Intervention de Aurélie Filippetti

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 26 juin 2014 : 1ère réunion
Audition de Mme Aurélie Filippetti ministre de la culture et de la communication

Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication :

Il y a un an, vous présentiez, Madame la Présidente, un rapport d'information qui nous invitait à « passer aux actes ». Un an plus tard, je me réjouis d'être devant vous pour présenter le bilan de l'action du ministère de la culture et de la communication. « Passer aux actes », c'est ce que nous avons fait.

Vous aviez relevé quatre axes forts pour porter une politique volontariste en faveur de la place des femmes dans la culture : sensibiliser, responsabiliser, réguler et contrôler. Pour chacun de ces impératifs, voici où nous en sommes.

Concernant l'objectif de sensibilisation, nous avons présenté le 25 mars 2014 au comité « Égalité » du ministère de la culture et de la communication une nouvelle édition de l'Observatoire de l'égalité qui rassemble des informations actualisées sur les nominations, les rémunérations, les programmations et l'accès aux moyens de production dans tous les champs concernés.

Il associe d'ores et déjà les établissements publics et notamment le Centre national du cinéma (CNC), dont le récent rapport, consacré à la place des femmes dans le cinéma, montre notamment les différences de budget alloués aux films réalisés par des femmes, comparativement à ceux réalisés par des hommes. Des organismes privés comme la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) ont également été associés, ainsi que vous le préconisez dans la première recommandation du rapport. Cette deuxième édition 2014 de l'observatoire enrichit également les données proposées en matière de patrimoine, de livre, d'audiovisuel et de presse.

J'ai pleinement conscience que l'observatoire doit être un outil en constante amélioration. J'ai d'ores et déjà souhaité que les données relatives à la presse écrite soient encore plus complètes en 2015 : j'ai fait de ce thème un sujet privilégié d'échanges lors de la première conférence des éditeurs de presse que j'ai réunie autour de moi en avril 2014. Le champ du numérique et du jeu vidéo doivent également pouvoir être inclus en 2015 : lors de la « Silicon Valois » en mai 2014, une demi-journée a ainsi été consacrée à la présence des femmes dans le numérique. J'ai particulièrement été touchée par le témoignage d'associations de filles de banlieues qui nous ont dit être « geek » (« accro ») aux jeux vidéo.

Nous avons commencé par cet axe la mise en oeuvre de notre feuille de route parce que c'est le fondement de toute politique volontariste pour faire progresser l'égalité : la vérité des chiffres permet d'objectiver le propos, de « rendre visible l'invisible », ainsi que vous le formulez dans votre rapport, et constitue la condition première de la mobilisation, de la réflexion et de l'action.

Par ailleurs, suivant en cela votre 2ème recommandation, des études ponctuelles ont été réalisées à la demande du ministère, en complément du travail de l'Observatoire :

- comme je vous le disais, le CNC a rendu public lors du dernier comité « Égalité » une étude sur la place des femmes dans l'industrie cinématographique et audiovisuelle ;

- le Département des études de la prospective et des statistiques (DEPS) a présenté, à partir des données SACD de 2011, une étude sur les femmes dans la création audiovisuelle et le spectacle vivant ;

- le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a également réalisé des enquêtes pour établir un diagnostic sur la situation des femmes à la télévision et à la radio et a publié un premier bilan de son action.

S'agissant de votre 4ème recommandation concernant le « devoir de mémoire » dans les écoles de formation artistique, qui prendrait la forme d'un répertoire des oeuvres des créatrices, je tiens à souligner le travail remarquable des « Éditions des femmes - Antoinette Fouque », - à qui l'occasion m'est donnée de rendre ainsi hommage - dont la ténacité a permis de faire paraître cette année le Dictionnaire universel des créatrices : c'est un véritable travail encyclopédique qui compile quarante siècles de création des femmes à travers le monde et dans tous les domaines : arts, culture, science.

Cet ouvrage, exceptionnel par son ambition et son ampleur, a été soutenu financièrement par le Centre national du Livre (CNL). Je souhaite que le ministère puisse également être présent pour l'élaboration de sa version numérique, gage d'une plus grande accessibilité et d'une future actualisation. Cette encyclopédie mériterait aussi d'être mieux connue et systématiquement mise à disposition des écoles, particulièrement celles de notre réseau.

Votre rapport fait une large place à la question des comportements sexistes dans les écoles. Au-delà de quelques cas, désormais anciens mais qui ont pu marquer les esprits, je retiens de votre rapport la nécessité de pouvoir porter la politique de sensibilisation en faveur de l'égalité auprès des jeunes générations, et ce dans l'ensemble des écoles dont le ministère de la culture a la charge, car ces comportements doivent être combattus aussi bien dans les conservatoires supérieurs que dans les écoles d'art, à l'Institut national du patrimoine qu'à l'École nationale supérieure des métiers de l'image et du son (ENSMIS).

