La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.
La séance est reprise.
Nous poursuivons l’examen du projet de loi tendant à renforcer l’efficacité des sanctions pénales.
Nous en sommes parvenus, au sein de l’article 7 quater, à l'amendement n° 77, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, et ainsi libellé :
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
… – L’article 723-16 du même code est abrogé.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’article 7 quater prévoit que la mise à exécution des peines de prison ferme aménageables qui n’ont pas été exécutées dans un délai de trois ans est subordonnée à un examen préalable du dossier par le juge de l’application des peines, qui choisira les modalités d’exécution les mieux adaptées à la personnalité et à la situation matérielle, familiale et sociale du condamné.
L’objectif visé par cet article est bien de s’assurer que les courtes peines privatives de liberté anciennes ne seront mises à exécution que si elles ont toujours un sens.
L’article 723-16 du code des procédures pénales peut cependant faire échec à cette application et empêcher les condamnés, dans un certain nombre de cas, d’exercer leur droit d’accès au juge et de voir leur situation examinée sur le fond. Pourtant, toute mise à exécution d’une peine devrait se fonder sur une décision au fond de rejet d’aménagement d’une peine par le juge d’application des peines, le JAP.
Nous proposons donc la suppression des dispositions de l’article 723-16 du code des procédures pénales, qui permet aujourd’hui au procureur de la République de mettre à exécution des peines sur la base de critères flous, tels que le risque de fuite ou le risque pour les personnes, sans même que la loi exige une nouvelle condamnation – il suffit d’un « fait nouveau » – et que la personne condamnée ait la possibilité de former un recours, tandis qu’elle peut le faire contre un jugement de rejet d’aménagement de peine.
Cette disposition est en effet contraire à la politique volontariste d’aménagement des peines que ce texte vise à mettre en place et elle réduit souvent à néant le travail antérieur des professionnels.
Pour toutes ces raisons, nous proposons l’abrogation de l’article 723-16 du code des procédures pénales.
Nous pensons qu’il est nécessaire de maintenir les dérogations à l’article 723-15 du code des procédures pénales, afin de prendre en compte les cas « d'urgence motivée soit par un risque de danger pour les personnes ou les biens établi par la survenance d'un fait nouveau, soit par l'incarcération de la personne dans le cadre d'une autre procédure, soit d'un risque avéré de fuite du condamné ».
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Je comprends l’esprit de votre amendement, madame Cukierman. Cependant, je crois qu’il est prudent de permettre au procureur de décider, dans certaines circonstances, de la mise à exécution de la peine. On doit penser à des situations diverses et réelles, telles que les violences conjugales : il peut se révéler nécessaire d’éloigner la personne violente afin de protéger sa compagne, son épouse et, le cas échéant, les enfants.
Par ailleurs, je rappelle que si la peine est mise à exécution, le condamné peut immédiatement faire saisir le juge d’application des peines pour demander un examen de sa demande d’aménagement. Je crois donc que nous devons laisser cette capacité au ministère public.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous ai présenté des exemples réels auxquels je pense que vous êtes sensibles – chaque fois que je donne un exemple, je m’appuie sur des cas dont nous avons vérifié l’effectivité. Pour toutes les raisons que je vous ai exposées, je vous demande de retirer cet amendement.
Cette disposition soulève de véritables questions, à propos desquelles nous devrons peut-être nous interroger au moment de la nécessaire évaluation de la loi.
Les exemples que vous avez mentionnés, madame la garde des sceaux, montrent que nous devons faire attention. En effet, le cadre général ne suffit pas : il existe aussi des exceptions. La question des violences faites aux femmes en est une et j’y suis bien évidemment sensible ; il faut également tenir compte du fait qu’un certain nombre de textes prévoient des mesures particulières en cas de violences faites aux femmes.
Nous devons être attentifs à ne pas ouvrir la porte à l’arbitraire dans l’ensemble de nos procédures pour tenir compte de ces cas très graves que tous réprouvent. Néanmoins, au vu des arguments que vous avez donnés, madame la garde des sceaux, je retire cet amendement.
L'article 7 quater est adopté.
Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 62, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 7 quater
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 723-27 du code de procédure pénale, il est inséré un article 723-27-... ainsi rédigé :
« Art. 723-27-... – Lorsque le procureur de la République ou le procureur général envisage de ramener à exécution la peine d’une personne détenue ou condamnée, il l'en informe, par tout moyen et sans délai.
« La personne dispose d'un délai de dix jours pour saisir le juge de l'application des peines aux fins d’un débat contradictoire sur l’opportunité et sur les modalités d’exécution de la peine les mieux adaptées à sa personnalité et à sa situation matérielle, familiale et sociale.
« Cette saisine suspend la possibilité pour le parquet de mettre la peine à exécution.
« Il est alors statué par le juge d'application des peines selon les dispositions de l'article 712-6. »
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Comme vous le savez, les mises à l'écrou de peines non exécutées sont aujourd'hui discrétionnaires, alors que les révocations de sursis doivent faire l'objet d'un débat contradictoire.
Par ailleurs, aucune règle ne prévoit actuellement l'information d’une personne détenue ou condamnée. Il arrive ainsi que celle-ci apprenne sa mise à l’écrou la veille, voire le jour de sa sortie, ce qui apparaît contraire à toute préparation à la sortie.
Pour pallier ces deux difficultés, l’amendement n° 62 vise donc à conditionner la mise à exécution d’une nouvelle peine à un débat contradictoire devant le juge de l’application des peines. Au cours de ce débat, le parquet devra justifier du motif de la mise à exécution, et la personne pourra être assistée de son avocat.
L'amendement n° 63, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 7 quater
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 723-27 du code de procédure pénale, il est inséré un article 723-27-... ainsi rédigé :
« Art. 723-27-... – Lorsque le procureur de la République ou le procureur général envisage de ramener à exécution la peine d’une personne détenue ou condamnée, il en informe la personne dans les conditions fixées par un décret en Conseil d’État.
« L’inscription au registre d’écrou est notifiée au condamné au moins dix jours avant sa mise à exécution.
« Le greffe informe sans délai la personne de la date prévisible de libération. »
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Il s'agit d’un amendement de repli par rapport au précédent. Il tend à conditionner la mise à exécution de la peine au fait d’informer la personne détenue au moins dix jours avant sa mise à l’écrou.
Madame Benbassa, ces deux amendements visent effectivement le même but.
L’observation de M. le rapporteur est tout à fait fondée : vous proposez un dispositif complexe. La complexité n’est pas une objection rédhibitoire, mais votre amendement est satisfait par les dispositions votées juste avant la levée de la séance, qui permettent le passage devant le juge d’application des peines des personnes condamnées à une peine de prison allant jusqu’à un an pour les récidivistes et jusqu’à deux ans pour les personnes dont c’est la première incarcération. Si j’ai bien suivi les débats, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez adopté ces dispositions tout à l’heure à l’unanimité !
Le texte prévoit également le passage devant le juge d’application des peines dans le cas où le condamné exécute déjà une peine d’emprisonnement aménagée et dans le cas où la peine est mise à exécution plus de trois ans après avoir été prononcée, disposition également adoptée juste avant la levée de la séance.
Compte tenu de ces dispositions qui, bien entendu, n’étaient pas encore incluses dans le texte du projet de loi au moment où vous avez présenté vos amendements, mais qui doivent satisfaire votre préoccupation, je vous demande de vous vouloir retirer ces deux amendements.
J’entends vos arguments, madame la garde des sceaux ; c’est pourquoi je retire l’amendement n° 62.
En revanche, il me semble nécessaire d’adopter l’amendement n° 63, dont les dispositions sont relativement simples à mettre en œuvre, tandis que je reconnais que celles de l’amendement n° 62 sont complexes.
En effet, je ne suis pas sûre que l’amendement n° 63 soit également satisfait par les dispositions qui viennent d’être votées. Peut-être pourrions-nous le vérifier ? Je suis prête à retirer l’amendement s’il est satisfait…
L'amendement n'est pas adopté.
I. – Le second membre de phrase du second alinéa de l’article 122-1 du code pénal est remplacé par trois phrases ainsi rédigées :
« Toutefois, la peine privative de liberté encourue est réduite du tiers. En outre, la juridiction tient compte de cette circonstance pour fixer le régime de la peine. Lorsque le sursis à exécution avec mise à l’épreuve de tout ou partie de la peine a été ordonné, cette mesure est assortie de l’obligation visée par le 3° de l’article 132-45 après avis médical et sauf décision contraire de la juridiction. »
II. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié:
1° À la première phrase du premier alinéa de l’article 362, après les mots : « des dispositions », sont insérés les mots : « du second alinéa de l’article 122-1 et » ;
2° L’intitulé du chapitre III du titre XXVIII du livre IV est ainsi rédigé : « Mesures de sûreté pouvant être ordonnées en cas de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ou en cas de reconnaissance d’altération du discernement » ;
3° Après l’article 706-136, il est inséré un article 706-136-1 ainsi rédigé :
« Art. 706-136-1. – Le juge de l’application des peines peut ordonner, à la libération d’une personne condamnée dans les circonstances mentionnées au second alinéa de l’article 122-1 du code pénal, une obligation de soins ainsi que les mesures de sûreté visées à l’article 706-136 pendant une durée qu’il fixe et qui ne peut excéder dix ans en matière correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement. Les deux derniers alinéas de l’article 706-136 sont applicables. » ;
4° À la première phrase de l’article 706-137, les mots : « d’une interdiction prononcée en application de l’article 706-136 » sont remplacés par les mots : « d’une mesure prononcée en application des articles 706-136 ou 706-136-1 » ;
5° À l’article 706-139, la référence : « l’article 706-136 » est remplacée par les références : « les articles 706-136 ou 706-136-1 ».
6° Avant la dernière phrase du troisième alinéa de l’article 721, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Il peut également ordonner, après avis médical, le retrait lorsque la personne condamnée dans les circonstances mentionnées à la première phrase du second alinéa de l’article 122-1 du code pénal refuse les soins qui lui sont proposés. » ;
7° Le premier alinéa de l’article 721-1 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« De même, après avis médical et sauf décision contraire du juge de l’application des peines, aucune réduction supplémentaire de peine ne peut être accordée à une personne condamnée dans les circonstances mentionnées à la première phrase du second alinéa de l’article 122-1 du code pénal qui refuse les soins qui lui sont proposés. »
Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 92, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Toutefois, la juridiction tient compte de l’existence de ce trouble lorsqu'elle détermine la peine ainsi que sa durée et qu’elle en fixe le régime. Si elle prononce une peine privative de liberté, elle doit décider d’une durée moindre que celle qu’elle aurait retenue en l’absence d’un tel trouble, sauf si elle considère que les circonstances de l’espèce et la personnalité du condamné ne permettent pas cette atténuation de la responsabilité pénale. Lorsque la nature du trouble mental de la personne le justifie, la juridiction s'assure que la peine prononcée permette que le condamné fasse l'objet de soins adaptés à son état, le cas échéant dans le cadre d'une contrainte pénale, d’un suivi socio-judiciaire ou d'un sursis avec mise à l'épreuve et, en cas de peine privative de liberté, pendant l'exécution de celle-ci ainsi qu'à l'issue de son exécution. »
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Une disposition adoptée par l’Assemblée nationale prévoyait une réduction de moitié de la peine en cas de trouble mental. Nous avions estimé que ce système était rigide. Il est certain que l’altération de la raison doit être prise en compte dans la détermination de la peine, mais il n’est pas pertinent de prévoir une réduction rigide.
Sur la base d’une proposition de loi de Jean-René Lecerf, que le Sénat avait adoptée, …
… votre commission des lois avait prévu une réduction du tiers de la peine en cas de trouble mental. C’est la même logique de rigidité.
C'est pourquoi nous proposons de supprimer la disposition en question, tout en rappelant que l’altération de la raison est un motif d’atténuation de la peine.
L'amendement n° 64, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 2, deuxième phrase
Remplacer les mots :
fixer le régime de la peine
par les mots :
déterminer la peine et en fixer le régime
La parole est à Mme Esther Benbassa.
L’article 7 quinquies A, introduit par la commission des lois, concerne les personnes dont le discernement était altéré au moment de la perpétration d’un crime ou d’un délit. Il prévoit de diminuer du tiers la durée des peines encourues.
Nous souscrivons à cette volonté, mais nous considérons que la juridiction doit tenir compte de l’altération du discernement à la fois lorsqu’elle détermine la peine et lorsqu’elle fixe son régime. Tel est l’objet du présent amendement.
Madame la présidente, j’espère que, cette fois, vous ne déciderez pas autoritairement de le mettre aux voix !
La commission est favorable à l’amendement n° 64. En revanche, elle est défavorable à l’amendement n° 92.
Sur ma proposition, la commission des lois a introduit dans le projet de loi le texte d’une proposition de loi, qui avait été signée notamment par Jean-René Lecerf, puis votée par le Sénat. Celle-ci résultait d’un rapport d’information fait au nom de la commission des lois et de la commission des affaires sociales par Gilbert Barbier, Christiane Demontès, Jean-René Lecerf et moi-même.
La proposition de loi avait été votée à l’unanimité, contre l’avis du Gouvernement. Je constate que, si les gouvernements changent d’orientation, leurs services – ou je ne sais qui – n’en changent pas. La rédaction proposée par le Gouvernement est inacceptable. Elle est très imprécise et elle ne changera rien à la situation actuelle.
La commission émet donc un avis défavorable sur l'amendement n° 92.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je ne puis qu’être défavorable à cet amendement, puisque ses dispositions portent sur l’alinéa que l’amendement du Gouvernement vise à modifier. C’est cependant à regret, le cœur déchiré, que j’émets cet avis !
Sourires.
Je voudrais resituer le problème dans son contexte. J’avoue que je suis assez surpris de lire, dans l’objet de l’amendement du Gouvernement, qu’une « diminution systématique de la peine du tiers paraît trop rigide et assez artificielle, car elle s’appliquerait quelle que soit l’importance de l’altération du discernement, même en cas d’altération très légère ».
Ce que nous visons, ce ne sont pas des problèmes d’altération très légère. La mission d’information que le rapporteur a évoquée avait évalué à 10 % – et je pense que notre évaluation était faible – la proportion de détenus dont l’état psychiatrique était tel que la peine n’avait strictement aucun sens pour eux, et qu’ils n’avaient donc pas grand-chose à faire dans les prisons de la République, qu’ils transformaient en asiles du XXIe siècle.
Je me félicite de la franchise d’un certain nombre de présidents de cour d’assises, que j’avais eu l’occasion de rencontrer au moment des débats sur la loi pénitentiaire.
Le problème, c’est qu’il n’y a pas de lieu d’accueil pour les personnes dont le discernement est tellement altéré qu’il est presque aboli, pour ne pas dire qu’il l’est purement et simplement. On ne sait donc pas quoi en faire ni où les mettre, puisqu’il n’y a plus assez de lits psychiatriques dans des établissements fermés. De ce fait, les experts ne se précipitent pas pour estimer qu’il y a abolition du discernement.
