Madame la présidente, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous arrivons ce matin au terme du cheminement d’un texte dont la valeur est primordiale pour le Parlement comme pour le Gouvernement, pour la majorité comme pour l’opposition. Les lois qui encadrent le secteur du livre sont ordinairement le fruit d’un large consensus, pour ne pas dire d’une unanimité au sein des assemblées parlementaires, et cette proposition de loi n’a, pour le moment, pas dérogé à cette règle. C’est là le signe de l’attachement profond de la nation à un sujet – le livre, l’économie du livre – qui participe depuis longtemps à l’idée que la France se fait d’elle-même, de son histoire et de son devenir.
La proposition de loi que nous allons examiner ensemble mobilise les deux leviers par lesquels les pouvoirs publics ont coutume d’agir en direction du secteur du livre : la régulation économique, d’une part, et le droit d’auteur, d’autre part.
En matière de régulation économique, les dispositions que nous examinons viennent compléter la loi du 10 août 1981 afin de restaurer l’équilibre entre les acteurs que cette loi avait pour objectif de consacrer, et ainsi de préserver la diversité éditoriale et toute la chaîne du livre. La loi sur le prix unique du livre de 1981 avait déjà été adaptée au livre numérique en 2011. Nous en complétons ici l’esprit par des dispositifs importants afin de préserver une juste concurrence, notamment dans un univers de vente à distance par internet.
Concernant le droit d’auteur, cette proposition de loi, comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance. Le dispositif est original, mais cela montre bien l’intérêt et l’importance du sujet. Vous allez donc pouvoir habiliter le Gouvernement à tirer par ordonnance les conséquences de l’accord majeur qui a été signé entre le conseil permanent des écrivains et le syndicat national de l’édition le 21 mars 2013. Un an, c’est ainsi le temps qu’il a fallu pour pouvoir faire entrer dans la loi ces dispositions.
Cet accord entre auteurs et éditeurs est essentiel. Fruit de quatre années de discussion entre auteurs et éditeurs, il permet enfin – et cette disposition est très attendue, notamment par les auteurs – d’opérer au sein du code de la propriété intellectuelle une modernisation des dispositions relatives au contrat d’édition qui n’avaient pour l’essentiel pas été revues depuis 1957. Cela permettra donc aux acteurs du secteur du livre d’aborder ensemble, plus sereinement et avec un grand souci de protéger les auteurs, la diffusion numérique des livres.
Ce texte rendra les obligations des éditeurs, notamment au regard des contrats d’édition, plus conformes à la réalité technique et économique du XXIe siècle. Il permettra aux auteurs d’aborder avec confiance la cession de leurs droits en sachant que leurs éditeurs, de leur côté, s’engageront, au travers de ces contrats, à adopter les meilleures pratiques.
L’article 1er de la proposition de loi encadre les conditions de vente à distance des livres dans le cadre de la loi de 1981 sur le prix unique du livre. Il a été notifié à la Commission européenne et aux autres États membres de l’Union immédiatement après la première lecture de la proposition de loi ici au Sénat, alors que l’adhésion unanime du Parlement aux principes et à la lettre de ce texte se dessinait. Cette notification était une démarche importante pour la sécurité juridique du texte. Elle était également l’occasion d’engager un dialogue utile avec la Commission, compte tenu du regard toujours extrêmement attentif avec lequel cette dernière a constamment considéré les lois nationales de régulation du prix du livre.
N’en déplaise à certains thuriféraires, chantres d’un libéralisme échevelé, la loi de 1981 n’est pas une loi anticoncurrentielle. Elle permet qu’une juste concurrence s’exerce au sein du secteur du livre, dans un marché évidemment régulé par la loi sur le prix unique, lequel est bien sûr fixé par les éditeurs.
La Commission européenne a pu ainsi faire part de ses observations aux autorités françaises et, conformément à la procédure d’information mise en place par la directive de 1998, les administrations françaises lui ont répondu. Le délai de statu quo, qui a nécessité que nous prenions un peu plus de temps en ce début d’année, a été prévu par la directive de 1998 afin que les États membres préservent un délai raisonnable avant d’adopter définitivement les normes notifiées ; ce délai a expiré le 19 mai dernier, et nous pouvons donc envisager maintenant – vous voyez que c’est très rapidement après l’expiration du délai –, en toute sécurité au regard des procédures d’information de la Commission européenne, l’adoption de la proposition de loi dans des termes conformes au texte issu de sa seconde lecture à l’Assemblée nationale. Ce sera aujourd’hui la position du Gouvernement.
