La commission entend tout d'abord M. Claudy Lebreton, président, Mme Françoise Perol-Dumont, vice-présidente, et M. René-Paul Savary, président de la commission « Économie » de l'Assemblée des départements de France (ADF).
Notre rapporteur M. Delebarre a commencé ses auditions la semaine dernière avec celle du ministre de l'intérieur et de la décentralisation et celle du président de l'Association des régions de France (ARF). Nous poursuivons aujourd'hui avec M. Claudy Lebreton, président, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, vice-présidente, et M. René-Paul Savary, président de la commission économie de l'Assemblée des départements de France (ADF).
Notre commission spéciale est saisie, pour l'heure, uniquement du projet de délimitation des régions, non du texte relatif à la nouvelle organisation territoriale de la République. Les deux forment pourtant un tout et ont été présentés le même jour en conseil des ministres. Monsieur le président, quelle est votre analyse de ces textes ?
Merci de nous recevoir. Il va m'être difficile de vous donner la position officielle de l'ADF sur la modification de la carte régionale puisque nous nous réunissons demain en assemblée générale ordinaire pour nous prononcer sur les deux textes.
Je peux néanmoins vous dire notre incompréhension, non pas sur la diminution du nombre de régions, mais sur les critères qui ont présidé à ce redécoupage. Les relations des régions avec l'État ne semblent pas avoir fait l'objet d'une réflexion, pas plus que les relations avec l'Europe et les autres régions d'Europe. Difficile néanmoins de comparer nos régions aux Länder allemands ou aux régions autrichiennes ou belges, ces trois États ayant une organisation fédérale. L'Espagne, quant à elle, est un État à autonomie régionale.
Nous avions été nombreux à saluer l'excellent rapport de MM. Raffarin et Krattinger sur une nouvelle organisation territoriale, qui proposait la création de huit grandes régions avec des fonctions bien déterminées, aménagement du territoire, santé, éducation, formation, action économique. Dans les regroupements envisagés par le Gouvernement, par exemple Poitou-Charentes, Limousin et Centre, je vois quels noms sont derrière, mais je ne perçois pas la cohérence. Dans plusieurs régions, comme en Bretagne, des questions identitaires sont posées - mais le passé nous enseigne qu'il faut se méfier de la revendication identitaire, qui n'est pas le simple sentiment d'appartenance à un territoire.
Le projet de loi prévoit que les assemblées régionales ne compteront pas plus de 150 membres : il faudra néanmoins veiller à ce que les départements soient représentés, puisque le deuxième texte prévoit à terme la suppression du conseil général qui, entre temps, sera devenu conseil départemental.
Sans assemblée, point de collectivité territoriale. Constitutionnellement, une circonscription administrative départementale de l'État ne pourrait être assimilée à un département.
Nous avons rappelé au président de la République que l'on ne pourrait supprimer les départements sans passer par une révision de la Constitution. N'oublions pas non plus la décision du Conseil constitutionnel sur la Corse, qui nous préserve momentanément.
La France est diverse et sa ruralité, vivante et démographiquement dynamique. Attention à ne pas déséquilibrer la représentation, alors que le sentiment d'abandon est déjà fort dans ces espaces - voyez les récents résultats électoraux. Une assemblée régionale à 150 conseillers priverait le monde rural de représentation.
Ce projet de loi tient compte de la décision du Conseil constitutionnel pour régler le cas d'éventuels décès pour les futures élections départementales dans le cadre du binôme. Très bien. En revanche, il ne dit rien des départements de la métropole d'Île-de-France. Le Premier ministre, après le 8 avril 2014, a évoqué une accélération du calendrier de la réforme, ce qui impliquait de faire disparaître les départements beaucoup plus tôt que prévu, mais nous avons plaidé en sens contraire. Même si des transferts de compétences doivent intervenir, il faudra tout de même que quelqu'un fasse le travail.
Si de grandes régions sont formées, il sera d'autant plus nécessaire de disposer d'un niveau intermédiaire entre les collectivités locales de base et ces vastes ensembles. Dans les six pays les plus peuplés d'Europe, il y a trois niveaux. Cette réforme prévoit de renforcer les intercommunalités, mais comment leur transférer la protection maternelle et infantile (PMI) ou la protection de l'enfance, qui est la deuxième dépense des départements ? J'entends dire que le conseil général ne serait qu'un guichet pour distribuer les trois allocations individuelles de solidarité, mais c'est oublier les politiques d'insertion sociale ou professionnelle ainsi que celle en faveur des personnes âgées.
Mes propos vont refléter en grande partie la position du groupe majoritaire de l'ADF que je préside. Nous sommes favorables à une évolution de l'architecture territoriale, si elle concourt à l'approfondissement de la décentralisation, dans l'intérêt des populations, comme ce fut le cas pour tous les textes votés depuis les années quatre-vingt.
Une fusion des régions, pourquoi pas, mais avec quels objectifs, quelles compétences et quels moyens ? Pour l'heure, les régions n'ont aucun levier fiscal et elles sont sous tutelle des dotations de l'État.
Je soutiens le Gouvernement mais je suis surprise par la manière dont les regroupements se font. Une première carte est parue dans la presse le dimanche, puis le président de la République a présenté la sienne le lundi. Il faut tenir compte de l'histoire, du vécu, des réalités territoriales, des intérêts économiques, des bassins de vie. Et l'addition de territoires en difficulté ne donnera pas une région riche, elle ne fera qu'ajouter un handicap. J'ajoute qu'une adhésion locale au projet est nécessaire : le Limousin souhaite le rattachement avec l'Aquitaine et le Poitou-Charentes, pour satisfaire son tropisme atlantique, mais pas avec le Centre.
S'il y a de grandes régions, un niveau intermédiaire est absolument nécessaire pour assurer la proximité et surtout la péréquation. Le conseil général est en effet le seul à redistribuer la richesse entre territoires riches et pauvres.
J'attends beaucoup du Sénat en matière de transfert de compétences. J'espère que vous vous opposerez au détricotage des politiques de proximité. Il n'est pas très cohérent, par exemple, de transférer les transports scolaires aux vastes régions qui seront éloignées des réalités du terrain, alors que les départements disposent, à l'heure actuelle, d'antennes de proximité pour réagir rapidement. Dans certains départements ruraux, en outre, il est impensable de créer des communautés de communes à 20 000 habitants.
Enfin, les communautés de communes étaient jusqu'à présent le prolongement du fait communal, et non l'inverse, comme le propose ce texte. J'ai toute confiance dans la sagesse sénatoriale pour prendre en compte tous ces éléments.
». - Représentant des présidents de conseils généraux de la droite, du centre et des indépendants, j'approuve les propos qui viennent d'être tenus... je serai même un peu plus modéré ! Il y a quelques années, nous avions voulu un conseiller territorial en charge des actions de proximité des départements, mais exerçant aussi des compétences régionales stratégiques bien définies. La majorité actuelle l'avait combattu et propose une autre version, mais sans échelon de proximité, ce qui est une absurdité.
Dans la future région Picardie-Champagne-Ardenne, les régions sud de la Haute-Marne seront aussi proches d'Amiens que de Marseille ! Pour refaire la traverse d'un bourg ou moderniser un collège, à qui s'adressera-t-on ? La répartition des compétences n'est pas cohérente. En outre, quid des départements chefs-lieux de région qui vont passer de vingt-deux à quatorze ? Les huit départements laissés pour compte vont beaucoup perdre : Châlons-en-Champagne va se dépeupler et son économie s'étiolera.
Non, les départements ne sont pas seulement des guichets sociaux : ils ont un rôle essentiel en matière d'expertise et de mutualisation. Certains ont mené des actions soutenues, en faveur de la petite enfance par exemple. Toutes ces politiques, menées depuis vingt ou trente ans, ne sont pas transférables aux intercommunalités, car ces dernières n'y sont pas prêtes. Dans mon département rural, où la densité moyenne s'élève à 52 habitants au kilomètre carré, il faudra créer cinq ou six intercommunalités, qui deviendront cinq ou six petits départements, pour mener la politique du conseil général. La taille critique ne sera pas atteinte et je ne vois pas où l'on fera des économies. Enfin, les intercommunalités disposent rarement de la compétence sociale, or c'est bien elle qu'il faudra transférer en priorité. Les difficultés à venir sont immenses.
J'ai écouté avec attention cette défense et illustration des départements, mais ils ne sont pas l'objet du présent projet de loi ! Je comprends que la question des compétences vous préoccupe, mais le projet de loi que nous avons à examiner ne remet pas en cause les responsabilités des départements. Le seul point concernant ces derniers concerne la possibilité, pour certains d'entre eux, frontaliers, de changer de région de rattachement.
Le président Lebreton a cité le rapport Krattinger - Raffarin qui était favorable à la création de huit ou dix régions, à condition qu'un échelon de proximité soit maintenu.
Pour l'instant, il est toujours possible de réduire le nombre de régions.
L'intervention de notre rapporteur démontre bien que l'on a pris les choses à l'envers, en traitant du découpage avant d'étudier les compétences. Devons-nous voter la carte en l'état, monsieur Lebreton ? Pensez-vous qu'en huit jours, nous avons le temps de redessiner une autre carte ? Pourrons-nous modifier celle qui nous est soumise afin de rattacher certains départements à une autre région ? L'intercommunalité pourra-t-elle se substituer aux départements ? Êtes-vous favorable à la suppression des départements ?
Quoi qu'en dise notre rapporteur, ce projet de loi fait partie d'un tout et il conviendrait d'en offrir une vision d'ensemble, au lieu de saucissonner les textes. Nous verrons ce qu'en dira le Conseil constitutionnel. Monsieur Lebreton, vous vous êtes engagé à réactualiser une étude d'impact de 2009 sur les économies à attendre d'une suppression des départements. Où en est-on ?
Le transfert aux intercommunalités de la compétence sociale va émietter celle-ci. La parcellisation va à l'encontre de la mutualisation que l'on prétend nous imposer avec de grandes régions. Quelle contradiction ! Enfin, la disparition des départements vous convient-elle ?