Quelles sont les conséquences de cette situation ? Les cours d’assises traitent des personnes dont le discernement est aboli ou quasi aboli comme si leur discernement n’était qu’altéré. Cela explique une partie des problèmes de nos prisons.
M. Jean-Jacques Hyest acquiesce.
Le comble du comble, c’est que le principe, posé par le législateur, d’une appréhension différente de la situation des personnes dont le discernement est altéré s’est retourné contre ces personnes, puisqu’elles sont condamnées plus lourdement que si elles étaient saines d’esprit.
Nous avons donc voulu faire en sorte que l’on ne puisse plus se tromper sur le caractère de circonstance atténuante et non aggravante d’une altération considérable, confinant à l’abolition, du discernement. D’où notre proposition de diminuer la peine du tiers.
Bien entendu, nous avons également prévu, pour compenser le fait que les personnes concernées reviendront plus rapidement dans la société, de renforcer leurs obligations de soins aussi bien pendant qu’après la détention.
Je crois qu’il s’agit d’un vrai problème. La preuve, c’est que la proposition de loi avait été adoptée à l’unanimité ; ce n’est pas si fréquent, surtout quand le Gouvernement est hostile au texte. Je me souviens de cette séance un peu particulière, durant laquelle nous n’avions pas vraiment l’impression d’avoir une écoute satisfaisante de la part de la représentante du gouvernement de l’époque.
Je rejoins totalement l’argumentation de M. le rapporteur. De deux choses l’une : soit on essaie d’inscrire l’essentiel de la proposition de loi dans le présent projet de loi, soit la situation actuelle, qui n’est pas à l’honneur d’une démocratie avancée comme la nôtre, continuera d’exister.
Pour l’avoir constaté moi-même, je peux confirmer l’état de nos prisons. Elles abritent beaucoup de malades mentaux – je parle de malades graves, pas de personnes un peu dérangées – dont la place n’est pas en prison, même si nombre d’entre eux sont des criminels.
Madame la garde des sceaux, vous avez rappelé que j’avais participé à l’élaboration du code pénal. Je me souviens fort bien de la transformation de l’ancien article 64, qui est maintenant l’article 122-1. Auparavant, la notion retenue était l’état de démence – au moment des faits et non de manière générale, je le rappelle. Après avoir consulté les spécialistes, nous avons opté pour les notions d’abolition et d’altération du discernement.
Cependant, depuis lors, il est très rare que les cours d’assises déclarent des accusés irresponsables au motif que leur discernement était aboli au moment des faits. Plus leur maladie mentale est importante, plus les personnes sont condamnées. C’est tout de même un paradoxe ! Auparavant, un grand nombre de personnes étaient déclarées irresponsables au motif qu’elles étaient en état de démence au moment des faits.
Il faut dire que, à cette époque, il y avait un certain nombre d’établissements psychiatriques accueillant les malades en milieu fermé ; je pense, par exemple, à l’hôpital Maison-Blanche. L’évolution de la psychiatrie en France – ce n’est pas vrai ailleurs – a fait disparaître beaucoup d’entre eux, au nom de principes sans doute très intéressants.
Comment résoudre le problème ? Madame la garde des sceaux, vous dites que les tribunaux pourront tenir compte de l’état mental des accusés, mais ils devraient déjà en tenir compte. Si on ne prend pas de mesure forte, les choses risquent de continuer comme aujourd'hui. J’estime qu’il faut prévoir une réduction automatique de la peine quand il y a vraiment atténuation de la responsabilité.
Le texte prévoit aussi des soins en complément de la réduction de la peine. Vous savez bien qu’il est difficile d’organiser des soins dans les établissements pénitentiaires. On connaît l’établissement de Château-Thierry, qui n’est pas un hôpital, mais qui y ressemble un peu. L’administration pénitentiaire a besoin de ce type d’établissements.
En votant à l’unanimité la proposition de loi de Jean-René Lecerf en 2011, le Sénat a essayé de répondre à une vraie question, qui n’est toujours pas résolue. Honnêtement, madame la garde des sceaux, votre amendement est tout à fait insuffisant de ce point de vue. C'est pourquoi je soutiens la position de la commission.
Je voulais simplement dire que le travail fait par la commission était très important. Le rapport rédigé par Gilbert Barbier, Christiane Demontès, Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel était de haute qualité. Ils ont procédé à de nombreuses investigations et organisé de nombreuses auditions. Nous sommes tous porteurs de ce rapport.
Nous pensons véritablement que l’altération du discernement doit être un facteur d’atténuation de la peine. Nous voulons le marquer fortement, de manière explicite. J’ajoute, madame la garde des sceaux, qu’il va de soi pour nous que l’atténuation de la peine doit aller de pair avec des garanties en matière d’obligation de soins pendant et après la détention.
Il s’agit d’un sujet important ; vous permettrez donc que je m’exprime à nouveau.
Ma préoccupation, c’est d’éviter une rigidité. J’entends l’argumentaire développé aussi bien par Jean-René Lecerf que par Jean-Jacques Hyest. Je dis simplement que certains cas d’altération légère du discernement ne justifient pas une réduction du tiers de la peine.
Je vous entends quand vous évoquez les situations inquiétantes qui vous préoccupent et qui nous préoccupent également. Vous l’avez dit, les personnes en question ont souvent des tendances suicidaires ; elles ont aussi des tendances agressives. En tout état de cause, leur situation ne peut que s’aggraver en milieu carcéral.
Dans ces cas-là, il y a danger pour elles-mêmes, pour les personnels pénitentiaires et, potentiellement, pour la société, car ces personnes sortiront dans un état d’altération psychologique plus important. Ce point est à prendre en considération.
Je comprends cette logique du tiers, car il faut sortir de cette situation paradoxale, que vous avez décrite, dans laquelle la fragilité psychologique de la personne génère de la peur, aussi bien chez les experts que chez les magistrats, lesquels craignent de voir leur responsabilité engagée s’ils ne prononcent pas de peine d’incarcération ou si la peine est atténuée. Le paradoxe est donc que la sanction est souvent plus lourde.
Je comprends donc que vous souhaitiez plutôt inverser la logique en précisant qu’une altération du discernement doit être prise en considération comme une circonstance atténuante.
Cependant, si vous fixez la barre à une réduction d’un tiers, je crains que la juridiction ne décide de ne pas tenir compte de l’altération, lorsque celle-ci est légère, plutôt que de prononcer une peine inférieure d’un tiers, qui paraîtrait trop laxiste eu égard à l’état du coupable.
Je vous soumets simplement mon inquiétude, mais je suppose que vous en avez tenu compte, lors des travaux que vous avez conduits, au travers de vos auditions et de vos réflexions.
Néanmoins, je tiens à dire que le risque me semble réel qu’une altération qui justifierait une réduction moindre que le tiers de la peine ne soit plus prise en compte à l’avenir, alors que cette dégradation de l’état psychique est avérée et nécessiterait d’être prise en considération.
Je ne veux pas allonger inutilement les débats, mais je tiens à préciser que c’est non pas la peine prononcée, mais la peine encourue qui sera réduite.
Par ailleurs, la mise en œuvre de cette mesure dépendra des conclusions du rapport d’expertise psychiatrique. Si l’altération est légère, tous les psychiatres que la France peut connaître et les présidents de cour d’assises que nous avons entendus nous ont confirmé qu’il n’y avait pas lieu de prononcer une peine réduite, tous estimant que l’état n’a pas eu d’influence sur l’acte de délinquance en lui-même dans ce cas-là.
À mon sens, il n’y a pas de souci à se faire sur ce dispositif, que nous avons élaboré en toute connaissance de cause, après nous être déplacés en Suisse et en Belgique, notamment.
Je suis donc opposé à l’amendement du Gouvernement.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement est adopté.
L'amendement n° 78, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéas 6 à 13
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Cet amendement vise à supprimer la surveillance judiciaire pour les personnes dont le discernement était altéré à la date des faits.
Selon les alinéas 6 à 9 de l’article 7 quinquies A, l’autorité judiciaire a la possibilité d’imposer pendant dix à vingt ans, selon une procédure très minimaliste, des mesures de sûreté, alors que le suivi de ces personnes relève d’une prise en charge médicale à la libération, sous contrainte si nécessaire, avec notamment l’organisation d’un relais entre l’unité de consultation et de soins ambulatoires, les services médico-psychiatriques régionaux et la psychiatrie de secteur.
En vertu des alinéas 10 à 13, le juge de l’application des peines est contraint dans le prononcé des réductions de peine supplémentaires accordées aux personnes au discernement altéré en cas de refus de soins, quelle que soit l’infraction, alors que, jusqu’à présent, ces restrictions concernaient des « types » de fait. Ils sont par ailleurs complexes à mettre en œuvre, puisqu’il faudra avoir eu un avis médical et un refus postérieur.
Il importe de rappeler que les détenus peuvent être soumis à des hospitalisations sous contrainte. En cas de troubles mentaux persistants, cette question relève à nos yeux du domaine médical et non du droit pénal.
C’est pourquoi nous vous proposons la suppression de ces alinéas au sein de l’article 7 quinquies A.
La commission est défavorable à cet amendement, et j’espère que Mme Cukierman aura le bon sens de le retirer, car le texte de la proposition de loi, qui avait été votée à l’unanimité, repose sur un équilibre : s’il y a une altération grave, il est prévu une réduction d’un tiers de la peine encourue, mais, parallèlement, il est possible de prononcer une obligation de soins renforcés tant au sein de l’établissement pénitentiaire qu’à sa sortie, pour que la personne ne se retrouve pas sans suivi médical.
D’ailleurs, le principe de cette obligation de soins a été avalisé par tous les psychiatres que nous avons entendus et qui, on peut le dire, représentaient toutes les sensibilités politiques. À mon sens, il faut donc maintenir l’obligation de soins.
Le Gouvernement pense aussi qu’il faut une obligation de soins. Seulement, à M. le rapporteur qui nous dit qu’un équilibre a été trouvé, je rappelle que cette disposition de l’alinéa 7 correspond à une obligation dans le cas où la personne est reconnue irresponsable, donc n’est pas condamnée.
En l’espèce, vous introduisez cette mesure dans le cas d’une condamnation, même si elle est moindre, d’un tiers en fonction de l’altération du discernement constatée par expertise. Néanmoins, la personne exécute bien une peine, donc je ne crois pas qu’il soit équilibré de retenir cette injonction de soins, telle que vous la prévoyez.
C’est pourquoi, au contraire de M. le rapporteur, le Gouvernement est favorable à l’amendement de Mme Cukierman, sous réserve que celle-ci le modifie pour maintenir les alinéas 10 à 13. À mon sens, le texte serait alors plus juste.
Madame Cukierman, que pensez-vous de la proposition de rectification suggérée par Mme la garde des sceaux ?
Effectivement, notre amendement peut être scindé en deux.
S’agissant des équilibres évoqués, je tiens à rappeler, sans ressortir les comptes rendus de nos débats, que nous avons toujours été un peu frileux sur la question des mesures de sûreté. Ce n’est donc pas à ce sujet qu’un équilibre a pu être trouvé.
Néanmoins, je rectifie mon amendement en ce sens, madame la présidente.
Je suis donc saisie d’un amendement n° 78 rectifié, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, et qui est ainsi libellé :
Alinéas 6 à 9
Supprimer ces alinéas.
Le Gouvernement a émis un avis favorable sur cet amendement.
Quel est l’avis de la commission ?
J’y insiste, le rapport réalisé par la commission est équilibré, puisqu’il prévoit l’atténuation de la peine et l’obligation de soins pendant la période de détention et, le cas échéant, après.
Pendant dix ans, même s’il a exécuté la peine !
Non, on ne peut pas parler d’équilibre !
L'amendement n'est pas adopté.
L'article 7 quinquies A est adopté.
(Non modifié)
Le sous-titre II du titre préliminaire du code de procédure pénale est ainsi rétabli :
« Sous-titre II
« DE LA JUSTICE RESTAURATIVE
« Art. 10 -1. – À l’occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l’exécution de la peine, les victimes et l’auteur d’une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, peuvent se voir proposer une mesure de justice restaurative.
« Constitue une mesure de justice restaurative toute mesure permettant à une victime ainsi qu’à l’auteur d’une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission. Cette mesure ne peut intervenir qu’après que la victime et l’auteur de l’infraction ont reçu une information complète à son sujet et ont consenti expressément à y participer. Elle est mise en œuvre par un tiers indépendant formé à cet effet, sous le contrôle de l’autorité judiciaire ou, à la demande de celle-ci, de l’administration pénitentiaire. »
L'amendement n° 11, présenté par MM. Hyest, Bas et Buffet, Mme Troendlé et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
Sourires.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ce n’est pas sa vocation !
Nouveaux sourires.
Tout d’abord, il pose un problème de vocabulaire : s’agissant de la justice, faut-il utiliser le terme de « restauratrice » plutôt que « réparatrice » ?
Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai lu comme vous la directive européenne qui parle de « justice réparatrice ». Elle évoque d’ailleurs beaucoup d’autres sujets, comme la médiation pénale.
Toutefois, cet article sera-t-il suffisant pour dire que l’on a rempli les obligations de la directive ? Personnellement, j’en doute, car votre texte fixe un principe général, sans détails et sans les modalités d’application de cette justice réparatrice ou restauratrice.
Nous savons très bien que cette idée vient des États-Unis, où des criminologues ont travaillé sur le sujet, et qu’elle s’est ensuite développée au Canada. Je rappelle que, dans ces pays, il n’y a pas de procès pénal comme le nôtre ; il est même très rare que l’on aille jusqu’à l’audience de jugement. Ceux qui le connaissent savent que ce contexte judiciaire est complètement différent.
Néanmoins, puisque c’est la mode de copier le modèle anglo-saxon, allons-y !
Mme la garde des sceaux fait un signe de dénégation.
En même temps, ce modèle anglo-saxon a un intérêt incontestable, que l’on a d’ailleurs pu constater à l’occasion d’expériences sans texte qui nous sont apparues intéressantes.
Vous constatez donc ma gêne. Ni les membres du groupe UMP ni moi-même ne voterons cet article, car, à notre avis, la question doit être étudiée plus profondément pour préciser les choses. En effet, le texte prévoit de confier la mise en œuvre de cette justice à « un tiers indépendant formé à cet effet, sous le contrôle de l’autorité judiciaire ou, à la demande de celle-ci, de l’administration pénitentiaire. »
Bien des bêtises ont été dites à ce sujet, et nous sommes d’accord qu’il ne s’agit pas forcément de confronter l’auteur et la victime. Néanmoins, si je suis d’accord pour faire ces expériences, je le suis moins pour que ces mesures figurent sans plus de précision dans ce texte, n’étant pas sûr qu’elles aient leur place dans notre code de procédure pénale.
