Intervention de Vincent Eblé

Réunion du 26 juin 2014 à 9h30
Conditions de la vente à distance des livres — Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Vincent EbléVincent Eblé :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, soucieux de permettre aux libraires de faire face à la concurrence des plateformes en ligne et de maintenir un réseau dense et diversifié de librairies de qualité, à l’instar de nos prédécesseurs qui ont voté en 1981 la célèbre loi Lang, nous abordons ce matin la deuxième lecture de la proposition de loi tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres et habilitant le Gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d’édition.

En première lecture, j’ai souligné les souffrances du réseau des 3 000 libraires indépendants de notre pays et les difficultés auxquelles ces professionnels sont aujourd’hui confrontés.

Les libraires subissent une concurrence déloyale puisqu’ils payent leurs impôts en France, contrairement à une certaine plateforme logistique de vente de livres en ligne qui n’acquitte pas d’impôts, tout au moins pas à la hauteur de son activité. Cette structure ne paye pas non plus de taxe sur les surfaces commerciales, puisqu’elle n’en est pas une. De fait, elle ne subit pas les contraintes financières liées à l’augmentation des loyers dans les cœurs de ville. Elle bénéficie même de subventions pour s’installer.

Les libraires rencontrent également des difficultés en raison de l’impossibilité pour eux de systématiser la ristourne de 5 %, leur marge n’étant que de 0, 6 %. Ils sont confrontés à des problèmes de trésorerie liés à l’exigence de posséder un stock important, donc coûteux, pour répondre à la demande des clients. Enfin, la cession d’un fonds de commerce de librairie n’est pas aisée dans le contexte actuel particulièrement morose.

S'agissant de l’éventualité de développer une activité de vente en ligne, l’échec du site 1001 librairies.com a révélé que seules les grosses librairies avaient à ce jour les moyens d’investir dans ce secteur et que, dans tous les cas, ces ventes n’étaient ni rentables ni vraiment concurrentielles.

En effet, comment lutter face aux géants de l’internet qui proposent à la fois le port gratuit, la ristourne de 5 % et la livraison en quarante-huit heures maximum au domicile du client à partir d’un catalogue immense, alors que, dans le même temps, les libraires peinent à se procurer des ouvrages en trois jours ?

Face à ces constats, nos libraires n’étant pas des champions internationaux de la logistique, notre intervention était devenue nécessaire. Dans un tel contexte, cette proposition de loi ne peut à elle seule constituer une solution, mais elle s’inscrit dans une action plus globale.

Le gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre, agit depuis longtemps déjà sur ce dossier pour apporter des solutions aux libraires et tenter de nouveau de les sauver.

Le Gouvernement agit en mettant en place un contentieux fiscal pour 190 millions d’euros concernant la période 2006-2010.

Le Gouvernement agit en recherchant une imposition juste au regard des règles de la fiscalité nationale, même si l’assujettissement de ces entreprises à l’impôt sur les sociétés se révèle extrêmement complexe, sauf à ce que l’OCDE réforme les normes fiscales.

Le Gouvernement agit en maintenant le taux de TVA réduit à 5, 5 %, au lieu de 7 % comme cela a failli être le cas.

À cela, il faut ajouter les diverses aides en faveur de la promotion de la lecture, du soutien à la création littéraire et du maintien sur le territoire national d’un maillage important de librairies.

En particulier, le « plan librairie » que vous avez engagé, madame la ministre, démontre l’intérêt du Gouvernement pour ces commerces. Il a pour objectif de faciliter la transmission des librairies, d’aider celles qui rencontrent des difficultés de trésorerie et, plus généralement, de mieux les soutenir.

Je rappelle également qu’ici même, au Sénat, sur l’initiative du Gouvernement, nous avons récemment prévu un médiateur du livre et des agents du ministère assermentés pour constater les infractions à la législation sur le prix du livre, comme le demandaient d’ailleurs les organisations professionnelles de la librairie.

Le groupe socialiste tient ainsi à vous féliciter, madame la ministre, de l’ensemble de vos actions et à vous encourager tant le travail qui reste à accomplir est important.

Aujourd’hui, nous le savons, notre réseau de librairies est menacé, et par là même plus de 30 000 emplois.

Ce texte se veut une pierre à l’édifice. Il permet désormais, sur l’initiative de parlementaires seine-et-marnais et après amendement du Gouvernement lors de l’examen par l’Assemblée nationale au mois d’octobre dernier, de limiter les avantages offerts aux clients des plateformes de vente de livres en ligne.

Le travail de notre rapporteur a d’ailleurs permis d’affiner le dispositif adopté par nos collègues de l’Assemblée nationale en première lecture. Comme il était très difficile, voire impossible, d’intervenir sur des dispositions mettant en cause soit le coût réel des frais de port soit l’établissement d’un prix plancher, Bariza Khiari nous a judicieusement proposé d’interdire simplement la livraison gratuite.

Après son adoption en première lecture par notre assemblée, durant la navette parlementaire, est apparue la nécessité de transmettre ce texte à la Commission européenne, conformément à la directive 98/34/CE, qui prévoit une procédure d’information s’agissant des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société d’information.

Les délais imposés par cette directive ont conduit l’Assemblée nationale à supprimer le délai de trois mois pour la mise en œuvre du dispositif que nous avions introduit sur l’initiative de notre collègue Jacques Legendre et, ainsi, à maintenir la navette parlementaire en attendant l’avis de la Commission européenne.

Comme l’a évoqué Mme la rapporteur, la Commission européenne a émis des réserves sur l’opportunité de ce texte, estimant notamment que les autorités françaises ne lui avaient pas fourni suffisamment d’éléments pour juger de la proportionnalité du dispositif. Si les autorités européennes semblent prêtes à se laisser convaincre par le dispositif de la proposition de loi, cette acceptation ne pourrait se faire qu’au prix d’une renonciation préalable de la France à la mesure d’interdiction de la gratuité des frais de port. À défaut, la France se retrouverait sous la menace d’un contentieux et, de fait, d’une condamnation.

Nous saluons la détermination de notre rapporteur à ne pas succomber à ce chantage. Bariza Khiari a proposé aux membres de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication d’adopter cette proposition de loi dans la version issue des travaux de l’Assemblée nationale sans modification, ce qu’ils ont unanimement approuvé.

En effet, mes collègues du groupe socialiste et moi-même estimons que nous ne pouvons plus accepter de telles injonctions de l’Europe si celle-ci ne nous protège pas par ailleurs. Elle ne peut pas nous interdire de défendre nos librairies et affirmer ne rien pouvoir contre le dumping social auquel se livrent les grands groupes. §

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