Intervention de François Patriat

Réunion du 9 juillet 2014 à 14h30
Réforme ferroviaire – nomination des dirigeants de la sncf — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission

Photo de François PatriatFrançois Patriat :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je m’abstiendrai de répéter ce que M. Teston a excellemment exposé, me contentant de traiter des aspects qui intéressent la commission des finances. Celle-ci s’est saisie pour avis du projet de loi portant réforme ferroviaire compte tenu, notamment, de l’endettement préoccupant du système ferroviaire, dont il a déjà été signalé qu’il atteint plus de 44 milliards d’euros, dont 37 milliards d’euros au titre de l’infrastructure.

Cette dette, mes chers collègues, l’INSEE l’a récemment reconnue partiellement publique. Nous avons donc le devoir de la maîtriser, de la stabiliser et, à terme, de la réduire. Tel est l’un des enjeux, parmi quelques autres non moins importants, du projet de loi soumis à notre examen.

Pour réduire cette dette, une première étape est indispensable : unifier l’infrastructure. En effet, nous ne pouvons plus nous contenter du système existant, dans lequel RFF et la SNCF, même s’ils se coordonnent, n’arrivent pas à trouver un juste équilibre économique et financier entre leurs objectifs contradictoires.

Dans l’organisation actuelle, RFF est confronté à un déficit annuel de 1, 5 milliard d’euros au titre de la maintenance du réseau existant. En outre, il doit lever environ 1, 5 milliard d’euros supplémentaires pour financer le développement de quatre nouvelles lignes qu’il n’est pas besoin de nommer, car chacun ici les connaît.

Si nous voulons faire face aux besoins pour la maintenance du réseau, 15 milliards d’euros devront être investis au cours des dix prochaines années. Organiser cet effort est l’ambition du grand plan de modernisation du réseau. Compte tenu des sommes en jeu, comment pourrions-nous nous satisfaire d’un système sous-optimal ?

L’unification de l’infrastructure au sein de SNCF Réseau répond à une évidence, qu’il était urgent de traduire dans les faits ; elle représente une amélioration fondamentale, dont nous espérons 900 millions d’euros par an de gains de productivité et de mutualisation d’ici à dix ans. Par ailleurs, l’effort consenti par l’État, qui renonce à ses dividendes ainsi qu’à l’impôt sur les sociétés, devrait soutenir SNCF Réseau à hauteur de 500 millions d’euros par an.

Cet équilibre financier repose également sur la mise en œuvre par le nouvel opérateur SNCF Mobilités d’un plan de performances, pour un montant de 1 milliard d’euros.

L’objectif que nous poursuivons, c’est la stabilisation de la dette d’ici à dix ans. Qu’il soit ambitieux, nul ne le conteste, ni les établissements ni le Gouvernement. Il sera formalisé dans des contrats, notamment celui qui sera conclu entre l’État et SNCF Réseau, dont l’article 2 du projet de loi détaille les clauses obligatoires ; en particulier, ce contrat devra fixer la trajectoire financière à dix ans.

Le projet de loi comprend deux garde-fous destinés à éviter que SNCF Réseau ne s’écarte de sa trajectoire financière.

Le premier réside dans l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, l’ARAF, qui veillera à la bonne exécution du contrat par SNCF Réseau. Le régulateur émettra un avis sur le projet de budget annuel du gestionnaire d’infrastructure et l’incitera à le corriger en cas d’écart par rapport à la trajectoire arrêtée.

Le second garde-fou prévu par le projet de loi est la règle d’or, ou règle prudentielle, pour le financement des investissements de développement, c’est-à-dire l’ouverture de nouvelles lignes. Cette règle, dont le respect sera surveillé par l’ARAF, évitera que SNCF Réseau ne s’endette de manière inconsidérée, puisque, si l’on doit ouvrir une nouvelle ligne, elle sera financée par les demandeurs, et non plus par le gestionnaire d’infrastructure. En d’autres termes, ce sera aux collectivités territoriales et à l’État, s’ils veulent des lignes, d’en assumer le financement.

L’objectif de stabilisation de la dette est-il réalisable ? Les interlocuteurs que j’ai rencontrés sont restés très prudents sur la cible visée d’ici à 2025 : certains ont évoqué une stabilisation à hauteur de 60 milliards d’euros à cette échéance, d’autres ne se sont pas avancés ; d’autres encore considèrent que l’État ne va pas assez loin, si bien que les comptes ne seront pas équilibrés à horizon de dix ans.

