Toutefois, le quatrième paquet ferroviaire, vous l’avez rappelé, n’est pas encore voté et la Commission européenne a déjà dû reculer.
À cet égard, rappelons que le droit positif impose seulement une séparation des fonctions essentielles, à savoir la définition des péages et la répartition des sillons.
De plus, les États – et donc les gouvernements – ne sont pas étrangers à la production législative européenne et ils ont une marge de manœuvre dans la transposition des directives. Aussi, monsieur le secrétaire d'État, n’utilisez pas l’argument de l’eurocompatibilité ou de la concurrence comme indépassable : il ne peut y avoir de double discours, l’un national, l’autre européen. Le Gouvernement, monsieur le secrétaire d'État, – j’ai entendu le Premier ministre – veut être un gouvernement de combat et la France – je reprends vos mots – est une grande nation ferroviaire et européenne qui a un poids certain dans les négociations européennes.
Ce projet de loi est une formidable opportunité pour faire valoir les exigences de la France dans le domaine ferroviaire.
Dès lors, ne reproduisons pas les erreurs passées sous couvert d’un discours d’urgence ou de contraintes réelles ou imaginaires. C’est pourquoi, à travers nos amendements, nous défendrons un modèle unifié autour de l’entreprise publique SNCF, car il a fait ses preuves par le passé. Nous pensons qu’il est seul à même de répondre aux défis du futur, aux exigences d’un service public ferroviaire, fiable et performant au service des usagers et du territoire, un service public qui ne soit pas, comme cela transparaît en filigrane dans le projet de loi, exclusivement orienté vers la gestion de l’infrastructure.
Le service public que nous défendons englobe l’offre de service, la gestion et le déploiement des réseaux, mais aussi la gestion des gares et du patrimoine ferroviaire.
S’il est impératif de mettre fin à l’absence de vision cohérente à long terme sur le système ferroviaire, la question de son financement ne peut être minorée et reportée dans le temps.
À sa création, RFF a hérité de la dette de la SNCF – 20 milliards d’euros au départ, dette qui est devenue colossale aujourd’hui, comme l’a rappelé le rapporteur –, laquelle n’apparaît plus comme de la dette publique.
Pourtant, le désendettement de la SNCF aurait pu être obtenu par le transfert d’une partie de ses dettes à l’État, ce que la directive de 1991 autorisait. D’ailleurs, dans la plupart des autres pays européens, l’État a ainsi repris une grande partie des dettes de l’opérateur ferroviaire historique. Voyez l’exemple allemand.
Pourtant, force est de constater que l’État n’a toujours pas l’intention de désendetter le système ferroviaire. Ce projet de loi, à notre avis, n’apporte pas de réponse satisfaisante à cette question pourtant cruciale.
La seule perspective de ce projet de loi sur le financement du système réside dans ce que vous appelez « des gains de performance dans les organisations et les modes de travail dans l’ensemble du groupe », et dans l’optimisation de l’offre ferroviaire.
Vous comprendrez, monsieur le secrétaire d'État, qu’au vu de l’actualité cela crée un certain malaise. Car c’est cette logique de réduction des coûts et des moyens financiers et matériels, de suppressions d’emplois, d’abaissement de la qualité des formations dispensées qui dégrade les conditions de travail des cheminots et la qualité du service public SNCF rendu aux usagers et à la nation.
Cette logique qui encourage un recours toujours plus important à la sous-traitance pour réaliser la maintenance verra peut-être se multiplier les catastrophes comme celle de Brétigny-sur-Orge. §
Car, selon les chiffres annoncés lors des débats à l’Assemblée nationale, pour trouver annuellement 250 millions d’euros, il faudrait réduire les effectifs de 4 330 personnes par an. En cinq ans, ce seraient donc plus de 20 000 salariés en moins.
Reconnaissons-le, les craintes des cheminots ne sont pas dénuées de fondement, monsieur le secrétaire d'État !
De plus, l’optimisation de l’offre ferroviaire, ainsi que la règle prudentielle, prévoit une hiérarchisation des investissements en faveur des projets présentant le meilleur retour d’investissement. À terme, cela se traduira inévitablement par des fermetures de lignes. En effet, le projet de loi prévoit un système de priorisation des projets ferroviaires, c’est-à-dire que les travaux nécessaires à la régénération du réseau ne seront effectués que lorsqu’ils sont jugés « utiles » et si les finances le permettent – pour certaines lignes, l’occasion ne se présentera jamais.
C’est donc le passage de la recherche d’une sécurité maximale à un risque calculé. Il faudra expliquer cela à nos concitoyens, monsieur le secrétaire d'État. Au fond, vous rayez d’un trait de plume les engagements de la commission Mobilité 21.
En outre, la gestion en temps réel du trafic relève complètement de l’opérationnel, de l’exploitation ferroviaire, et fait partie des fondements de la sécurité et de la qualité des services ferroviaires effectifs, alors que la gestion de l’infrastructure au sens propre a lieu en amont, en temps différé.
Où est donc dans votre projet la construction d’une synergie en temps réel des équipes de terrain, par exemple aiguillage et manœuvre des trains ?
Sur ce terrain, monsieur le secrétaire d'État, votre réforme ne répond pas aux attentes des cheminots en termes d’efficacité.
