Le Président de la République m'a manifesté sa confiance en proposant ma candidature aux fonctions de Défenseur des droits. C'est un honneur particulier pour moi que d'être entendu ce matin par votre commission. Je garde un excellent souvenir de notre collaboration, lorsque j'étais député, président de la commission des lois à l'Assemblée nationale, ou membre du gouvernement. Notre travail était acharné ; il mobilisait le partage de nos compétences au-delà des clivages partisans. J'adresse d'emblée une pensée affectueuse et reconnaissante à Dominique Baudis, qui a su installer le Défenseur des droits dans le paysage des institutions françaises. J'ai fait l'objet de vives critiques publiques récemment ; elles m'ont donné l'occasion de dire ma vérité. Je n'y reviendrai pas, sauf si vous le souhaitez, bien évidemment.
Tout au long de ma vie publique, j'ai tenté d'apporter ma contribution à l'édifice juridique national. Trois moments en témoignent, qui correspondent aussi à des prises de position importantes du Sénat. Dans le domaine de l'éthique biomédicale, le Sénat, notamment au sein de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, a largement contribué à diffuser les connaissances scientifiques et médicales, grâce aux travaux de sénateurs comme Franck Sérusclat ou le professeur Huriet, qui ont facilité l'élaboration d'une législation pionnière. Comme porte-parole de mon groupe à l'Assemblée nationale, j'ai pris une part active dans la recherche d'un équilibre entre le respect de la dignité humaine et l'exploitation des nouvelles connaissances et thérapeutiques médicales. L'indisponibilité du corps humain instaurée à l'article 16-7 du code civil est l'une de ces mesures équilibrées que nous avons su mettre en oeuvre. L'évolution a été considérable : la fécondation artificielle est installée dans les moeurs, la génétique a ouvert de nouveaux espoirs et concrétisé certains d'entre eux, l'égalité des droits est en marche, la recherche sur l'embryon fait l'objet d'un régime d'autorisation-exception que le Parlement a souhaité substituer à celui de l'interdiction-dérogation, et je ne parle pas du sujet brûlant de la fin de vie. J'ai suivi avec attention la marche de notre pays, celle d'autres pays européens, des États-Unis, du Japon ou de la Corée, sur ces questions qui touchent à l'identité humaine, du début de la vie jusqu'à la mort, et qui engagent notre responsabilité devant l'humanité. Je sais les conséquences de ces évolutions sur le statut des personnes, en matière de filiation, notamment, comme l'ont montré de récentes décisions de justice. Le pouvoir politique devra y faire face, par la loi, si nécessaire. Le Défenseur des droits a déjà reçu des réclamations ; il en recevra plus encore. C'est dans un esprit serein et informé, inspiré par l'égalité et l'humanité que je souhaiterais les traiter.
Le droit pénal et la procédure pénale nous ont souvent réunis et je garde le vif souvenir de la discussion au Sénat en première lecture de mon projet de loi instituant l'appel en cour d'assises du tribunal criminel départemental - révolution judiciaire qui mettait fin à la souveraineté absolue du jury populaire qui caractérisait notre procédure criminelle depuis 1789. Sur la base des conclusions proposées par le Haut Comité, alors présidé par Jean-François Deniau, je vous avais proposé de faire appel du jugement criminel de première instance, d'obliger à motiver les arrêts, d'éviter le passage du dossier en chambre d'accusation, et d'abaisser à dix-huit ans l'âge requis pour être juré. Le débat, rude, ardent et argumenté, aboutit à un résultat qui était à la hauteur de la tâche. Vinrent la dissolution puis la cohabitation. La loi du 15 juin 2000 instaura l'appel d'une cour d'assises à une autre. C'est seulement depuis le 1er janvier 2012 que les jugements criminels sont motivés. Il a fallu du temps, certes, mais j'ai la faiblesse de penser qu'en 1996, j'ai engagé un progrès irréversible dans les droits fondamentaux reconnus au justiciable en France.
Les commissions du Sénat - celle des finances, de la culture, des affaires européennes ou des lois - sont à l'avant-garde pour analyser, préserver, améliorer, et quelquefois critiquer nos politiques culturelles, tant dans le monde physique que dans l'univers virtuel. L'exception culturelle acquise en 1994 est efficacement défendue depuis lors. Elle relève d'un droit fondamental, celui pour les artistes d'échapper aux impératifs du marché et du libre-échange. C'est avec ce même objectif que je me bats pour garantir la diversité culturelle sur les plateformes et les réseaux culturels. Un autre droit dont nous bénéficions est celui de parler et d'écrire en français, langue que pratiquent 99 % d'entre nous, qui est le trésor de chacun - même du plus démuni - et un vecteur du lien social. La loi du 4 août 1994, à laquelle on accole souvent mon nom, a accordé ce droit à l'emploi du français dans toutes les circonstances principales de la vie. Dans ces trois domaines, nous avons avancé ensemble.