Que pensez-vous de la demande de certains départements de changer de région ? Les présidents de conseils généraux doivent-ils pouvoir donner leur avis ? En dépit du respect que j'ai pour notre rapporteur, c'est une imposture de prétendre, comme il le fait, que ces deux textes n'ont rien à voir l'un avec l'autre. Êtes-vous favorable, monsieur Lebreton, au report des élections départementales ? Si les deux textes ne sont pas liés, pourquoi ces modifications de calendrier électoral ? Enfin, que pensez-vous de la dévitalisation, puis de la suppression des conseils généraux ?
Les deux textes forment un tout mais quel objectif poursuivent-ils ? Souhaite-t-on aller vers un État fédéral afin de transférer la dette de l'État aux collectivités ? Avec ces deux projets de loi, les régions et les intercommunalités vont accroître considérablement leurs pouvoirs. Cette politique va à l'encontre de la décentralisation voulue dans les années quatre-vingt. Le rapport de force vertical n'est pas démocratique et ce n'est pas par une telle réforme que l'on va rapprocher le citoyen de la politique.
La décision du Conseil constitutionnel est-elle une référence pertinente, au regard de la singularité des territoires ? L'élu local représente, c'est sa spécificité, des habitants et un territoire : les 150 élus prévus par la loi comme effectif maximum des futurs conseils régionaux suffiront-ils ?
Cette réforme représente une vraie rupture. Jusqu'à présent, toutes les lois relatives aux collectivités ont renforcé à la fois la décentralisation et la mutualisation grâce à l'intercommunalité. Ne sommes-nous pas en train d'assister à une recentralisation des compétences de proximité exercées par les départements en faveur d'hyper-régions ? Et à une démutualisation, du fait de la disparition programmée des départements, en faveur des intercommunalités ? Qu'attendez-vous, monsieur Lebreton, et qu'attend l'ADF, pour entrer en résistance ?
La façon dont ce débat s'engage me choque, d'autant qu'il n'y a pas d'urgence. Étonnez-vous, après, du désintérêt de nos concitoyens pour la chose publique ! Il serait plus honnête et responsable de redéfinir les compétences, les moyens et les complémentarités des collectivités, avant de songer à redécouper les régions. La France parlera-t-elle d'une seule voix demain à Bruxelles, ou bien les présidents de région pourront-ils également dire leur mot ? En tant que parlementaires, nous devons trancher ces questions fondamentales qui engagent l'avenir de notre pays et de l'Europe. Les parlementaires ont le devoir d'exiger un travail sérieux, sans lequel ils seront discrédités.
Le projet de loi Lebranchu ne prévoit pas la disparition du département, celui-ci conserve l'action sociale et l'accès aux services publics. Il n'est pas question explicitement de disparition à l'horizon 2020. À cet égard, le futur est incertain.
Les régions sont renforcées dans leur fonction de planification et développement économiques. La réforme interdit-elle aux départements une nouvelle légitimité ? Entre les petites intercommunalités et les grandes régions, il y a un espace à investir... Les départements ne devraient-ils pas être, eux aussi, redécoupés pour coller à la réalité des territoires ? Cette loi a pour but de préciser les compétences des uns et des autres, non de supprimer les départements.
Il fallait une réforme, nous a-t-on dit, pour réaliser des économies. Où les trouvera-t-on ? Y en aura-t-il ? La Cour des comptes va-t-elle produire un rapport sur cette question ? Je suis persuadé que les surcoûts vont être colossaux, ainsi que les calculs de l'ADF le laisse penser. En Champagne-Ardenne, la région impose aux communautés de communes, si elles veulent bénéficier du fonds européen de développement régional (Feder) de créer une nouvelle strate.
Non ! Elle nous demande de créer des pôles d'équilibre territorial et rural (PETR) ! Une telle demande est inconstitutionnelle car des aides ne peuvent être conditionnées à de nouvelles obligations posées par une autre catégorie de collectivités. Pourtant, c'est ce qu'exige le président de notre région, si bien que nous devons embaucher de nouveaux fonctionnaires. Alors que l'on nous demande de diminuer le nombre de strates, certains s'ingénient à en créer de nouvelles.
Je m'élève contre l'idée absurde que des intercommunalités de 20 000 habitants pourraient remplacer les départements. Qui, demain, s'occupera de la montée en débit ? Les intercommunalités pourront-elles rassembler les 60 millions d'euros que chaque département investit à la demande de l'État ? L'équilibre des territoires passe par les départements.
Alors que l'on nous dit qu'il faut accroître la taille des régions, le Nord-Pas-de-Calais en reste à deux départements, au moment même où la métropole lilloise va se constituer. Il y a là une anomalie criante. À l'évidence, le Nord-Pas-de-Calais doit être rattaché à la Picardie.
Va-t-on estimer sérieusement le coût de cette réforme, au lieu de laisser de prétendus spécialistes clamer à longueur de journée qu'elle fera économiser 30 milliards d'euros ? Si les pompiers sont renationalisés, il faudra prévoir des généraux pour commander les colonels des départements. Belle économie ! J'aurais aimé voir le président de l'ADF plus combatif. Qu'il nous défende ! Demain, avec ce texte, les territoires ruraux n'auront plus ni défenseurs, ni aménageurs. Ce texte est un mensonge, sur les économies à attendre, et même sur l'avenir des territoires. Il doit être vigoureusement combattu.
J'ai eu la chance d'être membre de la commission des lois de l'Assemblée nationale en 1981, lors des débats sur la décentralisation. Trente-trois ans plus tard, j'entends les mêmes arguments. D'une certaine manière, cela me rassure : j'en déduis que nous pourrons tout de même progresser. L'histoire ne bégaie pas, mais elle se répète !
M. Bas m'a invité à entrer en résistance. Faut-il prendre le maquis ?
Dans ma propre famille politique, je ne reçois pas seulement des louanges ou des soutiens, car je suis un homme libre. Nous bouleversons une organisation territoriale qui existe depuis des décennies. Ne rien faire serait une erreur, mais il faut réfléchir aux meilleures modalités pour renforcer la démocratie locale. Cette réforme intervient dans les pires conditions économiques et sociales. Si, comme en 1981, elle avait été présentée dans les cent premiers jours de la mandature, les choses auraient été plus simples. Avec le retard accumulé, les groupes de pression se sont mis en marche, le compromis est devenu plus difficile à atteindre - même si des avancées ont d'ores et déjà été enregistrées.
Les deux volets de la réforme sont liés. Je suis même allé plus loin que certains d'entre vous, en liant réforme de l'État et Europe - la tribune du président de la République ne comportait que deux lignes à ce sujet, pourtant essentiel. La confiance des Français à l'égard de leur administration territoriale atteint 84 %, alors qu'elle n'est que de 52 % vis-à-vis de l'administration d'État. Nous avons fait la preuve de notre efficience sur le terrain, même si certains nous font encore des procès d'intention parfaitement injustes.
J'ai donné mon point de vue sur la carte des régions. Les conclusions du rapport Krattinger-Raffarin étaient excellentes. L'ADF ne peut toutefois proposer d'amendements : ce droit n'appartient qu'aux parlementaires. D'aucuns proposent que l'on modifie la carte pour donner à certains départements en bordure de région la possibilité d'en rejoindre une autre. Ce serait parfois cohérent, comme pour les deux départements de Charente, plus proches de la Gironde que de la grande région centrale, ou l'Oise, davantage dans l'orbite parisienne que picarde, comme le souligne M. Yves Rome. Le lien entre Loire-Atlantique et Bretagne prête aussi à débat. Or on n'a pas demandé leur avis aux collectivités territoriales. Un découpage plus précis s'impose.
M. Mézard me demande si j'approuve le report des élections départementales. On a d'abord cru qu'il n'y aurait plus d'élections, puisque la suppression des départements devait intervenir au 1er janvier 2016. Nous nous réjouissons qu'elles se tiennent finalement en décembre 2015, mais sommes hostiles à tout transfert de compétences des départements vers d'autres collectivités territoriales. Prenez les collèges : ce sont d'abord des établissements publics de proximité, plus proches des écoles primaires et maternelles, tandis que les lycées sont plus proches de l'enseignement supérieur. Nous nous opposons en tout cas à la dévitalisation des départements.
Sur les aspects financiers : j'ai été le premier à demander publiquement au président de la République et au Premier ministre de commander à la Cour des comptes, dont la crédibilité est unanimement reconnue, une étude chiffrée des économies de dépenses escomptées. L'Élysée et Matignon m'ont dit leur accord, mais nous attendons toujours. L'ADF avait publié une telle étude en 2009 : nous avons demandé au cabinet qui l'a réalisée de l'actualiser, mais la meilleure solution reste de solliciter les magistrats de la rue Cambon, afin de faire taire les nombreux médias qui propagent des contre-vérités parfois insupportables sur ce sujet.
La France est le seul pays d'Europe à avoir refusé les fusions de collectivités. Avant le dernier élargissement de l'Union européenne, la moitié d'entre elles se trouvaient en France - nos 36 000 communes représentent désormais près de 40 % du total. L'invention de l'intercommunalité visait à remédier à cet émiettement, en évitant la création d'un niveau supplémentaire. La loi sur les métropoles n'a créé qu'une seule nouvelle collectivité : la métropole de Lyon. Certains parlementaires proposeront d'en créer de nouvelles... Le découpage du territoire au gré des volontés des uns et des autres est une méthode choquante. Ancien président du Comité des régions, je suis acquis au principe de subsidiarité. Je suis également favorable au principe de spécificité : les caractéristiques démographiques, économiques, sociales des différentes régions exigent que l'on procède différemment, par exemple en Ile-de-France et en Rhône-Alpes.
Le rapport Balladur prédisait « l'évaporation des communes et des départements », et voyait dans la communauté de communes « la commune du XXIème siècle ». Les intercommunalités sont aujourd'hui de trois types : communauté urbaine, communauté d'agglomération et communauté de communes. La loi Mapam du 27 janvier 2014 entendait conférer aux métropoles les compétences des départements. Le président de l'Association des communautés urbaines n'y est toutefois pas favorable, car les communautés urbaines sont spécialisées sur la formation supérieure, les enjeux économiques et stratégiques, et les départements, eux, sur la politique sociale. Or il ne peut y avoir une action sociale des villes et une action sociale des campagnes. Je ne plaide pas pour autant pour une parfaite homogénéité, car elle serait contraire à la liberté politique locale inhérente à la décentralisation.