À cet égard, le nouveau rôle de gendarme financier dévolu à l’ARAF nous interroge. Nous avons toujours contesté ce type de structure dont les missions n’ont, à notre avis, rien à voir avec le service public, puisque l’unique objectif visé est de faire de la place aux nouveaux entrants et donc d’assurer la concurrence. Nous soutenons l’idée que la régulation du système ferroviaire doit être la mission de l’État plutôt que d’une structure prétendument indépendante et loin de la notion de service public.
Eurocompatibilité, ouverture à la concurrence, pérennité de la réforme, mais aussi unicité du système sont les termes que vous utilisez pour décrire votre réforme.
Vous nous dites : efficacité du système. Ainsi, pour remédier à l’éclatement du passé, il faudrait créer trois nouvelles entités : SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités. Par une mathématique opaque, vous affirmez, monsieur le secrétaire d'État, que trois serait plus performant que deux, et plus performant encore que un. Pourtant, les directives européennes n’imposent absolument pas la mise en place de trois EPIC distincts ; elles n’exigent de séparation organique que pour « les fonctions essentielles ».
Pourquoi ne pas avoir simplement externalisé ces fonctions auprès de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, la DGITM, et reconstruit un groupe public ferroviaire autour d’un seul EPIC ? Si l’objectif est la rationalisation et l’efficacité du système, pourquoi n’avoir pas retenu cette solution de bon sens au lieu de multiplier les structures et compétences de coordination, d’arbitrage, de consultation ? D’autant qu’il y a toujours un président de SNCF Réseau et un président de SNCF Mobilités : la complexité est loin d’avoir disparu.
Vous nous dites que cette réforme sera source d’économies ? Pouvez-vous être plus précis au vu de l’empilement de toutes ces nouvelles structures et instances diverses et variées ?
Vous nous dites : pérennité de la réforme. Ce choix des trois EPIC nous interroge. En effet, et vous le savez, l’EPIC est une forme juridique aujourd’hui menacée. La Cour de justice de l’Union européenne nourrit des suspicions sur son régime juridique. À cet égard, l’exemple de La Poste est éclairant – à l’époque, la gauche s’était battue contre le changement de statut de l’entreprise. Il ne faudrait qu’un pas pour que la Cour de justice juge tout simplement les EPIC comme incompatibles avec le marché intérieur.
En outre, par le passé, la séparation en filiales de différentes activités a été le plus sûr chemin vers leur privatisation. C’est pourquoi le schéma proposé n’emporte pas notre conviction, surtout au vu des transferts d’actifs organisés dans les articles 10 et suivant du projet de loi, qui, tout en renforçant SNCF Réseau, apurent en quelque sorte les comptes de SNCF Mobilités.
Vous nous dites : unicité du système et simplification. Depuis plusieurs années, les régions sont désireuses d’affirmer leur rôle d’autorités organisatrices de transport de plein exercice, ce qu’elles ne sont pas. Si le texte initial prévoyait un léger renforcement des régions, son passage à l’Assemblée nationale tend à une véritable « régionalisation » de notre système ferroviaire.
Certes, les députés ont refusé de reconnaître aux régions les prérogatives d’autorités organisatrices de plein exercice. Toutefois, il appartiendra aux régions de définir la politique tarifaire des services d’intérêt régional et elles pourront devenir propriétaires et gestionnaires d’infrastructures, compétence qu’elles sous-traiteront. Nous sommes donc bien loin de l’unité du réseau ; pire, à notre avis, c’est d’un éclatement du réseau qu’il s’agirait.
Avec cette réforme, le risque est grand que subsistent les stratégies concurrentes des différents acteurs ferroviaires. Les simplifications annoncées sont illusoires. La multiplication des structures, la complexification et l’étanchéité des organisations vont renforcer les difficultés de la mutualisation, pourtant nécessaire.
C’est pourquoi nous porterons des amendements allant dans le sens d’une réelle unification du système. La définition d’une nouvelle ambition pour le ferroviaire renvoie à la nécessité de financements renforcés. Nous porterons des amendements en faveur d’une reprise par l’État de la dette ferroviaire – dette colossale, monsieur le rapporteur – afin de développer les capacités de financement des réseaux.
Nous reviendrons sur l’exigence d’unité du réseau et sur la préservation des conditions de travail dans le monde ferroviaire.
Il y a presque un an, dans cet hémicycle, nous vous demandions de clarifier la position du Gouvernement, considérant que libéralisation, régionalisation et maîtrise publique du système ferroviaire n’étaient pas a priori compatibles et que le message envoyé par votre gouvernement était particulièrement brouillé.
Nous demandions des engagements précis sur des financements nouveaux et sur les missions de service public assumées par le groupe public ferroviaire, notamment en matière de rééquilibrage modal.
Nous demandions également que les salariés du secteur ferroviaire soient respectés.
Toutes ces demandes sont restées sans réponse, ou presque. Quant au respect des salariés, le traitement médiatique de la récente grève a été particulièrement violent et lamentable, alors même, et vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, que les salariés du rail défendent, en toute responsabilité et avant tout, le service public.
Nous proposerons donc clairement, par nos amendements, de renforcer ce groupe public ferroviaire, ce qui, vous nous l’accorderez, constitue bien l’enjeu décisif pour le secteur.