Cette sensibilisation passe par un projet global des écoles : c'est le sens des 5ème à 8ème recommandations de votre rapport. Plusieurs initiatives ont été prises en la matière.

Mes services, chargés de modifier l'arrêté d'organisation des études en arts plastiques, prévoiront une disposition concernant une sensibilisation à la parité homme-femme dans les formations elles-mêmes, afin notamment de mettre en valeur dans les cursus le travail des artistes femmes. Là encore, sa mise en oeuvre opérationnelle sera l'année scolaire 2015-2016.

En parallèle, sur les dix écoles supérieures d'art sous tutelle du ministère de la culture, sept sont en train de négocier leur contrat de performance 2015-2017. Toutes incluront des objectifs relatifs à la politique d'égalité entre les hommes et les femmes.

Enfin, dans la suite de votre 5ème recommandation de sensibilisation de l'ensemble de la profession, le ministère soutiendra spécifiquement cette année le séminaire de rentrée 2014 de l'Association nationale des écoles supérieures d'art (ANDEA), qui sera consacré à la lutte contre toutes les discriminations y compris celle relative au sexe. Les directeurs des écoles, même s'ils ont regretté ce qu'ils estiment être une stigmatisation, se sont emparés du sujet. L'objectif de l'ANDEA est de proposer la rédaction d'une charte commune à l'ensemble des écoles dans le courant du premier semestre 2015 pour qu'elle soit ensuite déclinée dans les règlements intérieurs des écoles de l'année scolaire 2015-2016. Le ministère soutient et encourage cette initiative, qui peut se résumer à un mot d'ordre : « Face au sexisme, tolérance zéro ! ».

Concernant l'objectif de responsabilisation, notre démarche est contractuelle : elle porte à la fois sur les objectifs internes aux institutions concernées et sur des objectifs « externes » : la programmation en particulier, où il faut à la fois donner des impulsions très fortes tout en respectant les choix artistiques.

En matière de spectacle vivant, j'avais ainsi souhaité alerter 145 institutions en février 2013 sur la nécessité d'avoir un regard, dans leur programmation, sur la part des femmes. Quelques structures sont exemplaires car elles présentent plus de 40 % de femmes, que ce soit le Théâtre national de Strasbourg (TNS), le Théâtre nouvelle génération à Lyon ou la Scène nationale de la Ferme du Buisson, mais les disparités restent larges.

Les médias publics sont quant à eux incités à se mobiliser via les contrats d'objectifs et de moyens (COM) :

- France-Télévisions a contractualisé ses engagements tant en ce qui concerne l'entreprise, en interne, que pour la représentation des femmes à l'antenne, avec notamment l'objectif de 30 % d'expertes. Le colloque annuel « En avant toutes » présente des avancées ;

- Radio-France a engagé depuis 2007 un plan d'action pour lutter contre les discriminations ;

- France Médias Monde s'engage également dans son « COM 2013-2015 », notamment sur le renforcement de la présence de femmes cadres parmi les journalistes ;

- et TV5 Monde fait de la promotion de l'égalité femmes/hommes un axe fort de son identité.

Une mention spéciale pour Arte qui est l'une des chaînes les plus impliquées dans la production de films de réalisatrices (un tiers des films coproduits) et dont le directoire et le comité de direction d'Arte France comptent deux tiers de femmes.

Dans les institutions du monde de la culture, il a également été décidé de faire figurer dans les différents contrats des dispositions pour promouvoir l'égalité, tant sur le plan de la gestion des ressources humaines, en interne, que pour la programmation et l'accès aux moyens de production. C'est ce qui est donc en cours dans six des dix écoles d'art, comme je le soulignais. Toutefois, ce processus, excellent dans son principe, peut être long à mettre en oeuvre car subordonné au rythme de renouvellement de ces contrats.

C'est pourquoi j'ai demandé à l'occasion du comité « Égalité » du 25 mars 2014 que les établissements, ou groupes d'établissements (par exemple les écoles d'architecture) puissent également travailler à l'élaboration d'une charte égalité dans leur champ spécifique. À titre d'exemple, une charte a d'ores et déjà été signée avec Claudie Haigneré, présidente d'Universcience : dans un domaine où les femmes se heurtent tout particulièrement au « plafond de verre » et où l'expertise scientifique et technologique est perçue comme masculine, elle s'engage à mener des actions en faveur de l'égalité en interne comme dans les offres au public.

Concernant l'objectif de régulation, vous l'avez dit, Madame la Présidente, une grande attention a été portée aux nominations de femmes aux postes de responsabilité, au sein du ministère lui-même comme à la tête des grandes institutions culturelles. La violence dont j'ai été la cible à cette occasion montre le poids des « situations acquises » que l'irruption des femmes vient perturber, comme Ariane Mnouchkine l'a souligné dans un article de presse publié en 2013.