Monsieur Longuet, l'équilibre entre les hommes et les espaces est un exercice difficile. Voyez le débat sur le mode de scrutin cantonal : certains plaidaient ici pour un écart de population de plus ou moins 30 % entre cantons d'un même département, et non de 20 %. Dans les futures régions, il faudra trouver le meilleur équilibre entre les espaces, sans oublier qu'un espace vit, ses habitants bougent.
Monsieur Doligé, si j'étais pour la suppression des départements, que ferais-je à la tête de l'ADF ? Je crois beaucoup à cette collectivité de proximité. Ce serait la première fois que l'on supprimerait une collectivité dont les représentants sont élus au suffrage universel...
Monsieur Dantec, la France n'est pas un État fédéral, mais un État unitaire décentralisé, ainsi qu'en dispose la Constitution depuis 2003. Je ne voudrais pas que l'on substitue à un État jacobin des régions qui deviendraient à leur tour de petits États jacobins.
C'est la première fois qu'une loi de décentralisation ne transfère aucune compétence de l'État en faveur des collectivités territoriales. J'y vois un texte de clarification plus que de décentralisation. J'aurais voulu que l'on discute enseignement supérieur, santé, double autorité du préfet et du président de région sur le service public de l'emploi... De nombreux sujets ne sont pas abordés, comme si nous avions peur des collectivités territoriales, de leurs élus et de leur administration. Or nous ne nous en sortirons que si nous décentralisons davantage. La France est au dix-septième rang au sein de l'Union européenne en matière de décentralisation, loin derrière les autres États les plus peuplés. Autrement dit : nous sommes les derniers de la classe. Nos choix sur cette question conditionneront la lutte contre le chômage, le développement de nos territoires et des entreprises.
Vous avez fait référence à la cassure entre la classe politique et la population. Toute réforme qui éloignerait davantage les élus de leurs concitoyens nuirait à la République et à la démocratie. Mode de scrutin sénatorial mis à part, deux modes de scrutin confèrent une légitimité directe : ceux, uninominaux directs, utilisés pour l'élection des députés et des conseillers généraux. J'y vois une richesse démocratique.
La commission entend ensuite M. Pierre Jarlier, sénateur, vice-président de l'Association des maires de France (AMF).
Nous accueillons à présent M. Pierre Jarlier, sénateur, vice-président de l'Association des maires de France (AMF).
Veuillez excuser M. Jacques Pélissard, président de l'AMF, qui n'a pu se libérer à temps. Le bureau de l'AMF se prononcera sur ce texte dans quelques jours seulement. Je vous livrerai donc de simples réflexions personnelles.
Nous aurions aimé avoir une vision plus globale du projet incluant compétences, moyens, modes de représentation, avant d'examiner les aspects électoraux. Bref, un grand texte fondateur avant les dispositions opérationnelles. Ce manque de visibilité à long terme, cette absence d'écriture précise de la future organisation territoriale, suscitent l'inquiétude de nombreux élus.
La réforme territoriale est indispensable mais indissociable d'une réforme de l'État et de la présence de l'État sur nos territoires. S'agissant des régions, la question de leur taille importe moins à nos yeux que celle de leurs compétences et de leurs moyens. L'organisation prime le découpage.
Sur la clarification de la carte régionale, notre position n'est pas arrêtée. Les rapports parlementaires convergent : de grandes régions sont indispensables pour égaler les collectivités de nos voisins européens. La méthode de découpage pose toutefois problème. Le choix est certes difficile, mais un débat préalable dans chaque territoire eût été opportun. Le redécoupage fait en outre planer deux risques : l'éloignement des citoyens et la représentation d'un nombre accru d'habitants par un nombre réduit d'élus.
La clarification des compétences n'est certes pas l'objet du premier volet de la réforme. Un mot toutefois. Prenez l'aménagement du territoire : aujourd'hui, les communes élaborent avec les départements des projets territoriaux, en suivant les critères qu'ils fixent et les attentes qu'ils expriment ; puis elles réitèrent ce travail avec les critères et les attentes des régions, au risque de l'incohérence. Nous aurions besoin d'un interlocuteur unique. De même pour le transport scolaire, que le département délègue aux intercommunalités, gestionnaires de proximité : sécurité, circuits, suivi des familles...
Le conseil général décide en principe des tarifs, mais certaines intercommunalités prennent parfois la décision d'appliquer un tarif unique, par souci d'attractivité. Alors, elles sont contraintes de rembourser le trop-perçu aux familles. Des clarifications seraient bienvenues, quitte à remettre en cause les pratiques actuelles.
Deuxième problème : la représentation. En Auvergne, le Cantal dispose de cinq élus sur quarante-sept. Avec ce texte, il n'en aurait plus que trois, dans le meilleur des cas. La représentation en zone rurale serait bien plus affaiblie qu'en zone urbaine. Les maires s'inquiètent. Ils ne sont pas opposés à l'idée de rejoindre une grande région, car cela relève d'un choix stratégique, qui est une autre affaire. Mais ils voient d'un mauvais oeil la perte de proximité et de représentativité dans les régions rurales.
Première proposition pour y remédier : faire coïncider le nombre d'élus et le nombre de candidats. Cela aurait une incidence assez faible, en faisant passer le nombre maximal de conseillers régionaux de 150 à 176. Au plan national, nous passerions de 1 611 à 1 805 conseillers régionaux. La loi portant création du conseiller territorial fixait leur nombre à 3 480... Nous en restons loin, tout en améliorant la représentation des territoires. Si nous procédions ainsi, il faudrait également introduire un scrutin départemental, pour éviter de créer une variable d'ajustement en fonction des scores régionaux.
Seconde adaptation possible : assurer un seuil minimum d'élus par département, deux ou trois en fonction des impératifs constitutionnels. Il faudrait, dans cette hypothèse, également revenir à un scrutin départemental. Les maires sont très attachés au fait d'être représentés par des conseillers en nombre suffisant.
Troisième sujet : celui de la proximité. La commune est le premier échelon de la démocratie locale ; toute réforme en matière de démocratie de proximité doit s'organiser à partir du bloc communal. Celui-ci doit certes évoluer, non vers la supracommunalité, mais vers des communes et des intercommunalités plus fortes. Le président Pélissard avait d'ailleurs déposé une proposition de loi destinée à encourager la création de communes nouvelles. Nous regrettons que ce texte n'ait pas été débattu, et espérons qu'il sera intégré dans le second volet de la réforme. En zone rurale, il est des communes dont le faible nombre d'habitants ne leur permet plus d'assurer leurs charges quotidiennes. Par solidarité, certaines se sont donc regroupées. Ces rapprochements doivent rester volontaires, car les mariages forcés ne fonctionnent pas : la loi Marcellin l'a démontré. Le nouveau modèle que nous défendons vise à créer des entités plus fortes capables d'assumer leur compétence générale - à laquelle nous sommes tous très attachés. Nous associons à nos propositions les incitations nécessaires et prévoyons une gouvernance de transition.
Le développement local s'organise autour de l'intercommunalité. Ce niveau doit être renforcé. La question du seuil se pose. Tenons compte de la diversité de nos territoires. Tous n'ont pas la même densité de population. Certaines communautés, pour arriver à 15 000 ou 20 000 habitants, devraient rassembler 80 ou 90 communes... La récente décision du Conseil constitutionnel sur la représentativité des communes au sein des intercommunalités remet d'ailleurs en cause de nombreuses fusions. Nous voulons des intercommunalités fortes, capables de contractualiser leurs projets de développement avec les régions.
Dissocions les départements, créés par l'État, et les conseils généraux, collectivités territoriales.
Une collectivité territoriale requiert un territoire, des compétences et une assemblée élue. Vous pourrez dire ce que vous voulez, le département est constitutionnellement constitué comme la région et la commune. Supprimer le département exigerait une révision constitutionnelle.
Ce n'est pas ce que je m'apprête à proposer.
Dans les départements ruraux, la taille des intercommunalités ne sera jamais suffisante pour mener des politiques de développement efficaces et pour relayer les compétences attribuées aux niveaux supérieurs. Cette entité départementale serait une évolution de l'actuel conseil général.
L'échelon départemental est indispensable : pourraient s'y retrouver des représentants des intercommunalités et les représentants de l'État - qui dit vouloir renforcer sa présence à ce niveau - afin de mettre en oeuvre des partenariats efficaces. J'y vois une façon de rassurer les élus, qui voient s'éloigner les centres de décision. Il n'y aurait pas suppression mais rénovation.
Quatrième problème : la subsidiarité. Les maires y sont très attachés. On parle fréquemment de schémas régionaux d'aménagement du territoire. Ce sont en effet des éléments importants. Encore faut-il que ce schéma soit constitué avec l'apport du bloc local, dans une logique de co-construction susceptible de faciliter son acceptation. Il y aurait ensuite une déclinaison dans les schémas de cohérence territoriaux et les plans locaux d'urbanisme communaux et intercommunaux. Ce maillage de la planification améliorerait considérablement la conduite de l'aménagement du territoire. Cela suppose de développer tous les outils d'ingénierie territoriale à l'échelle pertinente, et sous la maîtrise du bloc local, qui assume, en liaison avec l'ensemble de ses partenaires, les compétences d'aménagement.
Dernier volet : la solidarité. La perspective de grandes régions suscite des inquiétudes. Celles-ci sont indispensables, mais doivent s'accompagner d'une politique juste vis-à-vis des territoires les plus faibles et les plus fragiles. Nous nous sommes battus, en Auvergne, pour que notre région reste une région intermédiaire. À ce titre, elle a reçu 1,15 milliard d'euros de fonds structurels en 2007-2013, et en recevra 1,5 milliard pour la période 2014-2020. La fusion avec Rhône-Alpes nous priverait de cette ressource. Il faudra compenser ce manque de moyens par une politique de solidarité plus forte.
Même si nous bénéficions de cette solidarité, la baisse des dotations et les contraintes budgétaires des communes et des intercommunalités inciteront à une réforme de la dotation globale de fonctionnement. Au moyen d'indicateurs de solidarité, celle-ci devra être rendue plus juste et éviter le creusement des écarts de richesse.
