Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 25 juin 2014 à 21h30
Renforcement de l'efficacité des sanctions pénales — Article 8 ter nouveau

Christiane Taubira, garde des sceaux :

Le Gouvernement souhaite effectivement supprimer cet article introduit par la commission.

Lors de mon audition devant vous, monsieur le rapporteur, je vous ai indiqué que la logique de la contrainte pénale était liée au suivi de l’auteur de l’infraction, s’appuyant sur une évaluation de sa personnalité et de sa situation, suivi qui n’existe ni dans les alternatives à l’incarcération ni dans les cas d’aménagement de peine.

Vous changez de logique en faisant de la contrainte pénale une peine encourue à titre principal pour une série de délits.

Je suis d’accord avec M. Reichardt pour considérer qu’il faut mettre de l’ordre dans le droit des peines ; c’est d’ailleurs l’objet de la mission qui a été confiée au président Bruno Cotte.

Pour nous, la contrainte pénale est liée au profil de l’auteur de l’infraction. Le suivi de la personne condamnée à la contrainte pénale implique que le contenu de celle-ci puisse être ajusté, adapté, intensifié ou allégé, selon les besoins. Vous, vous liez la contrainte pénale à une série de « petites infractions ». Or, avec la contrainte pénale, ce n’est pas une « petite peine » que nous entendons instituer ; nous mettons en place une peine spécifique dans sa composition et qui doit donner des résultats parce qu’elle est conçue comme devant permettre un suivi aussi proche que possible.

De fait, votre conception de la contrainte pénale ne relève pas de la même logique que celle qui guide le Gouvernement avec ce texte.

Sans doute faut-il avoir bien en tête la liste des infractions pour lesquelles vous proposez d’exclure la peine d’emprisonnement. Car c’est bien en cela que consiste votre démarche : remplacer la peine de prison par la contrainte pénale. Peut-être d’autres infractions mériteraient-elles alors de figurer dans cette liste.

Je rappelle que la contrainte pénale implique un suivi, ce qui lui confère son caractère contraignant ; c’est donc un dispositif relativement lourd. Sa durée minimale est de six mois. Certaines infractions ne nécessitent pas un dispositif aussi lourd. Vous n’en faites pas une réponse exclusive et, dans un certain nombre de situations, la juridiction pourra choisir, par exemple, un travail d’intérêt général. Toutefois, dans certains cas, cette peine alternative ne conviendra pas soit à la situation de la personne, soit à sa personnalité, soit à ses capacités. Dans d’autres cas, le stage de citoyenneté ne sera pas la bonne réponse et la contrainte pénale sera prononcée d’emblée à l’encontre d’une personne ayant commis une infraction plus ou moins « par accident », dans des circonstances particulières, une personne qui n’est pas en train de s’installer dans la délinquance. À ce moment-là, on pourra vraiment parler d’un marteau pour écraser une mouche et la contrainte pénale sera trop lourde.

Je reviens sur la liste des délits que vous avez retenus : la filouterie, les destructions, dégradations et détériorations qui ne présentent pas de danger pour les personnes et commises sans circonstance aggravante, le délit de fuite, le délit d’usage de stupéfiants, le délit d’occupation des halls d’immeubles et les délits prévus par le code de la route. Je ne mentionne pas le vol simple et le recel de vol simple puisque vous avez finalement décidé de proposer de l’exclure de cette liste.

Les délits routiers sont un vrai sujet, sur lequel, vous le savez, nous travaillons avec le ministère de l’intérieur. Vous avez réfléchi, comme nous et comme la commission Nadal, à la contraventionnalisation de certains délits routiers, tout en envisageant le risque de voir les conducteurs relâcher leur vigilance dès lors que les peines encourues en cas d’infraction au code de la route seraient réduites.

Mais il y a aussi d’autres infractions qui pourraient justifier qu’elles n’entraînent pas une peine d’incarcération : certaines blessures volontaires, l’occupation sans droit ni titre d’un domicile, l’abandon de famille. Pour l’instant, ces infractions sont potentiellement punies de peines d’incarcération, mais il ne serait pas invraisemblable de les exclure de ce type de peines.

Compte tenu de la conception différente qu’a le Gouvernement de la contrainte pénale, compte tenu de la nécessité de refondre le droit de la peine – vous-même, vous avez estimé que certaines infractions, comme le vol simple, devaient être exclues du dispositif prévu à l’article 8 ter, tandis que, pour ma part, je considère que d’autres pourraient y être incluses –, je pense qu’il est peut-être prématuré d’introduire cette disposition. Je ne suis pas sûre de vous avoir convaincu, monsieur le rapporteur, mais j’attends en toute sérénité le vote du Sénat.

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