Intervention de Jean-Jacques Filleul

Réunion du 9 juillet 2014 à 14h30
Réforme ferroviaire – nomination des dirigeants de la sncf — Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Jean-Jacques FilleulJean-Jacques Filleul :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi portant réforme ferroviaire a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 24 juin dernier.

Dans un contexte social compliqué, nos collègues députés, et particulièrement le rapporteur, M. Gilles Savary, ont largement couvert - et adapté - le champ législatif du texte gouvernemental.

Au Sénat, sous la conduite de notre rapporteur, Michel Teston, la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire a pris tout le temps nécessaire pour améliorer le dispositif, et poursuivre ainsi la construction d’un texte majeur pour l’avenir du transport par fer dans notre pays.

Je veux saluer l’important engagement de Michel Teston, ainsi que la qualité de son intervention devant notre Haute Assemblée. Ce n’était pas facile, dans la suite des débats de l’Assemblée nationale, d’apporter sa patte à un document déjà bien pourvu. Notre rapporteur y est parvenu, en intégrant les amendements qu’il vient de nous exposer.

François Patriat, excellent rapporteur pour avis de la commission des finances, a précisé le projet de stabilité financière et la règle d’or, pour atteindre un objectif majeur, que nous partageons, celui de ne pas augmenter le déficit de SNCF Réseau. C’est une orientation que j’approuve, tant le poids de la dette accumulée entrave l’évolution du système ferroviaire de notre pays.

Stabiliser la dette à une échéance proche de 2020, oui, monsieur le secrétaire d’État, nous vous suivons aussi sur ce point primordial de la réforme. Toutefois, c’est un objectif a minima que nous agréons dans la situation actuelle de l’économie. À cet égard, j’ai déposé, au nom du groupe socialiste, un amendement visant à fournir « l’opportunité de créer une caisse d’amortissement de la dette ferroviaire ». Son adoption représenterait un pas important, un signe fort de reprise par l’État de tout ou partie de la dette historique. Je pense notamment aux 10, 8 milliards d’euros que l’INSEE propose de requalifier en dette publique.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, oui, cette réforme est essentielle. En prenant le parti de réunifier RFF et la SNCF au sein d’un groupe public verticalement intégré, le Gouvernement opte pour un modèle intelligent, eurocompatible et qui, je l’espère, sera efficace.

Nous revenons pourtant de loin ! Aujourd’hui, la séparation orchestrée par la loi du 13 février 1997 n’a plus d’avocat. Beaucoup, sur les travées de notre assemblée, en ont accepté le principe et la réalité.

Est-il utile de rappeler que cette séparation institutionnelle entre le gestionnaire d’infrastructure et l’entreprise ferroviaire allait bien au-delà des directives européennes de l’époque, notamment de la directive 91/440/CEE ? Elle était alors la déclinaison nationale d’une vague de réformes ferroviaires libérales touchant la plupart des États européens. L’exemple anglais est le plus emblématique à cet égard.

Cette loi Pons de 1997 mettait en cause, à terme, l’unicité du ferroviaire, et ouvrait peut-être même la voie à une privatisation. C’était dans l’air. N’oublions pas qu’à cette époque l’objectif des dirigeants allemands de la DB était d’introduire leur société à la bourse de Francfort. Nous savons ce qu’il est advenu, mais, en contrepartie, la dette allemande a été épongée. Le gouvernement de l’époque ne l’ignorait pas.

Malgré la qualité et les technicités développées par les différents personnels de RFF et de la SNCF, chacun sait combien la séparation du système ferroviaire en deux EPIC, sans intégration, a affecté son efficacité et n’a pas résolu positivement les situations rencontrées. Une telle organisation n’existe dans aucun autre secteur d’activité. Elle était ambiguë dès son acte de naissance, forcément coûteuse, et privait le système ferroviaire d’une indispensable unité de management.

Quatre ans après, en 2001, on pouvait lire, dans le document d’évaluation de la réforme lancée par votre prédécesseur, M. Jean Claude Gayssot : « La répartition des rôles entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre n’est pas claire dans les faits ; la SNCF et RFF ne s’expriment pas toujours d’une même voix vis-à-vis des autorités organisatrices de transport, ce dont la collectivité risque de pâtir. Cette “double expertise” permet d’améliorer la qualité des projets, mais l’expérience montre aussi que le processus consomme encore beaucoup de temps et d’énergie. Le vécu est difficile de part et d’autre, le climat social peut en être affecté dans certains métiers. »

Depuis 2001, ces constats ont été largement confirmés. C’est que le rail n’est pas un moyen de communication comme un autre : il se caractérise par une forte intégration entre l’infrastructure et le mobile, indispensable à une sécurité de haut niveau. Le TGV aurait-il pu voir le jour dans le cadre d’une organisation éclatée ? Beaucoup s’interrogent à ce sujet. Monsieur le secrétaire d’État, vous vous êtes vous-même interrogé publiquement au moment du drame de Brétigny-sur-Orge. Ayons en cet instant une pensée pour les victimes et pour leurs proches.

