effort aux assurés sociaux sous la forme d'un report à soixante et un ans de l'âge « normal » de départ en retraite. Je mets tous les guillemets nécessaires autour du mot « normal », car nous savons bien qu'actuellement cette normalité est parfaitement extraordinaire.
Une autre option pour l'allongement des carrières pourrait consister à remplacer l'âge légal de la retraite par une fourchette d'âge, comprise, par exemple, entre soixante et soixante-cinq ans, sur la base d'un barème actuariel, comme cela se fait à l'étranger, notamment en Suède.