Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi, issue du groupe UMP de l’Assemblée nationale, vise à compléter la loi du 10 août 1981, qui a permis la mise en place du prix unique du livre et a été adaptée au livre numérique en 2011.
Cette loi a été d’une grande utilité pour assurer la protection de l’industrie du livre, secteur fragile, dont la pérennité dépend du régime concurrentiel qui lui est imposé.
En 1981, le risque provenait des « livres à rotation rapide » ou best-sellers, sur lesquels les grandes surfaces s’autorisaient à pratiquer des rabais substantiels, nuisant ainsi aux « livres à rotation lente », qui avaient besoin de plus de temps pour trouver leur public, ainsi qu’aux librairies, qui ne pouvaient assurer des rabais équivalents. L’intervention du législateur se justifiait donc par une menace lourde pesant sur l’équilibre économique de ce secteur d’activité. L’enjeu était aussi bien économique que culturel, puisque le prix unique permettait de maintenir la diversité et la richesse du paysage littéraire.
Plus de trente ans après l’entrée en vigueur de ces dispositions législatives, l’industrie du livre demeure un secteur fragile, mais le bilan de la loi est tout de même très positif. Le prix unique a permis au réseau des librairies de se maintenir et de se moderniser. Sur environ 25 000 points de vente du livre, on dénombre 3 000 librairies indépendantes. Ce réseau constitue l’essentiel de la création littéraire française et permet aux éditeurs de maintenir des œuvres durant de nombreuses années dans leurs catalogues. Le marché du livre fait ainsi partie des secteurs culturels les plus stables, avec une importante assise éditoriale : environ 600 000 titres sont disponibles, et près de 60 000 titres paraissent chaque année. En réalité, la loi de 1981, qui constituait une dérogation aux règles habituelles de la concurrence, a permis de préserver celle-ci, en garantissant une grande diversité d’acteurs, au niveau tant de l’édition que de la commercialisation.
Néanmoins, si la loi dite « loi Lang » affiche un bilan positif, elle ne pouvait prévoir le développement d’un nouveau mode de commercialisation, avec le développement d’internet et de la vente à distance.
Le développement du numérique représente autant une opportunité qu’un danger pour le secteur du livre. En tant que support de la vente à distance, internet garantit une large distribution du livre. La recherche, l’achat à bas prix et la livraison en peu de jours assurent un soutien précieux à ce secteur. Cependant, la vente en ligne est un marché dominé par un nombre d’acteurs très restreint, dont Amazon est le plus important, puisqu’il en détient 70 % des parts. Cette situation s’explique par les offres très avantageuses proposées par ce site internet, qui cumule la réduction de 5 % sur les ouvrages autorisés par la loi de 1981 avec la possibilité d’une livraison gratuite. Par ailleurs, Amazon a mis en place une stratégie d’optimisation fiscale grâce à une installation au Luxembourg, laquelle lui permet de réduire au maximum l’imposition sur ses bénéfices français.
Les librairies indépendantes françaises, quant à elles, doivent supporter les charges de personnel, les charges de loyer, les charges fiscales et l’augmentation des frais de transport.
L’industrie du livre se retrouve donc face aux mêmes risques qu’en 1981 : d’une part, un risque économique, avec la suprématie d’un seul acteur sur le marché ; d’autre part, un risque culturel, avec une production éditoriale qui pourrait dépendre un jour d’un acteur en mesure d’imposer ses conditions.
Il s’agit bien ici d’un enjeu à l’échelle nationale, dans lequel le législateur a un rôle important à jouer. À cet égard, je salue l’unanimité qui nous réunit autour de cette proposition de loi, ainsi que l’ambiance constructive dans laquelle nous avons travaillé, qui a permis d’améliorer le texte.
La proposition de loi rend désormais impossible la gratuité des frais de port : toute commande de livre réalisée en ligne devra obligatoirement faire l’objet d’une facturation du service de livraison à domicile.
Certes, cette interdiction de gratuité de livraison a surtout une portée symbolique. En effet, le but est principalement d’éviter le message de la gratuité dont se prévaut aujourd’hui Amazon, mais le coût de livraison que ce site internet devra mentionner après l’adoption de la loi sera nécessairement très restreint, et le consommateur aura toujours tendance à s’orienter vers la vente en ligne.
Nos librairies auront donc besoin de témoignages de soutien supplémentaires de la part des pouvoirs publics.
Il est notamment regrettable qu’à l’échelon européen aucune stratégie n’ait pu être adoptée face à la politique d’optimisation fiscale d’Amazon et d’autres plateformes... Cette situation doit nous conforter dans l’esprit de résistance que notre rapporteur, dont je tiens à saluer l’engagement sur ce texte, a évoqué.
Le problème de la position de la Commission européenne est nouveau. Nous ne l’avions pas soulevé en première lecture, car le Gouvernement avait omis de nous informer de l’obligation de soumettre le texte à l’avis de cette instance, comme toute réglementation technique relative aux services de la société de l’information.
C’est d’ailleurs parce qu’il ignorait cette précision que le Sénat a adopté l’un de nos amendements, présenté par Jacques Legendre, qui fixait un délai de trois mois pour l’application de la proposition de loi. Ce délai est devenu inutile du fait de la procédure engagée devant la Commission européenne.
La réponse de la Commission européenne à la notification montre malheureusement sa défiance envers le dispositif que nous nous apprêtons à voter. En effet, elle exige maintenant une renégociation préalable à l’adoption du texte, car elle estime que la mise en place de notre dispositif serait disproportionnée au regard de l’objectif visé et risquerait de restreindre la liberté des détaillants de livres de fournir à leur tour des services en ligne.
Sur la forme, il est certainement regrettable que le Gouvernement ait tant tardé à s’enquérir de l’avis de la Commission européenne. Respecter les préconisations de cette dernière nous obligerait à faire courir de nouveaux délais.
Sur le fond, ces préconisations vont à l’encontre des intérêts que nous défendons, puisque le respect de la procédure souhaitée par la Commission européenne entraînerait un retard dans l’application d’une mesure de soutien économique au secteur du livre, voire son annulation... Or cette mesure est sollicitée par nos libraires, qui subissent actuellement une concurrence qu’il faut bien qualifier de déloyale.
Le groupe UMP s’associera donc au message de fermeté de Mme la rapporteur. Je pense que nous ne devons pas passer à côté de l’occasion de rééquilibrer, autant que faire se peut, les rapports entre détaillants de livres et plateformes en ligne.
En l’occurrence, je pense que la France doit jouer à nouveau un rôle moteur pour répondre aux nouveaux enjeux rencontrés par le secteur du livre, comme elle a pu le faire en adoptant en 1981 le prix unique du livre. À sa suite, onze pays de l’Union européenne ont mis en place un système identique.
Si nous regrettons que le Gouvernement ait été conduit à introduire, à l’occasion de l’examen de ce texte, un cavalier sur les contrats d’édition, qu’il complétera par voie d’ordonnance, il faut pourtant admettre que l’urgence nécessitait ce processus.
Cela ne nous détournera pas de l’objectif que le groupe UMP s’est fixé en déposant cette proposition de loi. Nous voterons donc sans aucune hésitation la version modifiée de ce texte, dont nous nous réjouissons qu’il rencontre de nouveau l’unanimité de la Haute Assemblée. §