Vous comprenez mon hésitation, madame la garde des sceaux : je me dis que ces dispositions peuvent être utiles, mais je me souviens également que les associations de victimes nous ont indiqué que certaines victimes réclament un droit à l’oubli. Bien sûr, le processus sera fondé sur le volontariat, mais qui peut nous garantir que certains ne seront pas « incités » à y participer ?
Ce sujet mérite d’être approfondi. En l’état, je ne pourrai pas voter l’article 7 quinquies.
Cette fois, les amendements concernés ne sont pas en discussion commune. J’avoue que je ne comprendrai jamais comment procède la direction de la séance : dans certains cas, les amendements en discussion commune n’ont aucun rapport entre eux ; dans le cas présent, les deux amendements et le sous-amendement visent le même sujet, mais ils ne sont pas en discussion commune !
Lors de la réunion de la commission, j’avais demandé à M. Hyest de retirer l’amendement n° 11. Il vient de nous dire qu’il ne pourrait pas voter cet article, mais je me permets de lui faire observer qu’il y a une marge entre le fait de ne pas voter un article et le fait d’en demander la suppression.
Enfin, M. Mézard a déposé un amendement n° 51 rectifié, qui fait l’objet d’un sous-amendement n° 121 du Gouvernement. J’émets un avis favorable sur ce sous-amendement et cet amendement. Et je ne m’exprimerai plus sur ce sujet !
Monsieur le rapporteur, permettez-moi de vous apporter une précision : le règlement du Sénat prévoit que les amendements de suppression ne font jamais l’objet d’une discussion commune.
Madame la présidente, sur la suggestion de M. le rapporteur, je retire mon amendement.
Je souhaite intervenir malgré le retrait de cet amendement, parce qu’il s’agit d’un sujet extrêmement important.
Compte tenu des observations que vous avez formulées, monsieur Hyest, je me dois de vous apporter quelques éléments d’information, qui vous permettront peut-être d’évoluer dans votre appréciation.
Cet article s’appuie effectivement sur la directive européenne relative aux droits des victimes, mais nous n’avons pas attendu la publication de ce texte pour réfléchir à ce sujet. Nous saisissons l’occasion offerte par l’examen de ce texte pour inscrire dans la loi une pratique existant déjà dans notre pays et qui a fait l’objet d’une première expérience menée de façon extrêmement rigoureuse.
Le tiers indépendant que vous avez évoqué, monsieur le sénateur, intervient sous l’autorité de l’administration pénitentiaire ; il s’agit, en l’occurrence, de l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation, ou INAVEM, c’est-à-dire du réseau des cent quarante-trois associations d’aide aux victimes que certains d’entre vous connaissent bien, mesdames, messieurs les sénateurs. Ce réseau est solide, professionnel, responsable, rigoureux, tout à fait fiable. Une deuxième expérience de rencontres a commencé au début de cette année.
Vous avez eu raison de préciser qu’il existait deux types de rencontres, monsieur Hyest. La rencontre indirecte est la modalité la plus fréquente : elle associe des victimes et des auteurs de faits semblables, mais pas du même acte. La rencontre directe, beaucoup plus exceptionnelle, réunit l’auteur de l’acte et la victime qui a subi le préjudice résultant de cet acte. Indirecte ou directe, la rencontre est organisée sur la base d’un volontariat strict. La victime et l’auteur sont informés de la manière la plus précise possible, et c’est librement qu’ils choisissent de participer à la rencontre, qui n’est pas une rencontre de fantaisie.
Vous avez fait une observation sémantique, à laquelle je veux réagir, monsieur le sénateur. En effet, plusieurs qualificatifs pouvaient être retenus pour cette forme de justice : réparatrice, restauratrice ou restaurative.
J’avoue que je me suis laissé convaincre, avant tout par défaut, que l’expression « justice restaurative » était la meilleure. Les associations d’aide aux victimes le pensent également, parce que la meilleure démarche consiste à faire en sorte que la victime – en plus de tout le reste – puisse se présenter face à un auteur qui admet le tort qu’il a pu causer et reconnaît la victime en tant que telle : il ne s’agit pas d’une abstraction, mais d’une personne qui a subi un préjudice, enduré une souffrance et dont la vie a été perturbée du fait de l’acte de l’auteur. Souvent, l’auteur lui-même entame à cette occasion un processus de responsabilisation.
Je le répète, tout se fait sur la base du volontariat, et j’ajouterai « à titre gracieux », parce qu’il n’y a pas de rétribution – ni réduction de peine, ni cadeau, ni valorisation –, si ce n’est un effet bénéfique pour les personnes qui participent à la rencontre.
C’est bien pour cette raison que cette disposition n’a pas à figurer dans le code de procédure pénale !
Mais si ! Il faut poser un cadre.
Lorsque je suis devenue ministre, cette expérience avait déjà commencé. J’ai fait preuve d’une grande prudence, parce que j’estime que les victimes doivent être traitées avec d’extrêmes précautions, même si, pour en avoir rencontré un certain nombre, je sais qu’il s’agit de personnes souvent très solides. En tout cas, elles font l’effort personnel de mobiliser leurs ressources, qu’elles découvrent parfois à cette occasion, elles se battent pour tenir debout et, au-delà, vont vers les autres, les aident, s’engagent dans des associations.
Mon premier réflexe a été d’accepter de mettre face à face une victime et un auteur. Un protocole tout à fait rigoureux a été établi avec l’INAVEM, dont le réseau offre toutes les garanties de sérieux. La deuxième expérience a commencé et il me paraît bon que le cadre dans lequel ces expériences ont lieu soit inscrit dans la loi.
Je le répète, ces rencontres sont strictement volontaires et ont donné des résultats. En effet, les victimes et les auteurs témoignent et ces rencontres transforment les individus. Nous avons eu également l’occasion de rencontrer des personnes qui ont vécu des expériences de justice restaurative dans d’autres pays, notamment au Canada : la transformation que j’évoquais se révèle roborative pour les participants, elle leur rend confiance et espoir, les aide à donner un sens à ce qu’ils ont vécu. Pourquoi les priver de ce qui n’est qu’une option ?
Telles sont donc les raisons qui nous ont incités à inscrire ces dispositions dans le projet de loi.
L’amendement n° 51 rectifié, présenté par MM. Mézard, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Collin et Collombat, Mme Escoffier, MM. Esnol, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Elle est confidentielle, sauf accord contraire entre les parties et excepté les cas où il apparaît que la divulgation de certains éléments, tels que l’expression de menaces ou toute autre forme de violence commise durant le processus, est nécessaire à la protection de la victime.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
La directive du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité précise que la mesure de justice restaurative doit être confidentielle, sauf accord contraire entre les parties et hormis les cas où il apparaît que la divulgation de certains éléments, tels que l’expression de menaces ou toute autre forme de violence commise durant le processus, est nécessaire à la protection de l’ordre public et de la victime.
Cette confidentialité permet de préserver d’éventuelles représailles la victime, ainsi que la vie privée de cette dernière, alors même que, par la justice restaurative, elle expose une nouvelle fois sa vulnérabilité.
Cet amendement vise donc à insérer cette précision dans la loi.
Le sous-amendement n° 121, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Amendement n° 51 rectifié, alinéa 3
Remplacer les mots :
où il apparaît que la divulgation de certains éléments, tels que l’expression de menaces ou toute autre forme de violence commise durant le processus, est nécessaire à la protection de la victime
par les mots :
où un intérêt supérieur lié à la nécessité de prévenir ou de réprimer des infractions justifie que des informations relatives au déroulement de la mesure soient portées à la connaissance du procureur de la République
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Le sous-amendement n° 121 rédige différemment l’amendement n° 51 rectifié, afin de définir plus précisément les conditions dans lesquelles la confidentialité de la mesure peut connaître une exception.
En ce qui concerne le sous-amendement n° 121, j’émets un avis favorable à titre personnel. En effet, le président de la commission n’a pas voulu réunir la commission à l’heure du dîner, puisque ce sous-amendement a été déposé dans l’après-midi.
La commission a par ailleurs émis un avis favorable sur l’amendement n° 51 rectifié.
Sous réserve de l’adoption du sous-amendement n° 121, le Gouvernement émet un avis favorable sur l’amendement n° 51 rectifié. J’espère que cette rédaction convient à M. Requier !
Le sous-amendement est adopté.
L’amendement est adopté.
L’article 7 quinquies est adopté.
I. – Le code pénal est ainsi modifié :
1° Les 2° à 8° de l’article 131-3 deviennent, respectivement, des 3° à 9° et il est rétabli un 2° ainsi rédigé :
« 2° La contrainte pénale ; »
2° Après l’article 131-4, il est inséré un article 131-4-1 ainsi rédigé :
« Art. 131 -4 -1. – Lorsque la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de l’auteur d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement et les faits de l’espèce justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu, la juridiction peut prononcer la peine de contrainte pénale.
« La contrainte pénale emporte pour le condamné l’obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l’application des peines, pendant une durée comprise entre six mois et cinq ans et qui est fixée par la juridiction, à des mesures de contrôle et d’assistance ainsi qu’à des obligations et interdictions particulières destinées à prévenir la récidive en favorisant son insertion ou sa réinsertion au sein de la société.
« Dès le prononcé de la décision de condamnation, la personne condamnée est astreinte, pour toute la durée d’exécution de sa peine, aux mesures de contrôle prévues à l’article 132-44.
« Les obligations et interdictions particulières auxquelles peut être astreint le condamné sont :
« 1° Les obligations et interdictions prévues à l’article 132-45 en matière de sursis avec mise à l’épreuve ;
« 2° L’obligation d’effectuer un travail d’intérêt général, dans les conditions prévues à l’article 131-8 ;
« 3° L’injonction de soins, dans les conditions prévues aux articles L. 3711-1 à L. 3711-5 du code de la santé publique, si la personne a été condamnée pour un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru et qu’une expertise médicale a conclu qu’elle était susceptible de faire l’objet d’un traitement ;
« 4° à 6°
Suppression maintenue
« Le condamné peut, en outre, bénéficier des mesures d’aide prévues à l’article 132-46 du présent code.
« La juridiction qui prononce la contrainte pénale peut imposer à la personne condamnée les obligations et interdictions prévues à l’article 132-45. Elle peut également prononcer une injonction de soins si la personne a été condamnée pour un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru et si une expertise médicale a conclu qu’elle était susceptible de faire l’objet d’un traitement. La juridiction peut également prononcer, le cas échéant, tout ou partie des obligations et interdictions auxquelles était astreinte la personne dans le cadre de son contrôle judiciaire.
« Après le prononcé de la décision, le président de la juridiction notifie à la personne condamnée, lorsqu’elle est présente, les obligations et interdictions qui lui incombent ainsi que les conséquences qui résulteraient de leur violation.
« Après évaluation de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale du condamné par le service pénitentiaire d’insertion et de probation, le juge de l’application des peines fixe, parmi celles mentionnées aux 1° à 3° du présent article, les obligations et interdictions auxquelles est astreint le condamné, ainsi que les mesures d’aide dont il bénéficie, dans des conditions et selon des modalités précisées par le code de procédure pénale. Ces obligations et interdictions peuvent être modifiées au cours de l’exécution de la contrainte pénale au regard de l’évolution du condamné.
« La condamnation à la contrainte pénale est exécutoire par provision. » ;
3° Au premier alinéa de l’article 131-9, après les mots : « ni avec », sont insérés les mots : « la peine de contrainte pénale ou » ;
4° et 5° §(Suppression maintenue)
II. –
Suppression maintenue
III. –
Non modifié
L’amendement n° 12, présenté par MM. Hyest, Bas et Buffet, Mme Troendlé et les membres du groupe Union pour un mouvement populaire, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. François-Noël Buffet.
L’article 8 introduit dans le code pénal, au chapitre consacré aux peines correctionnelles, ce que l’on appelle désormais la contrainte pénale. Je n’entrerai pas dans le détail du fonctionnement de cette nouvelle peine.
Au soutien de cet amendement de suppression, j’indiquerai simplement que nous nous interrogeons sur la nature de ce nouvel objet juridique, que nous avons beaucoup de mal à définir sérieusement. En effet, nous nous demandons s’il n’est pas, comme le dit la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, le « faux jumeau du sursis avec mise à l’épreuve », une sorte de sursis probatoire qui n’est pas réellement une peine, contrairement à la façon dont il est présenté.
Comment ne pas s’interroger face à la rédaction de l’article 8, qui précise que la contrainte pénale « peut » être prononcée lorsqu’un délit est puni d’une peine d’emprisonnement ? L’utilisation du verbe « pouvoir » indique bien qu’il ne s’agit pas d’une peine à part entière. Pour notre groupe, il s’agit plutôt d’une mesure alternative à l’emprisonnement et non d’une sanction pénale autonome. Cette mesure ne présente donc rien de très nouveau par rapport au droit positif en matière de sursis avec mise à l’épreuve.
Comme nous l’ont montré les interventions de certains professeurs de droit lors des auditions organisées par la commission, la fixation des limites et des enjeux de ces dispositions risque de se révéler juridiquement compliquée.
C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, nous vous proposons de voter cet amendement de suppression.
La commission émet un avis défavorable, puisque cet amendement tend à supprimer un des articles essentiels de ce projet de loi.
L’avis du Gouvernement est également défavorable.
Je souhaite malgré tout prendre le temps de dire à M. le sénateur Buffet, même si je ne rêve pas de le convaincre, que la contrainte pénale est une peine à part entière. Il ne s’agit aucunement d’un aménagement de peine. La mesure que nous introduisons dans le code pénal est une nouvelle réponse au phénomène de la délinquance et vient enrichir notre arsenal répressif.
L’amendement n’est pas adopté.
Je suis saisie de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 106, présenté par M. J.P. Michel, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 131-4-1. – Lorsqu’un délit est puni d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas cinq ans et que la personnalité de l’auteur des faits, sa situation matérielle, familiale et sociale ainsi que les circonstances de la commission de l’infraction justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu, la juridiction peut prononcer la peine de contrainte pénale.
II. – Alinéa 21
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le rapporteur.
Il s’agit, en revenant au texte initial du Gouvernement, à quelques modifications rédactionnelles près, de prévoir que la contrainte pénale est prononcée pour des délits punis d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas cinq ans, point final.
L’amendement n° 28 rectifié, présenté par MM. Détraigne, Capo-Canellas, Bockel, Marseille et Roche, Mme Férat, MM. Amoudry, J.L. Dupont et Deneux, Mme Gourault et M. Merceron, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 5
1° Remplacer le mot :
Lorsque
par les mots :
Lorsqu’un délit est puni d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas cinq ans et que
2° Remplacer les mots :
l’auteur d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement
par les mots :
son auteur
II. – Alinéa 21
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
Cet amendement vient en prélude, si j’ose dire, à la discussion de l’article 8 ter qui, introduit par la commission, tend à dresser une liste de délits pour lesquels la contrainte pénale s’applique automatiquement et que nous proposerons de supprimer.
