Intervention de Jean-Ludovic Silicani

Commission des affaires économiques — Réunion du 25 juin 2014 : 1ère réunion
Secteur des télécommunications — Audition de M. Jean-Ludovic Silicani président de l'autorité de régulation des communications électroniques et des postes arcep

Jean-Ludovic Silicani, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) :

Je vous remercie de votre invitation, qui coïncide avec un moment très important pour un secteur toujours en mouvement. Nous venons en outre de rendre public notre rapport d'activité, que je suis heureux de vous remettre.

Le marché français des télécoms est extrêmement contrasté. Il connaît une forte croissance en volume - le nombre d'abonnés a augmenté de 5 % par an pour les services mobiles, un record en Europe ; la consommation de données échangées a progressé de plus de 60 % en 2013. La 4G connaît également une croissance bien plus rapide que prévue.

Cette forte dynamique du marché mobile s'accompagne d'une croissance remarquable du marché fixe : le nombre d'abonnés au haut ou au très haut débit a augmenté de 4 %, le nombre des foyers éligibles au très haut débit a dépassé onze millions au 31 décembre (un foyer sur trois), tandis que le taux d'abonnement passait de 10 % à 20 % en un an. Nos concitoyens manifestent pour le très haut débit fixe une appétence qui ouvre un cercle vertueux : la croissance des abonnements apporte des revenus qui génèrent des services, qui eux-mêmes suscitent des abonnements.

Nous assistons parallèlement à une baisse des revenus des opérateurs, du fait de celle des prix des services mobiles. Les prix de détail des offres grand public ont baissé de 40 % entre 2011 et 2013. Alors que, jusqu'à la fin des années 2000, le panier mobile moyen français était de 25 % supérieur à celui des pays européens comparables, il est désormais un peu inférieur à leur moyenne, quoique toujours légèrement supérieur à celui de Grande-Bretagne.

La baisse des prix a provoqué celle des revenus dégagés par ces services, et en général celle des revenus de détail des opérateurs. Il importe de veiller à ne pas entamer leur capacité d'investissement. Leur situation n'a pas été mauvaise en 2013, puisque leur marge rapportée à leur chiffre d'affaires est restée stable, autour de 30% : si elle paraît élevée, elle est indispensable à un secteur capitalistique qui nécessite des investissements importants. Ceux-ci se sont maintenus en 2013 au niveau de 2011 et 2012, soit 7 milliards d'euros - un record hors achats de fréquences. C'est, selon les opérateurs, la Fédération française des télécoms (FFT), l'Arcep et le ministère compétent, l'ordre de grandeur adéquat pour moderniser les réseaux existants et en développer de nouveaux.

Ces évolutions se sont accompagnées de la reprise de la baisse importante de l'emploi dans le secteur, à raison de 2 500 à 3 000 par an. C'est le résultat des gains de productivité massifs accomplis par les technologies des télécoms : aux États-Unis, 500 000 emplois ont été détruits en dix ans. Cette baisse, qui s'était interrompue entre 2010 et 2012, du fait de moindres baisses d'effectifs chez Orange, est liée à des départs non remplacés.

La convergence entre fixe et mobile - demain, les réseaux seront essentiellement fixes et les usages essentiellement mobiles - induit des gains d'efficacité considérables, encouragés d'ailleurs par la loi française qui requiert des investissements efficaces, pour reprendre les termes de la loi. Parallèlement, le modèle économique des opérateurs, qui était fondé sur la voix, repose désormais sur l'échange des données. Les opérateurs doivent accélérer la transformation de leurs offres tarifaires en fonction de la bande passante.

Tandis qu'en 2008 et 2009, un quatrième opérateur mobile était nécessaire pour mettre fin à ce que le ministre Arnaud Montebourg a appelé la rente des opérateurs existants, une concentration du marché est maintenant envisageable. Elle est uniquement conditionnée par la nécessité de préserver les acquis de la baisse des prix obtenue grâce à l'arrivée du quatrième opérateur, comme le souligne le ministre de l'économie.

Un rapprochement entre Numericable et SFR est en cours, et un autre est envisageable pour Bouygues Telecom, le plus petit des opérateurs. Je suivrai toutefois la recommandation du Premier ministre de ne pas commenter de rumeurs. Bouygues Telecom a expliqué il y a quinze jours, par la voix de son président M. Olivier Roussat, son choix de demeurer indépendant. Cela n'exclut pas un rapprochement futur avec Orange, dont le projet serait alors soumis à la Direction générale de la concurrence.

La consolidation dynamique du marché stabilisera le balancier en un juste milieu entre la baisse des prix - déjà nettement ralentie au second semestre 2013, et en passe de s'amortir d'ici la fin de l'année - et la préservation des revenus des opérateurs. Première mesure susceptible d'y contribuer, les entreprises du secteur doivent continuer à se moderniser, afin d'assurer non seulement leur efficacité propre, mais celle de l'économie numérique et, à terme, de l'ensemble de l'économie : elles sont emboîtés comme des poupées russes. On ne peut que se féliciter de la décision conjointe d'Orange, Alcatel et de Thales de présenter à la Commission européenne un projet commun sur la 5G, afin que l'Europe redevienne un lieu d'innovation.

Deuxièmement, il importe que soient rééquilibrés, dans le comportement des opérateurs comme des consommateurs, les deux principaux critères qui président au choix d'une offre : le prix est aujourd'hui privilégié par rapport à la qualité du service rendu. C'est pourquoi nous avons rendu publique hier une photographie très complète des niveaux de qualité de service des différents opérateurs en 3G et 4G. Ceux-ci ont maintenant compris que la consolidation du secteur ne dépendait pas uniquement de leur concurrence sur les prix, mais que la transparence contribuerait au bon fonctionnement des marchés.

Troisièmement, la mutualisation des réseaux rendra possibles des économies d'investissement dans le domaine du fixe comme dans celui du mobile ; le lancement de la 4G s'accompagnait notamment d'un encouragement à la mutualisation dans les zones les moins denses. Nous veillerons à ce qu'elle ne se développe pas uniquement dans les zones urbaines, ce qui répond à votre voeu, monsieur le Président, de la voir servir de palliatif à l'arrivée tardive du très haut débit fixe dans les zones rurales. Enfin, une concentration accrue du marché est enfin envisageable, pourvu que les conditions en soient réunies.

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