Merci de votre intervention. Vos propos sur le transport scolaire ont suscité de vives réactions parmi nos collègues. En Ile-de-France, la loi d'orientation sur les transports intérieurs (LOTI) a confié cette compétence à la région. Celle-ci, incapable de gérer le transport scolaire depuis Paris, s'est empressée d'en transférer la gestion aux départements ! C'est une pratique courante. N'ouvrons pas le débat sur ce point de détail.
J'ai failli intervenir plusieurs fois en entendant le président de l'Assemblée des départements de France, M. Lebreton : dire que les intercommunalités ne font pas de politique sociale est faux !
Mon département subdélègue aux centres intercommunaux d'action sociale la mise en place de telles actions. Distinguons détention d'une compétence et mise en oeuvre de celle-ci. Ce n'est pas toujours absurde de procéder ainsi. Les départements ont trop souvent tendance à ignorer l'intercommunalité, qui s'est développée depuis plus de vingt ans.
Les compétences sont conférées par la loi, mais leur exercice peut très bien être délégué : cela ne veut pas dire que leurs titulaires - les départements en l'occurrence - s'en dessaisissent. Certaines ne sont jamais déléguées, comme l'adoption, ou l'aide à l'enfance, qui est l'une des plus anciennes prérogatives des assemblées départementales. Les délégations devraient d'ailleurs être moins encadrées : que les gens fassent ce qu'ils ont envie de faire ! Laissons de la liberté aux gestionnaires de terrain ! En France, on se demande toujours, non pas ce que l'on peut faire, mais ce que l'on a le droit de faire. C'est toute la différence avec les États modernes dans leur décentralisation.
À écouter notre collègue, j'ai le sentiment que les départements sont déjà morts. La nouvelle carte ne concerne que les régions. J'ai lu que M. Pélissard avait donné à l'Élysée son feu vert à ce que l'on transfère les compétences des départements soit aux communes et aux intercommunalités, soit aux régions. La position de l'AMF est claire : vous l'avez confirmée.
Votre description de l'organisation départementale en a choqué plusieurs d'entre nous, car elle ne correspond pas à la réalité. Luttons contre cette tendance à regarder les choses à travers nos propres lunettes : Mme Lebranchu aborde la question en fonction de sa connaissance de la Bretagne, vous du Cantal...
Donner plus aux intercommunalités fortes, recréer un département à partir d'intercommunalités lorsqu'elles sont faibles, vider celui-ci de son sens : si telle est la position de l'AMF, elle m'inquiète. La proposition de loi du président Pélissard est au centre du raisonnement. Dans votre esprit, les départements ont-ils encore une place dans la nouvelle carte des régions, ou votons-nous tout de suite pour les supprimer ? Ne pouvons-nous rebâtir la carte en modifiant les frontières des régions ou en incorporant des départements périphériques dans d'autres régions ?
On peut ne pas être d'accord avec l'AMF. Que chacun se borne à poser de brèves questions, car nous avons encore de nombreuses auditions.
Vous auriez aimé une vision globale de la réforme plutôt qu'un saucissonnage : nous sommes d'accord sur ce point. Vous redoutez l'éloignement des détenteurs du pouvoir décisionnel de leurs administrés, mais vous approuvez l'agrandissement des régions : elles seront peut-être plus fortes, mais n'auront pas plus de moyens. Je doute qu'elles aient demain davantage de pouvoir. Quelle est la position de l'AMF sur les conseils généraux ? Vous semblez favorable à la suppression des départements. Vous êtes pour l'agrandissement des intercommunalités. Mais il faut être clair : approuvez-vous la suppression, à terme, des communes ?
Je fais partie, en tant que président de l'association des maires du Cher, du conseil d'administration de l'AMF ; elle ne m'a pourtant jamais consulté sur ces données et je suis surpris de la position exprimée par M. Jarlier. Je voudrais savoir si l'AMF est globalement favorable à la réforme territoriale telle qu'elle est ici présentée.
En tant que sénateur et président de la fédération des maires de la Moselle, qui ne compte pas moins de 730 communes, je suis surpris des expressions que j'entends : je voudrais savoir si ce sont celles de notre collègue Jarlier ou celles de l'AMF.
Je constate surtout que certains sujets ne sont pas évoqués : nous vous auditionnons à propos du premier texte, mais c'est le premier jalon d'une réforme, annoncée par le Premier ministre, qui consacre l'affaiblissement des communes au profit de l'intercommunalité et la disparition des départements au profit de très grandes régions. Toute une dimension de proximité disparaît et ce, au détriment de nos administrés, qui y sont très attachés, mais aussi des maires. Ceux des petites communes, en particulier, ne sont pas toujours outillés pour traiter les gros dossiers, et seront bien plus éloignés des grandes régions qu'ils ne le sont aujourd'hui des départements. Je voudrais connaître la position de l'AMF sur ce premier point.
L'AMF s'est-elle inquiétée, à l'échelle nationale, de ce qu'apportent aux communes l'État, notamment à travers la dotation d'équipement des territoires ruraux, les régions et les départements ? Qu'adviendra-t-il de l'aide à l'investissement dans cette nouvelle architecture territoriale qui éloigne considérablement les financeurs potentiels des communes ? Je m'étonne que nous n'ayons pas reçu plus de précisions sur ces questions.
Pierre Jarlier disait que l'AMF n'avait pas débattu. Je me réjouis, quant à moi, que nous ayons combattu la création du Haut conseil des territoires, qui aurait été une belle foire d'empoigne entre les représentants des associations nationales d'élus locaux.
Quels sont, pour l'AMF, les avantages de fusionner les régions pour en créer de très grandes ? Cet éloignement aura des conséquences durablement catastrophiques.
Monsieur Jarlier, comment voyez-vous demain la mise en oeuvre de la péréquation ? Les écarts de richesse entre les collectivités se sont considérablement accrus. La péréquation verticale mise en oeuvre par l'État limite les fractures territoriales, mais elle est insuffisante ; or la péréquation horizontale au sein des départements est plus compliquée, et je ne crois pas à la générosité spontanée des communes riches envers les pauvres. Mise en oeuvre par la région, la solidarité serait-elle plus forte ? Chez moi, chaque fois que la région accompagne le développement économique d'un territoire, le conseil général y contribue aussi... pour un montant quatre fois supérieur. C'est pourquoi nous devrions discuter sur des chiffres, non sur nos ressentis, variables d'un territoire à l'autre. Je doute qu'une région encore plus éloignée fasse mieux que les régions actuelles.
Nous sommes la plupart du temps hors sujet : les seules véritables questions que pose ce texte ont été formulées par M. Mézard et par le rapporteur, qui nous a demandé notre avis sur le nombre de délégués par département et sur leur mode d'élection. Quant à l'AMF, la seule chose à lui demander est : quel est, pour les communes, l'avantage de plus grandes régions ?
Je n'ai jamais parlé, monsieur Doligé, de suppression des départements. La question que nous nous posons est celle de la représentation dans les structures de proximité telles que le département. La répartition actuelle des cantons dans la nouvelle carte intercommunale est flottante, et les nouveaux cantons flotteront plus encore. L'interlocuteur actuel du président du conseil général ou du conseil régional, en matière d'appui au développement, c'est le président de l'intercommunalité. Comment pourrons-nous organiser demain, à l'échelle départementale, une fédération des intercommunalités qui soit l'interlocuteur des régions ? C'était là tout mon propos.
Les communes doivent conserver leur souveraineté, monsieur Pointereau ; c'est pour cela qu'elles doivent pouvoir s'agrandir, afin de rester des interlocuteurs efficaces dans des intercommunalités qui vont croître. Le dernier congrès de l'AMF a pris une résolution en faveur de communes plus fortes, dans des intercommunalités puissantes. Sur cette base, le président M. Jacques Pelissard a préparé la proposition de loi déposée récemment à l'Assemblée nationale. Nous ne voulons pas d'une intercommunalité qui se substituerait à la commune, mais une fédération de communes puissantes qui constitueraient une intercommunalité puissante. Nous avons fait le choix de l'intercommunal...
Nous n'avons pas d'avis d'opportunité, monsieur Mézard, sur la taille des régions. Cette question compte moins que celle des compétences et des moyens. Les départements ont de moins en moins de moyens pour aider les communes et assurer la péréquation. Qu'en sera-t-il demain, lorsque leurs dotations baisseront de 28 milliards d'euros sur trois ans ? S'il convient de préserver ce soutien des départements, il faut aussi se tourner vers les régions : si elles sont de tailles suffisantes, elles pourront mener à bien cette politique de solidarité. L'AMF demande enfin qu'avant de légiférer sur des sujets aussi importants que des transferts de compétences, on procède à des études d'impact pour chacune des collectivités concernées.
Puis la commission entend M. Loïc Cauret, vice-président chargé du développement économique et de l'emploi, président de Lamballe Communauté, et M. Marc Fesneau, membre du conseil d'orientation, président de la communauté de communes de Beauce et Forêt - Assemblée des communautés de France (AdCF).
La commission spéciale s'occupe essentiellement de la délimitation des régions ainsi que du calendrier des élections régionales et départementales, qui font l'objet du premier projet de loi ; seuls des esprits curieux pourraient voir un rapport entre celui-ci et le second texte, consacré aux compétences des collectivités...
La Bretagne, à laquelle appartient la communauté que je représente, a suivi attentivement ces débats. Si l'AdCF n'a pas vocation à prendre position sur tous les sujets liés à la réorganisation territoriale, elle est intéressée par les effets que celle-ci ne manquera pas d'avoir sur notre territoire. L'AdCF compte environ 1 200 adhérents, qui n'entendent pas entrer dans une course à la taille.
Les régions exerçant un rôle majeur dans l'aménagement du territoire et dans les stratégies économiques qu'il suppose, notre intérêt va à la qualité de la coproduction des intercommunalités et des régions en matière de compétences économiques. Nous souhaitons du législateur qu'il instaure les conditions d'un dialogue fécond des communautés avec l'espace régional : si les régions sont trop grandes, le contrat de plan État-région (CPER) et les schémas régionaux ne seront pas établis de la même manière ; la proximité en sera affectée. Nous sommes très réservés sur la perspective d'une course à la taille conçue comme garante d'efficacité et d'efficience, y compris financière.