L’Assemblée nationale, quant à elle, a prévu d’étendre, à compter du 1er janvier 2017, la contrainte pénale à l’ensemble des délits. Il nous semble que cette solution – à condition que le prononcé de la contrainte pénale demeure facultatif – est préférable à celle qu’a adoptée la commission. C’est donc dans un souci de cohérence que nous avons déposé le présent amendement.
L'amendement n° 57 rectifié, présenté par MM. Mézard, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Collin et Collombat, Mme Escoffier, MM. Esnol, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 5
Après le mot :
emprisonnement
insérer les mots :
n’excédant pas cinq ans
II. – Alinéa 21
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Cet amendement vise à supprimer l’extension de la contrainte pénale à partir du 1er janvier 2017.
Si nous sommes pour une véritable expérimentation de cette nouvelle peine et approuvons la proposition du rapporteur qui fait de la contrainte pénale la peine principale pour un certain nombre de délits, il paraît nécessaire qu’un nouveau débat sur son extension s’engage à partir de l’évaluation à laquelle aura donné lieu son application.
Par ailleurs, cette application exclusive aux délits n’excédant pas cinq ans permettra une meilleure acceptation de la contrainte pénale par les citoyens. Elle est donc recommandée par la prudence, qui peut être considérée comme un « principe de précaution pénale », étant donné le manque de visibilité quant aux conséquences à moyen ou long terme de cette application sur la délinquance.
La contrainte pénale doit avoir toutes ses chances et c’est seulement ainsi que l’on pourra savoir si elle est à la hauteur de son potentiel. L’impatience qui voudrait qu’on l’applique à tous les délits, sans autre considération, ne peut que nuire à la réforme utile que nous nous apprêtons à voter.
Les deux amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 65 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
L'amendement n° 80 est présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 21
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 65.
Revenant sur le texte issu des travaux de sa commission des lois, l’Assemblée nationale n’a prévu l’extension de la contrainte pénale à tous les délits qu’à partir de 2017. Le suivi renforcé mis en place ne sera donc possible, d’ici là, que pour les délits les moins graves.
Considérant qu’il s’agit là d’une contradiction avec l’esprit du projet de loi, nous proposons que la contrainte pénale soit étendue à tous les délits dès l’entrée en vigueur de la loi.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l'amendement n° 80.
J’irai dans le même sens que Mme Benbassa. Sur ce débat, je crois que nous ne trouverons pas d’équilibre.
Peut-être avons-nous eu des incompréhensions, avant la suspension, sur les demandes que l’on peut faire au Parlement et sur ce que l’on peut en attendre. En tout cas, nous regrettons, pour notre part, que ce qui avait été décidé initialement, notamment par la commission des lois de l’Assemblée nationale, n’ait pas été suivi en séance publique, après une intervention très médiatisée du Président de la République, qui eut lieu le lendemain des débats de la commission des lois de l’Assemblée nationale. Tout cela n’est certainement que pure coïncidence…
Quoi qu’il en soit, nous regrettons que la contrainte pénale ne concerne que les infractions punies de cinq ans d’emprisonnement et que nous ne puissions pas l’étendre à l’ensemble des délits.
Oui, nous le regrettons, et j’en viens à me demander si, après toutes les interventions que nous avons entendues, assurément très sincères, nous avons réellement envie de mettre en œuvre cette mesure, de la voir réussir, si nous avons réellement envie de construire une justice qui puisse sanctionner sans offrir la prison comme unique réponse !
On sent bien, y compris à travers les différents amendements en discussion commune, que l’on souhaite avancer sinon à reculons, du moins à tout petits pas ; certains diront doucement mais sûrement, mais d’autres diront qu’à force d’avancer trop doucement, on peut finir par reculer !
Nous avons également une interrogation : ce report tel qu’il est proposé est, au bout du compte, difficilement compréhensible. Il est incohérent quand on voit, par exemple, que le sursis avec « mise à l’épreuve », qui est une forme de probation, est aujourd'hui applicable à tous les crimes et délits. Or la contrainte pénale est, de fait, censée être plus « contraignante ».
La cantonner à un domaine restreint pendant plusieurs années, c’est certainement hypothéquer son existence même. L’exemple de la loi sur la collégialité de l’instruction est à cet égard particulièrement probant.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous proposons de supprimer cet alinéa et de revenir à la rédaction initiale de la commission des lois de l’Assemblée nationale, que nous préférons à celle du Sénat. Parfois, il faut savoir travailler intelligemment d’une chambre à l’autre !
Le groupe UDI-UC et le groupe RDSE ont présenté des amendements qui ont, peu ou prou, le même objet que celui de la commission : nous nous accordons pour demander une clause de revoyure en 2017. Il faudra alors redéposer un texte pour aller plus loin.
En conséquence, la commission a été défavorable aux amendements identiques n° 65 et 80 de Mmes Benbassa et Cukierman, qui proposent que la contrainte pénale s’applique d’ores et déjà à tous les délits, quel que soit le quantum de la peine encourue.
Le Gouvernement souhaite s’en tenir au texte issu des débats de l’Assemblée nationale. Tout à l’heure, nous avons eu un malentendu sur la clause d’évaluation. C’est une obligation que j’ai souhaité inclure d’emblée dans le texte et qui a franchi toutes les étapes de la discussion. Je l’ai voulu dès le début, et cela dans un souci d’efficacité, car, je le répète, il ne s’agit pas de faire une loi pour le plaisir de légiférer ! Nous nous fixons un objectif, qui est de prévenir la récidive, et non pas seulement de la réprimer plus sévèrement. Il s’agit d’éliminer le plus possible la récidive !
Nous avons travaillé avec une obsession d’efficacité, laquelle se traduit tout naturellement par une possibilité de rendez-vous à une date déterminée – dans deux ans – pour évaluer les résultats obtenus. C’est un risque que le Gouvernement accepte de prendre. Deux ans, c’est en quelque sorte le temps d’un démarrage au diesel, le temps que le dispositif prenne son rythme de croisière… C’est un peu une question d’énergie cinétique ! §Quoi qu'il en soit, c’est ce temps qui nous sera nécessaire pour nous permettre de réaliser l’évaluation que nous jugeons nécessaire.
En commission des lois, le rapporteur a expliqué que, selon lui, cette évaluation au bout de deux ans rendait inconcevable l’inscription dans le texte d’une extension de la contrainte pénale à l’ensemble du champ des délits à partir du 1er janvier 2017.
Je rappelle simplement que, dans l’état actuel de notre droit, il existe un certain nombre d’alternatives à la peine d’emprisonnement et que celles-ci couvrent l’ensemble du champ des délits. Ainsi, les travaux d’intérêt général et le sursis avec mise à l’épreuve peuvent être prononcés pour tout délit, ce qui signifie qu’ils peuvent s’appliquer à des infractions pour lesquelles la peine encourue peut atteindre dix ans d’emprisonnement. Or la contrainte pénale que nous créons est une peine plus contraignante – j’insiste bien sur ce point – que ces alternatives à l’incarcération qui existent actuellement.
J’ai du mal à saisir la logique consistant à laisser inchangés ces alternatives à l’emprisonnement ou ces modes d’aménagement de peine et à limiter la contrainte pénale aux peines encourues – car il s’agit bien des peines encourues, et non pas prononcées – n’excédant pas cinq ans.
La contrainte pénale permet un suivi plus individualisé, un ajustement, une modification des obligations, des interdictions, un contrôle par les forces de sécurité avec une possibilité de retenue, de visites domiciliaires, de perquisitions, une inscription au fichier des personnes recherchées. Et cela n’empêche pas que puissent être prononcées les autres peines qui ne sont pas assorties de tout ce dispositif contraignant et qui couvrent tout le champ des délits !
Après les travaux de sa commission des lois, l’Assemblée nationale a modifié le texte en séance plénière. Le Gouvernement souhaite s’en tenir à cette rédaction, ce qui n’est pas contradictoire avec une évaluation après deux ans de la mise en œuvre de la contrainte pénale.
Je ne sais pas si vous êtes disposés à revoir les choses en commission mixte paritaire. En tout cas, le souhait du Gouvernement est d’en revenir à la disposition adoptée en séance publique à l’Assemblée nationale.
Si l’amendement n° 106 a été adopté ce matin en commission des lois, c’est à la suite d’une discussion qui a eu lieu la semaine dernière, discussion suscitée par les réflexions formulées par des membres du groupe de l’UDI-UC, par M. Mézard ou encore par M. Alain Richard.
En tant que rapporteur de la commission, je me dois de présenter des amendements susceptibles de recueillir l’aval du plus grand nombre possible de commissaires, au-delà des limites strictes de la majorité sénatoriale. C’est le cas de cet amendement.
Je demande donc à M. Capo-Canellas et à Mme Laborde de bien vouloir retirer leurs amendements n° 28 rectifié et 57 rectifié, qui sont totalement satisfaits par l’amendement n° 106.
Madame la ministre, j’ai bien compris que vous donniez un avis défavorable sur l’amendement n° 106 de la commission. Pourriez-vous préciser votre avis sur les autres amendements en discussion commune ?
Pardonnez-moi, madame la présidente, j’ai omis de préciser que le Gouvernement est défavorable à l’ensemble des amendements, car il souhaite le rétablissement du texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.
Madame la garde des sceaux, je veux rappeler que notre amendement n° 28 rectifié vise précisément à revenir à la rédaction des travaux de l’Assemblée nationale.
Nous avons effectivement eu, la semaine dernière, une discussion en commission, à la suite d’une intervention d’Alain Richard, notamment, selon lequel il était indispensable, pour l’heure, de fixer une liste de délits dès lors que, à partir de 2017, la contrainte pénale serait généralisée à l’ensemble des délits punis d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas cinq ans. Nous avons alors estimé préférable de revenir à la version de l’Assemblée nationale.
Je ne suis pas sûr d’avoir parfaitement saisi, ce matin, lors de la réunion de la commission, l’évolution de la position du rapporteur. Je voudrais donc bien comprendre la différence entre la version de l’Assemblée nationale, que nous soutenons, et la version de notre rapporteur.
Je pense qu’il est utile que M. Capo-Canellas et Mme Laborde retirent leurs amendements, qui sont satisfaits par la rédaction de l’amendement n° 106.
Si M. le rapporteur nous assure que notre amendement est satisfait, il n’y a pour moi aucun problème à le retirer.
L'amendement est adopté.
Pardonnez-moi, madame la présidente, mais je ne pense pas que les amendements identiques n° 65 et 80 soient satisfaits. Dans la mesure où ils tendent à supprimer l’alinéa 21, ils ne s’inscrivent pas dans la même logique que l’amendement n° 106, et je ne comprends pas pourquoi ils n’ont pas été mis aux voix.
Ma chère collègue, comme vous l’avez fait observer, votre amendement ainsi que celui de Mme Benbassa tendaient à supprimer l’alinéa 21. Or c’était également le cas de l’amendement n° 106, dont l’adoption a entraîné la suppression de cet alinéa. De fait, les amendements identiques n° 65 et 80 sont donc satisfaits et n’ont plus d’objet.
Nous n’allons peut-être pas passer la nuit sur des amendements devenus sans objet !
L'amendement n° 25, présenté par MM. Hyest, Bas et Buffet, Mme Troendlé et M. Frassa, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La contrainte pénale ne peut être prononcée à l’encontre d’une personne reconnue coupable d’atteinte physique volontaire à la personne.
La parole est à M. François-Noël Buffet.
Nous proposons d’insérer un alinéa visant à exclure du champ d’application de la contrainte pénale les personnes reconnues coupables d’atteinte physique volontaire à la personne.
Le dispositif que le Gouvernement souhaite mettre en place concerne les infractions de toute nature, qu’elles soient contraventionnelles, délictuelles ou criminelles. Il pourrait donc s’appliquer à des personnes susceptibles d’encourir une peine de dix ans de prison, et cela ne nous paraît pas acceptable. C’est pourquoi nous tenons à préciser que la contrainte pénale ne pourra pas concerner les personnes coupables d’atteinte physique volontaire à la personne.
Il n’est pas possible de traiter la contravention, le délit et le crime de la même manière ! En effet, les victimes subissent un préjudice qui peut être grave ; elles réagissent à l’évidence de façon différente selon qu’elles ont subi une agression physique ou une atteinte à leurs biens. On ne peut traiter tous les cas de la même manière !
Au demeurant, qu’on en ait eu l’intention confirme ce que nous soulignons depuis le début de ce débat : l’introduction de la contrainte pénale, dont on ne sait trop s’il faut la qualifier de peine ou d’élément complémentaire de peine, aurait nécessité une refonte totale de notre dispositif pénal, afin de rétablir une cohérence dans l’échelle des peines.
S’il est vrai que, comme certains de nos collègues, notamment Alain Richard, l’ont fait observer en commission, l’application de la contrainte pénale supposera, non pas une acceptation, mais une adhésion de l’auteur de l’infraction, il n’est pas utile d’exclure a priori du champ d’application de ce dispositif les auteurs d’un certain nombre de délits.
C’est d’autant moins opportun que, parmi les auteurs de délits qui ne pourraient pas se voir appliquer la contrainte pénale si l’amendement n° 25 était adopté, il en est pour lesquels la contrainte pénale serait pourtant particulièrement appropriée ; je pense en particulier à ceux qui sont sujets à une addiction ou qui se trouvent pris dans un phénomène de bande. Pour ceux-là, les SPIP travailleront de manière beaucoup plus fructueuse en milieu ouvert que dans un environnement carcéral.
La commission est donc défavorable à l’amendement n° 25.
Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement.
Monsieur Buffet, la notion de violences volontaires peut recouvrir des situations extrêmement différentes. C’est ainsi que, en l’état actuel du droit, les auteurs de certaines violences volontaires peuvent être condamnés à accomplir un travail d’intérêt général ou à suivre un stage de citoyenneté. En effet, les « violences volontaires », c’est un terme générique ; dans chaque cas, la juridiction apprécie : si elle estime que l’acte commis peut être réparé par le moyen d’un travail d’intérêt général, elle peut prononcer ce type de sanction-réparation.
Dans ces conditions, il n’y a pas de logique à exclure l’ensemble des actes de cette catégorie du champ d’application de la contrainte pénale ; c’est aux juridictions qu’il appartient d’apprécier la sanction adaptée.
L'amendement n'est pas adopté.
Je suis saisie de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 107, présenté par M. J.P. Michel, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 14
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Si elle dispose d'éléments d'information suffisants sur la personnalité du condamné et sur sa situation matérielle, familiale et sociale, la juridiction qui prononce la contrainte pénale peut définir les obligations et interdictions particulières auxquelles celui-ci est astreint parmi celles mentionnées aux 1° à 3° du présent article.