Il est vrai que des contraintes fortes pèsent sur le secteur. De fait, la commission des finances a estimé que le scénario retenu était soumis à des aléas.

Le premier de ces aléas pèse sur les ressources de SNCF Réseau. En effet, les hausses de péages d’infrastructure, fortes ces quatre dernières années, seront limitées au moins jusqu’en 2018, de sorte que SNCF Réseau ne pourra pas augmenter ses recettes en jouant sur les prix. Quant aux subventions publiques, elles seront au mieux maintenues, mais il est peu probable qu’elles augmentent. L’environnement économique sera par conséquent déterminant pour assurer le dynamisme des recettes de SNCF Réseau.

Le second aléa auquel est soumis SNCF Réseau, comme du reste tous les emprunteurs, tient au risque d’augmentation des taux d’intérêt.

Cet établissement devra donc engager des efforts très importants en matière de dépenses. Le président de RFF a assuré les membres de la commission du développement durable qu’un objectif de 10 % de gains de productivité était atteignable : « nous les avons sous le pied », nous a-t-il affirmé. Souhaitons qu’il en soit ainsi ! Nous lui donnons acte de cet engagement et nous jugerons les résultats.

La commission des finances s’est également demandé si nous pouvions aller plus loin pour redonner des marges de manœuvre à SNCF Réseau. Je veux bien évidemment parler de la question, déjà soulevée il y a quelques instants, de la reprise par l’État de tout ou partie de la dette de cet établissement. Cette idée s’appuie notamment sur le fait que l’INSEE, en mai dernier, a requalifié un tiers de la dette de RFF, soit environ 10 milliards d’euros, en dette publique, ce qui est peut-être la fin d’une forme d’hypocrisie consistant à nier le caractère public de cette dette.

Néanmoins, il faut souligner que l’INSEE a aussi reconnu qu’un actif, le réseau, était inscrit face à cette dette, en sorte que le stock de dette publique pris en compte pour le calcul des ratios maastrichtiens n’était pas modifié. Or si l’État venait à reprendre cette dette, aucun actif ne serait plus inscrit en contrepartie : la dette nette augmenterait donc à due concurrence, rendant plus difficile l’ajustement de nos comptes publics.

C’est pourquoi, dans l’état actuel des choses, une telle reprise de dette n’a pas paru souhaitable à la commission des finances, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne doive pas être envisagée à terme. En tout état de cause, elle ne nous a pas paru urgente, dans la mesure où RFF reste un emprunteur crédible : sa dette étant considérée par les investisseurs comme une dette de l’État français, elle est jugée peu risquée et la différence de taux d’intérêt entre RFF et l’État est minime.

On pourrait aussi s’interroger sur le caractère vertueux d’une telle reprise de dette, alors que le poids de la dette est aujourd’hui un aiguillon qui pousse SNCF Réseau à se transformer et à se moderniser. Cette dette conduira également l’établissement à choisir avec parcimonie les futurs projets de développement.

Mes chers collègues, je crois que nous devons nous interroger collectivement sur les bons choix à opérer pour notre réseau ferré national.

En particulier, tous les rapports d’expertise font apparaître que le réseau actuel est trop grand et qu’il pourrait être réduit en vue de rationaliser l’utilisation des moyens et de le maintenir dans un état de performance acceptable. Ainsi, le rapport de la commission « Mobilité 21 », rendu public l’année dernière, a souligné que nous devions faire des choix et établir des priorités pour la construction de nouvelles infrastructures.

Des choix, nous devons en faire aussi en ce qui concerne le réseau existant. En effet, si de nouvelles infrastructures sont nécessaires, des anciennes ne le sont peut-être plus. Le problème de la reprise de la dette ne doit pas occulter ces questions fondamentales.

Reste qu’un consensus existe pour reconnaître qu’une partie de la dette de SNCF Réseau ne sera pas amortissable par le système ferroviaire. À terme, donc, l’État sera probablement contraint de s’engager davantage. Pour cela, il peut recourir à plusieurs instruments : non seulement la reprise de dette, mais aussi l’augmentation des subventions. Le rapport prévu à l’article 2 ter du projet de loi, au sujet duquel M. Teston a donné tout à l’heure les explications nécessaires, doit nous permettre d’y voir plus clair sur les modalités de traitement de la dette historique.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances a émis un avis favorable sur les articles dont elle s’est saisie, à savoir les articles 1er, 2, 2 ter, 4 et 5, qui comportent des dispositions intéressant plus directement l’équilibre financier de la réforme.

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