Madame la ministre, le projet de loi que vous nous présentez comporte des avancées. Elles ont été soulignées par vous-même, par le rapporteur, M. Dulait, et par plusieurs de mes collègues. Je ne le conteste pas et, pour faire court, je ne reviens pas sur ces avancées.
En revanche, je souhaite évoquer quelques lacunes qui, si vous le vouliez, madame la ministre, pourraient être comblées, et le groupe socialiste présentera quelques amendements qui vont dans ce sens.
A gauche comme ailleurs, nous sommes nombreux à penser et à dire qu'il est nécessaire de renforcer le lien armée-nation. Quelle contribution le présent texte apporte-t-il à la relation entre les militaires et les civils ? C'est la question que je vais essayer de traiter.
Je constate que la suppression du service militaire, réalisée dans la précipitation et sans étude objective, a fortement détérioré ce lien : le militaire est aujourd'hui beaucoup plus isolé qu'hier.
La disparition du service militaire a été une erreur, j'en suis convaincu. Sur le plan financier, son coût dépasse largement les économies annoncées par le ministre d'alors, M. Charles Millon. Il serait d'ailleurs intéressant de comparer les prévisions et la réalité constatée aujourd'hui.
Madame la ministre, pourriez-vous nous indiquer, dans quelque temps, le bilan financier de la suppression - certains diront de la « suspension » - du service militaire ?
Cette suppression a cependant eu d'autres conséquences.
Elle a encore davantage isolé le militaire, en l'éloignant notamment des jeunes, alors que le service transformé aurait pu être un précieux outil de formation du citoyen, du patriote apte à contribuer à la lutte contre le terrorisme et à intervenir sur les lieux de sinistres, en complément des militaires mais avec les militaires.
Le texte que vous nous présentez, madame la ministre, aurait pu recréer le lien armée-nation. Or il renforce l'isolement du gendarme, du soldat.
Le militaire demeure un citoyen brimé. Sa liberté d'expression est limitée. Des secteurs importants de la vie en société lui sont interdits : syndicats, partis politiques, assemblées élues. Cette citoyenneté tronquée le situe en marge de notre devise républicaine, « liberté, égalité, fraternité ». Son statut, même amendé, limite sa liberté d'une manière qui ne me paraît pas sérieusement fondée.
En effet, pourquoi un gendarme ne pourrait-il pas être conseiller municipal tout en demeurant gendarme ? Pourquoi un militaire ne pourrait-il pas exercer une fonction élective sans être obligé d'opter pour le détachement ?
Certains diront que leur autorité, leur neutralité, leur disponibilité en souffriraient. De nombreuses expériences démontrent le contraire. Des policiers et des gendarmes pratiquent des activités sportives avec des jeunes. Ils ne négligent pas pour autant les devoirs de leur service, mais ils comprennent mieux les jeunes et ils sont mieux compris d'eux. Ils créent un lien qui me paraît très fort.
D'aucuns avancent que les contraintes de leur profession sont trop grandes, mais d'autres activités s'accompagnent aussi de lourdes obligations sans que ceux qui les exercent soient pour autant assujettis à des interdits syndicaux et politiques.
Chacun, me semble-t-il, doit juger ce qu'il peut assumer, et l'engagement militaire pourrait comporter des obligations qui ne seraient pas assorties d'interdictions syndicales et politiques.
Le militaire est donc en situation de liberté limitée. Il ne bénéficie pas de l'égalité que notre Constitution garantit.
Quant à la fraternité armée-nation, ce n'est pas en isolant les militaires que vous favoriserez son développement, madame la ministre.
Nous sommes nombreux à combattre l'exclusion. Votre projet de loi, en quelque sorte, renforce l'exclusion sociale. A l'heure où le dialogue apparaît comme indispensable à l'harmonie sociale, il bâillonne le militaire, qui appartient encore, hélas ! à la « grande muette ».
Madame la ministre, donnez la parole au militaire : il n'en abusera pas, tout au moins pas plus que les autres citoyens ! Votre frilosité dans ce domaine me fait penser aux craintes que certains agitaient hier lorsque la société et le Parlement hésitaient à accorder le droit de vote aux femmes.
Un jour viendra où les militaires seront des citoyens à part entière. L'institution, la société et la République n'en seront pas pour autant affaiblies. Au contraire, elles se renforceront mutuellement par une connaissance plus étroite et par une solidarité fertile.
Cette évolution est inéluctable. Il serait préférable de l'organiser et de la planifier plutôt que de la subir.
C'est donc sans enthousiasme que, peut-être, je ne dirai pas « non » à votre projet de loi.
Il apporte, c'est vrai, quelques améliorations au statut des militaires. Je serais tenté de dire que c'est mieux que rien, mais en ajoutant aussitôt que c'est moins que suffisant.
Les amendements du groupe socialiste complètent, madame la ministre, vos propositions ; j'espère - sans trop y croire - que vous les ferez vôtres.