L’entreprise intégrée permettra de définir des responsabilités précises, ce qui conduira l’entreprise publique à parler d’une même voix, se fixant des objectifs qu’elle devra tenir.

Pour conclure sur ce point, je ne résiste pas à la tentation de citer les cinq recommandations issues de l’évaluation de la loi de 1997, réalisée par le Conseil supérieur du service public ferroviaire en 2001, sur commande du ministre des transports.

Il s’agissait, premièrement, d’assurer une meilleure intégration du système ferroviaire, celle-ci étant considérée comme une nécessité vitale ; deuxièmement, d’apurer la dette accumulée, à hauteur, à l’époque, de 15 milliards d’euros, et de mobiliser, pour le développement, un flux moyen annuel de 5 milliards d’euros d’investissements ; troisièmement, de rétablir des relations contractuelles entre l’État et le système ferroviaire sous la forme d’un contrat de plan à cinq ans, d’une programmation glissante à dix ans des projets de services et des besoins d’infrastructures, et d’un plan stratégique à vingt ans de développement du mode ferroviaire ; quatrièmement, d’harmoniser les conditions de concurrence au sein du secteur des transports, dans les domaines économique, environnemental et social ; cinquièmement, enfin, de mettre en place une instance d’arbitrage et de décision chargée des choix d’investissements multimodaux, placée sous le contrôle du Parlement.

Sans s’inspirer totalement de ces recommandations, dont une bonne partie est toujours d’actualité, je me réjouis que la politique du Gouvernement ait contribué à modifier l’état d’esprit et, plus fondamentalement, l’orientation du système ferroviaire de notre pays.

Monsieur le secrétaire d’État, je veux saluer particulièrement, comme d’autres l’ont fait, mais peut-être pas assez cet après-midi, le combat complexe mais décisif que vous avez mené pour faire valoir l’entreprise intégrée devant la Commission européenne, toujours réticente. Il ne s’agit pas du modèle allemand ; vous avez conçu notre modèle français, et nous espérons bien que le futur paquet ferroviaire en tiendra compte.

La nouvelle architecture à trois EPIC au caractère indissociable et solidaire – SNCF, SNCF Mobilités et SNCF Réseau – renforce à l’évidence les moyens du gestionnaire d’infrastructure, tout en permettant une gestion et une organisation plus rationnelles.

Les moyens d’intervention de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, l’ARAF, contribuent pour beaucoup à crédibiliser le projet qui nous est soumis, d’un point de vue tant juridique qu’économique : il s’agira d’un régulateur puissant.

J’apprécie aussi l’engagement pris par le Gouvernement de fournir sous deux ans un rapport sur les conditions de reprise de tout ou partie de la dette, ainsi que sur les conditions qui pourraient être mises en œuvre pour traiter l’évolution de sa part historique. Je suis persuadé que cette réforme permettra à la SNCF, entreprise qui appartient à notre patrimoine national, d’entamer la mutation qui lui permettra de faire face aux nouvelles exigences du secteur ferroviaire et, demain, en 2019 ou en 2023, à la concurrence dans le domaine du transport de voyageurs.

Cette réforme est engagée pour améliorer la vie des voyageurs et des chargeurs. Rendre un meilleur service public ferroviaire : ne perdons jamais de vue l’objectif.

Dix-sept ans après avoir bataillé contre la loi Pons, j’ai beaucoup d’émotion et de plaisir à croire que ce projet de loi permettra de renforcer le service public ferroviaire. En effet, dans une organisation verticalement intégrée, il impose un pilotage stratégique unique, une cohérence économique et une politique unifiée des ressources humaines pour l’ensemble du groupe.

J’apprécie que le Parlement soit consulté et intervienne sur les contrats d’objectifs assignés au groupe public et, je l’espère aussi, au sein du Haut Comité du système de transport ferroviaire créé par ce projet de loi. J’ai déposé un amendement en ce sens. Je me réjouis également de la création, auprès de SNCF Réseau, d’un comité des opérateurs.

Notre commission a adopté un amendement sur le VT interstitiel, dont je me félicite, après d’autres ici, puisqu’il permettra, une fois la loi votée définitivement, d’apporter aux régions des moyens nouveaux, certes modestes, mais c’est un pas dans le bon sens.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe socialiste votera résolument, et avec enthousiasme, le projet de loi de réforme ferroviaire.

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