La circulaire adressée le 22 février 2013 aux préfets et aux directions régionales des affaires culturelles (DRAC) porte ses fruits. Il avait en effet été demandé que l'on tende vers la parité dans la composition des jurys de sélection des candidats aux postes de dirigeants des institutions dans le domaine du spectacle vivant et des arts plastiques, et que les « listes restreintes » soient également paritaires ; aujourd'hui, les femmes sont à chaque appel de candidatures dans les établissements labellisés plus nombreuses à se présenter, ce qui prouve qu'un verrou a bien été levé ; et la douzaine de nominations à la tête des centres dramatiques nationaux (CDN) depuis plus d'un an, en plein accord avec les collectivités territoriales concernées, est paritaire puisque six femmes ont été nommées sur douze nominations, ce qui a doublé en une année le nombre de femmes à la tête des CDN. Et toutes portent des projets exemplaires : à Aubervilliers, Besançon, Béthune, Bordeaux, Nice, au Théâtre Ouvert ou au Centre national des dramaturgies contemporaines à Paris.

Pour une plus juste représentation des femmes dans la culture, mon administration doit être exemplaire : au sein du ministère, neuf femmes ont été nommées directrices régionales des affaires culturelles depuis le 1er janvier 2013 sur seize nominations au total : au total onze femmes sont aujourd'hui directrices régionales des affaires culturelles (DRAC), sur un total de 25, ce qui représente une très sensible évolution. Pour les concours de professeurs d'art de 2013, sept femmes ont été recrutées sur quatorze nominations. L'attention se porte également pour les fonctions de personnalités qualifiées des conseils d'administration : à la Bibliothèque publique d'information, ce sont trois femmes sur quatre personnalités qui intègrent le conseil.

Pour autant, il s'agit d'un travail de fond : on ne peut s'attendre à une inversion spectaculaire de la situation en une seule année, mais le mouvement est lancé et il est irréversible.

Concernant l'objectif de contrôle enfin, le projet de loi relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes en cours de discussion au Parlement améliore le dispositif de veille du CSA sur l'égalité et la place des femmes dans les médias en étendant ses compétences : il sera dorénavant chargé de veiller « d'une part à la juste représentation des femmes dans les programmes des services de communication audiovisuelle et d'autre part à l'image des femmes dans ces programmes, notamment en luttant contre les stéréotypes, les préjugés sexistes, les images dégradantes, les violences faites aux femmes... ».

L'action de vigilance du CSA vis-à-vis des chaînes s'effectue depuis 2013 dans le cadre du groupe de travail dédié spécifiquement aux droits des femmes et présidé par Sylvie Pierre-Brossolette. Le CSA a publié en février 2014 un premier rapport annuel comme vous l'appeliez de vos voeux. Dès la promulgation de la loi relative à l'égalité entre les femmes et les hommes, le CSA pourra par ailleurs intégrer, comme vous le préconisiez, dans les conventions conclues avec les chaînes, les questions de parité au titre de la clause de responsabilité sociétale. S'agissant enfin des possibilités de saisine du CSA par les associations de défense des droits des femmes, elles leur sont ouvertes depuis la loi de 2010 sur les violences faites aux femmes.

En conclusion, il existe dans le champ culturel, je le pense, une prise de conscience qui s'améliore, des évolutions remarquables mais encore, bien sûr, des sujets de moindre satisfaction aussi.

Si le volontarisme a déjà sensiblement fait évoluer la situation et que le recours à la loi pour conférer de nouveaux pouvoirs au CSA est une garantie, ces avancées sont encore fragiles et insuffisantes. Certains secteurs restent inégalitaires comme le montrent les données de l'Observatoire : la musique, où il y a très peu de femmes cheffes d'orchestre et peu de femmes dans les musiques actuelles ; la presse, où des femmes journalistes, par le biais du collectif « Prenons la Une ! », se sont récemment fait entendre...

Les prises de position - et les prises de conscience - sont de plus en plus nombreuses, mais nous sommes engagés dans un travail de longue haleine, qui repose sur la détermination du ministère, mais aussi des artistes et de tous les responsables d'institutions de la culture et des médias.

L'effort concernant les nominations et l'évolution du regard porté sur les femmes doit être amplifié ; il faut, en effet, comme le recommande le rapport du Sénat, travailler en amont sur les formations, la constitution de « viviers » de jeunes femmes qui pourront, le moment venu, prendre des postes à responsabilité, et continuer à bousculer les stéréotypes et faire vaciller les conservatismes.

Pour faire bouger les lignes, il faut mobiliser tous les acteurs du secteur. Nous y travaillons ensemble.

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