Mieux vaut que l'espace régional, qui est celui des stratégies, corresponde le plus possible aux bassins de vie et d'emploi, de façon à ce que les contacts entre les organisations territoriales inférieures se fassent dans de bonnes conditions. Des rapprochements ou des fusions entre régions sont envisageables, mais nous doutons qu'une règle absolue puisse s'appliquer à tout le territoire.
Mon collègue M. Marc Fesneau est favorable à une région allant de Brive-la-Gaillarde à Dreux, tandis que la Bretagne se limiterait à quatre départements. Quelle est l'organisation la plus efficiente ? La République n'est pas une et indivisible sous le rapport de cette réforme : différentes méthodes sont possibles pour choisir la taille des régions, en tenant compte en premier lieu de la volonté des élus locaux de travailler ensemble.
Le démembrement des régions, en revanche, ne nous paraît pas être à l'ordre du jour, tout au moins à ce stade : c'est une boîte de Pandore qu'il serait dangereux d'ouvrir. Privilégions plutôt la qualité du dialogue infrarégional, à tous les échelons. Le vrai débat portera sur les questions de savoir qui organise le territoire et comment les opérateurs doivent intervenir dans son aménagement.
Les communautés de communes, d'agglomération, les communautés urbaines et, demain, les métropoles auront forcément les compétences économiques de terrain et celles d'aménagement du territoire. Il doit donc y avoir un dialogue entre les communautés et les régions.
On raisonne toujours, lorsque l'on veut réformer les collectivités territoriales, en termes de nombre et de taille des communes, des intercommunalités ou des régions, autrement dit en termes de mailles. Est-ce le meilleur moyen d'accroître l'efficacité de l'action publique locale ?
On voit mal en quoi la carte des régions qui nous est présentée reposerait sur une stratégie d'aménagement du territoire de l'État. Par quelles considérations a-t-elle été déterminée ? Celle de la démographie, du PIB, de l'histoire ? Certains regroupements sont compréhensibles, notamment en Normandie ; d'autres beaucoup moins, comme la grande région Poitou-Charentes-Centre-Limousin.
Quels seront, dans tout cela, la place et le rôle de l'État ? Comment s'organisera-t-il à l'échelle, immense, d'une telle région ? Comment un tel ensemble sera-t-il gouverné ? Quelle coopération pourra-t-il y avoir entre ses composantes ?
Si l'AdCF a toujours défendu l'idée que les conseils généraux et les conseils régionaux avaient vocation à travailler ensemble, voire à fusionner, le département n'en reste pas moins un échelon pertinent pour la proximité de l'action.
Il est question de porter de 5 000 à 20 000 habitants le seuil de constitution d'une communauté de communes ; or les territoires montagneux ne sont pas les seuls à présenter de faibles densités de population : c'est également le cas, par exemple, de la Creuse ou de l'Indre. Cela posera à terme la question de la maille communale.
La question de la carte en soulève en effet bien d'autres, liées à l'éloignement, au rôle des regroupements de communes, à celui des départements... Les débats sur la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales avaient conduit, au Sénat du moins, à un consensus sur la taille des intercommunalités ; nous avions tenu compte, dans la détermination de leur taille, des problèmes des montagnes.
Les commissions départementales de coopération intercommunale (CDCI) viennent de terminer leurs travaux ; les préfets se sont acquittés de leur tâche, le plus souvent en bonne harmonie avec les élus, et l'on vient leur annoncer que tout est à reprendre. Que pense l'Assemblée des communautés de France de cette situation ? Le passage de 5000 à 20 000 habitants n'est-il pas précipité ? Il n'y aura, dans certains départements, que trois ou quatre intercommunalités... Ne vaudrait-il pas mieux laisser une certaine souplesse ?
Mon département n'a aucun problème avec ses intercommunalités, qui sont de tailles très différentes. L'AdCF serait-elle prête à soutenir la démarche de parlementaires qui proposeraient des amendements pour résister à l'injonction unilatérale de passer à un minimum de 20 000 habitants en milieu rural comme urbain ?
Que pensez-vous du passage du second texte qui prévoit, en dépit de l'objectif déclaré de réduction des dépenses, d'accorder davantage de dotation globale de fonctionnement aux intercommunalités qui assumeraient plus de onze compétences ?
Nous nous sommes penchés sur la carte intercommunale : si l'on adopte le seuil de 20 000 habitants, 1 500 communautés, soit les trois quarts d'entre elles, n'y parviendront pas.
On a procédé, entre 2013 et 2014, à près de 300 fusions ; il faudra en faire de nouvelles, alors que la nouvelle configuration se met tout juste en place : il a fallu réorganiser les équipes de fonctionnaires territoriaux, muter certains d'entre eux, réorganiser les gouvernances par des accords locaux... La sagesse serait plutôt de commencer par régler les problèmes subsistants : certaines intercommunalités de 5 200 ou 5 300 habitants ne sont guère viables... Reprenons le travail des CDCI pour repérer ces difficultés et les régler, plutôt que d'imposer un seuil obligatoire à l'ensemble de la France. La densité des territoires n'est pas la même partout, il ne peut donc y avoir de règle générale.
Soyons pragmatiques : nous sommes dans un mouvement d'organisation, qui verra de nouvelles fusions. On discute notamment de la fin de la prise en charge par l'État de l'inscription des permis de construire : elle nécessitera de l'ingénierie dans les territoires. N'oublions pas le travail entre communautés sur celui du département, auquel on peut justement adosser des fonctions d'ingénierie : les centres de gestion s'occupent des ressources humaines au niveau du département - je suis président de l'un d'eux, dans les Côtes-d'Armor. Il reste également des syndicats, dont les compétences et les moyens doivent être discutés.
Au-delà des considérations quantitatives, il convient de tenir compte de la qualité du travail effectué par les collectivités ainsi que de leur propension à assumer des compétences et à servir la population sur des bassins.
Se posera ensuite la question d'une nouvelle gouvernance et d'une nouvelle coordination des collectivités entre elles. Les conférences départementales des intercommunalités peuvent avoir un rôle dans l'organisation du territoire. La mutualisation et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences sont des priorités absolues. Inspirons-nous du modèle de l'agriculture, qui a inventé les coopératives : les compétences sont regroupées dans les groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC), la mutualisation est assurée par les coopératives d'utilisation de matériel agricole (CUMA), où chacun paye sa part. Or ces coopératives n'hésitent pas à fusionner et à chercher des ressources communes.
Un seuil à 20 000 habitants imposé ex abrupto dans tous les territoires entraînerait des dysfonctionnements. L'AdCF souhaite que l'on parvienne à la stabilité indispensable à la mise en oeuvre de l'action publique. Si les périmètres et la répartition des compétences changent constamment, notre capacité d'action sur les territoires en sera annihilée.
Il n'est pas démontré que big is beautiful : des petites communautés intégrées fonctionnent très bien. Le seuil ne fera pas à lui seul le degré de mutualisation et d'efficacité de l'action publique.
Il importe de mobiliser, dans les dispositifs législatifs, des outils favorisant les coopérations entre intercommunalités. Nous travaillons, à l'échelle de mon territoire, à une entente associant trois communautés de communes pour l'urbanisme, l'assainissement de l'eau, l'assistance technique fournie par l'État aux collectivités pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT)... Nous répondrons ainsi aux besoins nouveaux résultant du désengagement de l'État ou de l'évolution des populations, sans nous engager systématiquement dans des fusions qui conduisent parfois à des appauvrissements.
Je suis frappé par des contradictions dans votre exposé : vous réprouvez la course à la taille, vous préconisez que les collectivités s'organisent en fonction des bassins, mais vous ne voulez pas de démembrement des régions. Elles sont pourtant bien loin, aujourd'hui, de correspondre à des bassins de vie.
Les deux textes du gouvernement sont évidemment liés mais n'ont, au-delà de leurs nombreuses contradictions, qu'une cohérence véritable : la suppression des conseils généraux, en commençant par leur dévitalisation. Elle nécessitera forcément de grandes intercommunalités, en petit nombre, auxquelles seront déléguées des compétences. Je ne vois pas donc pas la logique de votre démonstration.
Les années 2015 et 2016 seront difficiles pour les collectivités. Quel besoin y a-t-il donc d'ouvrir des chantiers qui nécessiteront davantage d'argent public, qui sera de surcroît de l'argent perdu ?
Il est possible, selon les endroits, de créer de grandes intercommunalités ; cela ne signifie pas qu'en dehors des agglomérations, il n'y ait pas de vie. L'important est la manière dont des intercommunalités peuvent travailler ensemble dans un espace donné, comme celui du département. La question de leur taille se pose lorsqu'il s'agit pour elles d'assumer des compétences, par exemple celle de l'action sociale...
qui ne se limite pas à l'allocation personnalisée d'autonomie, à l'allocation pour adulte handicapé, ou au revenu de solidarité active. Les départements s'occupent aussi, depuis des années, de l'enfance ou des personnes âgées et assurent ainsi l'égalité des chances de tous leurs habitants.
La contractualisation entre les EPCI et les régions via les pays se trouvera modifiée par la disparition des départements, et surtout par la modification des pays qui risquent d'être remplacés par les pôles d'équilibre territoriaux et ruraux. Cela vous posera-t-il un problème ? M. Pierre Jarlier parlait de communes fortes dans des intercommunalités fortes : êtes-vous d'accord avec cette conception ? Enfin, êtes-vous favorables à des conseils des présidents d'EPCI, qui se substitueraient à terme à nos conseillers départementaux ?
Dans certains territoires, les pays résultent d'une construction historique, dans d'autres, uniquement du processus de contractualisation de proximité. Y a-t-il lieu, dans le second cas, de maintenir ces structures ? Il me semble que non, notamment en région Centre. Le dernier mot doit alors revenir au conseil régional, en tant que financeur.
Lorsque les pays accueillent autre chose qu'une stricte contractualisation, il convient d'en faire des espaces plus souples, favorisant les échanges entre exécutifs, non simplement des machines administratives qui s'inventent à elles-mêmes des fonctionnalités pour continuer d'exister.
On ne construit pas de projet de territoires avec des communes affaiblies, M. Pierre Jarlier avait raison sur ce point.
Dès lors que serait acté le principe de la disparition des départements et que le maillage de proximité serait l'intercommunalité, nous défendrions la création de conseils des présidents d'EPCI.