II. – Alinéa 16
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Dans des conditions et selon des modalités précisées par le code de procédure pénale, le juge de l'application des peines peut, après évaluation de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale du condamné par le service pénitentiaire d'insertion et de probation, puis au cours de l'exécution de la contrainte pénale au regard de l'évolution du condamné, modifier, supprimer ou compléter les obligations et interdictions fixées par la juridiction, et déterminer les mesures d'aide dont il bénéficie.
La parole est à M. le rapporteur.
La commission des lois a apporté plusieurs modifications à l'article 8 du projet de loi afin de rééquilibrer les pouvoirs respectifs de la juridiction de jugement et du juge de l’application des peines dans la mise en œuvre de la contrainte pénale.
Le présent amendement, adopté ce matin par la commission des lois, vise à prévoir, d’une part, que la juridiction de jugement pourra prononcer, sur la base des éléments d'information dont elle dispose, l'ensemble des obligations et interdictions qui lui paraissent appropriées et, d’autre part, que le JAP pourra, dans un second temps, compléter, modifier ou supprimer ces obligations et interdictions, au vu de la personnalité du condamné et de son évolution.
L'amendement n° 79, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 14, première phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
La juridiction qui prononce la contrainte pénale peut imposer, à titre provisoire, à la personne condamnée les obligations et interdictions prévues aux 7°, 9°, 12° et 13° de l’article 132-45.
La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.
Cet amendement vise à limiter les obligations et interdictions qui peuvent être prononcées par le tribunal dans le cadre d’une contrainte pénale avant l’intervention du juge de l’application des peines.
Pour recueillir les bénéfices de la création de la contrainte pénale, il faut laisser le temps de l’évaluation par le SPIP et de la fixation par le JAP des obligations, ainsi que du plan de réinsertion. C’est pourquoi nous proposons de limiter les obligations susceptibles d’être prononcées par le tribunal correctionnel. Plus précisément, nous suggérons une limitation aux interdictions de conduire, de paraître en certains lieux et d’entrer en contact avec certaines personnes : coauteurs de l’infraction, victimes ou certaines catégories de personnes, comme les mineurs.
L’injonction de soins, qui diffère de l’obligation de soins prévue à l’article 132-45 du code pénal, pourrait être prononcée par le tribunal correctionnel, sur la base d’une expertise psychiatrique, pour les situations les plus exceptionnelles, comme le prévoit déjà l’article 8 du projet de loi.
En ce qui concerne les autres obligations et interdictions, il paraît plus pertinent de les intégrer dans le plan élaboré par le SPIP et le juge de l’application des peines. Du reste, ces obligations sont rarement mises en œuvre avant quatre mois, sauf pour les personnes qui, de manière volontariste, suivent des soins ou paient leur pension, quelle que soit la décision du tribunal correctionnel.
L'amendement n° 35, présenté par Mme D. Gillot et M. Mohamed Soilihi, est ainsi libellé :
Alinéa 16, première phrase
Après le mot :
probation
insérer les mots :
ou toute personne morale habilitée
La parole est à Mme Dominique Gillot.
Il s’agit, par cet amendement, de reconnaître la place que peut prendre le secteur associatif dans la mission de suivi des personnes faisant l’objet d’une contrainte pénale.
Si le projet de loi est porteur d’initiatives attendues et audacieuses, il pourrait avoir une portée limitée faute d’y associer l’ensemble des acteurs, notamment le secteur associatif. À mes yeux, il doit instituer une complémentarité entre le secteur public et le secteur associatif sociojudiciaire.
D’ailleurs, dans son avis du 27 mars 2014, la Commission nationale consultative des droits de l’homme déplore que le projet de loi repose sur « une conception exclusivement régalienne de la peine de contrainte pénale en gardant le silence sur la participation de la société civile dans la mise en œuvre de la contrainte pénale ».
Il est important de rappeler la différence entre la décision judiciaire, qui relève de la compétence exclusive de l’État et correspond à une mission régalienne, et l’exécution de la peine, qui doit impliquer la société civile à travers le secteur sociojudiciaire. Cette distinction est fondamentale et ouvre la possibilité d’une complémentarité dans la prise en charge de la contrainte pénale.
Habilité depuis des décennies par les cours d’appel à intervenir sur les missions pré-sentencielles, et par extension, depuis 2006, sur l’exécution des mesures de sursis avec mise à l’épreuve, le secteur associatif sociojudiciaire ne saurait être écarté des acteurs intervenant dans l’exécution des peines.
L’amendement n° 79 tend à donner moins de pouvoirs à la juridiction de jugement qu’au JAP, ce qui risque de poser un problème de constitutionnalité ; pour cette raison essentielle, la commission des lois y est défavorable.
En revanche, elle a émis un avis favorable sur l’amendement n° 35. En effet, si l’on veut que la contrainte pénale réussisse, il faut, j’en suis persuadé, que l’ensemble de la société participe à la mise en œuvre de cette nouvelle peine. Au Canada ou dans les pays nordiques, par exemple, où l’on parle de « peines communautaires », la société civile et les associations contribuent à leur application et au contrôle du respect des obligations.
Je sais que le service public pénitentiaire en milieu ouvert – autrement dit le SPIP – est très opposé à la participation des associations à ce travail. Pourtant, à mon avis, cette participation ne prive le SPIP d’aucune de ses prérogatives. Simplement, la mission de service public qu’assument ses agents, tout comme celle des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, également fonctionnaires, est partagée avec un secteur associatif habilité. D’ailleurs, les éducateurs de la PJJ sont tout à fait désireux de travailler au côté des associations habilitées, très puissantes dans le domaine de la justice des mineurs, pour gérer le secteur ouvert et les établissements.
Bien entendu, il faudra que le ministère conclue des conventions avec un certain nombre d’associations. Mais je crois que nous devons accomplir un progrès dans ce domaine, pour que la contrainte pénale puisse être plus facilement appliquée.
Je suis donc saisie d’un sous-amendement n° 35 rectifié, présenté par Mme D. Gillot et M. Mohamed Soilihi, et ainsi libellé :
Amendement n° 107, alinéa 6
Après le mot :
probation
insérer les mots :
ou par toute personne morale habilitée
Monsieur le rapporteur, puis-je considérer que la commission est favorable à ce sous-amendement ?
Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements n° 107 et 79, ainsi que sur le sous-amendement n° 35 rectifié ?
Le Gouvernement est défavorable à votre amendement n° 107, monsieur le rapporteur, d’autant que son contenu se trouvera substantiellement modifié si le sous-amendement n° 35 rectifié.
Nous l’avons vu précédemment, vous avez souhaité réintroduire, de façon quasi systématique, le SPIP dans le pré-sentenciel. Comme je vous l’ai rappelé, cela fait une quinzaine d’années que la prise en charge des enquêtes de personnalité est effectuée principalement par le secteur associatif habilité, le service public n’intervenant qu’à titre accessoire. En revanche, le post-sentenciel est assuré par le SPIP, qui est un service du ministère de la justice assumant une fonction régalienne.
Je veux souligner, même si la qualité des relations que nous entretenons avec les associations rend probablement ce propos superflu, que celles-ci sont animées par des personnes très sérieuses, qu’il s’agisse de professionnels ou de bénévoles, qui accomplissent leur tâche avec disponibilité et rigueur. Mais le fait d’assurer un suivi post-sentenciel, en particulier dans le cadre de la contrainte pénale, doit constituer un vrai métier. Je vous l’ai dit, nous ne nous contentons pas de renforcer les effectifs du SPIP : nous travaillons également sur la formation initiale, sur la formation continue, sur les outils de prise en charge et sur les outils d’évaluation. Ainsi, nous professionnalisons la prise en charge qui sera confiée aux conseillers d’insertion et de probation.
Par conséquent, je souhaite clairement que le service pénitentiaire d’insertion et de probation soit chargé du post-sententiel dans le cadre de la contrainte pénale. Cela ne préjuge pas de l’avenir. Cependant, nous avons le souci d’une prise en charge vraiment professionnelle, assurée par des personnes ayant reçu une formation rigoureuse au sein de l'École nationale de l'administration pénitentiaire, formation éventuellement complétée par celles que peuvent dispenser d’autres organismes si cela s'avère nécessaire. Ainsi, nous aurons un corps de conseillers d’insertion et de probation performant.
Sans animosité ni acrimonie, l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 107 et sur le sous-amendement n° 35 rectifié est donc franchement défavorable.
Concernant l’amendement n° 79, j’en sollicite le retrait. Certes, dans le texte d’origine, nous avions nous-mêmes prévu de limiter la capacité de déterminer le contenu de la contrainte pénale au juge correctionnel, car nous estimions que c'était l’évaluation obligatoire qui avait vocation à collecter les éléments permettant de déterminer les obligations et les interdictions les mieux adaptées.
Toutefois, dans la mesure où nous introduisons également la césure du procès pénal et que, par conséquent, l’ajournement, sans être obligatoire, peut être prononcé par la juridiction, on peut considérer que des situations se présenteront où le tribunal disposera d’éléments suffisants.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 35 rectifié.
Nous approuvons les propos que Mme la ministre vient de tenir, car il peut être effectivement dangereux de permettre aux personnes morales, fussent-elles habilitées, de prendre en charge l’application de la contrainte pénale.
On trouve au sein des SPIP un personnel formé, de qualité, avec lequel il faudra certainement travailler pour l’aider à appréhender cette nouvelle peine.
Comme je le disais hier, ce personnel est appelé à devenir une cheville ouvrière de l’application de cette réforme. Je crois que, pour en assurer la réussite, il importe maintenir le rôle du service public et de son personnel.
Vous vous en doutez, on rencontre beaucoup d’attentes mais aussi beaucoup d’inquiétudes chez ce personnel. Je crains qu’on ne lui envoie pas un bon message en déclarant que « toute personne morale habilitée » peut prendre en charge la contrainte pénale. Et je n’ai pas besoin de rappeler les faits divers dont les médias se sont fait l’écho ou les dérives qu’on a pu constater, où se trouvaient en cause des personnes morales habilitées intervenant à côté des fonctionnaires de la protection judiciaire de la jeunesse.
Je voudrais solliciter des éclaircissements.
Madame la ministre, vous avez parlé à l’instant de post-sentenciel à propos de l’intervention des personnes morales habilitées. Or il me semble que, avec l’amendement n° 107 modifié par le sous-amendement n° 35 rectifié, on se situe dans le pré-sentenciel…
Selon moi, c'est ici une évaluation pré-sentencielle de la situation que l’association habilitée est susceptible de faire. Mais ai-je bien compris ?
Madame la présidente, je sollicite une suspension de séance de quelques minutes.
La séance, suspendue à vingt-trois heures dix, est reprise à vingt-trois heures quinze.
La séance est reprise.
La parole est à M. le président de la commission.
Madame la présidente, la concertation a montré toute son utilité : chacun a maintenant bien compris et l’esprit et la lettre de l’amendement de M. Jean-Pierre Michel, sous-amendé par Mme Gillot.
Madame Klès, il s’agit bien de post-sentenciel puisque l’article 8 concerne la contrainte pénale. La sanction est donc déjà prononcée et l’évaluation, qui est la grande innovation de la contrainte pénale par rapport à d’autres peines comme le sursis avec mise à l’épreuve, intervient en post-sentenciel. Elle permet d’ajuster le contenu de la contrainte.
La situation ayant été clarifiée, je confirme l’avis totalement défavorable du Gouvernement, car je souhaite que les agents du service pénitentiaire d’insertion et de probation soient seuls chargés de la mission d’évaluation qu’implique la contrainte pénale.
Le sous-amendement est adopté.
L'amendement est adopté.
L'amendement n° 79 est retiré.
L'amendement n° 97, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 14
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La décision de condamnation fixe également la durée maximum de l'emprisonnement encouru par le condamné en cas d'inobservation des obligations et interdictions auxquelles il est tenu. Cet emprisonnement ne peut excéder deux ans, ni le maximum de la peine d’emprisonnement encourue. Les conditions dans lesquelles l'exécution de l'emprisonnement peut être ordonnée, en tout ou partie, sont fixées par le code de procédure pénale.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Cet amendement vise à prévoir que le maximum de l’emprisonnement encouru en cas de non-respect de la contrainte pénale, qui ne peut excéder deux ans, sera fixé par la juridiction. Nous nous sommes fondés sur les dispositions de l’article 131-36-1 du code pénal, relatif au suivi sociojudiciaire.
La commission des lois a prévu la création d’un délit autonome. Cela entraînera peut-être une difficulté, car les poursuites devront être engagées par le procureur de la République. Je ne suis pas sûre que la commission ait saisi tous les effets de cette disposition.
Pour sanctionner les manquements à la contrainte pénale, deux solutions sont envisageables.
On peut, comme le souhaite le Gouvernement, prévoir que la juridiction de jugement fixe, a priori, la durée de l’emprisonnement qui sera mis à exécution si le condamné ne respecte pas les obligations de la contrainte pénale. Si l’on adoptait cette solution, il n’y aurait plus aucune distinction entre la contrainte pénale et le sursis avec mise à l’épreuve.
C’est la raison pour laquelle la commission des lois a opté pour un système peut-être plus lourd, celui de la création d’un délit autonome de non-respect des obligations de la contrainte pénale. Un juge unique statuera sur la peine qu’il conviendra de prononcer. Dans ce cas, le JAP saisira le procureur de la République. Telle est la position qui a été adoptée par la commission des lois et sur laquelle le Gouvernement souhaite revenir. Nous sommes donc défavorables à cet amendement.
L'amendement n'est pas adopté.
L'article 8 est adopté.
(Supprimé)
Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 66, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
« La section 2 du chapitre II du titre III du livre Ier du code pénal est complétée par une sous-section 7 ainsi rédigée :
« Sous-section 7
« De la contrainte pénale
« Art 132-70-4. - Lorsqu'une condamnation pour un délit de droit commun comportant une peine d'emprisonnement ferme d'un an au plus a été prononcée et que le condamné ne fait pas l'objet d'une mise à l'épreuve prévue à l'article 132-40, le juge de l'application des peines peut, lorsque cette condamnation n'est plus susceptible de faire l'objet d'une voie de recours par le condamné, ordonner que le condamné effectuera une contrainte pénale en application des articles 131-3 et 131-4-1.
« Le présent article est applicable aux peines d'emprisonnement ayant fait l'objet d'un sursis partiel, assorti ou non d'une mise à l'épreuve, lorsque la partie ferme de la peine est inférieure ou égale à un an. Dans ce cas, la partie de la peine avec sursis demeure applicable.
« Le présent article est également applicable aux peines d'emprisonnement inférieures ou égales à un an résultant de la révocation d'un sursis, assorti ou non d'une mise à l'épreuve. »
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Cet amendement a pour objet de rétablir un article ajouté par l'Assemblée nationale, mais que la commission des lois du Sénat a supprimé.
