La réforme territoriale est nécessaire, cela fait consensus, mais sous quelle forme ?
Elle doit tout d'abord approfondir la décentralisation. En 1982, le législateur n'a pas choisi ; il a mis en place une vraie-fausse décentralisation car, en refusant de hiérarchiser les niveaux - trois en théorie, quatre en réalité -, le législateur a mis en place un système de cogestion entre l'État et les collectivités plutôt qu'une véritable politique publique de décentralisation. La réforme propose de choisir. Le dispositif attribue une autorité à un échelon, contribuant ainsi à la mise en ordre du système territorial. Il ouvre aussi la possibilité de déléguer la gestion à un ou plusieurs autres niveaux, renforçant ainsi la cohérence du système sans enfreindre le principe de non-tutelle d'une collectivité sur une autre.
Le deuxième enjeu de la réforme est budgétaire. En constituant de grands ensembles, on diminuerait les coûts induits par un émiettement de l'autorité - coûts fixes et coûts de coordination, appelés aussi coûts de transaction dans la terminologie de l'économie industrielle. La carte soumise au débat propose surtout de s'affranchir des micro-régions - bi ou tri-départementales - en les regroupant, plutôt que d'en constituer de très grandes. Une macro-région fait exception, celle qui regroupe Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, à mon avis trop grande, sauf si le projet consiste à pérenniser l'échelon des assemblées départementales dans les macro-régions et à favoriser une fusion verticale avec les conseils généraux dans les régions de petite taille - le Nord-Pas-de-Calais ou la Bretagne, par exemple.
Le troisième enjeu de la réforme est d'adapter la carte territoriale aux évolutions de la société. À l'ère de la mobilité, on ne mesure plus les distances en journées de cheval, sauf à avoir des micro-territoires qui ne correspondent pas aux aires de déplacements quotidiens de la population. En proposant d'agrandir la taille des régions dans une limite raisonnable - celle de la métropole rayonnant sur son arrière-pays, comme le préconise la loi Mapam du 27 janvier 2014 - la réforme serait une opportunité de réorganiser les fonctions de redistribution à une échelle élargie : c'est là son quatrième enjeu. Toutes les études montrent que plus on accroît la taille des circonscriptions fiscales, plus on résorbe les inégalités qu'elles recèlent. L'échelle du département est désormais bien trop réduite pour que les fonctions de solidarité s'y exercent de manière efficace. Elle doit être élargie, et cela d'autant plus que l'enjeu n'est plus strictement national, mais européen.
Aucun redécoupage ne peut satisfaire tout le monde. Ceux de 1790 et de 1956 ont donné lieu à de vives protestations. Redécouper la carte impacte forcément la hiérarchie des villes ; il y aura toujours des gagnants et des perdants. Personne ne souhaite être relégué aux périphéries, mais tout le monde ne peut pas être au centre. Quitte à se marier, autant faire un beau mariage, avec un territoire riche, sur de bonnes bases fiscales. Mais alors, tout le monde souhaitera être rattaché à l'Île-de-France, et la décentralisation ne se fera pas. Construire une carte autour de l'aire de rayonnement des métropoles pose forcément un problème d'accommodement des restes. Il faut alors dessiner des régions autour de chefs-lieux appelés à devenir des métropoles - Tours, par exemple, à une échelle de trente ou quarante ans. Enfin, l'histoire fait son oeuvre. La littérature du XIXème siècle critique largement le découpage artificiel des départements. Les populations l'ont pourtant adopté, comme elles ont adopté le redécoupage de 1964. Certains mouvements culturels défendent même le 9-3, territoire improbable qui a acquis une identité. Les institutions créent les identités, et pas l'inverse.