Quant à nos supposées incohérences, nous nous efforçons tout à la fois d'envisager des perspectives de long terme, et de répondre au souci des élus : le mouvement brownien permanent sur la taille minimale des intercommunalités est incompatible avec l'efficacité de l'action publique dans la durée.
L'entente que nous mettons en oeuvre n'est pas un échelon, mais une structure très souple, qui ne lève pas d'impôt.
Selon la Constitution, seules les communes, les départements et les régions sont des collectivités territoriales. Une telle entité requiert que soient réunis un territoire, des compétences et une assemblée élue. Toute modification du régime des collectivités locales ne pourrait résulter que d'une révision constitutionnelle, comme celle que nous avons votée en 2003 pour créer l'échelon régional en conférant aux régions la dignité suprême de collectivités territoriales.
La commission entend enfin, autour d'une table ronde, M. Daniel Béhar, géographe, professeur à l'Institut d'urbanisme de Paris, M. Gérard-François Dumont, recteur, professeur à l'Université de Paris-Sorbonne (Paris IV), M. Hervé Le Bras, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, M. Patrick Le Lidec, chargé de recherche au CNRS, M. Jacques Lévy, professeur de géographie et d'aménagement de l'espace à l'École polytechnique fédérale de Lausanne, M. Romain Pasquier, directeur de recherche au CNRS, M. Philippe Subra, professeur des universités, Université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis, et M. Martin Vanier, professeur en géographie et aménagement à l'Université Joseph Fourier (Grenoble I).
J'ai le plaisir d'accueillir plusieurs éminents géographes, démographes et sociologues. Leur point de vue de spécialistes ne pourra que nous éclairer, que ce soit en géographie, en aménagement du territoire ou sur l'évolution historique des régions. Il sera intéressant de savoir ce qu'ils pensent de la pertinence des nouvelles régions proposées par le projet de loi.
La réforme territoriale est nécessaire, cela fait consensus, mais sous quelle forme ?
Elle doit tout d'abord approfondir la décentralisation. En 1982, le législateur n'a pas choisi ; il a mis en place une vraie-fausse décentralisation car, en refusant de hiérarchiser les niveaux - trois en théorie, quatre en réalité -, le législateur a mis en place un système de cogestion entre l'État et les collectivités plutôt qu'une véritable politique publique de décentralisation. La réforme propose de choisir. Le dispositif attribue une autorité à un échelon, contribuant ainsi à la mise en ordre du système territorial. Il ouvre aussi la possibilité de déléguer la gestion à un ou plusieurs autres niveaux, renforçant ainsi la cohérence du système sans enfreindre le principe de non-tutelle d'une collectivité sur une autre.
Le deuxième enjeu de la réforme est budgétaire. En constituant de grands ensembles, on diminuerait les coûts induits par un émiettement de l'autorité - coûts fixes et coûts de coordination, appelés aussi coûts de transaction dans la terminologie de l'économie industrielle. La carte soumise au débat propose surtout de s'affranchir des micro-régions - bi ou tri-départementales - en les regroupant, plutôt que d'en constituer de très grandes. Une macro-région fait exception, celle qui regroupe Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, à mon avis trop grande, sauf si le projet consiste à pérenniser l'échelon des assemblées départementales dans les macro-régions et à favoriser une fusion verticale avec les conseils généraux dans les régions de petite taille - le Nord-Pas-de-Calais ou la Bretagne, par exemple.
Le troisième enjeu de la réforme est d'adapter la carte territoriale aux évolutions de la société. À l'ère de la mobilité, on ne mesure plus les distances en journées de cheval, sauf à avoir des micro-territoires qui ne correspondent pas aux aires de déplacements quotidiens de la population. En proposant d'agrandir la taille des régions dans une limite raisonnable - celle de la métropole rayonnant sur son arrière-pays, comme le préconise la loi Mapam du 27 janvier 2014 - la réforme serait une opportunité de réorganiser les fonctions de redistribution à une échelle élargie : c'est là son quatrième enjeu. Toutes les études montrent que plus on accroît la taille des circonscriptions fiscales, plus on résorbe les inégalités qu'elles recèlent. L'échelle du département est désormais bien trop réduite pour que les fonctions de solidarité s'y exercent de manière efficace. Elle doit être élargie, et cela d'autant plus que l'enjeu n'est plus strictement national, mais européen.
Aucun redécoupage ne peut satisfaire tout le monde. Ceux de 1790 et de 1956 ont donné lieu à de vives protestations. Redécouper la carte impacte forcément la hiérarchie des villes ; il y aura toujours des gagnants et des perdants. Personne ne souhaite être relégué aux périphéries, mais tout le monde ne peut pas être au centre. Quitte à se marier, autant faire un beau mariage, avec un territoire riche, sur de bonnes bases fiscales. Mais alors, tout le monde souhaitera être rattaché à l'Île-de-France, et la décentralisation ne se fera pas. Construire une carte autour de l'aire de rayonnement des métropoles pose forcément un problème d'accommodement des restes. Il faut alors dessiner des régions autour de chefs-lieux appelés à devenir des métropoles - Tours, par exemple, à une échelle de trente ou quarante ans. Enfin, l'histoire fait son oeuvre. La littérature du XIXème siècle critique largement le découpage artificiel des départements. Les populations l'ont pourtant adopté, comme elles ont adopté le redécoupage de 1964. Certains mouvements culturels défendent même le 9-3, territoire improbable qui a acquis une identité. Les institutions créent les identités, et pas l'inverse.
Le fantasme français d'un redécoupage territorial idéal relève d'un esprit très cartésien. Il justifie les multiples projets qui se sont succédé depuis la fin du XVIIIème siècle. C'est un jeu intellectuel qui ne prête pas à conséquence. Il n'y a pas de redécoupage idéal, car les régions ont toutes des fonctions diverses - du point de vue économique, de la mise en oeuvre des politiques publiques, de la construction identitaire ou du jeu politique. Ces fonctions ne coïncident pas. Un bon découpage en termes de cohésion identitaire n'aura pas forcément beaucoup d'efficacité économique ou politique. On ne peut viser que le meilleur ou le moins mauvais des découpages. Le pragmatisme est de mise, invitant selon les cas à privilégier un aspect sur un autre. Néanmoins, l'identité, trop négligée dans le projet du gouvernement, reste un facteur de développement économique. La liaison entre les entreprises, les grandes écoles, les universités et les élus locaux créent des dynamiques territoriales fortes qu'il importe de ne pas casser.
La constante référence au modèle allemand n'est pas justifiée. Les Länder sont de taille très variable, issus d'un découpage opéré au lendemain de la guerre pour organiser l'occupation du territoire allemand. La France ne peut pas s'identifier à un modèle fédéral qui ne correspond ni à son histoire, ni au projet proposé. La comparaison montre néanmoins la force de frappe financière des Länder, le budget d'un Land représentant huit fois celui d'une région française. Pour avoir la même puissance de frappe, il faudrait n'avoir que deux régions en France ! Enfin, le modèle allemand a ses défauts. Le grand investissement d'intérêt fédéral et national de l'aéroport de Berlin-Brandebourg est une faillite qui fait scandale. Hambourg, dont la ville Land ne couvre que 40 % de l'agglomération, a dû négocier pendant trois ans un traité d'État avec les deux Länder voisins pour mettre en place une instance de gestion à l'échelle de l'aire urbaine.
En évitant la création de méga-régions - grand Est, grand Ouest ou grand Sud-Ouest - le redécoupage qui nous est proposé favorise la réactivité et le dynamisme économique des territoires. Un autre écueil serait de mettre en place une lecture du territoire national sans racine, sans affect, ni réalité identitaire pour la population. Les résultats des récentes élections européennes indiquent une demande de proximité de l'État, de nation et de référence identitaire, tout en révélant le rejet d'une Union européenne perçue comme lointaine et technocratique. La réforme aurait un coût politique terrible si elle donnait l'occasion au Front national de s'emparer de ce thème.
Je partage les critiques qui visent la grande région Centre-Limousin-Poitou-Charentes, un vrai patchwork ! Le travail parlementaire doit contribuer à redessiner la carte en supprimant cette région sans organisation, ni identité. Le principe qui consiste à marier les régions sans toucher à leur territoire est source d'incohérences. Il faut toucher à la région Picardie ; l'Oise qui est une très grande banlieue, doit rentrer dans la région Île-de-France ; la Somme et l'Aisne doivent être réparties autrement, plutôt en direction de Champagne-Ardennes. Le précédent grand redécoupage, celui des départements, qui a révolutionné la carte de France, a pris six mois de débats au cours desquels des délégations venues des petites villes venaient expliquer leurs besoins et leurs souhaits. Ce découpage a prouvé sa pertinence. Il a généré des identités. Il a peut-être fait son temps, mais il a joué son rôle.
La nécessité d'une redéfinition des compétences fait consensus. Le redécoupage est une conséquence de cette redéfinition, car le dispositif vise à transférer aux régions la compétence économique au sens large. Quels critères adopter pour ce redécoupage ? Deux arguments ont présidé à l'élaboration du projet de loi : donner une taille européenne à nos régions et bâtir des stratégies territoriales.
En fait, nos régions sont déjà de taille européenne. Sur les seize régions allemandes, huit sont moins peuplées que la plus petite région française continentale, le Limousin. L'argument de la taille n'est donc pas recevable. Il était utopique de vouloir des départements carrés de dix-huit lieues de côté ; il l'est tout autant de vouloir des régions de tailles égales. Quant aux stratégies territoriales, on oublie trop vite que certaines régions - Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon ou Pays de la Loire - ont souvent été très audacieuses dans leurs projets.
Il est un peu archaïque de penser le redécoupage en termes de frontières. La loi Mapam du 27 janvier 2014 a consacré l'existence de douze métropoles. C'est autour d'elles qu'il faudrait construire les régions. Sur la carte proposée, certaines régions comptent deux métropoles, d'autres une seule, d'autres aucune. L'intérêt économique d'une région réside dans la cohérence de son réseau urbain. La région Pays-de-la-Loire est un bon exemple, qui bénéficie d'une hiérarchie urbaine extraordinairement cohérente, avec deux grandes villes, Nantes et Angers, et un réseau de villes plus petites, Chateaubriand ou Saumur, en passant par Cholet. On peut concevoir une alliance entre la Haute et la Basse-Normandie et une autre entre la Bourgogne et la Franche-Comté. Cependant, l'addition de deux régions faibles ne suffit pas à faire une région forte. Les autres regroupements sont beaucoup moins justifiés. L'alliance entre Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon reste un grand mystère. Montpellier est tourné vers l'agronomie et la biologie, quand Toulouse se spécialise dans le développement aérien et spatial. Aurait-on eu le même découpage du vivant de Georges Frêches ?
