Intervention de Jacques-Bernard Magner

Commission pour le contrôle de l'application des lois — Réunion du 8 juillet 2014 : 1ère réunion
Examen du rapport d'information de mm. jacques legendre et jacques-bernard magner rapporteurs sur la mise en oeuvre de la loi n° 2009-1312 du 28 octobre 2009 tendant à garantir la parité de financement entre les écoles élémentaires publiques et privées sous contrat d'association lorsqu'elles accueillent des élèves scolarisés hors de leur commune de résidence- réunion commune avec la commission de la culture de l'éducation et de la communication

Photo de Jacques-Bernard MagnerJacques-Bernard Magner, rapporteur :

Je vais pour ma part me concentrer sur quelques difficultés d'application, issues essentiellement de l'ambiguïté ou du silence des textes réglementaires.

La définition exacte des capacités d'accueil des communes conditionne la portée de la loi Carle, notamment en zone rurale. Plus une définition large est retenue, plus le nombre de communes sortant du champ de l'obligation de financement est important. Deux problèmes se posent : celui du périmètre géographique retenu et celui de la définition du nombre d'élèves par classe au sein du périmètre défini.

Le seul texte d'application prévu par la loi Carle est un décret déterminant les modalités de prise en compte des regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI). La solution retenue dans le décret en Conseil d'État du 9 novembre 2010 vise à gommer une asymétrie dans la prise en compte de l'intercommunalité entre l'enseignement public et l'enseignement privé. La loi Carle ne mentionne pas les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), alors que la disposition du code de l'éducation qui lui servait de modèle et qui s'applique aux élèves non-résidents dans les écoles publiques prévoit que l'EPCI à compétence scolaire se substitue à la commune, mais elle ne mentionne pas les RPI. Pour égaliser les situations, le décret de 2010 prévoit de ne prendre en compte, dans l'appréciation des capacités d'accueil de la commune de résidence, que les RPI organisés dans le cadre d'un EPCI à compétence scolaire.

D'après le ministère de l'éducation nationale, à la date du décret, les RPI concernaient environ 15 000 communes et 11 % des élèves. Une moitié environ des RPI étaient adossés à un EPCI. L'autre moitié ne touchait qu'un peu plus de 3 % des élèves, ce qui paraissait un effectif trop faible pour rigidifier le statut juridique des RPI, aujourd'hui simplement régis par une circulaire de 2003.

Les avis sont très partagés sur la question de savoir si le décret de 2010 respecte la volonté du législateur. Les associations de maires le contestent. Elles sont favorables à une prise en compte de tous les RPI et pas seulement de ceux qui sont adossés à un EPCI.

Les juristes que nous avons auditionnés ne s'accordent pas. Certains considèrent que le pouvoir réglementaire a déformé le texte voté par le Sénat, en vidant de toute substance l'amendement sénatorial qui prévoyait un traitement spécifique des RPI pour tenir compte de la situation des communes rurales. D'autres juristes estiment à l'inverse que le principe de parité entre le public et le privé doit l'emporter, par cohérence avec l'objet même de la loi Carle. C'est aussi la position du Conseil d'État dans son avis du 6 juillet 2010.

Les débats parlementaires eux-mêmes ne permettent pas de trancher sur l'intention du législateur puisqu'en réalité, l'Assemblée nationale et le Sénat ont adopté le même texte dans les mêmes termes mais avec des intentions divergentes. Les débats au Sénat laissent penser que l'esprit de l'amendement sur les RPI était effectivement de les prendre en compte globalement au-delà des seuls EPCI. En revanche, le rapporteur de l'Assemblée nationale, notre collègue Frédéric Reiss, avait clairement indiqué que la disposition adoptée au Sénat devait être restreinte par le pouvoir réglementaire aux seuls RPI adossés à un EPCI à compétence scolaire, afin de respecter le principe de parité. Le texte ayant été adopté conforme à l'Assemblée nationale en première lecture, le débat n'a pu être tranché par une commission mixte paritaire et l'incertitude demeure.