Cet article visait à donner au juge la possibilité de convertir une peine de prison inférieure à un an en contrainte pénale. Cette souplesse dans l’application de la peine pourrait permettre un meilleur suivi des personnes condamnées. C’est pourquoi il nous paraît nécessaire de rétablir la disposition en question.
De surcroît, le juge ayant déjà la possibilité d’aménager la peine en un sursis-TIG, il semble cohérent de lui donner la faculté de la convertir en contrainte pénale, laquelle permet un suivi renforcé.
Pour répondre aux préoccupations exprimées par le rapporteur en commission, cette conversion ne serait pas possible si un sursis avec mise à l'épreuve était déjà prévu pour le condamné.
L'amendement n° 81, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
La section 2 du chapitre II du titre III du livre Ier du code pénal est complétée par une sous-section 7 ainsi rédigée :
« Sous-section 7
« De la contrainte pénale
« Art 132 -70 -4. – Lorsqu’une condamnation pour un délit de droit commun comportant une peine d’emprisonnement ferme d’un an au plus a été prononcée, le juge de l’application des peines peut, lorsque cette condamnation n’est plus susceptible de faire l’objet d’une voie de recours par le condamné, ordonner que le condamné effectuera une contrainte pénale en application des articles 131-3 et 131-4-1.
« Le présent article est applicable aux peines d’emprisonnement ayant fait l’objet d’un sursis partiel, assorti ou non d’une mise à l’épreuve, lorsque la partie ferme de la peine est inférieure ou égale à un an. Dans ce cas, la partie de la peine avec sursis demeure applicable.
« Le présent article est également applicable aux peines d’emprisonnement inférieures ou égales à un an résultant de la révocation d’un sursis, assorti ou non d’une mise à l’épreuve. »
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Cet amendement étant quasi identique à celui qui vient d’être présenté par ma collègue Esther Benbassa, je considère qu’il est défendu.
La commission ayant fait le choix de supprimer cet article, elle ne peut être que défavorable à son rétablissement.
Le Gouvernement approuve plutôt le principe de conversion. Je prends acte du fait que la commission a préféré supprimer l’article 8 bis, mais le Gouvernement continue de penser que ce dispositif serait utile. Pour ne pas émettre un avis contraire à la position de la commission, il s’en remet à la sagesse du Sénat sur ces deux amendements.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n'est pas adopté.
I. – Le code pénal est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa de l’article 131-5-1, au premier alinéa de l’article 131-6, au premier alinéa de l’article 131-8 et au premier alinéa de l’article 131-8-1, après les mots : « d’emprisonnement », sont insérés les mots : « ou d’une contrainte pénale », et après les mots : « l’emprisonnement », sont insérés les mots : « ou de la contrainte pénale » ;
2° À la deuxième phrase du premier alinéa de l’article 131-21, après le mot : « punis », sont insérés les mots : « d’une contrainte pénale ou » ;
3° À l’article 311-3, les mots : « de trois ans d’emprisonnement » sont remplacés par les mots : « d’une contrainte pénale » ;
4° À l’article 313-5, les mots : « de six mois d’emprisonnement » sont remplacés par les mots : « d’une contrainte pénale » ;
5° Le troisième alinéa de l’article 321-1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Toutefois, lorsqu’il concerne le délit de vol défini à l’article 311-3, le recel est puni d’une contrainte pénale et de 375 000 euros d’amende. » ;
6° À l’article 322-1, les mots : « de deux ans d’emprisonnement » sont remplacés par les mots : « d’une contrainte pénale » ;
7° À l’article 434-10, les mots : « de trois ans d’emprisonnement » sont remplacés par les mots : « d’une contrainte pénale ».
II. – Au premier alinéa de l’article L. 3421-1 du code de la santé publique, les mots : « d’un an d’emprisonnement » sont remplacés par les mots : « d’une contrainte pénale ».
III. – Au premier alinéa de l’article L. 126-3 du code de la construction et de l’habitation, les mots : « de deux mois d’emprisonnement » sont remplacés par les mots : « d’une contrainte pénale ».
IV. – Le code de la route est ainsi modifié :
1° Aux articles L. 233-1 et L. 233-2, les mots : « de trois mois d’emprisonnement » sont remplacés par les mots : « d’une contrainte pénale » ;
2° Aux articles L. 234-1, L. 234-8, L. 234-16 et L. 235-3 et au premier alinéa de l’article L. 235-1, les mots : « de deux ans d’emprisonnement » sont remplacés par les mots : « d’une contrainte pénale » ;
3° Au deuxième alinéa de l’article L. 235-1, les mots : « de trois ans d’emprisonnement » sont remplacés par les mots : « d’une contrainte pénale ».
V. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa de l’article 62-2, après le mot : « emprisonnement », sont insérés les mots : « ou d’une contrainte pénale » ;
2° Au premier alinéa de l’article 138, après le mot : « correctionnel », sont insérés les mots : «, une contrainte pénale » ;
3° Au deuxième alinéa de l’article 395, après le mot : « mois », sont insérés les mots : « ou si le délit est puni à titre principal d’une contrainte pénale ».
L’article 8 ter vise à faire de la contrainte pénale une nouvelle peine autonome. Celle-ci ne serait donc plus, aux termes de cette disposition, un aménagement de peine. Elle remplacerait purement et simplement les peines de prison pour un certain nombre de délits, à savoir, sous réserve de ce que nous dira tout à l’heure M. le rapporteur : le vol simple et le recel de vol simple ; la filouterie ; la destruction, la dégradation ou la détérioration ne présentant pas de danger pour les personnes ; le délit de fuite ; le délit d’usage de stupéfiants ; le délit d’occupation des halls d’immeuble ; les délits prévus par le code de la route.
Je le dis d’emblée, le groupe UMP est très défavorable à cette disposition, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, nous sommes saisis de cet article 8 ter à la suite de l’adoption d’un amendement de M. le rapporteur par la commission des lois à une voix de majorité. Or cet article très important pour le dispositif pénal pris dans sa globalité n’a manifestement pas fait l’objet d’une réflexion suffisante pour que nous puissions décider de nous engager dans la voie proposée.
Par ailleurs, en remplaçant la peine de prison pour certains délits faisant encourir à leurs auteurs jusqu’à trois ans d’emprisonnement, quel signal donnons-nous aux délinquants et à nos concitoyens ? Dès lors que la contrainte pénale apparaît comme un concept flou – certains ont parlé tout à l’heure de « sanction à géométrie variable » –, c’est un signal d’impunité que l’on envoie aux délinquants !
Alors même qu’il faut restaurer la confiance de nos concitoyens envers leurs institutions, est-ce bien le moment de nous engager dans une voie qu’ils ne comprendront pas, et pour cause, puisqu’elle n’est pas claire ?
Qu’on le veuille ou non, dans notre pays, la peine de prison structure le système pénal. Elle est un symbole qui imprime dans l’esprit de chacun la gravité de l’acte violant la loi.
En abaissant, comme le prévoit l’article 8 ter, l’échelle des peines, on manifeste une sorte de renoncement et on touche à la structure de l’échelle des peines, laquelle n’en a pas franchement besoin !
Je rappelle que Mme la garde des sceaux a précisément confié une mission à M. Cotte pour revoir l’échelle des peines. Est-il opportun d’anticiper sur les conclusions de ces travaux ?
Ce que demande la société, c’est une sanction adaptée à la faute et s’inscrivant dans une échelle des peines juste et compréhensible. Dans cette échelle, la prison trouve, bien entendu, encore sa place.
Pour autant, au groupe UMP, nous ne sommes pas arc-boutés sur le tout-carcéral et nous encourageons vivement le recours aux aménagements de peine, quand cela est possible. Celui-ci est d’ailleurs devenu beaucoup plus systématique ces dernières années, comme l’a rappelé notre collègue Jean-Jacques Hyest au cours de la discussion générale. Mais il nous semble que ces aménagements de peine doivent s’associer à la crainte d’une peine privative de liberté, qui en constitue le préalable. Le prévenu peut se voir condamné à une peine de prison qu’il pourra voir ensuite transformée, avec ou sans délai, en un aménagement de peine, si le magistrat l’estime souhaitable.
À cet égard, on peut même considérer que la contrainte pénale instaurée en peine autonome constitue en fait une vraie contrainte imposée aux magistrats, qui ne pourront plus apprécier la personnalité du délinquant dans le contexte de la faute qu’il a commise.
Enfin, pourra-t-on, avec cette nouvelle sanction pénale, mettre fin à ce que Jean-Jacques Hyest appelait tout à l’heure le « scandale de l’inexécution des peines » ? Empêchera-t-on sérieusement la récidive ? La freinera-t-on même seulement ? On sait bien que les deux phénomènes, inexécution des peines et récidive, sont dus pour l’essentiel à l’absence de moyens. On ne fait pas assez, dans ce pays, pour la probation et la réinsertion !
Or des moyens, cette contrainte pénale, ajoutée aux aménagements de peine qui vont encore se développer, va en nécessiter beaucoup ! Mme la garde des sceaux nous a indiqué l’ampleur de ceux qu’elle comptait mobiliser pour accompagner ce projet de loi. Acceptons-en l’augure ! Mais je crains fort que, de la même façon que la grande loi pénitentiaire de 2009 n’a pas trouvé les financements adéquats pour permettre sa pleine et entière application, il n’en soit de même avec ce nouveau texte que vous vous apprêtez à voter.
La situation des finances publiques, mes chers collègues, s’impose à tous, que l’on soit de droite ou de gauche, et ce n’est pas à la veille de l’examen du projet de loi de finances rectificative que je dois le rappeler dans cet hémicycle !
Pour toutes ces raisons, je considère qu’il ne faut pas voter cet article 8 ter, et je vous remercie, mes chers collègues, de votre soutien à cet égard. §
Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 13 est présenté par MM. Hyest, Bas et Buffet, Mme Troendlé et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire.
L'amendement n° 29 rectifié est présenté par MM. Détraigne, Capo-Canellas, Tandonnet, Bockel, Marseille et Roche, Mme Férat, MM. Amoudry, J.L. Dupont et Deneux, Mme Gourault et M. Merceron.
L'amendement n° 98 est présenté par le Gouvernement.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. André Reichardt, pour présenter l’amendement n° 13.
Je l’ai défendu dans mon intervention sur l’article, madame la présidente.
La parole est à M. Yves Détraigne, pour présenter l'amendement n° 29 rectifié.
Avec l’article 8 ter du projet de loi, nous arrivons, si je puis dire, au cœur des modifications qui ont été proposées par notre rapporteur et adoptées en commission. Avec ces dispositions, la commission a purement et simplement, à l’instigation du rapporteur, modifié la nature même de la contrainte pénale.
En effet, celle-ci nous était présentée comme une nouvelle possibilité offerte au juge, en complément des possibilités déjà existantes, de trouver la réponse la plus adaptée, accroissant ainsi sa liberté de choix.
Or, avec l’article 8 ter, c’est tout le contraire puisque le dispositif introduit par la commission supprime la peine de référence actuellement en vigueur, à savoir l’emprisonnement – pour toute la population, c’est depuis longtemps la peine de référence ! –, pour imposer, dans un certain nombre de cas, la contrainte pénale. Je dis bien « imposer » puisqu’elle serait obligatoire – la contrainte pénale ou rien ! – et que le juge n’aurait plus le choix : on porterait ainsi atteinte à sa libre appréciation, alors que, au contraire, ce projet de loi a aussi pour objectif, si l’on en croit son exposé des motifs, de compléter la gamme des réponses que le juge peut apporter à un délit.
Le système proposé fait donc disparaître la peine de prison. On aurait pu imaginer qu’elle perdure au moins en cas de récidive… Mais non, même pas ! Ainsi, on pourra détériorer et dégrader des biens en état de récidive légale, six ou sept fois, sans qu’une peine d’emprisonnement puisse être prononcée par le tribunal correctionnel.
On ne peut pas faire abstraction du message qui est envoyé à nos concitoyens lorsque l’on décide de supprimer des peines d’emprisonnement pour une série de délits, même s’il va nous être proposé de sortir de cette liste le vol simple et le recel de vol simple. Il n’en restera pas moins six cas où cette peine sera automatiquement appliquée si la proposition du rapporteur est suivie. Il nous semble qu’on envoie un message très négatif à la population et aux délinquants en puissance.
Monsieur le rapporteur, votre proposition n’est décidément pas acceptable, et ce pour trois raisons que je tire d’ailleurs de l’objet écrit de l’amendement déposé par Mme la garde des sceaux, dont, en l’espèce, nous partageons pleinement l’analyse : cette proposition procède d’une confusion sur l’objectif et le contenu de la peine de contrainte pénale ; elle complexifie la répression ; elle aboutit finalement à un affaiblissement de celle-ci.
Voilà pourquoi nous demandons la suppression de l’article 8 ter.
La parole est à Mme le garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 98.
Le Gouvernement souhaite effectivement supprimer cet article introduit par la commission.
Lors de mon audition devant vous, monsieur le rapporteur, je vous ai indiqué que la logique de la contrainte pénale était liée au suivi de l’auteur de l’infraction, s’appuyant sur une évaluation de sa personnalité et de sa situation, suivi qui n’existe ni dans les alternatives à l’incarcération ni dans les cas d’aménagement de peine.
Vous changez de logique en faisant de la contrainte pénale une peine encourue à titre principal pour une série de délits.
Je suis d’accord avec M. Reichardt pour considérer qu’il faut mettre de l’ordre dans le droit des peines ; c’est d’ailleurs l’objet de la mission qui a été confiée au président Bruno Cotte.
Pour nous, la contrainte pénale est liée au profil de l’auteur de l’infraction. Le suivi de la personne condamnée à la contrainte pénale implique que le contenu de celle-ci puisse être ajusté, adapté, intensifié ou allégé, selon les besoins. Vous, vous liez la contrainte pénale à une série de « petites infractions ». Or, avec la contrainte pénale, ce n’est pas une « petite peine » que nous entendons instituer ; nous mettons en place une peine spécifique dans sa composition et qui doit donner des résultats parce qu’elle est conçue comme devant permettre un suivi aussi proche que possible.
De fait, votre conception de la contrainte pénale ne relève pas de la même logique que celle qui guide le Gouvernement avec ce texte.
Sans doute faut-il avoir bien en tête la liste des infractions pour lesquelles vous proposez d’exclure la peine d’emprisonnement. Car c’est bien en cela que consiste votre démarche : remplacer la peine de prison par la contrainte pénale. Peut-être d’autres infractions mériteraient-elles alors de figurer dans cette liste.
