Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 26 juin 2014 à 15h00
Renforcement de l'efficacité des sanctions pénales — Article 18 quater A

Christiane Taubira, garde des sceaux :

Sans ambiguïté, le Gouvernement est favorable à la suppression de la rétention de sûreté, pour des raisons de philosophie politique et de droit.

Je profite de l’intervention de M. Lecerf, dont je connais la cohérence de pensée, pour rappeler que cette mesure est difficile à défendre, surtout après le constat d’une accumulation de défaillances.

Vous ne la défendez d’ailleurs que sur la base d’arguments prosaïques et non pas doctrinaux. Je parle bien de doctrine, non de dogme, c’est-à-dire d’une idée construite et cohérente de la logique d’une mesure.

Je n’ai jamais entendu d’arguments doctrinaux : vous vous arrêtez toujours sur quelques cas difficiles, que l’on ne sait pas traiter, et décidez, par anticipation, d’empêcher les personnes visées de commettre un nouveau crime, la rétention de sûreté intervenant après que la peine a été exécutée.

Nous avons tous le devoir de nous interroger sur ces questions. Nous avons tous le souci de ces personnes dont on peut craindre qu’elles ne commettent à nouveau des crimes.

Je rappelle, en effet, que la rétention de sûreté est réservée aux crimes. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, le Gouvernement est opposé à ce que la suppression de la rétention de sûreté se fasse dans le présent texte, qui concerne les délits. Sa demande de suppression de la suppression se fonde donc sur une question de véhicule législatif. Néanmoins, il faudra que cette question soit étudiée dans toute sa dimension.

Je ne cherche pas, mesdames, messieurs les sénateurs, à être polémique, je n’accuse pas un gouvernement plutôt qu’un autre – même s’il est vrai qu’un gouvernement d’une même couleur politique était au pouvoir ces dix dernières années, je sais que la question est bien plus ancienne -, mais ce sujet me fait penser à celui que nous avons traité hier assez longuement et de façon dense, à propos de l’altération du discernement.

Parce que toutes les mesures n’avaient pas été prises par la puissance publique, les experts comme les juridictions en étaient venus à considérer que l’altération du discernement était un facteur aggravant, et devait ainsi conduire au prononcé de peines plus lourdes.

Toute société a ses pathologies, ses malades, ses personnes à risque, et si la puissance publique ne met pas en place tous les moyens nécessaires pour prendre en charge ces réalités, elle se trouve obligée de protéger la société par des pratiques injustes. C’est ce que vous avez voulu corriger lors de nos débats d’hier, monsieur Lecerf : l’altération du discernement est une circonstance atténuante, et non pas aggravante ; elle doit par conséquent conduire à un amoindrissement de la peine, et non pas à son alourdissement.

Vous avez donc su corriger une première injustice, et je vous invite à faire de même ici, car, à mon sens, on peut faire le parallèle avec la rétention de sûreté. En la matière également, les dispositions n’ont pas été prises pour que les personnes soient soignées correctement, à temps et pendant la durée nécessaire, ni pour que celles qui présentent de vraies pathologies soient prises en charge en milieu hospitalier, avec toutes les sécurités requises, plutôt que par l’administration pénitentiaire. En conséquence de quoi, pour quelques cas seulement – ils se comptent en effet sur les doigts d’une main – on a sorti l’artillerie lourde : la punition au-delà de la punition, en prévision d’un acte qui pourrait éventuellement être commis.

La position du Gouvernement est donc extrêmement claire, et son intention est sans ambiguïté : la rétention de sûreté ne se conçoit pas et doit être supprimée. Néanmoins, sa disparition ne peut figurer dans le présent texte, qui a trait aux délits.

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