Après avoir déterminé le périmètre géographique de la zone de résidence, il reste encore à apprécier la capacité d'accueil effective dans les classes inscrites dans ce périmètre. C'est source de nouvelles difficultés pratiques.

Faut-il se caler sur le seuil d'ouverture ou de fermeture des classes ? Certains inspecteurs d'académie - directeurs académiques des services de l'éducation nationale (IA-DASEN) n'ont même pas défini de seuils fixes d'ouverture et de fermeture. Lorsqu'ils l'ont fait, les seuils varient entre 20 et 25 élèves avec de grandes variations par zones, pour tenir compte de la viabilité du tissu scolaire ou des contraintes géographiques spécifiques, notamment en zone de montagne. De façon générale, au-delà de l'application de la loi Carle, les associations d'élus souhaitent plus de clarté et de lisibilité dans la définition des seuils d'ouverture et de fermeture des classes.

L'application de la loi Carle pose encore d'autres difficultés, qui ne trouvent pas de réponses dans la circulaire d'application de 2012. C'est le cas par exemple des effets d'un déménagement en cours d'année et des modalités de prise en compte des fratries.

Pour l'enseignement public, l'article L. 212-8 du code de l'éducation accorde à l'enfant le droit au maintien dans l'école de la commune d'accueil jusqu'à la fin du cycle d'études entamé. Cette disposition s'applique en cas de déménagement de la famille en cours d'année avec le maintien de l'inscription de l'enfant dans l'école d'origine. Il n'existe pas de disposition analogue dans le code de l'éducation pour l'enseignement privé.

Même si l'on transposait au privé la solution retenue pour le public, il resterait une difficulté de fond : la nouvelle commune de résidence après le déménagement est-elle tenue de contribuer financièrement à la prise en charge de l'enfant dans l'école de la commune d'origine où il demeure inscrit ? Autrement dit, le déménagement en cours d'année avec maintien dans l'école d'origine crée-t-il un cas supplémentaire d'obligation de financement pour la nouvelle commune de résidence ?

Les interprétations du ministère de l'intérieur et du ministère de l'éducation nationale divergent sur ce point.

Le ministère de l'intérieur considère qu'aucune obligation ne pèse sur la nouvelle commune de résidence, même si un accord entre les communes peut être recherché.

En revanche, le ministère de l'éducation nationale estime que le maintien de l'inscription initiale dans la commune d'origine, avant le déménagement, entraîne l'obligation pour la nouvelle commune de résidence, après le déménagement, de financer la continuité du parcours scolaire.

La jurisprudence administrative n'est pas stabilisée, mais dans les quelques cas où des tribunaux se sont prononcés, ils ont plutôt retenu l'interprétation du ministère de l'intérieur. Dans deux arrêts significatifs de janvier 2002, la Cour administrative d'appel de Douai a considéré que :

- l'obligation de financement à la charge de la commune de résidence ne porte que sur les seules années au titre desquelles les cas dérogatoires sont justifiés ;

- le droit au maintien dans l'école d'origine n'entraîne pas de lui-même une obligation de prise en charge financière par la nouvelle commune de résidence.

Pour autant, en réponse à une Question écrite de notre collègue Jean-Pierre Sueur en 2013, le ministère de l'éducation a maintenu son interprétation. L'imprécision des textes réglementaires autorise des lectures équivoques. En attendant une décision claire du Conseil d'État, cette ambiguïté demeure une source d'insécurité juridique pour l'enseignement public comme pour l'enseignement privé.

J'en viens à la question des fratries.

Pour l'enseignement public, l'article R. 212-21 du code de l'éducation dispose que la commune de résidence est tenue de participer financièrement à la scolarisation maternelle ou élémentaire dans une autre commune du frère ou de la soeur d'un enfant inscrit la même année scolaire dans une école publique de ladite commune d'accueil, dans le cas où la scolarisation de l'enfant de référence dans la commune d'accueil est elle-même justifiée par une des dérogations classiques (activité professionnelle des parents, état de santé de l'enfant, capacité d'accueil insuffisante dans la commune de résidence).

