Intervention de Philippe Subra

Commission spéciale sur la délimitation des régions — Réunion du 24 juin 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Daniel Béhar géographe professeur à l'institut d'urbanisme de paris M. Gérard-François duMont recteur professeur à l'université de paris-sorbonne paris iv M. Hervé Le bras directeur d'études à l'école des hautes études en sciences sociales M. Patrick Le lidec chargé de recherche au cnrs M. Jacques Lévy professeur de géographie et d'aménagement de l'espace à l'école polytechnique fédérale de lausanne M. Romain Pasquier directeur de recherche au cnrs M. Philippe Subra professeur des universités université paris 8-vincennes-saint-denis et M. Martin Vanier professeur en géographie et aménagement à l'université joseph fourier grenoble i

Philippe Subra, professeur à l'Université Paris 8 :

Le fantasme français d'un redécoupage territorial idéal relève d'un esprit très cartésien. Il justifie les multiples projets qui se sont succédé depuis la fin du XVIIIème siècle. C'est un jeu intellectuel qui ne prête pas à conséquence. Il n'y a pas de redécoupage idéal, car les régions ont toutes des fonctions diverses - du point de vue économique, de la mise en oeuvre des politiques publiques, de la construction identitaire ou du jeu politique. Ces fonctions ne coïncident pas. Un bon découpage en termes de cohésion identitaire n'aura pas forcément beaucoup d'efficacité économique ou politique. On ne peut viser que le meilleur ou le moins mauvais des découpages. Le pragmatisme est de mise, invitant selon les cas à privilégier un aspect sur un autre. Néanmoins, l'identité, trop négligée dans le projet du gouvernement, reste un facteur de développement économique. La liaison entre les entreprises, les grandes écoles, les universités et les élus locaux créent des dynamiques territoriales fortes qu'il importe de ne pas casser.

La constante référence au modèle allemand n'est pas justifiée. Les Länder sont de taille très variable, issus d'un découpage opéré au lendemain de la guerre pour organiser l'occupation du territoire allemand. La France ne peut pas s'identifier à un modèle fédéral qui ne correspond ni à son histoire, ni au projet proposé. La comparaison montre néanmoins la force de frappe financière des Länder, le budget d'un Land représentant huit fois celui d'une région française. Pour avoir la même puissance de frappe, il faudrait n'avoir que deux régions en France ! Enfin, le modèle allemand a ses défauts. Le grand investissement d'intérêt fédéral et national de l'aéroport de Berlin-Brandebourg est une faillite qui fait scandale. Hambourg, dont la ville Land ne couvre que 40 % de l'agglomération, a dû négocier pendant trois ans un traité d'État avec les deux Länder voisins pour mettre en place une instance de gestion à l'échelle de l'aire urbaine.

En évitant la création de méga-régions - grand Est, grand Ouest ou grand Sud-Ouest - le redécoupage qui nous est proposé favorise la réactivité et le dynamisme économique des territoires. Un autre écueil serait de mettre en place une lecture du territoire national sans racine, sans affect, ni réalité identitaire pour la population. Les résultats des récentes élections européennes indiquent une demande de proximité de l'État, de nation et de référence identitaire, tout en révélant le rejet d'une Union européenne perçue comme lointaine et technocratique. La réforme aurait un coût politique terrible si elle donnait l'occasion au Front national de s'emparer de ce thème.

Je partage les critiques qui visent la grande région Centre-Limousin-Poitou-Charentes, un vrai patchwork ! Le travail parlementaire doit contribuer à redessiner la carte en supprimant cette région sans organisation, ni identité. Le principe qui consiste à marier les régions sans toucher à leur territoire est source d'incohérences. Il faut toucher à la région Picardie ; l'Oise qui est une très grande banlieue, doit rentrer dans la région Île-de-France ; la Somme et l'Aisne doivent être réparties autrement, plutôt en direction de Champagne-Ardennes. Le précédent grand redécoupage, celui des départements, qui a révolutionné la carte de France, a pris six mois de débats au cours desquels des délégations venues des petites villes venaient expliquer leurs besoins et leurs souhaits. Ce découpage a prouvé sa pertinence. Il a généré des identités. Il a peut-être fait son temps, mais il a joué son rôle.

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