La proposition de loi notifiée complète la loi de 1981 et ne porte aucune discrimination : elle régule les conditions de la vente de livres en cas de livraison à domicile. Vous savez à quel point il est important pour nos libraires indépendants que nous puissions agir ensemble afin de les aider, là encore, à trouver toute leur place dans un marché du livre qui maintenant se développe aussi au travers de la vente à distance.
De la même manière qu’en 1981 il fallait créer les conditions d’une juste concurrence entre acteurs de la vente physique, il faut aujourd’hui s’assurer des conditions d’une juste concurrence, d’une part entre les différents acteurs de la vente à distance, d’autre part, entre acteurs de la vente à distance et acteurs de la vente physique. Nous avons besoin de nos libraires ; nous partageons tous l’objectif de préserver le tissu de librairies indépendantes sur la totalité du territoire national, et je suis heureuse de cette unanimité.
Dans le cadre de nos échanges avec la Commission européenne, nous avons clarifié la logique même de la proposition de loi : nous en avions parlé ici même, lors du vote de l’amendement de Mme la rapporteur en première lecture, la livraison gratuite au domicile du lecteur constitue un avantage économique perçu comme tel par l’acheteur. De ce fait, cette pratique porte atteinte aux équilibres et à l’esprit de la loi de 1981. Il était donc important de lui associer un coût, fut-il minime ou symbolique.
Enfin, les autorités françaises ont eu l’occasion d’expliquer pourquoi il n’était pas pertinent de s’acheminer vers une obligation de facturation des frais de livraison à prix coûtant. En effet, cela aurait évidemment favorisé les gros acteurs ayant la possibilité de négocier des tarifs très bas avec ceux qui assurent la livraison. Nous avons donc défendu le fait que la rédaction actuelle était la voie la plus adaptée à l’objectif de diversité éditoriale.
Dès l’adoption de cette proposition de loi, si elle a lieu aujourd’hui comme nous l’espérons tous, je souhaite poursuivre le dialogue avec les commissaires européens les plus attentifs à ce texte afin, là encore, de continuer à renforcer les échanges entrepris à l’occasion de la notification.
Plus largement, vous savez aussi à quel point j’attache du prix au projet de l’Union européenne d’une politique culturelle. Nous sommes aujourd’hui face à un enjeu majeur, à savoir l’adaptation des outils de la politique culturelle et de l’exception culturelle à l’ère du numérique. C’était l’enjeu du forum de Chaillot qui s’est tenu au début du mois d’avril et auquel j’avais invité, outre les parlementaires, mes homologues de l’Union européenne ainsi que de nombreux artistes.
À cette occasion, nous avons proposé à la future Commission les éléments d’une stratégie commune en matière culturelle. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai entamé avec mon homologue allemande, la ministre de la culture Monika Grütters, un travail que je pense tout à fait déterminant pour la prise en compte à l’échelon européen de nos objectifs en matière de politique du livre. Nous avons avec l’Allemagne une très grande proximité de vues concernant une stratégie conjointe pour protéger, encourager, promouvoir le livre et la lecture à l’échelle européenne, et ce aussi bien sur support physique que sur support numérique. Nous avons aussi conscience des enjeux qui se posent à nous et des dangers et des menaces qui pèsent sur la filière du livre dans nos deux pays. Notre détermination est donc totale – et cette proposition de loi en est l’un des exemples – pour continuer à adapter et moderniser les outils de l’exception culturelle à l’ère du numérique.
Je veux enfin remercier le Parlement pour la patience dont il a fait preuve lorsqu’il s’est agi de différer l’adoption de cette proposition de loi, alors même que l’accord entre les deux assemblées parlementaires sur ses termes avait été obtenu. Sachez que ce délai, qui était obligatoire, aura été profitable puisqu’il permet de conforter notre démarche.
Dans le même temps, auteurs et éditeurs attendent de leur côté que les termes de leur accord soient transcrits dans le code de la propriété intellectuelle. Grâce au vote conforme qui, je l’espère, va intervenir aujourd’hui, nous pourrons leur garantir un aboutissement dans des délais extrêmement rapprochés – en septembre ou en octobre – de l’ensemble de la transposition du contrat qu’ils ont signé.
Pour ces raisons, madame la présidente, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite que le vote d’aujourd’hui nous permette collectivement d’aboutir à ce résultat. §