Je rappelle que la contrainte pénale implique un suivi, ce qui lui confère son caractère contraignant ; c’est donc un dispositif relativement lourd. Sa durée minimale est de six mois. Certaines infractions ne nécessitent pas un dispositif aussi lourd. Vous n’en faites pas une réponse exclusive et, dans un certain nombre de situations, la juridiction pourra choisir, par exemple, un travail d’intérêt général. Toutefois, dans certains cas, cette peine alternative ne conviendra pas soit à la situation de la personne, soit à sa personnalité, soit à ses capacités. Dans d’autres cas, le stage de citoyenneté ne sera pas la bonne réponse et la contrainte pénale sera prononcée d’emblée à l’encontre d’une personne ayant commis une infraction plus ou moins « par accident », dans des circonstances particulières, une personne qui n’est pas en train de s’installer dans la délinquance. À ce moment-là, on pourra vraiment parler d’un marteau pour écraser une mouche et la contrainte pénale sera trop lourde.
Je reviens sur la liste des délits que vous avez retenus : la filouterie, les destructions, dégradations et détériorations qui ne présentent pas de danger pour les personnes et commises sans circonstance aggravante, le délit de fuite, le délit d’usage de stupéfiants, le délit d’occupation des halls d’immeubles et les délits prévus par le code de la route. Je ne mentionne pas le vol simple et le recel de vol simple puisque vous avez finalement décidé de proposer de l’exclure de cette liste.
Les délits routiers sont un vrai sujet, sur lequel, vous le savez, nous travaillons avec le ministère de l’intérieur. Vous avez réfléchi, comme nous et comme la commission Nadal, à la contraventionnalisation de certains délits routiers, tout en envisageant le risque de voir les conducteurs relâcher leur vigilance dès lors que les peines encourues en cas d’infraction au code de la route seraient réduites.
Mais il y a aussi d’autres infractions qui pourraient justifier qu’elles n’entraînent pas une peine d’incarcération : certaines blessures volontaires, l’occupation sans droit ni titre d’un domicile, l’abandon de famille. Pour l’instant, ces infractions sont potentiellement punies de peines d’incarcération, mais il ne serait pas invraisemblable de les exclure de ce type de peines.
Compte tenu de la conception différente qu’a le Gouvernement de la contrainte pénale, compte tenu de la nécessité de refondre le droit de la peine – vous-même, vous avez estimé que certaines infractions, comme le vol simple, devaient être exclues du dispositif prévu à l’article 8 ter, tandis que, pour ma part, je considère que d’autres pourraient y être incluses –, je pense qu’il est peut-être prématuré d’introduire cette disposition. Je ne suis pas sûre de vous avoir convaincu, monsieur le rapporteur, mais j’attends en toute sérénité le vote du Sénat.
La commission émet un avis défavorable sur ces trois amendements identiques puisqu’elle a voté très majoritairement l’introduction de cet article 8 ter.
Pour quelles raisons a-t-elle inséré cet article ?
Monsieur Reichardt, il ne vient pas de nulle part ! Il vient de loin ! Pour ce qui nous concerne, en France, il procède d’abord de la proposition n° 36 du rapport du député Dominique Raimbourg : « Créer une peine de contrainte pénale. Il s’agirait d’une peine principale se substituant à l’emprisonnement pour certains délits. »
À la suite des nombreuses auditions que nous avons menées en commission, des visites que j’ai effectuées à la Cour de cassation, j’en suis venu à considérer – même si la conférence de consensus ne s’est pas vraiment prononcée sur ce point – que la contrainte pénale devait être une peine autonome susceptible de se substituer à la peine d’emprisonnement.
En fait, je pense que, en matière délictuelle, on doit instaurer un triptyque : la prison, la contrainte pénale et les peines pécuniaires. Pour que ce triptyque existe, il faut bien que, en plus de ce qui figure dans le dispositif du projet de loi tel qu’il était envisagé, on prévoie que, pour un certain nombre de délits – ce n’est qu’un début et, madame le garde des sceaux, si vous voulez allonger la liste, tous vos amendements seront les bienvenus ! –, la peine de prison n’est plus encourue.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je me suis opposé – et la commission m’a suivi – à ce qu’il y ait en 2017 un basculement automatique de tous les délits, car je pense que le bilan à cette date devra être fait aussi à la lumière de l’application de cet article 8 ter, s’il est maintenu, comme je le souhaite. On verra alors ce qu’on fait de la contrainte pénale et à quels délits on peut l’appliquer de façon autonome, sans qu’une peine de prison soit encourue.
Je veux installer, dans l’opinion publique comme chez les magistrats, cette idée qu’il y a trois sanctions possibles. J’ajoute que presque toutes les personnes que nous avons auditionnées ont soutenu cette position : la Commission nationale consultative des droits de l’homme, Robert Badinter, Mme Mireille Delmas-Marty, le professeur Martine Herzog-Evans, le professeur Xavier Pin, entre autres.
Voilà les raisons pour lesquelles j’ai proposé cet article 8 ter, qui est prudent et même très prudent, car j’ai tenu compte des objections formulées en commission notamment par Jean-René Lecerf et Yves Détraigne, qui craignaient qu’on n’envoie un mauvais signal si l’on incluait le vol simple dans la liste. Car le délit de vol simple peut recouvrir aussi bien le vol d’un microsillon ou d’un bâton de rouge à lèvres dans un magasin que celui d’un fourgon plein d’argent ! J’ai donc déposé un amendement visant à retirer le vol simple de la liste.
Si vous voulez qu’on inclue l’abandon de famille, etc., on peut le faire ! Mais je tiens à introduire dès à présent le principe dans la loi : la contrainte pénale est destinée à être une peine autonome, ce qui implique de revoir l’échelle des peines correctionnelles, du moins pour un certain nombre de délits. Je pense qu’il faut le faire maintenant. Car j’aime beaucoup les commissions gouvernementales, elles sont présidées par des gens qui sont souvent des amis et qui ont de grandes qualités, mais je sais qu’elles débouchent rarement sur des résultats, hormis, pour l’instant, la conférence de consensus.
Appuyons-nous donc sur ce projet de loi pour introduire d’ores et déjà, mais de manière très modeste, cette idée selon laquelle la contrainte pénale est une peine autonome et que les délits auxquels elle s’applique ne sont pas passibles d’une peine de prison.
Voilà quelle est la philosophie de cet article 8 ter, qui, me semble-t-il, ne révolutionnera pas notre droit pénal, mais qui, à terme, si le bilan de 2017 nous y encourage, pourra conduire à d’autres avancées.
Je crois que cet article 8 ter présente un risque. Vos intentions ne sont absolument pas en cause, monsieur le rapporteur : je travaille depuis suffisamment longtemps avec vous pour connaître votre philosophie, et, à la manière dont vous présentez les choses, je n’ai aucun doute. Cependant, lorsqu’on observe ce qui s’est passé antérieurement, on constate que la tendance a souvent été à l’aggravation de la répression. Il est donc possible que, là où le juge prononce aujourd’hui des sanctions du type stage de citoyenneté ou travail d’intérêt général, il préfère prononcer à l’avenir une peine de contrainte pénale.
On l’a vu notamment avec le bracelet électronique : lorsqu’il est apparu, la surveillance électronique était censée apporter une solution essentiellement en matière d’aménagement de peine, donc d’exécution d’une sanction en milieu ouvert. Or le bracelet électronique a été utilisé de manière plus large et s’est appliqué à des infractions d’un niveau de gravité plus bas que celles pour lesquelles il avait été conçu.
Le risque est d’autant plus redoutable que la contrainte pénale est une sanction lourde, et non, contrairement à ce que prétendent certains, un simple aménagement : telle qu’elle est conçue, elle pourra être prononcée pour une durée de six mois à cinq ans, les obligations et les interdictions seront plus contraignantes qu’elles ne le sont dans le sursis avec mise à l’épreuve, l’exécution sera immédiate, l’évaluation se fera de façon immédiate et sera renouvelée régulièrement. Par conséquent, c’est une vraie peine, avec ses contraintes et ses lourdeurs.
J’attire donc l’attention sur ce risque, parce qu’il arrive que les conséquences de nos décisions ne correspondent pas complètement à nos intentions.
C’est ce qui me permet, monsieur Reichardt, monsieur Détraigne, de saisir l’occasion de vous être agréable en émettant un avis favorable sur vos amendements, qui se trouvent être identiques à celui du Gouvernement ! §
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous me le revaudrez, n’est-ce pas ?
Nouveaux sourires.
J’entends vos propos, madame la ministre, et sur le fond je les partage, mais je crois que faire de la politique, c’est aussi, parfois, faire preuve de pragmatisme.
Comme M. le rapporteur l’a bien expliqué, le souhait de la commission n’était pas d’affaiblir cette nouvelle sanction qu’est la contrainte pénale, mais au contraire de lui donner de la visibilité et de faire en sorte que, au-delà de l’affichage législatif, elle soit réellement utilisée par les juridictions. C’est pourquoi nous avons soutenu en commission son amendement visant à insérer cet article et que nous voterons ce dernier en l’état.
Je comprends les risques que vous pointez, madame le garde des sceaux, mais je crois qu’ils sont à mettre en balance avec un autre risque : que, par facilité ou par habitude, le recours à la contrainte pénale par les juridictions soit rare, voire pratiquement inexistant. On se retrouverait alors en 2017 avec une expérience réduite au minimum.
Si je dis cela, c’est parce que les votes de l’Assemblée nationale – qui a posé un certain nombre de conditions au recours à la contrainte pénale – et les choix de la commission ne sont pas allés dans le sens d’un élargissement de la contrainte pénale à tous les délits. Dès lors, il nous semblait important, en tout cas intéressant, de supprimer la peine de prison pour un certain nombre de délits.
Encore une fois, je comprends les craintes que vous exprimez, madame la ministre, mais, comme vous l’avez très bien dit, il faut lever tout malentendu entre nous. Nous n’utilisons peut-être pas les bons arguments, mais je crois que la volonté de beaucoup d’entre nous, c’est que la contrainte pénale réussisse afin que l’on puisse sortir du système actuel, dans lequel la seule sanction qui vaille est la peine d’emprisonnement, quel que soit le délit.
Il y aura une commission mixte paritaire, mais, à l’instar de certains collègues, je regrette que le Gouvernement ait choisi la procédure accélérée, et je crois que, sur cette question-là comme sur d’autres, une deuxième lecture aurait permis d’approfondir les intentions initiales des uns et des autres et d’enrichir le texte.
Cela étant, d’ici la commission mixte paritaire, on peut encore essayer d’avancer et de travailler pour trouver la meilleure solution possible.
Une fois n’est pas coutume, madame le ministre, je volerais bien à votre secours, car, à l’instant où nous parlons, je ne sais pas quelle est la véritable contrainte pénale.
En effet, d’un côté, il y a la contrainte pénale proposée par le Gouvernement, et donc par vous-même, qui est conçue comme une alternative à la détention et qui s’appliquera à des délits pour lesquels une peine de prison est encourue. Le juge aura la liberté de choisir la contrainte pénale plutôt que la peine d’emprisonnement, et c’est donc effectivement, dans ce cas-là, une vraie alternative qui est offerte.
Mais il y a aussi la contrainte pénale prévue par cet article 8 ter, qui devient une sanction en dehors de toute autre référence, puisque la peine de détention disparaît pour les délits qui sont visés.
Or la notion de peine encourue, quelle que soit l’issue du jugement, permet d’envoyer un avertissement fort aux délinquants potentiels : « En cas de commission de telle ou telle infraction, vous risquez la prison ! » Ensuite, le tribunal a la liberté de choisir.
C’est la raison pour laquelle je pense que l’adoption de cet article, en supprimant le recours possible à la peine de prison, risquerait d’entraîner une évolution importante dans l’échelle des peines telle qu’elle existe aujourd'hui et un changement complet de comportement chez les délinquants, qui n’auraient plus cette crainte d’avoir à exécuter une peine en détention.
C’est pourquoi nous voterons ces amendements de suppression.
Je souhaite réagir à l’intervention de M. le rapporteur.
En somme, monsieur le rapporteur, vous souhaitez inscrire la contrainte pénale comme peine autonome dans le code pénal, entre les sanctions pécuniaires et la peine d’emprisonnement. Je serais presque tenté de dire, en vous entendant, que la nature des délits concernés par cette contrainte pénale érigée en peine autonome importe peu. Vous venez d’ailleurs de nous expliquer que, ce matin, sur la base des objections émises par certains de nos collègues membres de la commission, vous avez renoncé à faire figurer le vol simple dans la liste des délits en question. Ainsi, on considère soudain que le vol simple n’est plus punissable de cette contrainte pénale et qu’il retombera dans la règle du droit commun, c’est-à-dire l’emprisonnement.
Je souhaiterais juste vous poser une question, avant que nous ne nous prononcions : que fait-on du recel de vol simple ?
Bien.
Il reste que votre foi dans la contrainte pénale comme peine autonome vous conduit même à inviter Mme la ministre à ajouter d’autres délits dans votre liste ! Enfin quoi, nous sommes là dans le droit pénal ! Il ne s’agit pas d’ériger un principe ! Il y a des gens qui vont tomber sous le coup de ces incriminations ! La société nous regarde ! Quelle image donnons-nous ? Quelle est cette impunité ? De quels délits est-il question ? De quelle manière seront-ils sanctionnés ?
Pour ma part, j’estime que cette affaire n’est pas mûre. Pourquoi ne pas attendre, dans la mesure où le professeur Cotte s’est vu confier la mission de réfléchir à une échelle des peines dans notre pays – et nous en avons besoin ! –, et cantonner la contrainte pénale au rôle que le Gouvernement entendait lui assigner, si tant est que le Parlement le décide, à savoir une peine se substituant à une peine d’emprisonnement, bien que je ne sois pas tout à fait favorable à une telle solution, pour empêcher la récidive ?
Madame la ministre, je reprendrai la formule de mon collègue François-Noël Buffet : une fois n’est pas coutume, nos vues convergent sur ce point avec celles du Gouvernement. Nous estimons en effet que les dispositions introduites par la commission étendraient trop largement la portée de la contrainte pénale. De plus, elles reviennent à tuer la notion d’expérimentation, de progressivité, de recherche d’alternative à la prison sans s’interdire de faire de la prison une option toujours possible.
La difficulté est bien celle-ci : comment faire un pas de plus après la loi pénitentiaire sans se priver aussi de la solution ultime de la prison ?
La liste des délits qui figure à cet article, même « délestée » du vol et du recel de vol – il faut donner acte au rapporteur d’avoir eu, ce matin, le courage et l’honnêteté de présenter cet amendement –, induit que, pour ces délits, le risque de la prison n’existe plus.
Sans doute faut-il considérer que l’emprisonnement est une sanction forte, qui n’est mise en œuvre que dans des cas extrêmes. Pour autant, s’en passer, c’est adresser un signal à des délinquants potentiellement multiréitérants, leur laissant espérer que, pour ces délits, ils ne risqueront jamais la prison !