Depuis dix ans, inspiré par mon expérience de maire du XIIIème arrondissement de Paris pendant dix-huit ans, et fort de mes convictions républicaines, je m'investis dans les questions relatives à l'immigration et à l'intégration. Au musée de l'histoire de l'immigration, au Haut Conseil à l'intégration, mon combat a toujours été celui des valeurs de tolérance et d'humanité contre le racisme et les inégalités. J'ai fait preuve d'un engagement constant pour défendre les principes du respect de la dignité humaine, de l'égalité pour tous, mais aussi du rejet des extrémismes, du racisme et de la xénophobie, par le droit. Mesdames et messieurs les sénateurs, si je suis investi des fonctions de Défenseur des droits, je ferai la guerre à l'injustice. Qu'elle soit ressentie ou subie, elle naît de l'inégalité et ne sera vaincue que par une réelle égalité des droits. Je ne conçois pas le rôle du Défenseur des droits selon son seul statut constitutionnel d'indépendance, dans une sorte de hautain isolement. Je l'imagine comme un chef de pupitre dans l'orchestre national de l'action publique, composé des députés, des membres du Conseil économique, des maires, des présidents des conseils généraux, mais aussi des associations, des chercheurs, et de vous, sénateurs, qui représentez quotidiennement nos collectivités décentralisées. Le renforcement de la coopération entre les élus et le Défenseur des droits sera l'une de mes priorités, si vous m'accordez votre soutien. Il s'agit de volonté politique. Sans être présomptueux, je crois que mon expérience politique m'a permis de connaître les Français. Je connais aussi les arcanes de l'État, celles de Strasbourg, de Bruxelles, de Luxembourg, dont l'influence s'accroît dans la pratique du droit. Cette expérience me donnera plus de force et d'efficacité pour accomplir ma mission.
La politique, c'est l'art de donner à chacun un commun sentiment d'appartenance, de tolérance, d'estime de soi et des autres, en somme une envie de vivre et de bâtir ensemble, quand la cité nous prend tous et toutes, également, en considération. Le Défenseur des droits doit devenir le généraliste de l'accès au droit et aux droits face à la montée des détresses, des précarités, des violences et du sentiment d'injustice et de discrimination. Cela implique d'assurer l'application générale et égale des droits existants et, plus encore, de promouvoir l'existence de ces droits et d'imaginer ceux qui seraient éventuellement nécessaires.
Si le Défenseur des droits ne doit négliger aucune de ses missions, certains champs d'action sont prioritaires. Dans les années qui viennent, les discriminations ressenties et subies par les personnes âgées dépendantes ou par celles atteintes de handicap, ainsi que les discriminations du fait de l'origine devront faire l'objet de toute notre attention. Les enfants seront notre deuxième priorité, notamment par le renforcement de l'application de la convention internationale signée en 1989, et par l'amélioration de la loi de 2007 sur la protection de l'enfance - la mort de Marina en 2009 et le rapport fait alors par le Défenseur des droits en montrent la nécessité. Les questions de filiation, d'état civil et de nationalité sont au carrefour de la fin des discriminations et de l'intérêt de l'enfant. Enfin, le recul dans l'effectivité du droit à l'avortement constitue pour moi une préoccupation majeure. L'ambiance n'est pas bonne à cet égard, ni au niveau national, ni au niveau international. La France doit être ferme sur cette question essentielle.
Chacun doit pouvoir connaître ses droits, les articuler, trouver auprès de qui ils pourront être exercés et réclamés s'ils ne sont pas reconnus. Former tous les agents de la fonction publique à la culture de l'accueil, raccourcir les délais pour le traitement des réclamations, donner au site du Défenseur des droits une forme et un contenu accessibles au grand public, tenter de supprimer l'angle mort du numérique, c'est-à-dire les 20 % de la population qui ne peuvent pas ou ne savent pas utiliser Internet pour effectuer leurs démarches, tels sont les grands chantiers d'action à envisager. Je poursuivrai également la négociation d'une convention de partenariat avec la Chancellerie, qui est le pilote ministériel de l'accès au droit, dans la ligne du décret d'Alain Juppé qui officialisa les maisons de la justice et du droit, en 1996.
Je voudrais utiliser une méthode partenariale, car le Défenseur des droits doit s'insérer encore davantage dans un environnement de relations étroites et permanentes avec les autres parties prenantes, et d'abord avec le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes. Il me semble indispensable de conduire une enquête sociologique sur les inégalités d'accès au Défenseur, pour identifier ceux qui en auraient besoin et qui n'y accèdent pas. Cette étude serait la première étape d'un observatoire indépendant des relations entre les services publics et les citoyens. Enfin, je suggèrerai au Gouvernement de faire du Défenseur des droits et de la promotion des droits une grande cause nationale en 2015.
Je suis fier d'avoir été choisi pour exercer les fonctions de Défenseur des droits. Je les remplirai en toute liberté, au-dessus des contingences et des intérêts. Soyez sûrs que si vous m'accordez votre confiance, je saurai m'en montrer digne.