Avec la Picardie-Champagne-Ardenne, on aborde le traitement des résidus. Quel rapport établir entre le plateau de Langres et la baie de Somme ? Les deux capitales sont Châlons-sur-Marne et Amiens. Il faudrait leur préférer Reims... et y construire un hôtel régional à 80 millions d'euros ! Quant à la région Centre-Limousin-Poitou-Charentes, c'est la voiture balai ! Je regrette que Clermont-Ferrand ait été laissée de côté, car c'est la seule grande ville sur un immense espace, avant Lyon, Paris ou Bordeaux. Certes, la ville n'a pas la taille d'une métropole, mais il est dangereux de négliger tout le centre de la France. Une étude intéressante a été menée, il y a cinq ans, par le groupe « Esprit public » sur le coût et les gains du regroupement des deux Normandie. Elle montre qu'il faudrait huit ans pour que le regroupement produise un bénéfice représentant 0,4 % du budget de la région !
Les départements favorisent la mixité sociale, par leur taille. Dans leurs chefs-lieux, on trouve les revenus médians les plus élevés, la plus forte proportion de cadres et de professions intermédiaires, les plus diplômés. Plus on s'en éloigne, plus ces critères baissent. Aux marges, c'est l'atonie. J'ai mené une étude sur la répartition des établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes (EHPAD) par commune : les résultats correspondent à la carte des départements. En gardant les départements, on conservera la mixité sociale. Les intercommunalités ne le permettent pas, qui sont riches pour certaines, pauvres pour d'autres. La région est le facteur d'éloignement le plus fort. Les départements ont modelé un espace social ; c'est pour cela qu'il faut les défendre, plus que pour des raisons économiques.
Je suis très hostile à l'ajout d'un cinquième département à la région Bretagne. D'abord, il faudrait choisir entre Rennes et Nantes ; ensuite, les questions d'identité appartiennent souvent au passé ; enfin, la Bretagne est un pays très différent : la ligne allant de Vannes à Saint Brieuc sépare la basse Bretagne du pays Gallo. Je ne crois pas qu'il soit bon d'encourager la défense d'une identité bretonne. La France a la chance de ne pas être confrontée à des revendications régionalistes graves, comme en Flandre, en Catalogne, en Ecosse ou même en Vénétie. La révolution de 1789 était marquée par l'esprit des Lumières ; elle voulait aussi faire table rase des divisions du passé... et l'a très habilement fait.
Nous assistons à la mise en mouvement des territoires et à la levée des deux malédictions qui ont pesé sur l'architecture des territoires en France.
Celle de la Troisième République, tout d'abord, qui a congelé le projet révolutionnaire dynamique et fédéral. Le 14 juillet, c'est la prise de la Bastille mais aussi la fête de la fédération... L'idée d'une France fédérale n'est pas scandaleuse. L'alliance entre les notables ruraux et l'État central y a pourtant mis fin, en fabriquant la machine des départements qui s'est transformé, au fil de l'urbanisation, en système fiscal - un véritable racket des campagnes par les villes. En constituant un espace de gouvernements urbains à travers les intercommunalités, la réforme crée un archipel de villes plus ou moins importantes où est concentrée la plus grande partie de la production et de l'industrie créative. Organiser l'espace français autour de ces villes donne à chacun la possibilité d'accéder à ces ressources. La loi de décentralisation de 1982 est une seconde malédiction car, en modernisant l'architecture du territoire français, elle a renforcé des niveaux qui n'avaient plus lieu d'être. En faisant les mauvais choix, le législateur a accumulé les problèmes et les handicaps : aujourd'hui, il est encore plus difficile de réformer qu'hier !
Notre pays n'est plus rural, mais urbain. Nous sommes entrés dans l'ère des métropoles et de la mobilité. La métropole s'entend comme une ressource que le citoyen peut avoir à sa disposition. La région est un espace biographique, c'est-à-dire qu'elle offre à chacun un éventail d'opportunités pour réaliser des projets. Elle est un point d'équilibre entre des ressources objectives - en gros, les métropoles - et des ressources subjectives, les identités, qui ne sont pas forcément figées et ne doivent pas être mythifiées : la Normandie, oui, mais les Caennais n'ont pas forcément envie d'être avec les Rouennais ou les Havrais... Beaucoup de métropoles sont des fantasmes de technocrates : Tours et Orléans, Rennes et Nantes, Metz et Nancy... Il ne suffit pas que des villes soient proches pour que ça marche, d'autant que ces villes voisines sont souvent rivales ab initio : ville épiscopale et ville seigneuriale ou monarchique.
La taille n'est pas un critère. Les technocrates français sont les seuls à croire qu'il faut qu'une université soit grande pour réussir : les universités les mieux classées sont toutes les plus petites que la plus petite des universités françaises ! C'est pareil pour les régions.
La taille n'est pas forcément gage de réussite. L'Alsace, qui est une petite région, réussit très bien toute seule. La fusion est un cadeau à la Lorraine ! Le Nord-Pas-de-Calais fonctionne bien. La Corse a beaucoup d'identité et peu de métropole. Elle fonctionne aussi sans qu'on ait besoin d'opérer une fusion. Nous ne sommes pas dans un jeu de construction et il faut éviter toute précipitation.
Puisque c'est un changement de civilisation qui s'annonce, il aurait été judicieux d'engager un grand débat national, à l'abri des intérêts particuliers des élus. On aurait pu, par exemple, mettre en place un Haut Conseil des territoires où aucun élu n'aurait siégé. Il n'aurait pas eu de pouvoir décisionnel, sa seule mission étant de faire un état des lieux de la société.
Si l'on respecte une logique de taille et d'importance et si l'on part des métropoles, l'Île-de-France, qui est une aire urbaine, dispose d'un réseau de transports et d'un marché de l'emploi devrait cesser d'être une région pour devenir la métropole de la région de Paris étendue au Bassin parisien. Elle bénéficierait alors d'un poids équivalent au Land Rhénanie-du-Nord-Westphalie.
Gérard-François Dumont, Recteur, professeur à l'Université de Paris IV Sorbonne. - Nous célébrons le centenaire de l'assassinat de Jean Jaurès qui disait qu'il faut « aller à l'idéal et comprendre le réel ». Le projet de loi poursuit deux idéaux : trouver une taille critique sur le plan géographique, démographique et économique et faire des économies. Ces idéaux sont-ils fondés sur la compréhension du réel ?
Géographiquement, l'Alsace est la plus petite région française continentale. Les autres pays européens comptent beaucoup de régions aux dimensions moins importantes que celles de l'Alsace. L'Italie en compte au moins trois auxquelles s'ajoutent le Trentin et le Haut Adige, provinces autonomes équivalentes à des régions. La petite taille des régions n'est pas un handicap, elle est sans corrélation avec le taux de chômage et les résultats économiques. Les régions Midi-Pyrénées et Rhône-Alpes sont les plus vastes régions françaises. Elles dépassent en superficie la Belgique, le Luxembourg, la Suisse et le Danemark. Les vingt-et-une régions de la France continentale ont une superficie moyenne supérieure à celle des Länder.
Sur le plan démographique, le Limousin est la région la moins peuplée de France, avec 742 000 habitants. Cette densité n'est pas faible à l'échelle européenne, puisque certaines régions d'Italie, d'Espagne, d'Allemagne ou des cantons suisses sont encore moins peuplés. La population moyenne des vingt-et-une régions françaises est de 3 millions d'habitants, ce qui est supérieur à la moyenne des régions d'Italie, et inférieur à celle des Länder. Il faut néanmoins préciser que l'histoire démographique de l'Allemagne n'est pas celle de la France, dont le taux de fécondité a commencé à baisser à la fin du XVIIIème siècle, soit un siècle avant l'Allemagne. La population moyenne des régions de France est supérieure à celle des communautés autonomes d'Espagne et des régions polonaises. Aux États-Unis, vingt États sur cinquante ont une population inférieure à 3 millions d'habitants.
Le projet de loi vise à créer des ensembles plus homogènes en termes de populations. Il considère donc qu'une fourchette large entre la région la plus peuplée et la moins peuplée est un facteur de handicap en termes d'attractivité des territoires. La politique centralisatrice de la France, des temps monarchiques jusqu'à aujourd'hui, pourrait laisser penser que la France est hétérogène. Avec l'Angleterre, la France est le seul pays européen à avoir une région-monde, à savoir l'Île-de-France. Cette idée d'une hétérogénéité des régions de France est pourtant fausse. Le rapport des populations entre les vingt-et-une régions actuelles est de 1 à 16. L'Île-de-France mise à part, le rapport tombe de 1 à 8. Ces rapports sont beaucoup plus élevés dans les autres pays européens, de 1 à 27 en Allemagne, de 1 à 26 en Espagne, de 1 à 76 en Italie, et de 1 à 66 aux États-Unis. Les régions françaises ne présentent donc pas une hétérogénéité particulièrement prononcée en matière de densité de population. Les résultats sont les mêmes en ce qui concerne leur taille. Le rapport entre la plus petite et la plus grande région est de 1 à 5 en France ; il est de 1 à 174 en Allemagne, de 1 à 19 en Espagne continentale, de 1 à 8 en Italie. L'idéal d'homogénéisation porté par le projet de loi ne correspond pas à une bonne compréhension du réel.
D'un point de vue économique, le projet de loi indique que si l'on fusionne un certain nombre de régions, on obtient une plus grande homogénéité en termes de PIB par habitant et par région. C'est une évidence : dès lors que le nombre des territoires diminue, les écarts baissent ! Les chiffres d'ailleurs ne sont guère fiables car le calcul du PIB par région soulève de grosses difficultés d'ordre méthodologique.
Les régions fusionnées disposeront d'un budget supérieur. Certes ! Mais la réforme de 1982 a été une réussite car les budgets des régions étaient surtout des budgets d'investissement, ce qui est gage d'efficacité. Est-il structurant pour les territoires de confier aux régions l'entretien de la robinetterie des collèges ?
