Intervention de Najat Vallaud-Belkacem

Commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel — Réunion du 1er juillet 2014 : 1ère réunion
Audition de Mme Najat Vallaud-belkacem ministre des droits des femmes de la ville de la jeunesse et des sports

Najat Vallaud-Belkacem, de la ville, de la jeunesse et des sports :

ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports. - Voilà deux ans que je rappelle les origines du projet abolitionniste, ce combat républicain contre l'exploitation des femmes, auquel avaient participé Victor Schoelcher et Victor Hugo. Vos collègues députés ont confirmé la position abolitionniste à l'unanimité en 2011. C'est dans cette lignée que s'inscrira, je l'espère, votre Haute assemblée. Celle-ci a enrichi notre connaissance et notre réflexion, tant avec la mission d'information que vous aviez menée avec Chantal Jouanno, monsieur le Président, qu'avec le travail de votre délégation aux droits des femmes.

La proposition de loi adoptée par les députés offre des réponses concrètes, ambitieuses et pragmatiques dans lesquelles le gouvernement se retrouve : il s'agit de fermer les portes d'entrée dans la prostitution et d'en ouvrir les portes de sortie, afin d'aider les victimes à écrire une nouvelle page de leur vie.

Il n'y a pire danger pour les personnes prostituées que nos divisions partisanes, parce que les polémiques vaines les enferment dans le silence. Sachons éviter les postures moralisantes qui ne donneraient pas assez de réponses concrètes. La prostitution n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était dans les années 1970 ; si elle a reculé pour une part - de moins en moins de Françaises se prostituent -, elle a changé de visage. J'apprécie le titre du rapport de votre délégation aux droits des femmes : il s'agit en effet de la plus vieille violence faite aux femmes - elle n'est pas pour autant immuable, mais évolue en fonction des situations d'extrême pauvreté entraînées par les mouvements géopolitiques. La législation n'est pas sans effet sur ce phénomène : la France a dix à vingt fois moins de prostituées que l'Allemagne, qui en compte 400 000.

La force de cette proposition de loi tient à ce qu'elle répond à la diversité des situations, la prostitution de rue étant malgré tout issue à 90 % de réseaux ayant leurs bases en dehors de nos frontières, pratiquant la traite d'êtres humains, avec des structures parfois légères et exploitant la détresse financière de femmes originaires en général d'Europe de l'Est ou d'Afrique.

Le renforcement des moyens d'enquête est une priorité ; l'article premier consacre la responsabilité des éditeurs qui ne s'organiseraient pas pour repérer une utilisation de leurs sites à des fins de proxénétisme. Une politique abolitionniste doit reposer, comme cette proposition de loi, sur deux piliers indissociables : la fermeté pénale pour les responsables et l'insertion sociale des victimes.

En 2003, la création du délit de racolage passif a provoqué des réalités aberrantes : on ne règle rien en mettant les menottes aux victimes. Selon un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), les violences ont redoublé quand les personnes ont disparu dans des zones reculées. Des associations de terrain se demandent si la condamnation du client par cette proposition de loi n'aurait pas le même effet. Cette inquiétude ne tient pas. Au contraire, écarter d'elles la menace d'une arrestation facilitera leur accès aux structures qui leur viennent en aide. L'abolition du délit de racolage passif satisfait également à la directive 2011-36 qui interdit la poursuite des victimes.

Il n'en faut pas moins des outils pour lutter contre le proxénétisme - et je souhaite aller plus loin sur ce point. Les municipalités doivent aussi être dotées d'outils de gestion de l'ordre public. La proposition de loi crée une contravention de recours à la prostitution, accompagnée d'un stage de sensibilisation, qui me semble une solution équilibrée et plus efficace que tout ce qui a été fait jusqu'à présent. Ceux qui ont recours à la prostitution ne sauraient ignorer qu'ils font le jeu des réseaux criminels. Les jeunes doivent connaître les limites de leur liberté sexuelle : l'interdit a une valeur pédagogique. Vous discuterez de l'échelle des peines, notamment sur le recours à des prostitués mineurs ou vulnérables. J'espère néanmoins que vous comprendrez la nécessité de maintenir le principe.

Le Gouvernement s'est résolument engagé dans le combat contre la traite des êtres humains. En août 2013, Christiane Taubira et moi-même avons fait adopter une redéfinition de cette infraction. Nous avons intensifié notre lutte contre les réseaux, dont 52, d'ailleurs tous diversifiés, ont été démantelés en 2012, contre 45 en 2011. Nous travaillons également à renforcer la coopération européenne, notamment avec mon homologue belge Joëlle Milquet, lorsque nous avons rassemblé en septembre dernier les représentants des dix-huit États signataires du protocole de Palerme afin d'en réaffirmer l'actualité. J'ai affirmé aux membres d'Interpol la mobilisation de notre pays sur ce sujet. Le 14 mai dernier, j'ai présenté au conseil des ministres le premier plan d'action national de lutte contre la traite des êtres humains, notamment pour faciliter l'identification des victimes et leur accès au droit, et prévoir d'étendre aux autres victimes de traite que la prostitution (travail, mendicité ou délinquance forcés) des dispositifs prévus dans cette proposition de loi ; le Gouvernement vous proposera des amendements en ce sens.

Il faut libérer les victimes des contraintes qui pèsent sur elles : peur, chantage contre les familles restées au pays. Elles doivent donc accéder à un titre de séjour provisoire, ce que prévoit la proposition de loi. L'accompagnement social est indispensable à une véritable politique abolitionniste : il est nécessaire d'offrir aux personnes prostituées la possibilité de se réinsérer professionnellement et socialement en leur donnant accès aux services de santé, au logement, à la formation professionnelle. Je me suis employée à renforcer les moyens d'accompagnement ; c'est une priorité en ces temps de budgets contraints. Un fonds sera créé grâce à la proposition de loi. Le Gouvernement est prêt à consentir des redéploiements budgétaires pour l'abonder.

Notre objectif est l'abolition : que toutes les personnes prostituées qui le souhaitent aient accès à un parcours de sortie. Parvenus à ce tournant historique, nous devons adopter enfin une politique cohérente en ce sens. Il y a beaucoup de débats ; quand vous en êtes fatigués, écoutez la voix des personnes concernées : même si certaines s'expriment contre la proposition de loi, celles qui ont eu la chance de s'en sortir en tirent un nouvel argument pour dire que la prostitution n'est pas une vie. Cela ne peut jamais être un projet de vie. Espérons pour ces personnes un avenir meilleur.

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