Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, alors que je me propose d'examiner avec vous la situation de la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale, je constate que ce domaine n'intéresse plus les sénateurs du groupe socialiste et du groupe CRC, qui ont quitté l'hémicycle alors qu'était abordé un sujet tout de même primordial et semblant jusqu'à présent « dans leurs cordes » !
La branche accidents du travail et maladies professionnelles, dite « branche AT-MP », est la plus petite des quatre branches : ses dépenses devraient s'élever, en 2008, à environ 11, 8 milliards d'euros, dont 10, 5 milliards d'euros pour le régime général, ce qui représente seulement 3 % des dépenses totales de sécurité sociale. Cela ne signifie cependant pas que les risques professionnels soient des questions marginales.
Les statistiques récentes confirment les tendances contrastées précédemment observées.
D'un côté, le nombre d'accidents du travail, qui a déjà baissé de 16 % entre 2000 et 2006, continue de diminuer. Le seul bémol porte sur les accidents de trajet, à l'origine d'un accident mortel sur cinq, qui progressent depuis deux ans. Je crains d'ailleurs que cette tendance ne soit renforcée par la mise en place des Vélibs à Paris, compte tenu de la façon de conduire de certains utilisateurs, dont quelques-uns se rendent sans doute à leur travail !
De l'autre côté, le nombre de personnes reconnues atteintes de maladies professionnelles est toujours en augmentation.
Les cas sont concentrés sur un petit nombre de pathologies : ainsi, 70 % des malades sont atteints d'affections périarticulaires, causées par des gestes ou des postures de travail, et 14 % par des maladies de l'amiante. Les secteurs du bâtiment et des travaux publics, du bois- ameublement et de la chimie accusent la plus grande proportion d'accidents du travail et de maladies professionnelles.
Cette analyse des risques m'amène à vous présenter les principales données financières de la branche AT-MP.
Les prévisions favorables que je vous avais exposées l'année dernière ne se sont malheureusement pas tout à fait vérifiées. On espérait un retour à l'équilibre en 2007 ; le déficit avoisinera en réalité 370 millions d'euros.
Cette erreur de prévision s'explique par une sous-estimation des dépenses et par un excès d'optimisme quant aux recettes. La branche AT-MP n'avait en particulier pas anticipé correctement la progression rapide des dépenses d'indemnités journalières qui a été observée cette année.
Les comptes de 2007 ont également été dégradés par une mesure de provisionnement des déficits accumulés par le FCAATA, le Fonds de cessation anticipée d'activité des salariés de l'amiante, pour un montant de 170 millions d'euros.
Au cours des deux dernières années, ce fonds n'a pas disposé de ressources suffisantes pour faire face à ses obligations, ce qui a obligé la branche AT-MP à lui consentir des avances ; mais la Cour des comptes ayant douté du remboursement de ces avances, elle a demandé que ces dernières soient comptabilisées comme des charges de la branche.
Cela étant, l'assainissement financier devrait finalement intervenir en 2008 : la branche dégagerait l'an prochain un excédent de 273 millions d'euros, essentiellement grâce à l'amélioration de ses recettes.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit en effet de rétablir les cotisations AT-MP dont les entreprises pouvaient être dispensées au titre de certaines exonérations de charges sociales.
Cette mesure ne concerne pas l'allégement « Fillon », mais elle touche les dispositifs « ciblés » applicables à certains salariés ou sur certaines parties du territoire, les zones franches urbaines ou les zones de revitalisation rurale, par exemple.
On en attend 320 millions d'euros de recettes supplémentaires versées par les entreprises. L'État économisera 140 millions d'euros, puisqu'il n'aura plus à compenser une partie de ces exonérations à la sécurité sociale, et la branche AT-MP disposera de 180 millions d'euros de ressources supplémentaires, au titre des exonérations jusqu'ici non compensées.
La commission des affaires sociales considère que la suppression de ces exonérations est cohérente avec la logique d'incitation à la prévention que vous avez évoquée tout à l'heure, madame la secrétaire d'État, et qui sous-tend le calcul des cotisations AT-MP.
En effet, leur montant varie en fonction du nombre d'accidents du travail et de maladies professionnelles recensés dans l'entreprise au cours des trois dernières années. L'incitation à la prévention disparaît, on le comprend aisément, si les entreprises sont exonérées de ces cotisations.
J'en viens aux transferts à la charge de la branche, qui vont augmenter de 50 millions d'euros l'an prochain au profit du FCAATA, dont la situation financière reste très dégradée en raison notamment du faible rendement de la contribution à la charge des entreprises ayant exposé leurs salariés à l'amiante.
Cette contribution devrait rapporter moins de 30 millions d'euros l'an prochain, en dépit de la décision que le Sénat a prise l'an dernier de porter son plafond de 2 millions d'euros à 4 millions d'euros. Ce faible rendement s'explique par les nombreux recours en justice lancés par les entreprises, recours qui ont pour effet de différer ou de diminuer leurs versements.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner des précisions sur le groupe de travail chargé de réfléchir à la réforme du FCAATA dont Xavier Bertrand envisage, comme Mme la secrétaire d'État le disait tout à l'heure, la création ?