Pour les victimes, le signal est celui d’un abandon de la société. Elles auront le sentiment que le délit qu’elles auront subi ne sera pas suivi d’une réparation ou d’une sanction aussi forte que l’était la prison auparavant.
Si nous pouvons entendre qu’il faut développer des alternatives à la prison, en revanche, empêcher le juge, en fonction de la personnalité, d’individualiser la sanction et de choisir, selon les circonstances, soit la contrainte pénale soit l’emprisonnement, nous apparaît comme un signal manifestement excessif.
Sur ces sujets extrêmement difficiles et quelque peu passionnels, il nous faut faire preuve de pédagogie. Vous nous proposez, madame le garde des sceaux, de franchir un pas important, mais nous le dénaturerons si nous allons jusqu’à l’étape qui nous est proposée par le rapporteur.
Je voudrais dédramatiser le débat qui a lieu sur cet article 8 ter.
J’entends bien les interrogations et les inquiétudes exprimées par le Gouvernement, qui est dans son rôle, notamment quant à la compréhension de l’opinion s’agissant d’une réforme comme celle-ci.
Néanmoins, je ne crois pas que cet article marque une rupture avec la logique du texte que nous examinons. Il ne change pas la nature profonde de la contrainte pénale, d’autant que, vous l’avez dit vous-même, madame la ministre, la contrainte pénale est une peine, et une peine lourde.
Un élément est apparu que l’on oublie peut-être d’évoquer ce soir. Lors de toutes les auditions, très nombreuses, auxquelles a procédé M. le rapporteur – pour ma part, j’ai assisté à beaucoup d’entre elles –, la majorité des acteurs de la chaîne pénale se sont interrogés sur la réalité de cette contrainte pénale. Ils se demandent où celle-ci se situera dans l’échelle des peines et comment sa création se traduira concrètement.
À mon sens, M. le rapporteur s’efforce, avec ce pas supplémentaire, de donner une réalité à la contrainte pénale en définissant son champ de façon plus précise. Il le fait d’une manière qui reste tout de même relativement modérée puisqu’il suggère lui-même de restreindre la liste des délits passibles de contrainte pénale sans être passibles de l’emprisonnement en retirant le vol et le recel – et je rappelle qu’il s’agit toujours de délits où est absente toute atteinte physique aux personnes, ce qui est tout de même fondamental.
Or nous nous interrogeons tous sur l’utilité de la prison. C’est d’ailleurs le point de départ de notre réflexion commune, que vous avez fort bien menée, madame la ministre. Il nous faut bien, à un moment, mettre les « mains dans le cambouis » et nous efforcer d’apporter une réponse dans la loi, par la loi, à cette interrogation profonde.
Le constat est très largement partagé, me semble-t-il, quant au fait que la prison n’est pas toujours une sanction efficace et qu’elle produit même parfois des effets contraires à ceux que l’on recherche, à savoir tendre vers l’harmonie sociale et permettre aux auteurs d’un délit de trouver une voie à suivre pour ne pas plonger forcément dans la prison.
Cette proposition, je le répète, est modérée et je dis à ceux qui s’interrogent ou qui éprouvent des réticences qu’il ne faut pas dramatiser ce sujet, en faire un sujet d’affrontement. Il convient plutôt d’utiliser le peu de temps qui nous reste d’ici à la commission mixte paritaire, si le texte est adopté, pour essayer de tirer profit de la proposition de M. le rapporteur, sans y voir forcément une contradiction frontale avec l’esprit du projet de loi. Je crois que cette réflexion mérite d’être menée.
Nous arrivons à une étape importante de la discussion. Je n’ai jamais autant regretté la procédure accélérée, même si cela ne m’avait pas trop choqué dans un premier temps, car la même procédure avait été utilisée pour la loi pénitentiaire et nous étions finalement parvenus à débattre de manière approfondie. Toutefois, la contrainte pénale apporte un élément beaucoup plus novateur.
À cet égard, je comprends que M. le rapporteur et nombre de nos collègues soient convaincus que, si l’on n’arrive pas à autonomiser cette contrainte pénale, elle risque de ne pas jouer du tout le rôle que nous sommes un certain nombre à souhaiter lui assigner. Nous nous trouvons donc, en quelque sorte, entre le marteau et l’enclume.
J’ajouterai que, étant rapporteur pour avis du budget de l’administration pénitentiaire, je visite assez souvent les établissements pénitentiaires et je crois que l’idée que l’on se fait aujourd’hui de la prison comme peine ultime est fausse.
Aujourd’hui, deux catégories de personnes « fréquentent », si je puis dire, les établissements pénitentiaires. Pour celles qui appartiennent à la première, et que je qualifierai de « classiques », c’est effectivement la pire des peines : ce sont des individus que la prison peut totalement briser. Pour celles qui relèvent de la seconde, qui sont des délinquants souvent plus jeunes, davantage issus de banlieues, parfois en rupture scolaire ou éprouvant des difficultés à se considérer comme intégrés dans notre République, la prison est un épisode d’une sorte de cursus honorum de la délinquance, presque un maréchalat, dont ils pourront ensuite se vanter.
Pour ces individus-là, qui créent dans la société un sentiment d’insécurité, et même une véritable insécurité, la contrainte pénale, les obligations, les interdictions, le suivi personnalisé – dans la mesure où il pourra réellement être assuré, car se pose effectivement le problème des moyens, ainsi que cela a été souligné à maintes reprises –, représenteraient une incommodité finalement beaucoup plus lourde que l’emprisonnement traditionnel.
C’est la raison pour laquelle, en la matière, mon opinion diverge quelque peu de celle des collègues de mon groupe.
M. Lecerf a excellemment mis en avant un certain nombre d’éléments sur lesquels je souhaite à mon tour insister, concernant le sens de la contrainte pénale et le message que l’on fait passer tant aux auteurs potentiels de délits – et l’on espère qu’ils seront dissuadés d’en commettre – qu’à la société.
Ce n’est pas parce que le juge ne pourra plus prononcer la contrainte pénale que les auteurs des délits visés à cet article se trouveront face à la perspective d’une non-sanction : la contrainte pénale peut être beaucoup plus pénible à vivre que la prison !
M. Reichardt disait tout à l'heure : « La France nous regarde, faisons attention à ce que nous disons ! » Oui, faisons attention à ce que nous disons : la contrainte pénale est une véritable sanction, et il n’y aura pas d’impunité lorsqu’on prononcera la contrainte pénale là où, auparavant, on infligeait une peine de prison.
Ici même, nous avons récemment créé un nouveau délit, celui d’entrave à l’action du contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui n’est pas passible de prison. Nous avons donc commencé à aller dans ce sens : il existe d’ores et déjà des délits qui ne peuvent pas être sanctionnés par une peine de prison.
On a aussi évoqué le sentiment que pourraient éprouver les victimes si cet article était adopté. Or, selon moi, même du point de vue des victimes, il peut être important de savoir que, de toute façon, pour tel ou tel délit, l’auteur ne pourra pas encourir la prison. On le sait, certaines victimes renoncent à porter plainte contre l’auteur, notamment s’il s’agit d’un proche, précisément parce elles ne veulent pas qu’il se retrouve finalement en prison. Si, demain, les victimes savent qu’il existe une autre sanction, la contrainte pénale, qui sera efficace tout en évitant une peine de prison à l’auteur du délit, elles hésiteront moins à dénoncer les actes qu’elles auront subis. La contrainte pénale peut donc aussi apparaître comme un moyen de mieux soutenir les victimes.
Enfin, ce n’est pas parce qu’un article crée, pour certains délits, une contrainte pénale sans possibilité d’emprisonnement que la contrainte pénale disparaît pour autant totalement du paysage pour les autres délits : elle reste prononçable dans d’autres cas.
Comme l’a dit Mme Tasca, profitons du temps qui nous reste, certes bien trop court, jusqu’à la commission mixte paritaire pour essayer d’affiner le dispositif.
Mes chers collègues, avant tout, je tiens à vous remercier de tout ce que vous avez dit.
Il est vrai qu’il nous reste peu de temps. Aussi, peut-être nous faut-il faire preuve de pédagogie. Pour être entendus, nous devons émettre un message clair et compréhensible.
Selon moi, le message est simple : la prison ne suffit pas à prévenir les récidives. Voilà ce que nous devons expliquer. Faisons valoir qu’actuellement, face aux délits dont nous parlons, elle n’est pas une solution efficace et que, a contrario, la contrainte pénale, comme peine autonome, pourrait en être une. Tentons le coup !
Je ne crois pas que les gens aient du mal à comprendre que la prison produit de la récidive ! Mme la garde des sceaux a cité des chiffres. Des auditions ont été menées. De tout cela il ressort que le recours systématique à la prison entraîne la multiplication des récidives ! Dès lors, je ne vois pas pourquoi, à cette heure avancée, nous nous torturons tant les méninges sur une question toute simple !
Je tiens à réagir au mot « impunité », qu’a employé M. Reichardt.
Cher collègue, vous vous êtes exprimé de manière très claire : finalement, selon vous, cette réforme conduira à l’impunité pure et simple ! Nous avons pourtant expliqué je ne sais combien de fois au cours de la discussion générale que nous étions contre l’impunité. Je le répète, nous estimons que tout délit mérite sanction. Cependant, si l’on part du principe selon lequel toute sanction implique une référence à la prison, on aboutit à une impasse. Dès lors, une telle position n’est pas réaliste.
Le chiffre est connu : à ce jour, 99 600 peines de prison ferme sont prononcées mais ne sont pas appliquées. Ce sont autant de personnes qui « se baladent » alors qu’elles ont fait l’objet d’une condamnation à une peine de prison ferme !
De surcroît, nous le savons bien, pour les délits qui sont visés à l’article 8 ter, les peines de prison qui sont éventuellement prononcées – et continueraient de l’être si cet article n’était pas adopté – sont généralement courtes. Or les courtes peines n’en emportent pas moins de lourdes conséquences.
D’une part, ce sont celles qui bénéficient du moins d’aménagements, celles pour lesquelles la sortie est la moins préparée.
D’autre part, il suffit de visiter une prison pour constater que l’incarcération fournit à un certain nombre de personnes l’opportunité d’entrer dans un milieu délinquant ou criminel et qu’il est donc, dans bien des cas, préférable d’infliger une peine autre que l’emprisonnement.
Tant que l’on aura dans la tête que « peine égale prison », toute autre forme de sanction, telle la contrainte pénale, sera regardée comme n’étant pas une « vraie peine », comme faisant en quelque sorte moins peur, et notre système pénal restera centré sur la prison.
C’est précisément avec cette logique qu’il faut rompre. Ce mouvement a déjà été engagé via la loi pénitentiaire, où la prison est définie comme le dernier recours. En matière correctionnelle, il faut ne recourir à cette solution que si aucune autre n’est possible.
Le débat de ce soir est important, sinon essentiel, car c’est un changement de culture qui est en jeu. Ce changement, pour notre part, nous avons choisi de l’assumer parce que nous mesurons trop les inconvénients du système actuel. On ne peut pas raisonner comme si la situation présente était idyllique, et comme si elle allait soudain se détériorer du fait de la contrainte pénale !
Le Sénat doit se prononcer sur cette importante question.
Les amendements ne sont pas adoptés.
L'amendement n° 108, présenté par M. J.P. Michel, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Remplacer les mots :
, au premier alinéa de l'article 131-8 et au premier alinéa de l'article 131-8-1
par les mots :
et au premier alinéa de l'article 131-8
II. – Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° À la première phrase du premier alinéa de l'article 131-8-1, après la première occurrence du mot : « emprisonnement », sont insérés les mots : « ou d'une contrainte pénale » et, après la seconde occurrence du mot : « emprisonnement », sont insérés les mots : « ou de la contrainte pénale ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Faut-il en conclure que, si le Gouvernement était rancunier, il laisserait les erreurs matérielles en l’état ?
Nouveaux sourires.
L'amendement est adopté.
L'amendement n° 118, présenté par M. J.P. Michel, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéas 4 et 6
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le rapporteur.
Il a déjà été fait largement état de cet amendement, qui tend à supprimer de la liste des délits pour lesquels seule la contrainte pénale est encourue les délits de vol simple et de recel de vol simple.
Compte tenu des débats que nous venons de consacrer à ces questions, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
L'amendement est adopté.
L'amendement n° 82, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 11
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Au premier alinéa du I de l’article L. 221-2, les mots : « d’un an d’emprisonnement » sont remplacés par les mots : « d’une contrainte pénale » ;
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Il va sans dire que M. le rapporteur a accompli un excellent travail. Cela étant, il nous semble qu’il a omis, dans la liste figurant au présent article, le délit de conduite d’un véhicule sans permis de conduire.
Dans la logique que nous venons d’expliciter longuement, il nous paraît bon de combler cette lacune.
La question des délits routiers s’est complexifiée au fil du temps. Ces délits représentent 42 % des jugements prononcés en correctionnelle. C’est une proportion considérable ! Ils peuvent le cas échéant être punis d’une peine d’incarcération.
Je l’ai déjà indiqué, nous avons envisagé de contraventionnaliser les délits routiers. Toutefois, ce sujet est extrêmement sensible, le comportement des automobilistes dépendant aussi du niveau des sanctions encourues.
Nous travaillons donc sur ce sujet avec la plus grande prudence. La commission Nadal s’est déjà penchée sur cette question, que nous examinons en lien avec les services du ministère de l’intérieur. Je le répète, le facteur psychologique n’est pas négligeable.
Cela étant, compte tenu du long débat que nous avons eu précédemment, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
L'amendement est adopté.
L'article 8 ter est adopté.
Mes chers collègues, nous avons examiné cinquante-huit amendements. Il en reste cinquante-sept.
La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 26 juin 2014 :
À neuf heures trente :
1. Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres et habilitant le Gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d’édition (n° 390, 2013-2014) ;
Rapport de Mme Bariza Khiari, fait au nom de la commission de la culture (n° 637, 2013-2014) ;
Texte de la commission (n° 638, 2013-2014).
2. Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la sobriété, à la transparence et à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques (n° 310, 2013-2014) ;
Rapport de M. Daniel Raoul, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 594, 2013-2014) ;
Texte de la commission (n° 595, 2013-2014) ;
Avis de M. Raymond Vall, fait au nom de la commission du développement durable (n° 592, 2013-2014).
De quinze heures à quinze heures quarante-cinq :
3. Questions cribles thématiques sur la pollution de l’air.
À seize heures et le soir :
4. Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant à renforcer l’efficacité des sanctions pénales (n° 596, 2013-2014) ;
Rapport de M. Jean-Pierre Michel, fait au nom de la commission des lois (n° 641, tomes I et II, 2013-2014) ;
Texte de la commission (n° 642, 2013-2014).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée le jeudi 26 juin 2014, à zéro heure vingt-cinq.