Il faut noter que l'inscription simultanée de deux frères ou soeurs n'emporte pas l'application de cette mesure, qui n'est valable qu'en cas d'inscription échelonnée. Elle vaut pour un regroupement de fratrie mais pas pour une inscription groupée de fratrie.

Il n'existe pas de dispositions analogues pour l'enseignement privé et c'est par extrapolation, en recourant au principe de parité, qu'il faudrait interpréter les termes de la loi Carle en matière de prise en compte des fratries. La seule condition restrictive propre au privé serait la limitation aux seules classes élémentaires, sans tenir compte des inscriptions en classes maternelles.

En tout état de cause, le critère de regroupement de la fratrie paraît matériellement très difficile à utiliser pour les établissements privés. Comme le notent les préfectures sondées par la DGCL, il faut que chaque établissement privé concerné fasse la preuve au cas par cas que les aînés en général auraient pu bénéficier d'une dérogation à l'époque de leur inscription. En particulier, pour apprécier les capacités d'accueil au moment de l'inscription de l'aîné, le chef d'établissement doit vérifier les statuts en vigueur à l'époque des éventuels EPCI, ce qui s'apparente à une enquête quasi impossible pour lui.

Nous devons confesser un regret dans l'exercice de la tâche qui nous a été confiée, celui de n'avoir pu disposer que de très peu de données statistiques. Cela a compliqué notre appréciation exacte de la portée du problème et de l'efficacité de la solution.

Parmi les élèves non-résidents accueillis dans des établissements privés, il est très ardu de déterminer le nombre d'élèves effectivement concernés par la loi Carle. Personne au niveau des communes ou des préfectures ne procède à ce recensement, et encore moins les instances nationales de l'enseignement privé et les directions centrales des ministères. S'y oppose clairement le défaut d'information sur les motifs d'inscription dans les écoles privées. Il faudrait procéder à une enquête auprès des familles pour savoir si elles entrent dans un des cas de figure. Les maires des petites communes rurales n'émettent pas d'avis et ne sont pas informés d'une décision d'inscription. Leurs moyens d'identifier les élèves concernés auprès des autres maires sont aussi limités.

Même s'il n'existe aucune statistique précise qui renseigne sur le nombre d'élèves entrant dans le champ du dispositif, nous nous sommes appuyés sur les estimations de la direction des affaires financières du ministère de l'éducation nationale. Peu d'élèves seraient concernés par la loi Carle et les flux financiers générés seraient d'autant plus difficiles à repérer qu'ils seraient d'ampleur marginale.

Un tiers des élèves scolarisés en primaire dans les établissements de l'enseignement catholique seraient des non-résidents, ce qui représente environ 300 000 élèves. Il faut soustraire les classes maternelles qui ne sont pas concernées par la loi Carle et ne tenir compte que des 200 000 élèves non-résidents scolarisés dans des classes élémentaires privées. Ensuite, il faut encore soustraire de ce total tous les élèves non-résidents qui ne rentrent pas dans un des cas de dépenses obligatoires prévus par la loi de 2009. Le ministère de l'éducation nationale estime au final que 30 000 élèves seulement entrent dans le champ de la loi Carle.

En outre, à partir de données rassemblées et retraitées par la Cour des comptes et d'informations transmises par l'enseignement catholique, le ministère de l'éducation nationale estime le forfait communal moyen à 550 euros par élève. On aboutit ainsi à une estimation financière maximale des flux qui pourraient être générés par l'application intégrale de la loi à 16,5 millions d'euros.

En tout état de cause, les sommes sont trop faibles et trop éparpillées sur des milliers de communes, pour que la direction générale des finances publiques entreprenne de mettre en place un système d'extraction spécifique des données financières relatives à l'application de la loi Carle. Rappelons que les coûts des systèmes d'information dans l'éducation nationale sont déjà colossaux. Il faut veiller à ce que le suivi de la loi Carle et un légitime besoin d'informations ne coûtent finalement pas davantage que la loi Carle elle-même.

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