Lorsque je dis qu'il faudra tenir compte de la décision de la Cour européenne des droits de l'homme, cela signifie que nos règles d'inscription à l'état civil devront être modifiées. La garde des sceaux a signé une circulaire sur les certificats de nationalité mais il faudra bien traiter de la question de l'identité figurant sur l'état civil.
Monsieur Cointat, la « confiance légitime » peut être traduite par un concept plus français, la sécurité juridique, qui a fait l'objet d'un certain nombre de décisions du Conseil constitutionnel, notamment en matière fiscale. Si le Défenseur des droits ne peut qu'appliquer les lois telles qu'elles ont été votées, il peut aussi marquer ses convictions, ses souhaits, ses propositions. Dans ce domaine, je suis prêt à en faire car beaucoup de nos concitoyens n'ont pas confiance dans leur justice. Il y a quelques années, le rapport annuel du Conseil d'État portait sur la question de la sécurité juridique : je m'y réfèrerai pour avancer mes propositions.
Je veux dire à M. Gélard, rapporteur et même « faiseur » de la loi sur le Défenseur des droits, qu'après trente-trois mois d'exercice de la fonction par Dominique Baudis, le regroupement a créé une sorte de force de frappe positive tant vis-à-vis de la société qu'à l'égard des pouvoirs publics : de nombreux avis, recommandations, observations, propositions ont été pris en compte par les tribunaux et par le Parlement.
Faut-il aller plus loin ? Je suis tenté de dire : qui trop embrasse mal étreint. Mais depuis la loi Tasca du 28 mai 2014, une incertitude demeure : les détenus peuvent faire appel au Contrôleur général mais aussi au Défenseur des droits. Les pouvoirs de l'un sont presque équivalents à ceux de l'autre et, en cas de double intervention, le message risque d'être brouillé vis-à-vis de l'administration pénitentiaire. Si je suis nommé, je renouvellerai avec Adeline Hazan la convention passée entre Jean-Marie Delarue et Dominique Baudis car je ne souhaite pas la fusion avec le Contrôleur général.
Aujourd'hui, le Défenseur est saisi de 100 000 réclamations, dont 80 000 concernent les relations entre les services publics et les citoyens et 20 000 concernent les discriminations, la déontologie de la sécurité et la défense des enfants. C'est beaucoup, mais ce n'est rien, compte tenu des aspirations de nos concitoyens et de leur sentiment d'injustice. Nous devrons expliquer à nos concitoyens qu'ils ont des droits et qu'ils peuvent les revendiquer. Les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat devront être bienveillantes à notre égard car nous ne comptons que 220 agents dans nos deux centres parisiens et un peu plus de 400 délégués bénévoles indemnisés sur le terrain : ce n'est pas assez face à notre future tâche.
Le Gouvernement a décidé de regrouper, fin 2016, les autorités administratives indépendantes, et donc les services du Défenseur des droits, dans les immeubles de la place de Fontenoy. L'économie de fonctionnement exige en effet que nous soyons regroupés ; j'espère que ce projet sera mené à son terme et je me battrai pour y parvenir.
Mme Assassi a évoqué mes positions passées : j'étais pour l'abolition de la peine de mort, j'étais favorable à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) ; j'ai d'ailleurs soutenu en 1974, lorsque j'étais au cabinet de Jacques Chirac, la dépénalisation de l'IVG voulue par Simone Veil. Enfin, j'estime que toutes les sexualités sont équivalentes pour peu qu'elles soient entre personnes consentantes et qu'elles doivent toutes être exercées dans la même liberté et la même égalité. Depuis que j'ai été élu maire du XIIIème arrondissement en 1983, je suis favorable au vote des étrangers aux élections locales car la participation civique et politique de tous ceux qui vivent, travaillent, payent des impôts dans une commune ou dans un département est un instrument de promotion et d'intégration mais aussi d'efficacité pour notre démocratie locale et nos collectivités décentralisées. Par ailleurs, nationalité et citoyenneté ont des liens historiques et politiques : la question est donc difficile à trancher. Comment peser ? En le disant, comme ce matin ; ma déclaration à l'Assemblée nationale n'a pas reçu une approbation unanime...
J'ai beaucoup travaillé sur ces sujets au titre de l'histoire de l'immigration et au titre de l'intégration sociale et culturelle. Les réponses juridiques ne peuvent être les seules, mais dans un pays de légalité comme le nôtre, où la citoyenneté crée l'espace de la vie, à l'image de Georges Braque lorsqu'il disait que « La sculpture découpe l'espace comme la musique découpe le silence », le Défenseur des droits, tout en respectant les textes, peut faire des propositions.
Je m'excuse auprès de Mme Benbassa à qui je n'ai pas fini de répondre. Le Défenseur des droits reçoit de nombreuses réclamations de transsexuels et de transgenres relatives, par exemple, aux questions d'état civil. Je ferai des propositions au Parlement et au Gouvernement sur ce sujet. Je poursuivrai l'action de Dominique Baudis sur le comité d'entente LGBT : je le maintiendrai, le réunirai et le présiderai.
Monsieur Lecerf, la déontologie de la sécurité est un domaine dans lequel le Défenseur des droits ne reçoit que peu de réclamations - environ 550 en 2013 -, mais il s'agit d'affaires lourdes. Jean-Marie Delarue a agi avec beaucoup de discernement en ce domaine, notamment après la circulaire d'août 2012 sur les évacuations. Des recommandations ont été adressées, par exemple pour les migrants de Calais : je crains fort que nous devions y revenir. En novembre 2012, un excellent avis sur le sujet a été rendu ; le Défenseur des droits doit renforcer sa présence en ce domaine, notamment en ce qui concerne les contrôles d'identité. Dès 2012, le Défenseur des droits avait étudié cette question. Un groupe de travail a été constitué et j'y participerai.
M. Grosdidier a posé des questions difficiles, s'agissant de la place de ceux qui professent la religion musulmane ou vivent dans cette culture. La reconnaissance et la prise en compte de l'origine parmi les critères de discrimination est une avancée, même s'il n'y a pas équivalence entre origine et religion. Je suis profondément laïque : j'estime que les droits de l'homme et du citoyen passent par les lois de la République et doivent s'appliquer à tous. En France, il ne peut y avoir de droits particuliers parce qu'on appartient à telle ou telle communauté. Récemment, la Cour de cassation a tranché l'affaire de la crèche Baby Loup. Nous serons amenés à présenter des observations devant les tribunaux saisis de plaintes en discrimination. Beaucoup de ces difficultés, de ces violences, de ces conflits, de ces revendications, de ces affirmations identitaires proviennent d'un sentiment d'injustice, d'où l'affirmation d'une différence.
Enfin, je vais répondre à Mme Klès, spécialiste du Défenseur des droits au Sénat. Bien sûr, l'illettrisme est un sujet essentiel. Lorsque j'étais garde des sceaux, j'ai demandé au professeur Alain Bentolila de mettre en place des programmes pour lutter contre l'illettrisme en prison. Au collège et au lycée, l'éducation aux droits doit être enseignée : on ne peut se contenter de la demi-heure hebdomadaire sur l'éducation civique.
En revanche, je ne peux vous répondre sur les tests osseux qui permettent de déterminer l'âge. Si je suis nommé Défenseur des droits, j'examinerai cette question pour vous apporter une réponse.
L'ordonnance de 1945 représente un formidable chantier. Mme la garde des sceaux m'a récemment dit que le projet de loi sur la délinquance des mineurs n'était pas enterré.