Pour conclure sur ce point, je regrette que la contribution de l'État au financement des fonds de l'amiante ne soit pas encore à la hauteur de ses responsabilités. En 2005, la mission sénatoriale d'information dont j'avais l'honneur d'être le rapporteur avait demandé que l'État assume 30 % du financement de ces fonds, ce qui allégerait la charge de la branche AT-MP.
Vous êtes chargé, monsieur le ministre, des comptes publics, et permettez-moi de regretter que l'État n'ait pas consenti, jusqu'ici, d'effort budgétaire en ce sens. Sans doute l'examen du projet de loi de finances pour 2008 nous donnera-t-il l'occasion de faire le point sur cette question. Certes, nous savons que les sommes en jeu sont importantes, mais il conviendrait que les efforts déjà entrepris soient menés jusqu'au bout.
Le deuxième volet de mon propos portera sur les initiatives prises au cours de l'année écoulée en matière de prévention des risques professionnels.
Ces initiatives démontrent que ce dossier reste une priorité pour les pouvoirs publics, notamment pour le ministère du travail.
Le Gouvernement a d'abord décidé de poursuivre la mise en oeuvre du plan « santé au travail » lancé par Gérard Larcher en février 2005.
L'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, l'AFSSET, grâce aux moyens qui lui ont été alloués, est désormais opérationnelle. Elle a rendu en avril 2007 un premier avis consacré aux fibres minérales artificielles, dont certaines présentent des caractéristiques physiques proches de celles de l'amiante. Elle recommande d'améliorer la traçabilité de l'exposition des salariés à ces substances et de renforcer les normes de protection. Il serait intéressant que le Gouvernement nous indique s'il compte donner des suites à cet avis.
Ensuite, dès sa prise de fonctions, Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, a souhaité donner une nouvelle impulsion à la politique de prévention.
La conférence sur les conditions de travail, qui s'est tenue le 4 octobre dernier et dont notre collègue Gérard Larcher était le rapporteur, a permis de lancer des actions concrètes.
Il serait trop long de dresser la liste exhaustive des initiatives qui ont été annoncées ; je soulignerai simplement que la commission des affaires sociales approuve l'attention portée à la prévention des troubles psychosociaux, dont plusieurs suicides dans de grandes entreprises ont récemment révélé l'ampleur.
Pour lutter plus efficacement contre ces troubles, il est en effet prévu de transposer, par la voie de la négociation, deux accords européens consacrés, l'un, à la lutte contre le harcèlement et la violence au travail, l'autre, au stress. Pour approfondir notre réflexion, le ministre vient par ailleurs de confier une mission sur ce sujet à deux experts.
L'année 2007 a enfin été marquée par l'achèvement de la négociation engagée par les partenaires sociaux à la fin de 2005 sur la réforme de la branche AT-MP. Deux accords ont été conclus : le premier, en février 2006, porte sur la gouvernance de la branche, le second, en mars 2007, sur la prévention, la tarification et la réparation des risques professionnels.
Le premier accord réaffirme le caractère strictement paritaire de la gestion de la branche et prévoit d'inscrire dans les textes la règle tacite selon laquelle la présidence de la commission AT-MP de la Caisse nationale d'assurance maladie revient à un représentant des employeurs.
Dans un premier temps, il avait été envisagé de faire figurer dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale un article reprenant les conclusions de cet accord, mais cette option a été abandonnée après que le Conseil d'État a fait observer l'absence d'impact financier de cette mesure.
Le second accord tend à renforcer les actions destinées aux PME et aux très petites entreprises en matière de prévention, à réaliser une étude de faisabilité sur la possibilité d'inclure dans le dossier médical personnel des fiches d'exposition professionnelle et de faire bénéficier, à titre expérimental, les salariés des particuliers employeurs d'un suivi médical adapté.
En matière de tarification, il vise surtout à ramener de 200 à 150 salariés le seuil d'application de la tarification individuelle.
En matière de réparation, il prévoit de maintenir le principe d'une réparation forfaitaire, qui serait cependant améliorée et individualisée. La rente des victimes d'AT-MP serait majorée en cas de recours à l'assistance d'une tierce personne, la prise en charge des frais d'appareillage serait renforcée et une allocation temporaire de réinsertion professionnelle serait créée, sous réserve d'une étude de faisabilité.
Si cet accord contient indéniablement des propositions intéressantes, il laisse cependant en suspens certaines questions importantes, et on peut le regretter.
Ainsi, la nécessaire réforme de la tarification, dont chacun connaît pourtant la complexité et le manque de réactivité, est simplement esquissée.
Ensuite, il est prévu de soumettre plusieurs propositions importantes à des études de faisabilité, qui risquent de donner lieu à des interprétations diverses.
Enfin, l'amélioration de la réparation est conditionnée à « la capacité de la branche de les financer ». Cette formulation laisse entendre qu'elle devrait être mise en oeuvre à budget constant, ce qui suppose de réaliser des économies en contrepartie, par exemple au détriment du FCAATA.
En raison de ces incertitudes, le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne prévoit pas de transcrire dans les textes le contenu de ce second accord.
Monsieur le ministre, la commission des affaires sociales juge utile de poursuivre la concertation et de procéder aux études nécessaires avant d'arrêter des décisions définitives.
Nous pensons également qu'il est nécessaire de réfléchir de façon urgente à la réforme du fonds sur l'amiante.