Réseau ferré de France s’est donc retrouvé avec plus de 20 milliards d’euros de dette issus de la SNCF, sans qu’aucune mesure structurelle n’ait été prise pour réduire sa progression.
Par la suite, la double dérive des coûts de gestion du réseau existant et de développement de nouvelles lignes a conduit à l’emballement de la dette que nous connaissons aujourd’hui. Si l’on ne fait rien, la dette du réseau pourrait atteindre près de 70 milliards d’euros en 2025 ! Cette situation n’est pas soutenable !
Troisième handicap : notre système ferroviaire a souffert d’une insuffisante préparation à l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire. En l’absence d’un cadre social homogène, cette impréparation a conduit à un rapide effondrement de l’activité de Fret SNCF.
Ces handicaps ont été d’autant plus dommageables que l’État n’a pas su, ou pas pu, jouer le rôle d’arbitre qui aurait dû être le sien dans les conflits entre la SNCF et RFF. Il s’est peu impliqué dans les questions stratégiques, laissant ainsi d’importantes marges de manœuvre aux deux établissements...
Ces éléments de contexte doivent suffire à démontrer l’absolue nécessité de cette réforme et l’urgence qu’il y a à agir.
Le présent projet de loi apporte des réponses concrètes aux difficultés que je viens d’évoquer. Il marque le retour de l’État stratège. Il crée un gestionnaire d’infrastructure unifié, SNCF Réseau, qui rassemble en son sein les activités aujourd’hui exercées par RFF, la Direction de la circulation ferroviaire – la DCF – et SNCF Infra.
Il insère le gestionnaire d’infrastructure, SNCF Réseau, et l’exploitant des services de transport ferroviaire, SNCF Mobilités, dans un même « groupe public ferroviaire » : la SNCF. Dans le jargon européen, on parle d’une « structure verticalement intégrée ». Il s’agit, en quelque sorte, de mettre en place une « holding » ferroviaire à la française, tout en conservant le statut d’EPIC de ses différentes composantes.
L’expérience passée et la réalité du terrain ont en effet montré que seul un système intégré pouvait être réellement efficace : pour un fonctionnement optimal du réseau, les problématiques d’entretien du réseau et les contraintes d’exploitation ne peuvent pas être systématiquement dissociées. C’est d’ailleurs une organisation similaire qu’a choisie la Deutsche Bahn.
Ce modèle intégré, qui a pourtant fait ses preuves, n’a pas eu, dans un premier temps, les faveurs de la Commission européenne, qui voulait aller jusqu’à l’interdire. Fort heureusement, vous avez su démontrer, monsieur le secrétaire d’État, qu’il s’agissait d’un modèle pertinent, face au modèle opposé d’une séparation intégrale entre la gestion de l’infrastructure, d’une part, et l’exploitation des services de transport, d’autre part. Il nous revient désormais d’appuyer la position que vous avez prise, en adoptant ce texte...
En parallèle de cette intégration, ce texte offre aux concurrents de la SNCF de réelles garanties d’indépendance dans l’exercice des fonctions dites « essentielles », à savoir la tarification et l’allocation des sillons, en conformité avec le droit européen existant. L’ARAF, dont le rôle a été considérablement renforcé, surtout après l’examen du texte à l’Assemblée nationale, contrôlera le respect de ces exigences.
Ce texte comporte également des mesures fortes destinées à mettre fin à la dérive financière du système. Le pilotage du système ferroviaire sera renforcé, puisque le projet de loi organise un retour de l’État stratège et met en place des outils destinés à maîtriser l’endettement du système : les contrats signés entre l’État et les différents EPIC du groupe, ainsi qu’une règle de maîtrise de l’endettement dont la bonne application sera surveillée par l’ARAF. L’Autorité se voit ainsi dotée d’un nouveau rôle, que l’on pourrait qualifier de régulateur économique du système.
Enfin, ce projet de loi pose les bases d’un cadre social commun à l’ensemble des salariés de la branche ferroviaire, qui sera élaboré pour l’essentiel par les partenaires sociaux sur la base d’un décret-socle.
L’Assemblée nationale a substantiellement et utilement complété ce projet de loi, sous l’impulsion de son rapporteur, Gilles Savary, dont je voudrais souligner devant vous la compétence et l’engagement.
La commission du développement durable du Sénat a, de son côté, préservé les équilibres atteints à l’Assemblée nationale, tout en complétant le texte sur plusieurs points.
À l’article 1er, les députés ont largement pris en compte les aspirations des cheminots, en renforçant l’intégration du groupe public ferroviaire. Ce travail important a été salué par la commission du développement durable du Sénat. Il est essentiel que nous conservions les gages obtenus en termes de réunification de la famille cheminote.
Les députés ont aussi complété les dispositions du texte relatives à la gouvernance, en ajoutant au Haut Comité du système de transport ferroviaire un Comité des opérateurs du réseau, composé des clients de SNCF Réseau.
Dans ce domaine, notre commission a prévu la participation des associations de protection de l’environnement agréées au Haut Comité du système de transport ferroviaire. Elle a aussi prévu, à l’article 2, que le Haut Comité délibère annuellement sur des recommandations d’actions et des propositions d’évolutions au contrat signé entre SNCF Réseau et l’État.
Notre commission a salué les différentes mesures visant à renforcer l’information et le contrôle du Parlement sur le système de transport ferroviaire, telles que la transmission systématique au Parlement des projets de contrat signés entre l’État et les établissements du groupe public ferroviaire, ou la mise en place d’un schéma national des services de transport. Nous y avons ajouté la présence d’un député et d’un sénateur au conseil de surveillance de la SNCF.
À l’article 2, l’Assemblée nationale a précisé la règle de maîtrise de l’endettement du réseau, en distinguant, d’une part, les investissements liés à la maintenance du réseau, c’est-à-dire les investissements de renouvellement, et, d’autre part, les investissements de développement du réseau.
Notre commission a adopté plusieurs amendements de clarification rédactionnelle, dont deux, importants, présentés par François Patriat, au nom de la commission des finances.
Au même article 2, notre commission a adopté un amendement identifiant SNCF Réseau comme le propriétaire unique de l’ensemble des lignes du réseau ferré national. Il nous a semblé nécessaire d’écarter toute perspective de démantèlement du réseau ferré national même si certaines délégations, strictement encadrées, sont possibles.
Dans le même esprit, nous avons accepté les articles 2 bis A et 2 bis B, qui ouvrent la possibilité aux régions de racheter certaines petites lignes d’intérêt purement local, afin de ne pas les laisser se détériorer, et qui permettent aux régions de créer ou d’exploiter des lignes d’intérêt régional. Sont aussi réglés certains cas ponctuels, comme celui de la ligne Digne-Nice dont la région PACA, Provence-Alpes-Côte d’Azur, pourra devenir gestionnaire de pleine compétence. Comme le précédent, cet article ne remet pas en cause l’unicité du réseau national, puisque seules des infrastructures d’intérêt purement local sont visées.
L’article 2 ter prévoit la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement sur les solutions à mettre en œuvre pour traiter de l’évolution de la dette historique du système ferroviaire. Notre commission a souhaité inclure explicitement dans ce rapport l’examen d’une reprise, par l’État, de tout ou partie de la dette de SNCF Réseau. Le portage par SNCF Réseau d’une dette qu’il ne peut amortir, et dont l’État est de facto le garant, n’est en effet pas légitime. Cette dette représente chaque année des charges financières considérables, qui gagneraient à être investies dans l’entretien et la régénération du réseau.