Intervention de Jean-Jacques Pignard

Réunion du 26 juin 2014 à 9h30
Conditions de la vente à distance des livres — Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Jacques PignardJean-Jacques Pignard :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici donc parvenus au terme d’un long processus législatif qui, sans surprise, aboutira au vote unanime d’une proposition de loi comportant non plus un mais deux articles.

En commission, certains ont pu s’interroger sur la cohérence de cet ensemble. Pourtant, le livre est un tout – entre celui qui l’écrit, celui qui le produit, celui qui le vend et celui qui le lit –, qui doit s’adapter à une révolution numérique renvoyant dans un passé mythique la plume d’oie, le marbre de l’imprimeur ou l’étal du bouquiniste.

Si l’on joue « petit bras », on dira que, en ajoutant un article 2, le Gouvernement utilisait le seul véhicule législatif qu’il avait à sa disposition pour aller vite.

Mais si on la joue « grand seigneur », on estimera avec Hegel qu’il s’agit d’une « ruse de la raison ».

S’il peut donc sembler rationnel de lier dans cette proposition de loi la librairie en ligne et le contrat d’édition, il faut sans doute aussi s’interroger sur le fait que les réponses apportées sont à première vue contradictoires : l’article 1er tend plutôt à restreindre la vente en ligne au profit de la vente physique, tandis que l’article 2, en adaptant le contrat d’édition à l’ère numérique, vise plutôt à favoriser la dématérialisation des textes, ce qui ne pourrait que diminuer la vente physique des livres.

Mais en réalité – et, madame la ministre, vous l’avez souligné –, au-delà de ces contradictions apparentes, il y a quelque chose de plus unificateur qui guide notre volonté de défendre, à travers cette proposition de loi très technique, une sorte d’exception française respectant le maillage de tous ces libraires physiques sur le territoire – c’est l’article 1er – et la nécessité de défendre sur le plan européen la spécificité de notre culture – c’est l’article 2.

Ne souhaitant pas être redondant, je ne reviendrai pas sur l’article 1er. J’indique juste qu’il aboutit non pas à stigmatiser les uns par rapport aux autres, mais à rétablir des règles de bonne concurrence et, concrètement, à supprimer pour les opérateurs en ligne le droit d’offrir une réduction de 5 % du prix des livres vendus.

Cet aménagement de la loi Lang aura cependant, de l’aveu même de Mme la rapporteur, dont je salue au passage l’excellence du travail, un effet « modique ».

Sera-t-il durable ? La question se pose compte tenu de l’environnement européen dans lequel il s’inscrit.

Comme cela a été rappelé, la Commission a émis de substantiels doutes à l’égard de ce dispositif : il restreindrait la liberté de fournir des services pour les détaillants de livres en ligne d’autres États membres ; il ne permettrait pas de remplir l’objectif poursuivi ; il handicaperait les libraires physiques souhaitant se positionner sur le marché du livre en ligne ; enfin, il serait disproportionné.

Même si Mme la rapporteur et Mme la ministre viennent de tenir des propos plus rassurants, l’hypothèse d’une condamnation de la France existe malgré tout. C’est pourquoi, dans un esprit de fronde bien hexagonale, nous soutiendrons cette proposition de loi en l’état.

En amont de la vente en ligne, il y a bien sûr le contrat d’édition. C’est l’objet de l’article 2, qui habilite le Gouvernement à modifier par ordonnance le code de la propriété intellectuelle le régissant.

Il s’agit véritablement de faire entrer le contrat d’édition dans l’ère numérique. Pour ce faire, les ordonnances sanctionneront sur le plan législatif l’accord-cadre conclu entre auteurs et éditeurs le 21 mars 2013, après trois ans de négociations.

Sur le fond, le groupe UDI-UC ne peut que soutenir ce dispositif. En effet, ce dernier accueille l’édition numérique dans le cadre légal du contrat d’édition, qui n’en fait pas aujourd’hui mention, sanctionne le principe de l’unicité du contrat d’édition tout en exigeant une partie distincte pour le numérique – c’était une exigence forte des auteurs – et énonce les obligations de l’éditeur en contrepartie de la cession des droits numériques.

Nous soutenons aussi les autres dispositions de l’accord sur l’exploitation imprimée ou mixte qui, là encore, clarifient et renforcent les obligations de l’éditeur vis-à-vis de l’auteur.

Quant à la forme, les ordonnances ne constituent certes pas un sujet qui passionne les parlementaires dans la mesure où elles les privent de leurs droits. Mais nous considérons que l’urgence nécessitait ce processus.

Il faut remettre en perspective ce texte, ce qui contraint à en relativiser l’importance : ce que connaît aujourd’hui le livre, tous les secteurs économiques le vivent également.

Face à la révolution numérique, tout se joue à l’échelon européen.

Ce constat a été très bien fait par notre collègue Catherine Morin-Desailly dans son rapport du 20 mars 2013, intitulé L’Union européenne, colonie du monde numérique ? et rédigé au nom de la commission des affaires européennes du Sénat.

Par son caractère transversal, le numérique défie la vieille Europe : il renverse les modèles d’affaires, il se joue de l’impôt, il bouscule les règles de droit.

Cet espace transfrontière est dominé par une poignée d’acteurs privés non européens qui deviennent des rivaux des États.

Or, notre pays et l’Europe demeurent sur la défensive en matière numérique.

Aujourd’hui, par le biais de son Agenda numérique, l’Union européenne tente de dégager le surplus de croissance que laisse espérer le numérique pour l’économie européenne.

Mais cette approche par les usages manque d’envergure politique. En effet, qui se soucie de savoir si l’Union européenne sera consommatrice ou productrice sur le marché unique numérique ? Qui s’inquiète de la perte de souveraineté de l’Union européenne sur ses données ? Qui se soucie de préserver la diversité de la culture européenne en ligne ? Bref, nous devons tous prendre en compte cet enjeu de civilisation.

Cette prise de conscience politique s’impose à l’échelon européen, car c’est le seul échelon où l’on peut trouver une masse critique suffisante pour peser dans le cyberespace.

Le Conseil européen d’octobre dernier s’est timidement emparé de cette problématique. Mais sans doute faut-il être plus offensif. Il est temps que l’Union européenne développe une politique de l’industrie et de la recherche adaptée à l’économie des données et de la cyber surveillance, en particulier pour mettre en œuvre des plates-formes adaptées à ses exigences culturelles. Il est temps d’adopter une régulation offensive du numérique, garantissant le respect de nos valeurs. Enfin, il faut qu’au lendemain du NETmundial qui s’est déroulé à São Paulo, l’Europe se préoccupe de la gouvernance mondiale du numérique et prépare l’internet du futur.

Le groupe de l’UDI-UC est à la pointe de ce combat qui concerne en particulier le livre aujourd’hui.

Ainsi, lors de l’examen de la loi du 1er mars 2012 sur la numérisation des œuvres indisponibles du XXe siècle, nous avions déposé des amendements visant à aligner la TVA des livres numériques sur celle des livres papier. C’était un geste, mais la décision ne se prenait pas ici.

Madame la ministre, vous savez que ces enjeux européens sont décisifs pour notre culture et pour le livre en particulier. Nous vous soutiendrons toujours lorsque vous ferez entendre cette voix dans l’Union européenne. En tout cas, aujourd’hui, les sénateurs membres du groupe UDI-UC voteront cette proposition de loi en l’état. §

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