En conclusion, chercher la « taille critique » revient à chercher à atteindre un optimum régional qui n'existe pas, faute de corrélation entre la taille, l'économie, la richesse. La Pologne n'a pas réduit son nombre de régions. Quant à l'Espagne, il faut aussi évoquer la loi de 2012. De plus, le renforcement des régions est entendu comme renforcement du niveau régional par rapport aux autres collectivités, non face à l'État. Il ne s'agit pas d'une amorce de fédéralisme.
Les fusions seront-elles sources d'économies ? Dans un premier temps, elles s'accompagneront de coûts directs inévitables dus aux déménagements, à l'aménagement des locaux, à la mise en place d'outils informatiques communs, etc. Surtout, elles auront des effets négatifs externes : le temps passé à discuter des modalités des fusions, du choix de la capitale, de l'emplacement des services sera autant de temps perdu pour définir des stratégies de développement, définir les politiques d'emploi ou renforcer les indispensables coopérations entre régions ! Pour que les fusions réussissent, il faut des synergies entre les anciennes capitales régionales. Or, en train, il faut 2 heures 26 pour aller d'Amiens à Reims, 2 heures 07 d'Orléans à Limoges, 2 heures 08 de Toulouse à Montpellier, 2 heures 25 de Clermont-Ferrand à Lyon. Notre pays manque des infrastructures ferroviaires pour développer les synergies et les réseaux.
Les fusions entraîneront aussi des coûts directs permanents : le mieux-disant l'emportera toujours, avec des coûts plus élevés en matière sociale, pour l'entretien des lycées, la création d'antennes supplémentaires dans les territoires, etc. L'expérience montre que les coûts croissent avec la taille.
Enfin, un mot sur l'identité : le développement présuppose que les personnes s'identifient avec leur territoire.
Le diagnostic des réformes antérieures n'a pas été fait. On n'améliore pas un puzzle en changeant le nombre de pièces. Les réformes de fond, fiscale notamment, dans le sens d'une véritable décentralisation, n'ont pas été lancées. Mais comme le disait le poète Pierre Seghers, « l'impossible, c'est ce qui demande du temps ».
Cette carte est un leurre. On joue au puzzle alors que les enjeux essentiels sont ailleurs ! Cette réforme a deux générations de retard. M. Jean-Marie Miossec a montré, dans son très beau livre Géohistoire de la régionalisation en France, que la réforme régionale est un sujet qui a suscité de nombreuses propositions de réformes depuis un siècle. Ce texte n'est plus du tout d'actualité : dans une société en réseau, la cohérence et la pertinence ne coïncident pas avec les périmètres définis. Les opérateurs de réseaux, qu'ils soient publics ou privés, ont mis la main sur les biens communs, comme les réseaux numériques, environnementaux ou de transport, et leur gouvernance est complexe.
Je n'ai pas grand-chose à dire sur la carte : elle est destinée à occuper le débat public. De ce point de vue, l'objectif politique est parfaitement atteint. Du point de vue scientifique en revanche, il s'agit d'une comédie, signe d'un retour en arrière dans la compréhension des mécanismes à l'oeuvre : « Il faut que tout change pour que rien ne change ». La question fiscale n'est pas traitée, ni celle du contrat démocratique, à repenser de façon post-territoriale, ni celle de la maîtrise des réseaux. Mais nous adorons discuter sans fin de la composition de l'équipe de France de football et de la carte des régions...
La réussite de la réforme n'est pas affaire de taille critique, de fusions, de cohérence ; elle dépend plutôt de la mise en place des outils qui permettent aux territoires, à tous les échelons, de coopérer, nouer des alliances, travailler en réseaux, exercer des compétences partagées, éventuellement dans des cadres transfrontaliers. La fusion pour constituer de grandes firmes, c'est le siècle passé. L'avenir est aux réseaux et aux clusters. Mieux vaut changer les règles que la carte !
Je m'intéresserai aux conséquences liées à la création de grandes régions sur l'action publique. Depuis la décentralisation, les régions, à l'image de la Bretagne, se sont constituées comme des nations, des espaces politiques fondés sur un sentiment d'identité. Elles ont toutes fabriqué des patriotismes régionaux, ce qui complique parfois l'action publique. Peut-on, en effet, discerner une économie des Pays-de-la-Loire ? Je distingue une économie du Grand-Ouest, une économie du Choletais ou une économie de la Vendée, mais pas celle des Pays-de-la-Loire !
Les régions étaient de petites nations ; en accroissant leur taille, la réforme va les étatiser. La suppression de la clause de compétence générale renforcera encore le processus. Elles deviendront des instances de fabrication des politiques publiques. Les contrats de plan État-région (CPER) ont toujours constitué un instrument de sous-traitance des politiques publiques au service de l'État. Désormais, les régions étatisées devront contribuer davantage à la conception des politiques publiques, à l'image des pactes conclus entre l'État fédéral allemand et les Länder. Il conviendra aussi de renforcer les coopérations interrégionales. Par exemple, le Grand-Est, collaboration entre l'Alsace, la Lorraine, la Bourgogne et la Franche-Comté, fait sens au regard du système productif.
L'autre question est celle du rapport entre les régions et les villes. Depuis les années 60, le couple régions-villes est perçu comme l'instrument de la modernisation du territoire. Mais cela ne fonctionne pas ainsi. Récemment, on a confondu la notion de métropole ou de puissance urbaine avec celle de capitale régionale. Amiens métropole... Les villes s'affirment d'un point de vue socio-économique, mais entrent en concurrence avec la région. La mésentente notoire entre le président de la région Rhône-Alpes et le président du Grand Lyon en est l'illustration. Avec de plus grandes régions, le couple région-réseau métropolitain se substituera au couple région-capitale régionale. Ainsi, dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, le président du conseil régional aura face à lui trois métropoles, si l'on inclut la région genevoise ; dans le même temps, le système métropolitain lyonnais se déploiera jusqu'à Clermont-Ferrand. La spécialisation des pouvoirs s'accroîtra et deviendra plus fine. Cette carte laisse sceptique mais elle ouvre des chantiers nouveaux, qui ne relèvent ni de la puissance, ni de la pertinence.
Je ne parlerai pas non plus de la carte. Commencer par une carte constitue une erreur de méthode majeure...
C'est la voie de la facilité : il suffit d'une loi ordinaire et cela donne l'illusion de l'autorité politique. Pourtant, cette méthode occulte d'autres sujets et crée un risque d'enlisement.
Je suis en désaccord avec Hervé Le Bras. Pourquoi vouloir à tout prix se préserver des identités ? Les identités sont multiples en France et ne sont pas exclusives. Les Bretons ne sont pas prêts à prendre d'assaut les marches de la Bretagne ! À la différence des Catalans ou des Ecossais, les Bretons, dans leur immense majorité, se sentent Français et Bretons ; à peine 1 % se sentent exclusivement Bretons. Ne jouons pas, comme M. Jacques Auxiette, à nous faire peur !
S'il faut supprimer quelque chose, c'est la région Pays-de-la-Loire. La Mayenne et la Loire-Atlantique doivent être rattachées à la Bretagne, la Sarthe et le Maine-et-Loire au Centre, tandis que la Vendée, qui forme un ensemble économique, social et territorial cohérent, doit rester toute seule : elle fait système.
J'ai exprimé mon sentiment dans mon rapport Réussir la Région au service du citoyen, de la croissance et de la République. Pour lui donner du sens, il faudrait réviser l'article 72 de la Constitution relatif à la tutelle et l'article 20 sur le pouvoir réglementaire. Inenvisageable... En tout cas, la création d'un pouvoir régional suppose des compétences et des moyens financiers. Les routes et les collèges, c'est peu pour des acteurs globaux compétitifs ! Pourquoi ne pas transférer Pôle Emploi ou l'enseignement supérieur, ou régionaliser la Banque publique d'investissements (BPI) ? Les régions doivent disposer d'un pouvoir réglementaire de plein exercice, et non limité à la définition de deux schémas qui, s'ils prennent autant de temps à élaborer que le schéma directeur de la région d'Île-de-France (SDRIF), promettent d'être compliqués ! Je suis donc dubitatif... Les ressources financières constituent un autre trou noir. Est-on prêt à attribuer une part de la TVA aux régions sur le modèle des Länder allemands ?
Les citoyens, souvent oubliés, veulent un renforcement de la démocratie régionale. Je suis partisan de la généralisation d'un parlementarisme régional, sur le modèle corse, caractérisé par la distinction entre l'assemblée et l'exécutif, celui-ci étant responsable devant celle-là, avec un décloisonnement du temps électoral. Déjà, M. Jean-Pierre Raffarin avait proposé de tenir les élections régionales à des dates différentes selon les lieux. Le débat se concentrerait sur les enjeux politiques locaux et ne serait plus un test de politique nationale. En outre, cela ouvrirait les gouvernements régionaux à des personnes issues de la société civile.
Enfin, il faut autoriser un droit à la différenciation. Je crois beaucoup à la collectivité unique : il faudrait faciliter les fusions entre conseils généraux et conseils régionaux, à carte régionale constante. Mais cela ne sera possible que pour les régions qui resteront à taille humaine, comme l'Alsace.
Ainsi, mieux aurait valu un droit à l'auto-organisation, une réforme ascendante plutôt qu'une réforme pseudo-jacobine !
Si je comprends bien, vous nous demandez de suspendre nos travaux pendant six mois !
Il a fallu six mois pour créer les départements ; aujourd'hui, nous travaillons dans la précipitation. Les lois s'enchaînent et sont souvent inappliquées.
Je suis hélas francilien. Je ne sais pas ce que c'est ! J'habite la grande couronne, au fin fond du canton de Château-Landon ; on ne peut négliger les identités, même récentes, autrement, les gens ne suivent pas. En revanche, on peut s'interroger sur la meilleure solution : maintien des départements de la petite couronne ? Fusion de Paris et de la petite couronne ? Et on ne peut revoir la carte régionale sans s'interroger sur l'articulation des régions et des métropoles. Quid, par exemple, des rapports entre la région Rhône-Alpes et la métropole lyonnaise ? Merci en tout cas pour vos contributions riches et stimulantes.
La séance est levée à 20 h 35